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Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 2, 29 mars 2000, n° 1996-02578

CHAMBÉRY

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Grandis

Défendeur :

Rayconile (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Alberca

Conseillers :

Mme Neve de Mevergnies, M. Leclercq

Avoués :

Mes Delachenal, Dantagnan

Avocats :

Mes Livet, Chambonnaud

TGI Moutiers, du 2 oct. 1996

2 octobre 1996

Par déclaration au greffe du 30 octobre 1996, Mlle Sonie Grandis fait régulièrement appel contre la SARL Rayconile d'un jugement contradictoire du Tribunal d'instance de Moutiers du 2 octobre 1996.

Le jugement déféré avait condamné Mlle Grandis à payer à la SARL Rayconile une somme de 18 169,31 F.

Mlle Grandis était encore condamnée à payer à la SARL Rayconile une indemnité de 1 800 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que les dépens.

La SARL Rayconile propose à ses clients qu'elle fait démarcher sur les lieux de leur activité professionnelle, un contrat de publicité consistant en l'insertion d'encarts imprimés sur un protège-annuaires diffusé localement.

Mlle Grandis était inscrite au registre des métiers d'Albertville à compter du 8 juillet 1992 pour l'exercice d'une activité de "couture retouches".

Par deux actes sous seing privé datés du 21 octobre 1992, Mlle Grandis a commandé à la SARL Rayconile des publicités pour le prix de 12 600 F et 1 500 F HT payable à terme.

Cependant, elle ne faisait pas face à ses engagements.

Elle se faisait radier du registre des métiers le 4 octobre 1994.

Mlle Grandis a fait signifier le 7 décembre 1999 des conclusions dans les formes de l'article 954 du nouveau Code de procédure civile (rédaction du décret du 28 décembre 1998) visant à l'infirmation du jugement déféré pour voir prononcer la nullité des contrats signés le 21 octobre 1992 et débouter en conséquence la SARL Rayconile de ses demandes.

Elle sollicite paiement d'une indemnité de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que des dépens avec application de l'article 699 du même Code.

Elle entend se prévaloir des dispositions de la loi du 22 décembre 1972 sur le démarchage à domicile faisant valoir que contrairement à ce que retenait le premier juge, cette loi s'attache uniquement à la qualité du contractant pour retenir la qualité de consommateur et non à la finalité du contrat, car si dans la mesure où la spécialité professionnelle de Mlle Grandis est différente de celle de cocontractant elle doit être considérée comme un consommateur et de ce fait bénéficier de la protection prévue par cette loi.

En l'espèce, elle aurait été privée de la faculté de renonciation prévue par l'article L. 121-25 du Code de la consommation.

En effet, les contrats qu'elle a signés prohibaient toute faculté de résiliation pour les 3 expéditions qu'ils prévoyaient.

Ces clauses devraient être considérées comme abusives.

La SARL Rayconile a fait signifier des conclusions le 15 janvier 1998 visant à la confirmation du jugement déféré pour voir condamner Mlle Grandis à lui payer la somme de 18 169,31 F.

Elle sollicite paiement d'une indemnité de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que des dépens.

Elle développe argumentation suivante:

Sur l'application des lois du 22 décembre 1972 et du 18 janvier 1978:

En tout état de cause ces deux lois reprises dans le Code de la consommation sont inapplicables en l'espèce.

En effet la Cour de cassation utilise le même critère pour déterminer si ces législations sont applicables.

Le contrat souscrit par Mademoiselle Grandis a un rapport direct avec son activité.

A°) Sur la loi du 22 décembre 1972:

Après quelques hésitations, la jurisprudence a manifesté une évolution qui peut être dégagée avec quelque clarté.

Elle a tout d'abord, pour écarter l'application de la loi recherchée si le professionnel avait une compétence particulière qui lui permettait dans le cadre de l'opération en cause d'être ou non considéré comme un simple consommateur.

C'est la raison d'être de l'ancienne jurisprudence qui avait appliqué la loi à un agriculteur (Cass. civ. I - 5 janvier 1993) ou à un ecclésiastique achetant un photocopieur (Cass. civ. I - 3 mai 1988).

Ce critère qui est avancé par Mademoiselle Grandis est abandonné et totalement dépassé.

La jurisprudence s'est arrêtée ensuite à un critère retenant le développement du champ d'activité professionnelle.

C'est ainsi que par arrêts des 2 février et 16 mars 1994, la 1re chambre civile de la Cour de cassation a décidé qu'un boulanger et un exploitant de bar-tabac, démarchés pour acquérir respectivement un appareil distributeur de glaces et pour souscrire un contrat de fournitures de cassettes vidéo étaient exclus du bénéfice de la loi, les contrats ayant été conclus "en vue d'étendre le champ de leurs activités professionnelles respectives".

La Cour d'appel de Paris avait de la même manière par arrêt du 30 mars 1995 considéré qu'une entreprise ayant démarché un boulanger pour lui proposer une aide à l'organisation de son entreprise ne pouvait se voir opposer la loi du 22 décembre 1972 car:

"L'activité d'un boulanger suppose la compétence nécessaire pour prendre des initiatives de gestion indispensables telles que le recours à l'assistance d'un conseil en organisation de l'activité professionnelle".

La Cour de cassation est désormais allée beaucoup plus loin. Elle estime par les arrêts les plus récents, que l'application de la loi doit être exclue dés lors que la finalité de l'opération est la recherche du bénéfice et l'extension de l'activité commerciale.

Ainsi en a décidé la Cour de cassation par ses arrêts du 9 mai 1996 et 2 juillet 1996 (extension de l'activité de bar-tabac à la vente ou la location de vidéocassettes).

La Cour d'appel de Paris a confirmé également sa jurisprudence en jugeant dans un arrêt du 15 mars 1996 que "la prestation de services qui consiste pour un professionnel commerçant à proposer à un commerçant à proposer le recouvrement de ses factures, ne présente pas un caractère exceptionnel et a un rapport direct avec l'activité commerciale du commerçant auquel est faite la proposition.

L'arrêt isolé de la Cour de cassation en date du 17 juillet 1996 ne porte aucunement atteinte à ce courant jurisprudentiel. Il s'agit manifestement d'un arrêt d'espèce puisque la Cour de cassation a maintenu son interprétation de la notion de rapport direct.

D'abord dans un arrêt du 5 novembre 1996 relatif aux clauses abusives et ensuite dans un arrêt des 18 mars 1997 portant sur l'application de la loi de 1972.

Dans cet arrêt du 18 mars 1997 qui est le dernier rendu en matière de démarchage à domicile, la Cour de cassation a décidé que ne peut bénéficier de la protection de la loi l'agent d'assurance qui a souscrit un contrat de location de journaux lumineux (Cass. civ. I - 18 mars 1997).

Sur ce:

Attendu que la SARL Rayconile ne conteste pas avoir fait démarcher Mlle Grandis à son domicile pour lui proposer la souscription des contrats litigieux.

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 8 e) de la loi du 22 décembre 1972 sur le démarchage domicile qui sont maintenant codifiées à l'article L. 121-22 4° du Code de la consommation que ne sont pas concernés par les dispositions protectrices de cette législation les ventes, location ou locations-ventes de biens ou les prestations de services lorsqu'elles ont un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d'une exploitation agricole, industrielle, commerciale ou artisanale ou de toute autre profession.

Attendu qu'en l'espèce, Mlle Grandis a souscrit un contrat ayant pour objet de faire la publicité de l'activité artisanale qu'elle avait entrepris d'exercer.

Attendu que l'activité de couturière est totalement étrangère aux métiers de la publicité.

Attendu qu'en outre elle semble exercer son activité professionnelle sans employer de salariés et qu'en tout cas, cette entreprise n'a manifestement pas de service chargé du marketing ou de la publicité.

Attendu qu'il résulte de ces explications qu'elle doit bénéficier de la protection prévue par le Code de la consommation.

Attendu que Mlle Grandis a été privée de la faculté de renonciation prévue par l'article L. 121-25 du Code de la consommation, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 121-26 du même Code que la SARL Rayconile ne pouvait exiger paiement d'aucune somme si elle avait respecté la règle posée par ce texte, qu'elle doit en conséquence être déboutée de ses demandes.

Attendu en conséquence qu'il convient infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré.

Attendu que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de Mlle Grandis.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement: Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau; Déboute la SARL Rayconile de ses demandes contre Mlle Grandis. Déboute Melle Grandis de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la SARL Rayconile aux dépens et dit qu'ils seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.