CA Paris, 8e ch. D, 26 novembre 1998, n° 1997-10854
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Carrefour (Sté)
Défendeur :
Beaujour
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gadel
Conseillers :
M. Thery, Mme Bonnan-Garçon
Avoués :
Mes Moreau, Blin
Avocats :
Mes Noël, Cheral Servais
Courant septembre 1996, la société Carrefour faisait diffuser dans les boîtes aux lettres un catalogue offrant la vente d'un sèche-linge de marque "Brandt" et de type SC30 au prix de 1 490 F TTC, offre valable du 25 septembre au 5 octobre 1996.
Le 28 septembre 1996, Maryline Beaujour faisait l'acquisition de ce sèche linge mais au prix de 3 590 F.
Sur assignation en paiement de la différence entre le prix facturé et le prix promotionnel, soit 2 100 F, délivrée à la requête de la dame Beaujour, le Tribunal d'instance d'Aubervilliers a, par jugement du 4 février 1997, condamné la société Carrefour à payer à la dame Beaujour la somme de 2 100 F avec les intérêts au taux légal à compter de l'assignation, celle de 1 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et celle de 2 412 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le 8 avril 1997, la société Carrefour a relevé appel de cette décision.
La société appelante demande à la cour d'infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions, de la décharger des condamnations prononcées à son encontre et de condamner la dame Beaujour à lui payer la somme de 5 000 F de dommages-intérêts et celle de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
A l'appui de son appel, la société Carrefour fait valoir:
- que le premier juge a cru devoir considérer que le consentement de la partie adverse au paiement d'un prix supérieur à celui promotionnel figurant sur le catalogue serait vicié par dol,
- qu'en statuant ainsi, le premier juge a méconnu les faits de la cause et la loi s'y rapportant,
- qu'en effet, la demanderesse n'avait pas invoqué le dol et que le juge ne pouvait s'en prévaloir,
- que le dol suppose la réunion de deux éléments, à savoir l'erreur et la manœuvre frauduleuse,
- que la partie adverse a contracté en connaissance de cause et savait que le prix catalogue était erroné,
- que la société Carrefour avait fait publier à l'intérieur du magasin des errata rectificatifs du catalogue,
- qu'en ce qui concerne la manœuvre frauduleuse, il appartient à la partie adverse de rapporter la preuve de l'intention frauduleuse de la société Carrefour et que tel n'est pas le cas en l'espèce,
- qu'en revanche le dol, s'il existait, serait commis par la partie adverse puisqu'elle était informée par les errata largement publiés dans le magasin portant rectification du prix catalogue qui comportait une erreur matérielle,
De son côté, la dame Beaujour sollicite la confirmation du jugement déféré et, sur son appel incident, la condamnation de la société Carrefour à lui payer la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et celle de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, l'intimée fait observer:
- qu'au cours du mois de septembre 1996, la société Carrefour Stains a fait paraître un catalogue diffusé dans les boîtes aux lettres qui contenait, notamment, une offre de vente d'un sèche-linge "Brandt" type SC30 au prix de 1 490 TTC, valable du 25 septembre au 5 octobre 1996,
- que le 28 septembre 1996, la dame Beaujour s'est rendue au magasin Carrefour à Stains et a acheté le sèche-linge dont s'agit, mais pour le prix de 3 590 F TTC,
- que le prix affiché au regard du sèche-linge "Brandt" type SC30 figurant dans le catalogue apparaissait parfaitement cohérent eu égard à la nature du produit proposé,
- que contrairement à ce qu'affirme la société Carrefour, la dame Beaujour n'a pas pris connaissance à son arrivée dans le magasin de l'erratum annonçant l'erreur,
- que le consentement de la dame Beaujour a été vicié par les arguments commerciaux avancés par les vendeurs,
- que les actes constitutifs du dol ont été accomplis avec l'intention délibérée de tromper sciemment de la dame Beaujour,
- que les conditions requises pour le dol sont parfaitement réunies par l'influence des arguments des vendeurs sur la dame Beaujour et l'absence de faute de la dame Beaujour qui ne dispose d'aucune qualification pour déjouer les manœuvres dont elle a été l'objet,
