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Décisions

CA Douai, 2e ch., 23 mars 2000, n° 1996-05561

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Triquet

Défendeur :

Automobiles Citroën (SA), Me Perin (ès qual.), Le Cric (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gosselin

Conseillers :

Mme Fontaine, M. Michel

Avoués :

Me Cocheme- Kraut-Reisenthel, Carlier-Regnier

Avocats :

Mes Vidal, Kouchnir.

T. com. Cambrai, du 14 mai 1996

14 mai 1996

Par jugement prononcé le 14 mai 1996 le Tribunal de commerce de Cambrai déboutait M. René Triquet de toutes ses demandes fins et conclusions, et la société Citroën du surplus de ses demandes.

M. Triquet était condamné aux dépens.

Par déclaration déposée au greffe le 25 juin 1996 M. René Triquet relevait appel de ce jugement.

Par conclusions déposées le 7 janvier 2000, M. Triquet demande à la cour :

- condamner la société Automobiles Citroën, sanction appropriée à la réparation juridique de ses fautes, à relever et garantir M. Triquet de tous les engagements de caution qu'il a pris, du chef des dettes principales de la SA Le Cric et de la société civile Charles De Gaulle, de la concession Citroën de Cambrai, auprès de tous établissements financiers, affiliés ou non au groupe Citroën, et notamment SOFIRA, SOFIB, ainsi que le Crédit Agricole;

- à titre provisionnel, et pour mémoire, la somme de 6 millions de F, à parfaire, représentant le montant des engagements souscrits par M. Triquet à titre de caution de la SA "Le Cric";

- à titre provisionnel, et pour mémoire, la somme de 5 millions de F, à parfaire, représentant les engagements souscrits par M. Triquet à titre de caution de la SCI Charles De Gaulle;

- la somme de 250 000 F représentant la mise de fonds en capital social de la SA Le Cric;

- la somme de 250 000 F apportée en compte-courant sur obtention d'un emprunt familial;

- la somme de deux cents mille francs versée en espèces à M. Henaut;

- la somme de quatre millions de francs représentant le manque à gagner résultant de la privation de sa situation professionnelle,

- la somme de un million de francs en réparation du préjudice moral, y inclus les préjudices de santé;

Condamner la société Citroën à payer à M. Triquet la somme de 70 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Condamner la société Citroën au paiement des entiers frais et dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP Cocheme Kraut Reisenthel, avoués associés, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 14 janvier 2000 la SA Automobiles Citroën demande à la Cour:

- de déclarer M. Triquet René mal fondé en son appel,

- de dire et juger la demande de garantie formulée à l'encontre de la SA Automobiles Citroën irrecevable en application de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile,

- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- de condamner M. Triquet au paiement de la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- de le condamner en tous les dépens.

Intimé, Me Perin liquidateur judiciaire de la SA Le Cric n'a pas conclu.

Le 5 février 1998 Monsieur le Procureur Général a conclu à la confirmation du jugement entrepris.

Le 8 décembre 1986, M. René Triquet ès qualités de président du conseil d'administration de la SA Le Cric dont il était le principal actionnaire, acquérait un fonds de commerce de vente et réparation d'automobiles situé 2095 rue de Paris à Cambrai.

Le 1er janvier 1987 la société Le Cric devenait concessionnaire Citroën selon contrat souscrit à cette date avec la SA Automobiles Citroën.

Sur déclaration de cessation des paiements le Tribunal de commerce de Cambrai déclarait ouverte le 01-02-1989 la procédure de liquidation judiciaire de la SA Le Cric et fixait au 31 décembre 1988 la date de cessation des paiements.

Les 12 et 16 août 1993 M. Triquet faisait assigner la SA Automobiles Citroën et Me Perin devant le Tribunal de Cambrai aux fins de voir dire et juger que la SA Automobiles Citroën serait seule et entièrement responsable de la mise en liquidation judiciaire de la SA Le Cric, M.Triquet sollicitait la désignation d'un expert avec mission de déterminer la cause de la liquidation judiciaire de la société, et la condamnation ou de la société Citroën au paiement d'une provision de quatre millions de francs.

Le jugement entrepris rejetait toutes ces demandes.

M. Triquet affirme avoir été contraint par la société Citroën à diverses obligations qui lui furent préjudiciables.

- Rachat d'un garage dont le propriétaire soutenu par Citroën connaissait de graves difficultés financières,

- Achat de l'immeuble abritant le garage par un emprunt,

- Objectif de vente d'un quota de véhicules neufs disproportionné au potentiel de l'entreprise.

M. Triquet prétend que la société Citroën a ensuite entrepris de déstabiliser l'entreprise pour la remettre à l'ancien chef des ventes.

M. Triquet soutient avoir été ainsi la victime d'une opération de portage réalisée à son insu par la société Citroën au profit de son prédécesseur M. Henaut.

Faisant valoir que la responsabilité de la SA Citroën est engagée sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,

M. Triquet invoque successivement quatre arguments.

1°) Les objectifs de vente

L'appelant soutient que la société Le Cric n'était tenue de vendre que 700 véhicules neufs par an.

Il fait valoir qu'il a manifesté son opposition formelle dans sa lettre du 16 février 1987 à la décision de Citroën de fixer à 939 véhicules neufs par an l'objectif de vente.

Il soutient que cet objectif l'obligeait à maintenir un effectif de cinquante personnes alors que trente personnes suffisaient pour vendre 700 voitures.

Il prétend que s'il a pu réaliser en 1987 un tel objectif, cela n'est dû qu'à l'incompétence du précédent concessionnaire.

2°) Le financement de la société Le Cric

L'appelant soutient que la société Citroën savait qu'il ne disposait que de 500 000 F de fonds propres alors qu'il lui aurait fallu 939 000 F soit 1 000 F par véhicule à vendre.

Il a donc dû faire face à des frais financiers importants aggravés par d'autres emprunts nécessités par des investissements réalisés à la demande de Citroën (achat de l'immeuble-réseau informatique). Le déficit d'exploitation de 715 000 F constaté le 30 juin 1988 est dû à ces investissements et non à des charges de structure.

3°) Dépendance économique

L'appelant soutient qu'en raison de son endettement il ne pouvait rompre les relations contractuelles avec la société Citroën.

Contrairement aux dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 la société Citroën aurait assuré la gestion commerciale et la gestion financière de la SA Le Cric.

M. Triquet affirme que la société Citroën lui a imposé le remplacement de son chef magasinier et la nomination en qualité de chef des ventes de M. Marissal qui reprendra ultérieurement les concessions de Cambrai et l'a obligé à acquérir l'immeuble où est exploité le garage.

4°) Le manquement au devoir de loyauté

L'appelant fait état des correspondances reçues de la SA Citroën en décembre 1988 et janvier 1989. Il accuse la société Citroën :

- d'avoir entrepris des manœuvres de ralentissement de l'activité commerciale de la concession en décembre 1988,

- d'avoir directement pris contact avec les agents de la concession,

- d'avoir fait passer pour 1989 le quota de véhicules à vendre de 939 à 1 028,

- de l'avoir mis en demeure par le biais de la société SOFIRA de payer 907 000 F puis 1 049 650 F, alors que la société Citroën lui devait 1 393 000 F,

- d'avoir retiré, par le biais de la société SOFIB un billet à ordre de 300 000 F,

- d'avoir exigé le 12 janvier 1989 le paiement par chèque certifié des pièces de rechange et d'avoir résilié le contrat de concession le 17 janvier 1989,

- d'avoir consenti à son successeur M. Marissal des conditions différentes : licenciement de vingt personnes, apport de un million en fonds propres.

Le préjudice allégué est représenté par la perte d'une rémunération annuelle de 400 000 F, des droits à pension, des biens personnels.

Il est en outre demandé la garantie de la société Citroën pour toutes les condamnations prononcées à l'encontre de M. Triquet du chef des engagements de caution.

Qualifiant de rocambolesque la théorie du portage de la concession dans l'intérêt de M. Henaut la société Citroën fait valoir les arguments suivants :

1) Sur les objectifs de vente

M. Triquet connaissait dès 1986 l'objectif de vendre en 1987, 939 véhicules neufs.

La société Citroën précise qu'en 1986, l'objectif de vente était de 859, et en 1989 de 1 028.

Elle rappelle que le compte prévisionnel établi par M. Triquet fixe la vente de 900 voitures comme objectif à moyen terme.

Elle fait valoir qu'en 1987, M. Triquet a vendu 924 voitures.

2) Le financement

Le plan de financement de M. Triquet agrée par la SA Citroën était, selon elle, cohérent puisqu'aux 600 000 F dont M. Triquet prétendait disposer (d'après la lettre du banquier de ce dernier) il fallait ajouter les 400 000 F d'aide apportée par l'intimée au démarrage de l'entreprise.

Elle conteste avoir imposé la reprise de 50 salariés.

Elle constate que les résultats de 1987 ont été satisfaisants et prétend que le déficit de 1988 est du à des erreurs de gestion, une rémunération du dirigeant trop élevée et une chute importante de la vente des pièces de rechange.

3) Sur l'état de dépendance économique

Contestant l'application de l'ordonnance au 1er décembre 1986 qui concernerait le droit de la concurrence et non celui de la concession la société Citroën relève que l'appelant a pris seul et sous sa responsabilité les décisions de gestion qui ont intéressé la société Le Cric.

La société Citroën soutient que M. Triquet n 'apporte aucun élément susceptible de démontrer ses allégations.

4) Sur le manquement au devoir de loyauté

La société Citroën fait valoir qu'en raison de la dégradation de la situation financière de la SA Le Cric au cours du second semestre de 1988, elle a à plusieurs reprises alerté le dirigeant et l'a interrogé sur les mesures qu'il comptait prendre.

Elle soutient que les mesures conservatoires prises au début de l'année 1989 ont été conformes au contrat de concession et ont été provoquées par l'impossibilité pour la SA Le Cric de payer au constructeur les véhicules neufs revendus en clientèle.

