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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 16 janvier 1991, n° 752-90

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bretagne Soierie (SA)

Défendeur :

Chambre syndicale professionnelle de la nouveauté

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Duclos

Conseillers :

MM. Fourcheraud, Roy

Avoués :

Mes d'Aboville, De Montcuit Saint Hilaire, Gautron, Chaudret

Avocats :

Mes Sulzer, Gautier, Huc, Hervouet.

T. com. Nantes, Prés., du 20 oct. 1990

20 octobre 1990

La SARL Bretagne Soierie a régulièrement relevé appel d'une ordonnance rendue le 20 octobre 1990 par le Président du Tribunal de commerce de Nantes qui, saisi par la CHAM Syndicale Professionnelle de la Nouveauté et des spécialités qui s'y rattachent, et faisant droit aux demandes de cette association, l'a condamnée à suspendre, dès signification de l'ordonnance, les ventes illicites actuellement en cours et annoncées par publicité, ce sous astreinte provisoire de 100 000 F par jour de retard et a désigné un huissier de justice à l'effet de procéder à toute constatation qui pourrait s'avérer nécessaire.

Pour prononcer l'illicéité de la vente incriminée, le premier juge a énoncé qu'il s'agissait non pas d'une vente " à prix barrés " mais d'une vente à caractère occasionnel qui répondait à la définition des soldes telles qu'elle figure dans la loi du 30 décembre 1906 et dans le décret du 26 novembre 1962 et que les Etablissements Bouchara auraient dû préalablement solliciter l'autorisation municipale prévue par la loi pour ce type de ventes.

La société Bretagne Soierie invoque la nullité de l'assignation, celle de l'ordonnance ainsi que la nullité de la signification pour non respect du principe du contradictoire et inobservation de règles de procédure ; Subsidiairement au fond, elle soutient que la CHAM Syndicale n'avait pas la capacité pour agir et que de toute façon l'opération incriminée n'était ni une opération de liquidation, ni une opération de soldes, mais une opération promotionnelle étrangère au domaine d'application des dispositions légales et réglementaires précitées et comme telle, non soumise à autorisation préalable.

Par demande reconventionnelle la société Bretagne Soierie sollicite l'organisation d'une mesure d'expertise aux fins de déterminer le préjudice par elle subi du fait de l'interruption de l'opération " 7 jours coup de foudre " et demande d'ores et déjà la somme de 10 000 F à titre provisionnel.

La CHAM Syndicale, pour conclure à la confirmation de l'ordonnance et au rejet de la demande reconventionnelle présentée par la société Bretagne Soierie, fait valoir la régularité de la procédure, l'absence de grief découlant des inobservations soulevées par l'appelante et justifie pour sa part de sa capacité et de son intérêt à agir dans la présente procédure.

Sur le fond, elle fait valoir qu'une opération promotionnelle dite à "prix barrés" est exclusive d'une action s'appliquant à tout le magasin et qu'il s'agissait bien en l'espèce d'une opération de soldes qui visait l'ensemble du stock et non un seul article.

Elle demande en outre la condamnation de la société Bretagne Soierie à lui paye la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre celle de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce :

Considérant que la société Bretagne Soierie, qui exploite plusieurs magasins de vente de tissus au détail en France sous l'enseigne "Bouchara", et plus spécialement à Nantes, un magasin situé rue du Calvaire, a décidé une opération nationale dénommée "7 jours coups de foudre. Tout Bouchara à - 20 %" programmée du 29 septembre au 6 octobre 1990 et annoncée au public par des messages publicitaires radiodiffusés et par voie de presse ;

Considérant que le syndicat Nantais du commerce de la nouveauté et des professions qui s'y rattachent, estimant que cette opération s'analysait en droit comme une liquidation ou comme des soldes et qu'elle se déroulait en dehors des périodes autorisées en sans dérogation municipale, a assigné le 1er octobre 1990 les Etablissements Bouchara à comparaître devant le président du Tribunal de commerce de Nantes statuant en référé pour l'audience du mardi 2 octobre 1990 à 9 heures.

Considérant que le premier juge a retenu l'affaire malgré la demande de renvoi qui lui était présentée et a fait droit aux prétentions du syndicat en ordonnant qu'il soit mis fin à l'opération en cours.