- que toute publicité ou service commandé pendant la période à laquelle se rapporte une publicité de prix doit être livré ou fourni au prix fixé par cette publicité,
- que par courrier anti-daté du 7 octobre 1996, la société Carrefour Stains a répondu à la dame Beaujour pour lui dire "qu'une erreur s'était glissée dans le catalogue" et lui proposer le remboursement de la somme de 971 F au lieu des 2 100 F réclamés par son conseil,
- que l'intention coupable de la société Carrefour Stains est présumée par sa seule qualité de professionnel de la vente qui l'oblige à vérifier soigneusement le marché de ses publicités,
- qu'à la date de l'achat, sur la facture de la dame Beaujour, il n'est fait état d'aucun erratum et celle-ci a payé 3 590 F,
- que la mauvaise foi de la société Carrefour Stains souligne le caractère intentionnel de tromper,
- que le non respect de la réglementation de la publicité des prix est constaté, poursuivi et sanctionné dans les conditions prévues par l'ordonnance de 1945 renforcée par la loi Royer de 1973,
- qu'en matière pénale, le tribunal, dès lors qu'il entre en voie de condamnation, prononce la publication du jugement dans un ou plusieurs journaux dans un but pédagogique,
- que la réalité du préjudice subi par la dame Beaujour ne se discute pas, son caractère est certain, direct et porte atteinte à un intérêt légitime juridiquement protégé,
- que le consentement de la dame Beaujour a été vicié par le dol et que son préjudice se caractérise par la différence du trop perçu, soit 2 100 F.
Sur ce:
Considérant qu'une cour d'appel a pour mission d'appliquer la loi et de dire le droit; que dès lors les considérations d'ordre économique et les arguments d'ordre psychologique invoqués par la dame Beaujour n'ont pas leur place dans le débat; que, d'autre part, les dispositions législatives d'ordre pénal et les décisions des tribunaux correctionnels n'ont pas à entrer en considération dans la mesure où la dame Beaujour a choisi la voie civile;
Considérant que pour prononcer une condamnation à l'encontre de la société Carrefour, le premier juge a retenu le dol, mais sans caractériser les manœuvres dolosives exigées par l'article 1116 du Code civil; qu'un tel fondement ne saurait être confirmé;
Considérant, par contre, que l'article 1101 du Code civil dispose que le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose;qu'en offrant dans un catalogue un sèche linge au prix de 1 490 F, la société Carrefour s'est engagée manifestement à livrer ce produit à ce prix; que l'offre faite au public lie le publicitant à l'égard du premier acceptant dans les mêmes conditions que l'offre faite à personne déterminée(Cass. civile 28 novembre 1968 Gaz Pal. 1969-1-95);
Considérant, en outre, qu'en vertu de l'article 6 de l'arrêté du 2 septembre 1977, est interdire l'indication dans la publicité de réduction de prix ou d'avantages quelconques qui ne sont pas effectivement accordés à tout acheteur de produit ou à tout demandeur de prestation de service dans les conditions annoncées;
Considérant que la société Carrefour prétends s'être trompée dans le catalogue et avoir fait paraître dans son magasin à Stains des annonces dénonçant l'erratum, mais qu'elle ne le démontre en aucune manière; que dès lors, la décision doit être confirmée, mais par substitution des motifs;
Considérant que la société Carrefour admet parfaitement s'être trompée et avoir ainsi commis une faute; que dès lors, elle doit en subir les conséquences; que l'appel revêt donc un caractère abusif au sens de l'article 559 du nouveau Code de procédure civile qui doit être sanctionné par l'allocation à la dame Beaujour de la somme de 3 000 F;
Considérant que les dépens doivent suivre le sort du principal; qu'il ne serait pas équitable de laisser à l'intimée la charge des frais non compris dans les dépens et qu'il doit lui être alloué à ce titre la somme de 4 000 F;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel régulier en la forme; Déboute la société Carrefour de toutes ses demandes; Confirme par substitution de motifs le jugement déféré; Condamne la société Carrefour à payer à Marilyne Beaujour la somme de 3 000 F à titre de dommages-intérêts; Condamne la société Carrefour aux dépens d'appel et à payer à la dame Beaujour la somme de 4 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Autorise Me Moreau, avoué, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.