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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch. com., 18 décembre 2002, n° 99-08265

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Guidicelli

Défendeur :

Mory Team (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Croze

Conseillers :

MM. Fohlen, Jacquot

Avoués :

SCP Bottai-Gereux, SCP de Saint Ferreol-Touboul

Avocats :

Mes Toscano, Sebag

T. com. Marseille, du 2 mars 1999

2 mars 1999

La société de transport Mory TNT, aujourd'hui Mory Team, a été en relation d'affaires avec Fabrice Guidicelli, transporteur individuel de 1989 à 1996. Elle a dénoncé ces relations par courrier recommandé du 8 juillet 1996 au motif que lors d'un contrôle de ses services du 4 juillet 1996, Jean-Louis Bianchi, employé de Fabrice Guidicelli avait été trouvé en possession de trois cartons de marchandises sans récépissé et qui ne concernaient aucune des livraisons qui lui avaient été confiées ce jour.

Invoquant la rupture abusive d'un contrat qui aurait été signé entre les parties le 26 avril 1991, Fabrice Guidicelli a assigné la société Mory Team en déclaration de responsabilité et paiement de dommages-intérêts, devant le Tribunal de commerce de Marseille qui par jugement contradictoire du 2 mars 1999, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et condamné à payer à la société Mory Team une indemnité de 6 030 F pour frais de procédure.

Il est appelant de ce jugement selon déclaration du 7 avril 1999 et soutient dans ses dernières conclusions du 28 juillet 1999 que :

- la société Mory Team a exigé le licenciement du chauffeur Bianchi qui est finalement intervenu sans que la société Mory Team ne revienne sur sa position ;

- contrairement à l'appréciation des premiers juges, le document signé le 26 avril 1991 est bien un contrat formalisant les relations des parties et non un projet ;

- il a mis ses deux véhicules aux couleurs de la société Mory conformément aux dispositions de son article 9, le coût des travaux ayant été réglé au moyen de quatre retenues opérées par la société Mory ;

- en tout état de cause, la dépendance économique imposée par la société Mory Team justifie l'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

- la plainte pour vol déposée par la société Mory a été classée sans suite après enquête policière ;

- le contrat dont s'agit ayant été résilié par anticipation, il est fondé à réclamer une indemnité qui au regard des chiffres d'affaires réalisés doit être établie à la somme de 210 445 F ;

L'appelant sollicite ainsi la réformation du jugement entrepris ; soutenant par ailleurs que la cessation brutale des relations commerciales l'a privé de toutes ressources puisqu'il ne perçoit que le RMI, il réclame paiement d'une indemnité d'un million de F pour la disparition de son activité ainsi que le remboursement à concurrence de 20 000 F de retenues indues opérées par la société Mory Team telles que frais de nettoyage de quai et d'investigations. Il conclut enfin à l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à concurrence de 50 000 F.

Contestant l'argumentaire soutenu par l'appelant ainsi que sa présentation des faits, la société Mory Team fait valoir dans ses conclusions récapitulatives du 3 octobre 2002 que :

- les transporteurs étant particulièrement exposés à des détournements de marchandises, elle ne pouvait tolérer le vol commis par le chauffeur de l'appelant ;

- Fabrice Guidicelli a opposé, malgré ses dénégations, une fin de non-recevoir à ses demandes légitimes, la société Mory Team entendant, qu'au moins pour l'exemple, le chauffeur Bianchi soit écarté de la tournée du lendemain, soit du 5 juillet 1996;

- le contrat invoqué par l'appelant est inexistant, les pages n'étant pas paraphées et l'entreprise Guidicelli n'y étant mentionnée à aucun endroit;

- l'attestation Feraud produite par Fabrice Guidicelli est combattue par celle de René Robert et Maurice Rigaud;

- la dépendance économique alléguée pour la première fois en cause d'appel par Fabrice Guidicelli est une prétention nouvelle et est à ce titre irrecevable.

La société Mory Team conclut à la confirmation du jugement et au paiement par l'appelant d'une indemnité de 3 500 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue en cet état de la procédure le 14 octobre 2002.

DISCUSSION

La recevabilité de l'appel n'est pas contestée. En l'absence de moyen constitutif de fin de non-recevoir susceptible d'être relevé d'office, l'appel sera déclaré recevable.

Sur les relations commerciales :

Si la société Mory Team conteste le contrat invoqué par l'appelant, elle admet que des relations d'affaires sont bien intervenues avec Fabrice Guidicelli durant plusieurs années. Il est vrai qu'elles ne sont guère contestables puisqu'à la demande de la société intimée, Fabrice Guidicelli a repeint ses deux véhicules aux couleurs et enseigne de cette dernière et que les factures éditées par l'appelant ne concernent que la société Mory Team. L'appelant justifie ainsi de son activité exclusive au bénéfice de la société Mory Team qui a fait l'objet d'une attestation établie le 29 avril 1991 établie par R. Berdjer et ainsi libellée :

"Nous soussignés transports ATNE certifions que monsieur Fabrice Guidicelli "locatier" domiciliée 25, cité les Bourrely 13015 Marseille, travaille en exclusivité pour notre société".

Par contre, le contrat prétendu (et qui est argué de faux par l'intimée) présente des particularités qui conduisent à douter de sa sincérité dès lors qu'il ne comporte aucune en-tête et n'identifie pas les parties contractantes, n'indique pas son objet ne comporte aucun paraphe ni les caractéristiques du ou des véhicules donnés en location (alors que l'article 4-1 doit les spécifier) et que la signature faite prétendument au nom de la société Mory n'a pu être identifiée. La lettre circulaire adressée le 28 janvier 1991 aux différents transporteurs concernés leur demandait une signature par retour du courrier au 31 janvier 1991, délai de rigueur, ce qui rend peu plausible une signature trois mois plus tard au 26 avril 1991. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont écarté ce document.

La rupture opérée par la société Mory doit donc être examinée au regard des règles et usages du commerce et de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que peut utilement invoquer l'appelant dans la mesure où elle constitue un moyen de droit nouveau aux fins de faire aboutir sa demande en paiement de dommages-intérêts et non pas une prétention nouvelle prohibée.

Ces dispositions interdisent de rompre brutalement une relation commerciale sans préavis écrit sauf inexécution par l'autre partie de ses obligations ou force majeure. En l'espèce la société Mory Team entend se prévaloir du vol de 3 cartons qu'auraient mis en évidence ses services de contrôle.Mais l'enquête de police n'a retenu aucune infraction pénale en suite de la plainte déposée par l'intimée ; le témoin Feraud qui certes a quitté la société Mory Team en 1997 mais était donc bien présent en 1996 à l'époque des faits litigieux, a déclaré aux enquêteurs que le chauffeur Bianchi était exempt de reproche, avait déjà ramené au dépôt des colis excédentaires, rien ne démontrant qu'il n'aurait pas procédé de même le 4 juillet 1996, et que des erreurs pouvaient intervenir dans la manutention.

L'infraction prétendue n'est donc pas établie.Enfin et surtout, dès le 5 juillet 1996, soit le lendemain du contrôle litigieux, Fabrice Guidicelli a bien licencié son chauffeur et ayant ainsi accédé à la demande de la société Mory Team, rien ne s'opposait à la poursuite des relations commerciales. La rupture ne peut lui incomber et le jugement sera réformé de ce chef.

Sur le préjudice

Il est incontestable et en relation directe avec l'attitude de la société intimée puisque Fabrice Guidicelli s'est trouvé du jour au lendemain privé de toute activité faute de commandes, la société Mory Team étant sa seule clientèle. Compte tenu de la dépendance économique de l'appelant, il lui était en effet impossible de rechercher une solution de remplacement en quelques jours et d'assurer ses obligations fiscales et sociales.Cela est si vrai que Fabrice Guidicelli est aujourd'hui allocataire du RMI et a été radié du registre du commerce le 30 septembre 1996.

Il peut donc prétendre au paiement de dommages-intérêts sans qu'il y ait lieu par contre au versement d'une indemnité contractuelle de résiliation dans la mesure où le prétendu contrat du 26 avril 1991 n'a pas été retenu.

Il ne peut non plus réclamer le remboursement de "retenues indues" au titre des travaux de peinture ou de participation au nettoyage du quai dans la mesure où les factures correspondantes ont été acceptées en leur temps, (sauf celle de 5 000 F correspondant au contrôle litigieux du 4 juillet 1996) et correspondaient aux accords ou pratiques adoptées par les parties. Mais il est vrai qu'il est très curieux que la société Mory Team ait exigé de son partenaire qu'il peigne à ses frais ses camions aux couleurs et enseigne de la société, supporte les frais de nettoyage du quai et d'investigations, ce qui démontre (si besoin était) l'état de dépendance qu'elle avait imposé. Cela est particulièrement vrai au regard des tarifs qui ont été décidés unilatéralement et à la baisse, l'appelant ayant finalement un statut plus proche du préposé que du partenaire commercial.

Au regard de ces circonstances de la durée des relations soit près de sept ans et des bilans produits soit pour 1993 et 1995 un chiffre d'affaires annuel voisin de 500 000 F générant respectivement des résultats fiscaux de 126 294 F et 115 281 F, la cour dispose des éléments nécessaires et suffisants d'appréciation pour évaluer à 200 000 F le préjudice subi par l'appelant.

Le coût du contrôle litigieux du 4 juillet 1996 doit être aussi remboursé à Fabrice Guidicelli, ce qui porte sa créance indemnitaire à 205 000 F.

L'équité conduit tout particulièrement à faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de l'appelant.

La société Mory Team qui succombe supportera les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, reçoit l'appel ; Infirme le jugement rendu le 2 mars 1999 par le Tribunal de commerce de Marseille ; Et statuant à nouveau : Dit que la rupture des relations commerciales intervenues entre les parties incombe à la société Mory Team ; La condamne à payer à Fabrice Guidicelli la somme de 205 000,00 F soit 31 252,05 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 1 500 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens et autorise la SCP Bottai-Gereux, avoués associés, à recouvrer ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.