Livv
Décisions

Cass. crim., 7 mai 1991, n° 90-83.121

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tacchella

Rapporteur :

M. Bayet

Avocat général :

M. Galand

Avocat :

Me Choucroy

TGI Paris, 31e ch., du 10 juill. 1989

10 juillet 1989

LA COUR: - Statuant sur les pourvois formés par le Procureur général près la Cour d'appel de Paris, V André, contre l'arrêt de ladite cour, 13e chambre, en date du 29 janvier 1990 qui, après avoir constaté l'extinction de l'action publique par l'effet de l'amnistie pour les contraventions aux règles de la publicité des prix, a condamné le prévenu du chef de publicité fausse ou de nature à induire en erreur à un an d'emprisonnement avec sursis et 20 000 F d'amende, a ordonné la publication de la décision et a prononcé sur les d intérêts civils; Vu la connexité, joignant les pourvois; Vu les mémoires produits; - Sur le pourvoi du prévenu André V: - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 113 et 117 de la loi du 24 juillet 1966, 44-I, 44-II de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1983, 1 de la loi du 1er août 1905, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a retenu V, directeur général de la société C, dans les liens de la prévention;

"aux motifs qu'à bon droit V, directeur général et administrateur de la société C a été pénalement poursuivi; qu'en effet, après les constatations opérées les 21 et 24 juillet 1987 par les services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et le procès-verbal dressé à cette occasion à l'encontre de Armand C, président-directeur général de la société, les services de police ont à la demande du parquet, convoqué à plusieurs reprises cette personne et c'est le demandeur qui s'est présenté à sa place et a déclaré qu'en son absence, il dirigeait la société; que V assurait effectivement la direction de fait de la bijouterie joaillerie, horlogerie puisque, dès les 21 et 24 juillet 1987, dates de l'enquête des agents de la répression des fraudes, il se trouvait dans les lieux de l'exploitation et a fourni toutes explications utiles sur la gestion de la société; qu'il a donné personnellement l'ordre de diffuser la publicité litigieuse;

"alors que le président-directeur général d'une société est, en principe, seul pénalement responsable des infractions dont il doit répondre; que ce n'est qu'en cas de délégation de pouvoir par le conseil d'administration que le directeur général peut assumer les pouvoirs de président-directeur général; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que le procès-verbal dressé par les services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes l'a été à l'encontre de C, président-directeur général de la société C à d l'époque des faits litigieux; que les déclarations de V selon lesquelles il assurait la direction de l'entreprise pendant l'absence de C ne valait aucunement contrôle des conditions dans lesquelles le conseil d'administration aurait pu déléguer à V tous pouvoirs concernant l'affichage des prix et la publicité; qu'ainsi, la cour d'appel a méconnu les règles de la responsabilité pénale en matière de société";

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 44-I, 44II de la loi n° 73- 1193 du 27 décembre 1973, 1 de la loi du 1er août 1905, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré V coupable du délit de publicité mensongère;

"aux motifs adoptés des premiers juges que par voie d'affiches de grande hauteur s'étalant sur toute la façade de l'établissement au-dessus des vitrines d'exposition situées place de l'Opéra et boulevard des Capucines, le prévenu proposait à la clientèle des remises de 50% sur l'ensemble des articles exposés et détenus dans le magasin tendant à faire accroire que, conformément aux dispositions de l'arrêt ministériel n° 77-105 du 2 septembre 1977, une remise de ce taux était accordée, par rapport aux prix effectivement pratiqués en dehors de cette campagne publicitaire d'une durée de deux mois; que l'enquête a révélé que, non seulement les prix de vente annoncés avant remise n'avaient jamais été pratiqués et que par conséquent, le rabais de 50% prétendument offert était assis sur des prix de référence fictifs, que le bijoutier profitait de l'appât constitué par cette publicité tapageuse et attractive pour majorer de façon significative sa marge bénéficiaire en appliquant un coefficient multiplicateur variant selon les articles de 2,33 à 5,58 alors que celui pratiqué globalement par l'entreprise sur l'ensemble de l'année comptable (1986) ne dépassait pas 1,96;

"alors que l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 n'interdit pas la publicité hyperbolique qui se traduit par la parodie ou l'emphase dès lors qu'elle est établie par référence à l'optique du consommateur moyen et en tenant compte du dégré de discernement et du sens critique de la moyenne des consommateurs, que l'outrance ou l'exagération du message publicitaire ne peut finalement tromper d personne; qu'en l'espèce, en retenant comme élément constitutif du délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur l'affiche proposant des remises de 50% sur des articles détenus ou exposés dans le magasin sans indication du prix de référence alors que les prix réellement pratiqués avant la remise sont les prix conseillés, l'arrêt attaqué a violé par fausse application l'article susvisé";

Les moyens étant réunis; - Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et celles du jugement qu'il adopte expressément mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que les juges du fond, par des motifs exempts d'insuffisance, ont caractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur retenu à la charge de André V en sa qualité de dirigeant de fait de la société C; que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne sauraient être admis;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 3, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale,

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné le demandeur à verser la somme de 20 000 F à Mme Dusz à titre de dommages-intérêts;

"aux motifs qu'il résulte d'une photocopie d'une facture datée du 28 octobre 1987 émanant de la société C que cette partie civile a acheté pour un prix de 27 700 F une bague rubis et brillants sans mention de la taxe à la valeur ajoutée, et étiquetée au prix de 46 200 F alors qu'elle présente des défauts et qu'elle est estimée à 10 ou 12 000 F par un autre bijoutier;

"alors que dans ses conclusions d'appel laissées sans réponse, le demandeur soulignait que Mme Dusz avait acheté, le 28 octobre 1987, une bague avec rubis et diamants vendue par suite de la remise à 27 700 F; que selon Mme Dusz, la bague avait une valeur de 12 000 F, mais que celle-ci n'a pas communiqué le nom de l'expert, ni le rapport d'expertise en sorte qu'il est impossible de savoir si ce prix d correspondait à la valeur d'achat; que la marge dans la profession est de 2,5 en sorte qu'en multipliant le prix d'achat par 2,5 on parvient au prix auquel a été vendu la bague";

Attendu que le moyen qui, sous le couvert d'un prétendu défaut de réponse à conclusions, revient à remettre en cause l'appréciation souveraine par les juges du fond du préjudice subi par la partie civile et résultant directement de l'infraction retenue à l'encontre du prévenu, ne saurait être accueilli;

Sur le pourvoi du procureur général près la cour d'appel de Paris: - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 29 (12°) de la loi du 20 juillet 1988 portant amnistie,

"en ce que la cour d'appel a déclaré amnistiées les contraventions poursuivies,

"au motif que les exclusions énumérées à l'article 29, 12°, de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988 ne concernent pas les infractions prévues par l'article 28 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 visé à la prévention,

"alors que ledit article 29, 12°, exclut de l'amnistie les infractions prévues par les textes pris pour l'application de cette ordonnance";

Vu ledit article; - Attendu que selon l'article susvisé, sont exclues du bénéfice de l'amnistie, outre les infractions prévues par les articles 17, 31, 34, 35 et 52 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, toutes les contraventions prévues par les textes pris pour l'application de cette ordonnance;

Attendu que dans la procédure suivie contre André V notamment du chef de contraventions aux règles de la publicité des prix, prévues par l'article 28 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et réprimées par l'article 33 du décret du 29 décembre 1986, la cour d'appel, par l'arrêt attaqué, a constaté que, s'agissant de faits commis avant le 22 mai 1988, l'action publique est éteinte par application de l'article 1er de la loi du d 20 juillet 1988 portant amnistie;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que les infractions poursuivies relèvent des dispositions répressives du décret du 29 décembre 1986 fixant les conditions d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte visé au moyen; que la cassation est dès lors encourue;

Par ces motifs, 1°) Rejette le pourvoi d'André V; le condamne aux dépens; 2°) Sur le pourvoi du procureur général: casse et annule l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 29 janvier 1990, mais en ses seules dispositions relatives aux infractions aux règles de la publicité des prix, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation prononcée, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.