Considérant que la société Bretagne Soierie soulève d'abord la nullité de l'assignation et de celle de la signification pour inobservations des mentions relatives à la désignation du requérant dans la mesure où l'acte de procédure doit mentionner la dénomination de la personne morale qui figure dans les statuts et qu'en l'espèce, la signification de l'assignation a été faite aux "Etablissements Bouchara, 8, rue du Calvaire à Nantes, pris en la personne de son représentant légal y domicilié en cette qualité ou étant et parlant à Madame Duret Françoise, directrice", alors que la dénomination "Bouchara" ne constitue qu'une enseigne sous laquelle est exploité un magasin qui constitue un établissement secondaire de la société Bretagne Soierie dont le siège social est à Bordeaux, et alors que Françoise Duret n'est nullement habilitée à recevoir l'acte, n'étant ni représentante légale de la société Bretagne Soierie, ni de l'établissement secondaire que constitue le magasin de Nantes ;

Qu'elle sollicite de ce fait la nullité de l'assignation ;

Qu'en relevant de même que la signification de l'ordonnance avait été faite aux "Etablissements Bretagne Soierie exerçant sous l'enseigne Bouchara sis 8, rue du Calvaire à Nantes" et remise à Françoise Duret, dans les mêmes conditions que l'assignation, elle conclut aussi à la nullité de l'acte de signification comme contraire aux dispositions de l'article 648 du nouveau code de procédure civile qui fait obligation à tout acte d'huissier de justice d'indiquer s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social, et comme ayant été délivrée à une personne non habilitée.

Considérant que l'examen de l'acte introductif d'instance montre effectivement que l'assignation a été délivrée à une enseigne et que si la signification de l'ordonnance a été faite au nom de la personne morale exploitant l'enseigne, l'exploit a été remis à une personne physique mentionnée comme responsable du magasin secondaire ;

Mais considérant que les erreurs de dénomination ainsi commises n'ont pu tromper le destinataire, qui, compte tenu des précisions mentionnées sur l'adresse de l'établissement secondaire ne pouvait avoir de doute sur l'identité de la personne morale concernée ;

Considérant en outre que l'huissier n'avait pas à vérifier si Françoise Duret était ou non régulièrement habilitée à représenter l'établissement secondaire, dès lors qu'elle ne déniait pas la qualité qu'elle exerçait apparemment au moment où elle a reçu les actes et qu'aucune incertitude ne pouvait résulter pour elle sur le fait que l'assignation, puis la signification de l'ordonnance de référé visaient à travers l'établissement secondaire qu'elle dirigeait la société Bretagne Soierie en tant qu'entreprise commercial responsable de l'opération.

Considérant enfin que la Sté Bretagne Soierie affirme sans le démontrer l'absence de pouvoir de Françoise Duret, tout en énonçant qu'aussitôt en possession de l'assignation, celle-ci a saisi la direction de la société à Paris pour rendre compte, ce qui tend à reconnaître implicitement mais nécessairement qu'elle disposait d'un pouvoir d'initiative et de décision, apanages d'un rôle de responsabilité ;

Que le moyen de nullité ainsi soulevé tant pour l'assignation que pour la signification de l'ordonnance sera donc écarté ;

Considérant ensuite que la société Bretagne Soierie conclut à la nullité de la procédure pour violation des droits de la défense en soulignant le fait que le demandeur, qui n'avait pas sollicité l'autorisation d'assigner d'heure à heure, a assigné le 1er octobre 1990 à 15 heures 30 pour le 2 octobre à 9 heures en faisant remettre l'acte à une personne non habilitée, ce qui a retardé les délais laissés à son conseil parisien pour préparer sa défense et ne lui a permis de communiquer à son correspondant à Nantes les documents permettant d'apporter la régularité de l'opération promotionnelle.

Que le juge a refusé ensuite d'accorder le délai supplémentaire qui lui était demandé par voie de conclusions et n'a pas répondu dans son ordonnance à la demande de renvoie qui était motivée précisément sur les dispositions des articles 16 et 486 du nouveau Code de procédure civile tendant au respect du contradictoire et des droits de la défense.

