CA Paris, 13e ch. B, 26 mai 1994, n° 94-00256
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Comité national contre le tabagisme
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Martinez
Avocat général :
M. Louise
Conseillers :
Mmes Bertolini, Magnet
Avocats :
Mes Benatar, Bihl
RAPPEL DE LA PROCÉDURE:
LE JUGEMENT:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré G Christian coupable de publicité illicite en faveur du tabac, le 3 avril 1993, à Paris, infraction prévue et réprimée par les articles 1, 2, 8, 12, 15 de la loi n° 76-616 du 09/07/1976,
et, en application de ces articles, l'a condamné à 100 000 F d'amende, a déclaré la SA W civilement responsable de G Christian,
Sur l'action civile le tribunal a reçu le Comité national contre le tabagisme en sa constitution de partie civile et a condamné G Christian à lui verser la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 2 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
LES APPELS:
Appel a été interjeté par:
Monsieur G Christian, le 18 novembre 1993, sur les dispositions pénales et civiles,
W SA, le 18 novembre 1993,
M. le Procureur de la République, le 18 novembre 1993 contre Monsieur G Christian,
DÉCISION:
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
I - LES APPELS
Statuant sur les appels interjetés par G Christian, prévenu, W SA civilement responsable et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré
S'y référant pour l'exposé de la prévention
La cour rappelle au niveau des faits que dans le supplément "TV Magazine W" du 3 avril 1993, a été publié, dans un encart sur fond vieux rose, sous la rubrique "parlons-en" un texte intitulé "X international à 10 F" dans lequel on pouvait notamment lire:
"Fidèle à sa politique d'aller toujours de l'avant et d'offrir à sa clientèle un large éventail de produits, Y International France a décidé d'investir le créneau en fort développement des produits à 10 F en lançant un nouveau produit, X International King Size Fliter, qui allie les traditions d'un nom X à la modernité d'un goût différent, "international recherché par la grande majorité des consommateurs français..."
"Fort de sa notoriété, de son histoire, de son goût et de son prix à 10 F, X International dispose indiscutablement de tous les atouts pour devenir rapidement la référence des cigarettes plein goût".
Sur une hauteur atteignant 13 des seize lignes de l'article, ce message était illustré d'un paquet ouvert de cigarettes X et comportait, en caractères gras plus resserrés, la mention suivante:
"Fumer provoque des maladies graves" (loi numéro 91-32)
Par voie de conclusions, le prévenu sollicite sa relaxe et fait valoir à l'appui de sa demande deux arguments essentiels.
Il estime d'une part, que le texte litigieux ne constitue pas une publicité mais un article d'information du public publié à la suite d'un communique de presse distribué aux quotidiens et hebdomadaires par la société Y.
D'ailleurs, souligne le concluant, K Pieter, président du conseil d'administration de la société Y et L Jean-Claude, directeur de la publicité au W ont été relaxés par les premiers juges qui ont retenu pour le premier que la publication litigieuse n'avait pas été effectuée à sa demande et d'autre part, concernant le second il n'y a pas eu exploitation d'espace donnant lieu à paiement.
Par ailleurs, il conteste avoir été complice de l'infraction poursuivie. Il assure qu'en l'espèce, les premiers juges ont fait application de la loi du 29 juillet 1981 sur la presse et notamment de son article 42 qui présume la responsabilité pénale du directeur de publication en matière de presse alors qu'en l'occurrence, il convenait de l'établir dans les termes du droit commun.
A cet égard, il rappelle une espèce jurisprudentielle qui avait abouti à la relaxe pour défaut d'élément intentionnel de M. Robert H ès qualité de Directeur de publication de "Carrières et Emplois" poursuivi en qualité de complice sur le fondement de l'article 416-3° du Code pénal pour parution dans son journal d'une petite annonce exigeant pour l'obtention d'un emploi la production d'une carte d'électeur, étant précisé que dans cette affaire la gendarmerie manifestait par souci de sécurité cette exigence pour le recrutement de personnes appelées à travailler chez elle.
Il en déduit que M, G qui ne peut connaître la totalité du contenu de son journal doit être relaxé.
Par voie de conclusions le Comité national contre le tabagisme demande à la cour de confirmer la décision entreprise et de condamner le prévenu à lui payer la somme de 6 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
II - LES MOTIFS
A - L'action publique
Considérant que la publication litigieuse constitue bien une publicité illicite en faveur du tabac interdite par l'article 2 de la loi 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme,
Qu'en effet, le caractère laudateur des termes de la publication établit son caractère de publicité même si la responsabilité pénale de K et de L n'est pas établie, étant observé, et ainsi que l'ont retenu les premiers juges que la directive n° 84-450 du 17 septembre 1984 définit la publicité "tout acte de communication" destiné à "promouvoir un produit ou un service" ce qui est le cas en l'espèce".
Que s'agissant de la responsabilité pénale de M. G, directeur de publication, elle ne peut, en l'état de la législation applicable, être établie que dans les termes du droit commun.
Qu'à cet égard, la cour ne peut déduire l'élément intentionnel nécessaire à la réalisation de l'infraction poursuivie que des circonstances de la cause.
Qu'en l'espèce, elle considère que G s'est bien sciemment rendu coupable du délit qui lui est reproché compte tenu, d'une part, de la notoriété de la loi précitée du 10 janvier 1991 et du caractère de professionnel du prévenu, et, d'autre part, du fait que sans l'accord du prévenu cette publication n'aurait pu être réalisée étant observé que dans l'espèce du journal "Carrières et Emplois" en raison du nombre important de petites annonces publiées de la faible importance de leur texte et de l'habitude prise de faire paraître les annonces demandées par la gendarmerie dont l'exigence de sécurité pouvait justifier certaines précautions les juges ont pu admettre que l'élément intentionnel de M. H faisait défaut alors qu'en l'espèce, le texte publié par X Magazine de par son importance, sa présentation avec un fond vieux rose sur lequel il paraissait, et la matière même du texte n'a pu être publié en dehors de la volonté expresse du prévenu,
Que, dans ces conditions, la cour estime devoir confirmer la décision entreprise, la peine prononcée constitue une équitable sanction de l'infraction commise.
B - L'action civile
Considérant que la cour en possession d'éléments d'appréciation nécessaires et suffisants estime devoir confirmer l'évaluation faite par les premiers juges du préjudice subi par le Comité national contre le tabagisme tout en faisant droit à sa demande fondée sur l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement à l'égard des parties, Reçoit les appels du prévenu, de la société civilement responsable et du Ministère public, Confirme dans toutes ses dispositions tant pénales que civiles le jugement déféré, Y ajoutant condamne G Christian à payer au Comité national contre le tabagisme la somme supplémentaire de 6 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Rejette comme non fondées toutes conclusions contraires ou plus amples des parties. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné.