CA Rennes, 7e ch., 30 octobre 2002, n° 01-05372
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cogex (SA), Gan Assurances (Sté)
Défendeur :
Société d'exploitation du magasin Carrefour (Sté), Bohoun, Winterthur Assurances (Sté), Technometal Spol (Sté), Assurance Vieillesse des Artisans de Bretagne, CMRB, SMAC
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Laurent
Conseillers :
M. Garrec, Mme Lafay
Avoués :
SCP d'Aboville, de Moncuit & Le Callonnec
Avocats :
Mes Gautier, Larzul, Cosnard, SCP Couetoux du Tertre & Rault, SCP Guyot, Guyot-Garnier, Loza'hmeur, Dohollou, Bois, Person, Souet, Arion.
Le 27 octobre 1994, Monsieur Bohuon né le 6 juin 1994 a acheté au magasin Carrefour des étagères métalliques en kit.
Le 31 octobre, alors qu'il venait de déballer ces étagères recouvertes d'un film plastique, il s'est coupé profondément le côté cubital de la main droite sous l'effet d'un simple frôlement avec le montant de l'une de ces étagères, extrêmement tranchant parce que non ébarbé.
Par ordonnance de référé du 9 septembre 1995, le Docteur Calloc'h était désigné comme expert: il a déposé son rapport le 18 novembre 1995.
Sur la base de ce rapport, Monsieur Bohuon a assigné devant le Tribunal de Rennes par acte du 28 juillet 1997 la société des magasins Carrefour, sa compagnie d'assurances Winterthur, aux fins d'entendre la société Carrefour déclarée responsable de l'accident du 27 octobre 1994 et tenue de réparer in solidum avec la compagnie la Winterthur son préjudice corporel et économique.
La société Carrefour qui ne contestait pas sa responsabilité obtenait du juge de la mise en état une nouvelle expertise médicale, motif pris de ce que le rapport d'expertise du Docteur Calloc'h contenait diverses carences et irrégularités: Le Professeur Dreyfus expert désigné déposait son rapport lé 18 janvier 1999 dans lequel notamment il ramenait le taux d'TPP de 33 à 12 % et indiquait qu'aucun préjudice professionnel ne pouvait être retenu, pas plus que de préjudice d'agrément.
Sur la base des conclusions d'une expertise technique qu'elle a fait diligenter et qui retenait un défaut de conception et de fabrication du rayonnage métallique qui engagent la responsabilité du fabricant, la société Carrefour et la Compagnie Winterthur ont appelé en garantie la société Cogex fournisseur des étagères et son assureur le Gan par acte du 10 novembre 1997, lesquelles appelaient à la cause par acte du 12 janvier 1998 la société Technometal Spol le fabricant des étagères.
L'Ava de Bretagne, la SMAC (Mutuelle Accidents Corporels) et la Caisse Régionale des Artisans et Commerçants de Bretagne (dite CMRB) sont intervenues à la procédure.
Par décision du 27 mars 2001, le Tribunal de grande instance de Rennes a déclaré la Société d'exploitation du magasin Carrefour responsable de l'accident et l'a condamnée in solidum avec sa Cie d'assurances la Winterthur à réparer le préjudice subi par Monsieur Bohuon et à rembourser les débours de la CMRB, de la SMAC et d'AVA.
S'agissant du préjudice de la victime, le tribunal a pris en compte les conclusions du Docteur Calloc'h retenant une IPP de 30 % et une incidence professionnelle.
Le tribunal a condamné la société Cogex et la Cie Le Gan à garantir la société Carrefour et sa Cie d'Assurances et a condamné la société Technometal Spol à garantir la société Cogex et sa compagnie d'assurances.
La société Cogex et la Cie Gan Assurances ont relevé appel de cette décision:
Elles font valoir que compte tenu de l'importance des lots d'étagères reçues, la société Cogex était matériellement dans l'impossibilité de contrôler chacun d'eux alors que la société Carrefour, qui a reçu un nombre limité d'étagères était plus à même de vérifier chacun des lots livrés.
Elles estiment en conséquence qu'elles ne doivent pas garantir la société Carrefour et qu'en toute hypothèse, le manquement par la société Carrefour à son obligation a contribué à la survenance du sinistre.
