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Décisions

CA Nîmes, 2e ch., 19 mai 1994, n° 93-2367

NÎMES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Relais FNAC de Nîmes (SNC)

Défendeur :

Association Alinéa Livres, Monteil, Moretto, Librairie papeteries générales (SARL), Bonnotte, Hubert et associés (SARL), Appel, Librairie Cevenne et Occitane (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

M. Favre, M. Testud

Avoués :

Me d'Everlange, SCP Pomies Richaud Astraud

Avocats :

SCP Dubarry Levêque Le Douarin Veil, Me Galli

T. com. Nîmes, du 28 mai 1993

28 mai 1993

Faits, procédure et prétentions des parties:

Par une ordonnance en date du 17 février 1993, l'Association Alinéa Livres regroupant sept libraires de la ville de Nîmes ainsi que ces derniers ont obtenu la désignation d'un huissier pour dresser l'inventaire des livres vendus au public par la société en nom collectif Relais FNAC Nîmes comportant une remise supérieure à 5 % et que pour ce faire l'huissier pourrait se faire délivrer toutes les factures et les bons de commandes ou tous autres documents comportant la date d'approvisionnement des livres concernés justifiant de leur origine; de dire que l'inventaire mentionnerait le marquage des prix par l'éditeur et le prix réduit et qu'il préciserait les prix de vente affichés sur les lieux de vente concernant les livres destinés au public à proximité des collections concernées par l'affichage.

Les 6 et 7 avril 1993 l'huissier Place se rendait dans les locaux de la société en nom collectif Relais FNAC Nîmes dite FNAC et constatait que de nombreux albums de bandes dessinées étaient vendus avec un rabais excédent notablement les 5 % autorisés par la loi par rapport au prix de vente déterminé par les importateurs.

L'huissier demandait au responsable du magasin la fourniture des bons de commande de ces ouvrages afin de vérifier depuis quel moment ils pouvaient être en stock et il lui était répondu que les bons de commande étaient détruits en revanche il lui était fourni les factures d'achat des ouvrages auprès des importateurs à savoir la société Hachette sise à 78316 Maurepas, la société Dourdan Distribution sise à 91417 Dourdan Cedex ainsi que la société Districast, Groupe Casterman situé à 91944 les Ulis.

Au vu de ce constat les demandeurs assigné en référé la FNAC mais celle-ci ne se présentait pas.

Ils obtenaient le 28 mai 1993 une ordonnance de référé aux termes de laquelle le tribunal de commerce constatait que la SNC Relais FNAC de Nîmes mettait en vente au public des prix inférieurs de plus de 5 % au prix fixé par l'éditeur ou l'importateur qu'il s'agissait d'un trouble manifestement illicite, interdisait la vente de tous les livres décrits dans le procès-verbal de constat de Maître Place à un prix comportant une remise supérieure à 5 % et dit que par infraction constatée une astreinte de 150 F sera due pour chaque livre pendant un délai d'un mois, passé lequel délai il serait à nouveau fait droit et ordonnait l'exécution provisoire de sa décision tout en condamnant la SNC Relais FNAC au paiement d'une somme de 2 500 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Au vu de cette décision la FNAC en a relevé appel.

Elle demande à la cour de constater que les remises pratiquées par la SNC Relais FNAC de Nîmes sur les ouvrages édités dans les pays membres de la Communauté économique européenne et mentionnées par le procès-verbal de constat en date des 6 et 7 avril 1993 sont licites.

De donner acte à la société Relais FNAC de Nîmes de ce qu'elle s'engage à ne pas pratiquer sur les ouvrages édités en Suisse et en France et mentionnés par le procès-verbal de constat en date des 6 et 7 avril 1993 des remises supérieures à 5 % du prix fixé par l'importateur principal ou par l'éditeur à l'exception des ouvrages: "Lou Cale" et "Lucien" édités depuis plus de deux ans et en stock depuis plus de six mois pour lesquels de telles remises sont autorisées par application des dispositions de l'article 5 de la loi du 10 août 1981 et de condamner les intimés à lui payer 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur le premier point la FNAC soutient que les règles du décret n° 9073 du 10 janvier 1990 permettent à l'importateur qui a obtenu dans le pays d'édition un prix favorable que celui résultant des conditions commerciales usuelles, de répercuter sur ses prix un avantage obtenu par l'importateur dans le pays d'édition; qu'en l'espèce il suffisait de se reporter aux factures annexées au procès-verbal de constat dressé par Maître Place pour constater que la FNAC de Nîmes avait obtenu des remises à l'achat de livres importés comprises entre 38,5 et 42 % qu'elle avait pu à bon doit répercuter sur le prix de vente proposé au public; qu'en outre était illégal aux termes d'un arrêt du 10 janvier 1985 de la Cour de justice européenne, la législation nationale qui indiquait qu'il incombait à l'importateur d'un livre chargé d'accomplir la formalité du dépôt légal d'un exemplaire de ce livre, c'est à dire au dépositaire principal, d'en fixer le prix de vente au détail, qu'ainsi ces dispositions sont contraires au traité de Rome en sorte qu'elles ne peuvent être invoquées pour faire déclarer illicites le comportement de la FNAC.

En second lieu en ce qui concerne deux ouvrages édités par les éditions Humanoïdes Associés d'origine suisse qu'il convient d'exclure ces deux ouvrages du litige dans la mesure où ils ont été édités en juin 1987 et livrés le 30 septembre 1992 pour l'ouvrage Lou Cale donc édités depuis plus de deux ans et en stock depuis plus de six mois, qu'il en est de même pour l'ouvrage Lucien édité en juin 1985 et livré le 1er octobre 1992, qu'ainsi il est licite au terme du décret du 10 janvier 1990 de vendre avec des remises importantes des ouvrages édités depuis plus de deux ans et en stock depuis plus de six mois.

Au vu de ces arguments les intimés demandent à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise et de dire qu'ils pourront faire imprimer le dispositif de la décision rendue par la cour d'appel dans les journaux le Monde, le Figaro et le Midi Libre, et de condamner la SNC Relais FNAC de Nîmes à rembourser le montant de ces insertions et de la condamner à leur verser une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

En ce qui concerne l'exception constituée par la livraison en stock depuis plus de six mois de certains ouvrages, les intimés font observer que l'huissier de justice en page 12 de son procès-verbal de constat, a relevé qu'il lui avait été indiqué que les bons de commande étaient détruits qu'ainsi on ne pouvait connaître la date de la livraison et donc de l'entrée en stock des ouvrages même édités depuis plus de deux ans.

En ce qui concerne la licéité des agissements de la FNAC, les intimés font observer que la FNAC n'est pas un importateur mais un détaillant, que ce détaillant commande des ouvrages à des importateurs qu'ainsi il ne peut se prévaloir d'avoir obtenu des rabais dans le pays d'édition dont il pourrait faire profiter ses clients que dès lors il ne peut prétendre agir licitement par rapport au décret de 1990.

En ce qui concerne la licéité même du décret les intimés font observer que le décret applicable est celui de 1990 et qu'il n'est pas visé par l'arrêt de la Cour européenne de 1985, qu'en outre ce décret a eu pour objet de mettre la législation française en conformité avec le traité de Rome.

Enfin les intimés demandent que l'arrêt de la cour soit publié en son dispositif dans différents journaux au motif que la SNC Relais FNAC a publié un article dans le journal le Midi Libre pour stigmatiser l'attitude des intimés comme étant susceptible de faire augmenter le prix des livres contrairement à une bonne diffusion de la culture.

En réplique la FNAC s'oppose à la publication du présent arrêt en indiquant que la demande des intimés constitue une demande nouvelle en cause d'appel et que le communiqué paru dans le journal local ne fait que rendre compte de l'intervention de l'ordonnance de référé.

En réplique les intimés soulignent que le communiqué indiquait que la majorité des libraires de la ville avait obtenu une décision de justice qui obligeait la FNAC à remonter ces prix sur les bandes dessinées au niveau imposé par les auditeurs.

Que le ton du communiqué constitue un fait nouveau au sens de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile.

Par des conclusions en date du 7 février 1994 soit la veille de l'audience du 9 février 1994, la FNAC demande à la cour à titre principal de poser une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes ainsi rédigée afin de demander si l'article 30 du traité de Rome devait être interprété en ce sens qu'une réglementation nationale ayant pour objet ou pour effet de permettre à l'importateur exclusif de fixer seul le prix de vente au détail d'un livre importé, lorsque cet importateur filiale de l'éditeur ne répercutait pas, compte tenu de ses liens de filiation et de l'organisation de la distribution mis en place par l'éditeur qui s'impose à l'importateur, sur ce prix les avantages obtenus dans le pays d'édition ne constituait pas une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation, et de surseoir à statuer jusqu'à l'intervention de la Cour de justice des Communautés européennes et subsidiairement de reprendre les demandes déjà formulées dans ses conclusions précédentes.

Au vu de cette nouvelle demande les intimés sollicitent de la cour qu'elle écarte des débats ces dernières conclusions en leur branche principale pour avoir été signifiés la veille de l'audience.

Sur quoi:

Attendu que sont applicables aux faits de la cause les articles 1 et 5 de la loi du 10 août 1981;

Attendu que le quatrième alinéa de l'article 1er de ladite loi relative au prix du livre indique que les détaillants doivent pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95 % et 100 % du prix fixé par l'éditeur ou l'importateur;

Que l'alinéa 5 indique que dans le cas ou l'importation concerne des livres édités en France le prix de vente au public fixé par l'importateur est au moins égal à celui qui a été fixé par l'éditeur;

Attendu que l'article 5 précise que le détaillant peut pratiquer des prix inférieurs au prix de vente au public mentionné à l'article 1er sur les livres édités ou importés depuis plus de deux ans et donc le dernier approvisionnement remonte à plus de six mois;

Attendu que le décret du 3 décembre 1981 précisait dans sa rédaction du 26 février 1985 que pour les livres importés qui ont été édités hors de la Communauté économique européenne est considéré comme importateur le dépositaire principal des livres importés à qui incombe l'obligation prévue par l'article 8 de la loi du 21 juin 1943 c'est-à-dire la formalité du dépôt légal;

Que pour les livres importés qui ont été édités dans un autre Etat membre de la Communauté économique européenne le prix fixé par l'importateur ne peut être inférieur au prix de vente fixé ou conseillé par l'éditeur pour la vente au public en France de cet ouvrage ou à défaut au prix de vente au détail fixé ou conseillé par lui dans le pays d'édition exprimé en franc français; qu'à la suite des difficultés de coordination de cet article avec le traité de Rome, l'article 4 du décret qui vient d'être cité a été modifié le 10 janvier 1990 dans les termes suivants

"Pour les livres importés qui ont été édités hors de la Communauté économique européenne est considéré comme importateur le dépositaire principal de livres importés à qui incombe l'obligation prévue par l'article 8 de la loi du 21 juin 1943, sauf si les livres ont été mis en libre pratique dans un Etat membre de la CEE,

Que pour les livres édités dans un Etat membre de la CEE ou qui ont été mis libre pratique dans un Etat membre, le prix de vente au public en France ne peut être inférieur au prix de vente fixé ou conseillé par l'éditeur pour cette vente ou au prix de vente au détail fixé ou conseillé dans le pays d'édition ou dans le pays de mise en libre pratique exprimé en franc français ou au prix résultant de la répercussion sur ces prix d'un avantage obtenu par l'importateur dans le pays d'édition";

Attendu que pour se prévaloir d'une répercussion d'un avantage obtenu dans un pays de la Communauté la FNAC est obligée de se prétendre importatrice;

Attendu qu'à cet égard la lecture des factures relevées par l'huissier de justice lors de son constat démontre qu'en réalité que la FNAC ne s'approvisionne pas dans les pays de la Communauté européenne mais qu'elle s'approvisionne auprès d'importateurs qui sont français et qui lui livrent les ouvrages;

Attendu de ce fait que la FNAC doit donc se conformer au prix conseillé par ses importateurs;

Attendu que la jurisprudence qu'elle cite de la Cour de justice de la Communauté européenne est antérieure à la définition donnée par la dernière modification du décret de 3 décembre 1981 cette modification étant intervenue le 10 janvier 1990;

Attendu qu'il convient d'examiner l'argument de la FNAC selon lequel une question préjudicielle devrait être posée à la Cour de justice de la Communauté européenne;

Sur la recevabilité de cet argument:

Attendu que c'est seulement dans des conclusions du 7 février 1994 que la FNAC soutient qu'une question préjudicielle devrait être posée, que par des conclusions du 8 février 1994 veille de l'audience, l'avocat des intimés a demandé à la cour d'écarter des débats les conclusions visant à la position d'une question préjudicielle comme étant tardive;

Attendu qu'en réalité il s'agit d'une question de pur droit et que l'avocat des intimés a parfaitement pu répondre par des conclusions notifiées, dactylographiées dès le lendemain qu'ainsi elle aurait pu sans difficultés examiner cette question de pur droit;

Attendu qu'il convient donc de déclarer recevables les écritures de la FNAC du 7 février 1994;

Sur la position d'une question préjudicielle:

Attendu qu'en réalité la FNAC demande de poser une question préjudicielle qui s'analyse dans le reproche qu'elle fait aux éditeurs étrangers notamment belges de s'accorder avec les importateurs français pour interdire l'approvisionnement de la FNAC directement en Belgique et de se transformer ainsi en importateur ce qui lui permettrait d'obtenir des rabais dont elle pourrait faire profiter ses clients;

Attendu qu'en réalité cet argument n'a été soutenu que d'une façon verbale et étayé par aucun document qui puisse être examiné par la cour, qu'il s'agit d'une pure construction intellectuelle et qu'à supposer qu'elle soit fondée il aurait fallu que la FNAC assigne son importateur et l'éditeur Belge afin de leur demander des comptes sur une pratique qu'elle estime être anti-concurrencielle au regard du traité de Rome, que tel n'est pas l'état du litige en l'espèce à défaut de preuve et même à défaut d'adversaires dans la cause ceux-ci n'ayant pas étaient l'objet d'une assignation;

Attendu donc que tant pour des raisons de fait que de procédure la demande de position d'une question préjudicielle doit être écartée;

Attendu qu'il a été vu que la FNAC ne peut invoquer le caractère licite des rabais qu'elle pratique sur les albums de bandes dessinées provenant d'éditeurs de la Communauté européenne;

Attendu que subsidiairement, la FNAC reconnaît dès lors le bien fondé de la demande qui lui est opposée en demandant qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle s'engage à ne pas pratiquer sur les ouvrages édités en Suisse et en France et mentionnés dans le procès-verbal de constat en date des 6 et 7 avril 1993 des remises supérieures à 5 % du prix fixé par l'importateur ou par l'éditeur à l'exception de deux ouvrages;

Attendu qu'ainsi la FNAC reconnaît le bien fondé de l'ordonnance déférée dès lors qu'est refusé le caractère légal de ses pratiques;

Attendu qu'elle soutient que cependant pour deux ouvrages elle aurait ces ouvrages en stock depuis plus de six mois mais que comme il a été vu à la lecture du procès-verbal de constat elle a été dans l'incapacité de fournir les bons de commande ou bons de livraison de ces ouvrages, que dès lors elle peut d'autant moins qu'elle peut demander cette exception que le Relais FNAC de Nîmes n'a été ouvert que pratiquement six mois avant le constat pour avoir été exploité à compter du 14 octobre 1992 alors que le constat est du 6 avril 1993;

Attendu dès lors qu'il convient de confirmer l'ordonnance déférée dans toutes ses dispositions;

Attendu que les intimés demandent à la cour d'ordonner aux frais de la FNAC l'impression du dispositif de la présente décision;

Attendu qu'à cet égard les intimés reprochent à la FNAC d'avoir, après l'intervention de l'ordonnance déférée, publié un communiqué de presse dans lequel en termes désobligeants elle faisait connaître l'existence de l'ordonnance déférée;

Attendu qu'à cet égard il existe une contrariété dans la demande des intimés en n'accordant à la FNAC la publicité d'une décision qui a pour objet de lui interdire des rabais supérieurs à 5 % sur un certain nombre d'ouvrages alors que justement elle se prévaut de lutter pour la baisse des prix du livre en général quitte à acculer à la liquidation de biens les libraires qui n'ont pas sa puissance économique;

Attendu de ce fait qu'il ne convient pas d'ordonner la publication du dispositif du présent arrêt dans la mesure où il permet un commentaire désapprobateur aux yeux de la FNAC ou louangeur aux yeux de ses adversaires qui ne fait qu'apporter de la publicité supplémentaire à la FNAC;

Attendu en revanche que la FNAC a obligé les intimés à faire valoir leurs droits à nouveau devant la cour qu'il convient de la condamner à leur payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu que la FNAC succombe qu'elle doit supporter les entiers dépens de première instance et d'appel et dont distraction au profit de la SCP Pomies Richaud Astraud, avoués, si cette dernière en a fait l'avance;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort; Reçoit en la forme l'appel de la SNC Relais FNAC Nîmes; Au fond le déclare mal fondé; Confirme l'ordonnance déférée dans toutes ses dispositions; Déboute les intimés de leur demande d'impression du présent dispositif dans trois journaux aux frais de l'appelante; Condamne la SNC Relais FNAC de Nîmes à payer aux intimés la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la SNC Relais FNAC de Nîmes aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP Pomies Richaud Astraud, avoués, si cette dernière en a fait l'avance.