Que reprenant cette motivation en cause d'appel, elle demande donc à la cour de constater qu'il ne s'est pas déroulé un délai suffisant entre l'assignation et la date d'audience, de dire et juger que le principe du contradictoire n'a pas été respecté, et de prononcer en conséquence la nullité de l'assignation ;

Mais considérant qu'il résulte de l'examen de la procédure que la société Bretagne Soierie est intervenue à l'instance pour faire plaider l'irrecevabilité de la demande et demander un renvoi;

Que s'il appartient au juge de vérifier qu'un délai suffisant est laissé au défendeurs pour préparer sa défense, cette appréciation doit aussi tenir compte de la nature de la demande, du contexte du dossier et de ses répercussions ; qu'en l'espèce, il s'agissait d'une assignation en référé qui visait une opération de vente s'étalant sur une durée de 7 jours et que la saisine du juge n'avait pour effet que de constater l'existence ou non d'un trouble causé par cette vente et de la faire aussitôt cesser le cas échéant, ce qui perdait toute utilité en cas de décision postérieure à la fin de l'opération ;

Considérant qu'il n'apparaît pas dès lors que les arguments invoqués puissent être retenus comme des manquements graves au respect du contradictoire ou à des violations des droits de la défense, étant au surplus observé qu'une demande de renvoi relève de la police de l'audience et que le premier juge n'était pas tenu de motiver sa décision sur ce point dès lors qu'en statuant il manifestait explicitement son refus de faire droit à la demande sollicitée ;

Considérant encore que la Sté Bretagne Soierie demande la nullité du jugement en raison des mentions erronées qui y figurent, notamment en ce qu'il est indiqué : "les Ets Bouchara... comparant par Me Boucher, avocat à Nantes, et plaidant par Me Sulzer avocat à Paris" alors précisément qu'en raison du trop court délai imparti à la défense pour se préparer, Me Sulzer n'a pas effectuer la déplacement et n'a pas plaidé à l'audience comme il est par erreur mentionné, cette erreur faisant grief dans la mesure où elle laisse entendre que la partie assignée a disposé du temps nécessaire pour assurer sa défense ce que précisément elle conteste ;

Mais considérant que la mention ainsi critiquée ne consiste qu'en une énonciation des noms des conseils de la société Bretagne Soierie et de leurs qualités respectives et non comme l'affirmation de la présence effective à l'audience du conseil parisien de la société ; il n'en reste pas moins vrai que si cette mention peut prêter à confusion, elle n'apparaît cependant pas suffisante pour entraîner la nullité de l'ordonnance, dès lors qu'il est constant que la partie assignée a été représentée à l'audience et que des conclusions ont été déposées en son nom par les conseils habilités à la défendre, ce qui répond suffisamment aux prescriptions légales ;

Que cette nullité sera en conséquence elle aussi écartée ;

Considérant que la Sté Bretagne Soierie conteste ensuite la capacité et la qualité de la CHAM Syndicale pour agir ;

Mais considérant que disposant du pouvoir de représenter en toutes circonstances son organisation en vertu de l'article 17 des statuts de la CHAM Syndicale, le Président justifie de l'affirmation contenue dans ses conclusions pour laquelle il a reçu mandat spécial de l'assemblée générale du 14 novembre 1986 pour la poursuite des actions judiciaires destinées à lutter contre la concurrence déloyale occasionnée par les soldes abusives ;

Considérant aussi que le droit des syndicats professionnels à agir en justice pour la défense des intérêts collectifs de leur adhérents n'est pas discutable ; que ceux-ci sont effet habilités à exercer devant toutes les juridictions chaque fois que les faits devant toutes les juridictions chaque fois que les faits invoqués sont de nature à créer un préjudice même indirect ou seulement moral à l'intérêt collectif des professions qu'ils représentent ;

Que le caractère déloyal des pratiques invoquées est de nature en drainant la clientèle vers les magasins offrant des conditions particulières de vente en contravention avec la loi à causer à l'ensemble des commerçants respectant la législation sans qu'il y ait lieu de faire de distinction entre eux, un préjudice consistant en une perte de recettes ;

