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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 24 février 1995, n° 94-05107

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Comité national contre le tabagisme, Association pour la lutte anti-tabagique et ses méfaits

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bertolini

Avocat général :

M. Necchi

Conseillers :

Mmes Magnet, Marte

Avocats :

Mes Garcia, Bihl, Le Masson.

TGI Paris, 31e ch., du 15 juin 1994

15 juin 1994

RAPPEL DE LA PROCÉDURE:

LE JUGEMENT:

S François a été poursuivi devant le tribunal sous la prévention de publicité illicite en faveur du tabac, le 30 septembre 1993, à Paris, infraction prévue par l'article 1, 2, 8, 12, 15 de la loi n° 76-616 du 09/07/1976,

Le tribunal, a requalifié les faits en complicité de publicité illicite en faveur du tabac et a condamné S François à 200 000 F d'amende,

Sur l'action civile le tribunal a reçu le CNCT en sa constitution de partie civile et a condamné S François à lui payer la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

le tribunal a reçu l'association ALATA en sa constitution de partie civile et a condamné S François à lui payer la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts et celle de 1 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

LES APPELS:

Appel a été interjeté par:

Monsieur S François, le 22 juin 1994, sur les dispositions pénales et civiles,

La société X le 22 juin 1994,

M. le Procureur de la République, le 22 juin 1994 contre Monsieur S François

L'Association pour la lutte anti-tabagique et ses méfaits dite ALATA, le 23 juin 1994, partie civile,

DÉCISION:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu, le Ministère public et l'association pour la lutte anti-tabagique et ses méfaits dite ALATA à l'encontre du jugement déféré;

S'y référant pour l'exposé de la prévention;

RAPPEL DES FAITS

Le numéro 839, du journal X présentait page 42, sous le titre "cigarettes parfumées" la photographie de deux paquets de cigarettes "H" l'un ouvert et l'autre fermé avec le texte suivant:

"Du jamais vu dans le domaine du tabac, la Y lance les H saveurs, premières cigarettes blondes légères (4,9 mg de goudrons et 0,45 mg de nicotine) aromatisée à la pêche abricot ou à l'anis étoilé. Trois années de recherche ont été nécessaires à la mise au point de ce procédé original permettant de fixer ces arômes naturels."

Page 84 du même journal, était publiée une photographie en couleur pleine page représentant devant une pyramide, une voiture participant au rallye des Pharaons, sur laquelle apparaît neuf fois la marque de cigarettes Z.

Le Comité national contre le tabagisme (CNCT) fait valoir par voie de conclusions, d'une part que les faits constituent une publicité illicite en faveur du tabac.

Il ajoute qu'il importe peu que cette publicité ait été gratuite.

D'autre part que M. S est responsable du contenu du journal X et ne peut ignorer l'interdiction de toute publicité en faveur du tabac.

Il demande la confirmation de la décision attaquée et l'allocation d'une somme de 6 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

l'Association pour la lutte anti-tabagique et ses méfaits (ALATA) fait valoir par voie de conclusions que, les faits constituent le délit prévu et réprimé par la loi du 9 juillet 1976, modifiée par la loi du 10 janvier 1991

Elle réclame la somme de 300 000 F à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi par elle, ainsi que l'allocation de la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Le prévenu qui ne s'est pas présenté à l'audience, s'est fait représenter par un avocat, par voie de conclusions, il fait valoir:

- en premier lieu

* d'une part que l'article en question ne faisait pas la promotion du produit, mais en soulignait l'originalité, que l'article ne disait pas que les cigarettes auraient bon goût ou qu'elles seraient inoffensives, mais précisait simplement l'arôme, la quantité de goudron et de nicotine et le fait que ce procédé a été découvert au terme de trois années de recherche

* d'autre part, que la reproduction de la photographie d'une voiture ne tendait pas à la promotion de la marque qui y figurait, mais répondait au devoir d'information permettant au lecteur d'identifier le véhicule favori pour le rallye des Pharaons

- en deuxième lieu que le tribunal a retenu la définition de la publicité fournie par la Directive européenne n° 84-450 du 10 septembre 1984 relative à la publicité trompeuse, qui par conséquent ne s'applique pas aux faits.

Que, pour qu'il y ait publicité au sens de ce texte, la communication doit avoir pour objet non pas de promouvoir le produit lui-même, comme l'affirme par erreur le tribunal, mais de promouvoir la fourniture de ce produit, c'est à dire qu'elle doit émaner du fabricant, du distributeur et plus généralement de celui qui est en mesure ou qui a pour objet de fournir le produit visé

Qu'en outre, une directive européenne ne s'applique pas directement dans l'ordre juridique interne des Etats membres.

Il ajoute que la seule directive qui pourrait s'appliquer à la publication de la photographie du véhicule, serait la Directive n° 89-552 du 3 octobre 1989 portant sur la réglementation de la publicité sur l'alcool et le tabac à la télévision:

- en troisième lieu, que le principe de l'interdiction de la publicité en faveur du tabac ne peut limiter le principe de la liberté d'expression et de l'information, qui a valeur constitutionnelle et figure également à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme;

- en quatrième lieu, que conformément au droit commun, la personne responsable du délit de publicité illicite sur le tabac est celle ayant participé personnellement à la commission du délit, sans qu'aucune présomption ne soit prévue par la loi.