Elle soutient avoir payé à la société Le Cric toutes les sommes qu'elle lui devait et notamment la somme de 1 039 509,53 F correspondant au montant hors taxes des primes dues pour l'année 1988.

Elle rappelle que sa créance admise au passif de la SA Le Cric s'élève à 514 414,59 F.

En ce qui concerne le préjudice la société Citroën soutient que M. Triquet est irrecevable en vertu de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile à présenter la demande nouvelle de garantie.

Sur ce

A) Sur le principe de la responsabilité

Se plaçant sur le terrain de l'article 1382 du Code civil, M. Triquet doit donc démontrer que la société Citroën a lors de la conclusion du contrat de concession avec la société Le Cric ou durant les deux années qui ont suivi, commis une ou plusieurs fautes susceptibles d'avoir causé un préjudice personnel et direct à l'appelant.

1) Quant aux objectifs de vente

M. Triquet justifie par sa lettre adressée le 16 janvier 1987 à la direction régionale de Citroën son désaccord sur l'objectif de 939 voitures à vendre en 1987.

Cependant cet objectif est étranger à la structure de l'entreprise telle qu'elle fut décidée par M. Triquet puisque le plan prévisionnel établi en 1986 par l'appelant précise que l'entreprise emploiera 49 personnes et se proposera d'en embaucher trois autres.

Etant observé que l'objectif est fixé par le concédant, qu'en 1986 il était de 859, que M. Triquet a pratiquement atteint l'objectif en 1987 en vendant 928 voitures, qu'il a accepté sans protester l'objectif 1988, aucune faute ne peut, dans ce premier grief, être établie à l'encontre de la société Citroën.

2) Quant au fonctionnement de la société

La cour écartera des débats le rapport d'expertise de M. Lebrun, celui-ci a été établi non contradictoirement et sur la base des seuls éléments fournis par M. Triquet.

La cour constate :

- que les 939 000 F qui selon l'appelant lui étaient nécessaires pour vendre 939 véhicules ne lui faisaient pas défaut puisqu'aux 600 000 F dont il affirmait disposer il fallait ajouter les 400 000 F fournis par Citroën au titre de l'aide au démarrage de l'entreprise.

- que l'appelant ne démontre pas et n'offre pas de démontrer avoir été contraint par la société Citroën à acquérir l'immeuble, à installer un nouveau réseau informatique, à contracter de nouveaux emprunts pour financer ces investissements.

Il n'apparaît pas dans ces conditions que la société Citroën ait commis une faute en agréant le plan de financement qui lui était présenté ou encore que la responsabilité de l'intimée puisse être recherchée dans les investissements ultérieurs.

Ce second grief sera écarté.

3) Quant à la dépendance économique

M. Triquet a affirmé mais n'a ni démontré ni offert de démontrer :

- que la gestion commerciale et financière était assurée par la société Citroën,

- qu'il fut contraint par cette dernière de remplacer son chef magasinier ou de nommer M. Marissal chef des ventes.

Pas plus devant la cour que devant le tribunal M. Triquet ne justifie de ses allégations et ce troisième grief sera donc écarté.

4) Quant au devoir de loyauté

Le jugement du tribunal de commerce prononçant la liquidation judiciaire a fixé au 1er janvier 1989 la date de cessation des paiements de la SA Le Cric.

Il n'est pas contesté qu'au 30 août 1988 la situation de la société était gravement détériorée sur le plan de la trésorerie et sur celui des résultats d'exploitation et l'appelant n'a pas démontré que cette détérioration était imputable à l'intimée.

Dans ces conditions les mesures conservatoires prises par la société Citroën au cours du dernier trimestre 1988 et au mois de janvier 1989 s'inscrivent dans le cadre du contrat de concession liant les parties et n'ont pas contrevenu à celui-ci.

Quant aux conditions de la reprise par M. Marissal de la concession exploitée par la SA Le Cric celles-ci ont été discutées avec le liquidateur, étant observé que le montant des fonds propres exigés du repreneur était équivalent au montant dont disposait la SA Le Cric au début de son activité.

Sur ce dernier grief M. Triquet ne démontre pas une fois encore, un comportement fautif de la société Citroën.

En définitive il n'apparaît pas que le préjudice allégué par M. Triquet trouve sa cause dans une ou plusieurs fautes qui auraient pu être commises par l'intimée.

B) Sur le montant du préjudice

Compte tenu de ce qui précède la demande de M. Triquet en réparation de son préjudice personnel sera déclarée mal fondée.

La demande tendant à condamner la société Citroën à garantir M. Triquet de ses engagements de caution constitue une demande nouvelle au sens de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile sera déclarée irrecevable.

La décision entreprise sera donc confirmée.

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Au titre des frais irrépétibles exposés par la société Citroën devant la cour d'appel il lui sera alloué la somme de 5 000 F.

Par ces motifs, Déclare M. Triquet mal fondé en son appel. Vu l'article 564 du nouveau Code de procédure civile. Déclare M. Triquet irrecevable en sa demande de garantie de ses engagements de caution. Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris. Condamne en outre M. Triquet à payer à la SA Citroën la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La condamne en tous les dépens d'instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Carlier-Regnier.