Considérant enfin, au fond que la Société appelante conteste la qualification même de "soldes", retenue par le premier juge, et soutient que l'opération critiquée n'a jamais été présentée au public comme une opération de soldes mais comme une opération "à prix barrés" qui ne nécessitait aucune espèce d'autorisation ;

Qu'à l'appui de sa démonstration elle expose que contrairement aux opérations de liquidation et de soldes saisonniers il s'agit en l'espèce d'une vente promotionnelle dite à "prix barrés" qui présente la double caractéristique de ne pas intervenir pour une circonstance particulière, telle que cessation de commerce ou modification de la structure de l'entreprise ou des conditions d'exploitation, et de ne pas porter sur des marchandises dépareillées ou défraîchies ni sur un stock de marchandises neuves constitué pour l'occasion ;

Elle soutient en conséquence qu'une telle vente à prix barré à pour but de proposer à la clientèle non pas l'écoulement accéléré de tout ou partie d'un stock de marchandises mais la vente à un prix promotionnel de marchandises en stock et réassortissables ;

Que la notion de stock constitue donc le critère de distinction entre les ventes de soldes et les ventes à prix barrés puisque si celui-ci n'est pas destiné à être renouvelé, il s'agit d'une vente de stock mais si la vente se fait sur des marchandises courantes ne constituant pas un stock préexistant, il s'agit d'une vente de stock mais si la vente se fait sur des marchandises courantes ne constituant pas un stock préexistant, il s'agit d'une vente à prix barré, c'est à dire une opération de promotion portant sur le prix d'un article de vente courante qui à l'issue de la promotion continuera à être vendue sans être démarquée ;

Qu'ainsi définie l'opération "7 jours coup de foudre" ne rentrant ni dans la catégorie des liquidations ni dans celle des soldes n'avait pas à être soumise à autorisation préalable.

Qu'elle sollicite donc l'infirmation de l'ordonnance entreprise ;

Mais considérant que l'examen des messages publicitaires diffusés à l'initiative de la société Bretagne Soierie révèle que ses magasins se sont livrés du 29 septembre au 6 octobre 1990 à une opération promotionnelle portant sur tous les articles en stock avec un remise de caisse uniforme de 20 %.

Qu'une telle publicité qui s'apparente à une vente exceptionnelle tendant à l'écoulement accéléré de tout ou partie d'un stock de marchandises correspond à la définition des soldes donnée par l'article 2 du décret du 26 novembre 1962 et que dès lors ces ventes auraient dû être précédées de la demande d'autorisation prévue par l'article 1er de ce même décret ;

Considérant qu'en insistant sur le fait que "tout Bouchara" était soumis à une remise de 20 % Bretagne Soierie ne peut prétendre qu'il s'agissait d'une opération limitée à la promotion d'articles de vente courante qui à l'issue de la promotion continueraient d'être vendus sans démarque, sinon à priver la notion même de "soldes" de tout contenu en englobant dans la définition des stocks l'ensemble des marchandises détenues dans le magasin, ce qui ne permet plus de différencier les marchandises soldées des marchandises en promotion et autorise sous couvert d'une vente dite promotionnelle de pratiquer une vente de soldes en dehors des périodes autorisées ;

Considérant qu'en décidant qu'en décidant un terme, sous astreinte à cette vente exactement qualifiée de soldes, le premier juge a fait une exacte appréciation des règles de droit aux frais de la cause et que sa décision sera confirmée ;

Considérant que déboutée de sa demande principale, la Sté Bretagne Soierie sera aussi déboutée de sa demande reconventionnelle qui supposait l'admission préalable de son appel ;

Considérant cependant que la chambre syndicale sera déboutée elle aussi de sa demande de dommages intérêts fondée sur un abus de procédure de la part de l'appelante, faute de démontrer le caractère fautif par cette dernière de l'exercice de cette voie de recours ;

Que l'équité commande néanmoins de faire partiellement droit à la réclamation de la CHAM Syndicale sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en lui allouant une somme de 4 000 F de ce chef.

Par ces motifs, LA COUR : Rejette l'appel ; Confirme l'ordonnance ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la Sté Bretagne Soierie à payer à la CHAM Syndicale professionnelle de la nouveauté et des professions qui s'y rattachent la somme de 4 000 F au tire de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 de ce code.