Qu'il appartient donc au CNCT d'établir que le Président du conseil d'administration de la société X a eu un comportement fautif, c'est à dire, qu'il a personnellement pris la décision de publier l'article incriminé

Qu'en effet s'agissant d'articles rédactionnels, ceux-ci relèvent de la compétence du Directeur de la publication et non pas de celle du Président de la société qui est exclusivement chargé de la gestion et de sa représentation à l'égard des tiers;

- en cinquième lieu, que le tribunal a appliqué la même peine que celles habituellement prononcées pour les publicités commerciales en faveur du tabac avant le 1er janvier 1993 pour une pleine page en deuxième ou quatrième de couverture, alors qu'il s'agit non pas d'une publicité commerciale, mais d'un simple article de taille dérisoire, à peine visible et d'une photographie de presse d'information.

- en sixième lieu, que le CNCT et l'ALATA ne justifient d'aucun préjudice, étant précisé que cette dernière cherche ainsi à faire face à ses difficultés économiques qui l'ont contrainte à déposer le bilan.

Sur l'action publique

Considérant que les premiers juges ont, à bon droit, décidé que l'article 11 de la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, qui proclame que "la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme" permet à la loi de réprimer l'abus de cette liberté et que la Convention européenne des droits de l'Homme, a autorisé les Etats à soumettre ce droit à certaines restrictions, notamment dans le domaine de la santé.

Considérant que les lois des 9 juillet 1976 et 10 janvier 1991, qui n'ont pas été déclarées inconstitutionnelles, interdisent toute publicité en faveur du tabac ou d'un produit du tabac, qu'elle qu'en soit la forme;

Considérant d'une part que l'article litigieux, sous le couvert d'une information, constitue en réalité une publicité destinée à promouvoir le tabac, en présentant le produit comme nouveau, fruit d'une recherche et en soulignant le goût, qui ne peut qu'avoir une action incitative;

Considérant d'autre part, que le législateur en interdisant toute publicité indirecte en faveur du tabac, a entendu précisément interdire, la publication de photographies d'objets portant la marque d'un fabricant de tabac ou de produits du tabac et a ainsi dérogé à la liberté d'information;

Que les infractions sont donc bien constituées abstraction faite du motif surabondant des premiers juges relatif à la Directive n° 84-450;

Considérant que c'est à bon droit que le tribunal a décidé que la responsabilité de celui-ci doit être appréciée selon les règles du droit commun s'agissant du délit de publicité illicite en faveur du tabac;

Considérant que, l'encadré appelé "ours" du journal X mentionne que M. S a la qualité de directeur de publication;

Que le directeur d'une publication doit veiller à ce que celle-ci ne comporte pas d'infraction aux lois;

Que le délit de complicité de publicité illicite est donc bien imputable à M. S, abstraction faite de sa citation en qualité de Président du conseil d'administration, cette erreur n'étant pas de nature à préjudicier aux droits de la défense;

Qu'il convient donc de confirmer le jugement attaqué en sa déclaration de culpabilité;

Considérant que, le principe de la proportionnalité des peines ne s'oppose pas à ce qu'une même peine, soit prononcée pour des faits différents, dès lors que le juge prononce une peine légalement prévue;

Considérant que M. S a été condamné à de nombreuses reprises pour des faits de publicité illicite en faveur du tabac;

Que la commission du délit, sous forme d'information, démontre sa volonté d'éluder des règles particulièrement importantes pour la santé publique;

Que la peine prononcée par les premiers juges est justifiée et doit donc être confirmée;

Sur l'action civile

Considérant que les premiers juges qui ont relevé que le CNCT. association reconnue d'utilité publique, déployait pour la sauvegarde de la santé, des efforts constants en procédant à de nombreuses campagnes d'information tendant à lutter contre les méfaits du tabac a exactement évalué son préjudice à 50 000 F

Considérant que, cependant, il ne pouvait évaluer à un franc symbolique, le préjudice de l'ALATA le principe de la réparation intégrale du préjudice, ne lui permettant pas de procéder à une telle évaluation;

Qu'en effet, il devait rechercher le préjudice réellement subi par cette association;

Considérant que l'ALATA a fait, entre autres actions, éditer un album présentant les méfaits du tabac sous forme de dessins humoristiques;

Que la cour possède les éléments suffisants pour évaluer son préjudice à 30 000 F;

Considérant que les parties civiles ont du engager des frais irrépétibles et que l'équité commande d'allouer au CNCT la somme de 1 500 F et à l'ALATA celle de 1 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu, de la société civilement responsable du Ministère public et de la partie civile, l'ALATA association pour la lutte anti-tabagique et ses méfaits, Confirme le jugement attaqué sur la déclaration de culpabilité et la peine prononcée ainsi que sur les dommages-intérêts alloués au CNCT, Le réformant sur les dommages-intérêts alloués à l'ALATA, Condamne François S à payer à cette dernière la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts, Y ajoutant, condamne François S à payer au CNCT la somme de 1 500 F, à l'ALATA la somme de 1 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné.