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Décisions

CJCE, 25 juin 1970, n° 47-69

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gouvernement de la République Française

Défendeur :

Commission des Communautés Européennes.

Comm. CE du 18 juill. 1968

18 juillet 1968

LA COUR,

Ayant pour objet l'annulation de la décision de la Commission du 18 juillet 1969, relative au régime d'aides français au secteur textile,

1 Attendu que, par recours introduit le 26 septembre 1969, le Gouvernement de la République française a demandé l'annulation de la décision de la Commission du 18 juillet 1968, ayant pour objet en ordre principal la suppression de l'aide nationale à l'industrie textile ou, en ordre subsidiaire, l'admission de cette aide sous réserve de modification de la taxe parafiscale affectée à son financement ;

Sur le premier moyen

2 Attendu que le Gouvernement français soutient d'abord que la décision attaquée serait dépourvue de base légale et entachée de détournement de pouvoir en ce que l'article 93, paragraphe 2, du traité, permettant seulement à la Commission de décider la suppression ou la modification d'une aide reconnue incompatible avec le Marché commun, ne saurait servir de base à une décision ayant pour objet de faire modifier l'assiette d'une taxe destinée au financement de cette aide ;

3 Attendu qu'aux termes de l'article 93, paragraphe 2, du traité, si la Commission constate "qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat, n'est pas compatible avec le Marché commun aux termes de l'article 92, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'Etat intéresse doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine";

4 Que cette disposition, prenant ainsi en considération le lien qui peut exister entre l'aide pratiquée par un Etat membre et son mode de financement, au moyen de ressources de cet Etat, ne permet donc pas à la Commission d'isoler l'aide proprement dite de son mode de financement et d'ignorer ce dernier si, associe à l'aide proprement dite, il rend l'ensemble incompatible avec le Marché commun ;

5 Attendu qu'aux termes de l'article 92, paragraphe 1, "sont incompatibles avec le Marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre états membres, les aides accordées par les états ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions";

6 Que, cependant, en vertu de l'article 92, paragraphe 3, c, "peuvent être considérées comme compatibles avec le Marché commun... Les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun";

7 Qu'en vue d'apprécier si une aide "affecte les échanges entre états membres" "fausse ou menace de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions" et "altère les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun", il est nécessaire de considérer tous les éléments de droit ou de fait dont ladite aide est assortie, notamment s'il n'existe pas un déséquilibre entre, d'une part, les charges à subir par les entreprises ou productions intéressées et, d'autre part, les bénéfices résultant de l'attribution de l'aide dont s'agit ;

8 Que l'examen d'une aide ne saurait donc être séparé des effets de son mode de financement ;

9 Que la Commission était dès lors compétente pour décider si la République française devait supprimer ou modifier l'ensemble de l'aide litigieuse ;

Sur le deuxième moyen

10 Attendu que le Gouvernement français fait valoir que les dispositions des articles 12 et 95, seules susceptibles d'application en l'espèce, ne pouvaient conduire a censurer la taxe litigieuse, celle-ci frappant également les produits nationaux et les produits importés et n'ayant pas d'effets équivalents à des droits de douane ;

11 Attendu que cette argumentation revient à affirmer que, dès lors qu'une aide est financée par une imposition intérieure, ce mode de financement ne pourrait être examiné que sous l'angle de sa compatibilité avec l'article 95, à l'exclusion des exigences des articles 92 et 93 ;

12 Que, cependant, ces deux types de dispositions ont des objectifs différents ;

13 Que la circonstance qu'une mesure nationale satisfait aux exigences de l'article 95 n'implique pas qu'elle soit légitime au regard d'autres dispositions, telles que celles des articles 92 et 93 ;

14 Que, lorsqu'une aide est financée par une imposition frappant certaines entreprises ou certaines productions, la Commission est tenue d'examiner, non seulement si son mode de financement est conforme a l'article 95 du traité, mais encore si, combiné avec l'aide qu'il alimente, il est compatible avec les exigences des articles 92 et 93 ;

15 Attendu que le Gouvernement français soutient en outre qu'en reconnaissant la nécessité d'une aide a l'industrie textile française, la Commission ne pouvait la refuser sans se contredire ni imposer une modification de son financement alors que, d'une part, celui-ci n'altère pas les échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun et que, d'autre part, le même résultat pourrait être atteint si l'aide litigieuse, au lieu d'être alimentée par une taxe affectée, l'était par un moyen budgétaire financé par la taxe à la valeur ajoutée ;

16 Attendu qu'une aide proprement dite, bien qu'exorbitante de la règle communautaire, peut ne pas altérer substantiellement les échanges entre états et être ainsi reconnue admissible, mais voir son effet perturbateur aggravé par un mode de financement qui rendrait l'ensemble incompatible avec un marché unique et l'intérêt commun ;

17 Que l'appréciation de la Commission doit donc tenir compte de tous les éléments directs et indirects qui caractérisent la mesure litigieuse, c'est-à-dire non seulement l'aide proprement dite apportée aux activités nationales favorisées, mais encore l'aide indirecte que peuvent constituer aussi, et son mode de financement, et le lien étroit qui fait dépendre le volume de la première du rendement du second ;

18 Attendu que si un tel système, intégrant à une aide le produit d'une taxe affectée, était généralisé, il aurait pour effet d'ouvrir une brèche dans l'article 92 du traité et de porter atteinte aux possibilités d'un contrôle permanent par la Commission ;

19 Qu'il conduit en effet à un système d'aides permanentes dont le montant est imprévisible et difficilement contrôlable ;

20 Qu'en accroissant automatiquement l'importance de l'aide nationale à mesure de l'accroissement du rendement de la taxe et plus particulièrement de son rendement sur les produits concurrents importés, le mode de financement litigieux atteint un effet protecteur allant au delà de l'aide proprement dite ;

21 Que, notamment, plus les entreprises de la Communauté, par un effort de commercialisation et de compression de prix, parviennent à accroître leurs ventes dans un Etat membre, plus le système de la taxe affectée les contraint à contribuer à une aide essentiellement destinée à ceux de leurs propres concurrents qui n'auraient pas au même degré réalisé cet effort ;

22 Que la Commission a pu ainsi considérer que le fait, par des entreprises étrangères, de pouvoir accéder aux travaux de recherche effectués en France n'était pas de nature à annihiler les effets nocifs pour le Marché commun d'une aide intégrée à une taxe affectée ;

23 Qu'elle a valablement décidé que cette aide, quel que soit le niveau de la taxe affectée, a pour effet, en raison de son mode de financement, d'altérer les échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun, au sens de l'article 92, paragraphe 3, c ;

24 attendu qu'il résulte de ces éléments que la Commission, en appréciant dans son ensemble l'aide accordée par la République française au moyen de ressources d'Etat, était en droit d'estimer celle-ci contraire a "l'intérêt commun" et d'inviter le Gouvernement français à la supprimer, tout en reconnaissant, et le caractère utile de l'aide proprement dite, et sa conformité à "l'intérêt commun" au cas ou son mode de financement pourrait être aménagé ;

25 Qu'en conséquence le recours doit être rejeté ;

Sur les dépens

26 Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ;

27 Que la partie requérante a succombé en ses moyens ;

28 Qu'elle doit donc être condamnée aux dépens de l'instance ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires,

déclare et arrête :

1) le recours est rejeté ;

2) la requérante est condamnée aux dépens de l'instance.