Elles concluent à l'homologation du rapport Dreyfus et à la diminution des sommes allouées à Monsieur Bohuon en réparation de ses préjudices.
Monsieur Bohuon conclut à la réformation partielle de la décision quant à l'évaluation du préjudice soumis à recours et du préjudice personnel.
Il soutient que l'ensemble des avis médicaux produits, et notamment ceux des médecins des compagnies d'assurances SMAC et Gan Assurances démontrent qu'à la suite des séquelles de l'accident, il s'est trouvé dans l'impossibilité de reprendre son activité professionnelle d'artisan ponceur de parquet.
La Société d'exploitation du magasin Carrefour et la Cie d'assurances Winterthur concluent à la confirmation de la décision quant à la garantie de la société Cogex l'obligation de sécurité pesant en priorité sur le fabricant et le fournisseur, et à la réformation quant à l'évaluation du préjudice Monsieur Bohuon ne pouvant se prévaloir du rapport du Docteur Calloc'h dont les carences ont été mises en évidence par le juge de la mise en état;
La CMRB, Ava et la SMAC demandent le remboursement de leur débours.
La société Technometal Spol, régulièrement assignée, n'a pas constitué avoué:
La cour se réfère aux conclusions du 9 janvier 2002 pour la SA Cogex et la SA Gan Assurances du 3 septembre2002 pour Monsieur Bohuon, du 21 mars 2002 pour la Société d'exploitation du magasin Carrefour et la Cie d'Assurances Winterthur, du 19 février 2002 pour la SMAC, du 17 novembre 2001 pour la CMRB et du 30 mars 2002 pour l'AVA Bretagne pour plus ample exposé des moyens et arguments des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la responsabilité:
Considérant que dans ses rapports avec Monsieur Bohuon la Société d'exploitation les magasins Carrefour ne conteste pas sa responsabilité de vendeur sur lequel pèse une obligation de sécurité;
Considérant qu'aux termes du rapport d'expert technique effectué par Monsieur Tessier, expert désigné, il apparaît que les étagères sont affectées d'un vice de conception et de fabrication qui engage la responsabilité du fabricant, la société Technometal Spol qui doit garantir le fournisseur;
Qu'il pèse sur ce dernier, en application de l'article L. 212-1 du Code de la consommation une obligation de mise sur le marché de produits conformes aux prescriptions en vigueur;
Que la société Cogex ne démontre pas qu'elle a pris des mesures nécessaires pour contrôler la conformité du produit;
Qu'elle ne peut se dégager de sa responsabilité, la Société d'exploitation Carrefour n'ayant pas commis de faute, étant dans l'impossibilité de déballer l'ensemble des lots qui lui étaient livrés;
Considérant que le premier juge a pertinemment décidé que la société Cogex devait, in solidum avec son assureur, garantir la société Carrefour et son assureur, l'importateur étant lui-même garanti par la société Technometal Spol.
Sur le préjudice de Monsieur Bohuon:
Considérant que Monsieur Bohuon a été atteint de lésions des extenseurs du 5e doigt droit;
Qu'il a eu deux contrôles scintigraphiques, l'un le 2 janvier 1995 qui révélait une hyperactivité d'apparition précoce touchant l'ensemble de la main droite, cet aspect évoquant une algodystrophie, d'autant plus qu'il existait une atteinte du coude droit, l'autre du 24 mars 1995 qui évoquait pour le réalisateur la persistance de cette algodystrophie;
Considérant que le conseiller de la mise en état a ordonné une nouvelle expertise en raison des possibilités d'évolution du syndrome algodystrophique attestées par deux médecins, ces éléments n'étant pas en contradiction avec ceux de l'expert judiciaire qui retenait lui aussi une modification envisageable.
Considérant que l'ensemble des médecins consultés par Monsieur Bohuon, y compris ceux des compagnies d'assurances, ont conclu à l'existence d'un syndrome algodystrophique, avec des séquelles importantes liées à des phénomènes douloureux des articulations du membre supérieur droit et à un affaiblissement important de la force musculaire de la main droite;
Considérant que Monsieur Madec, médecin expert mandaté par la SMAC a vu Monsieur Bohuon le 12 janvier 1998 et a noté par rapport à l'expertise du Docteur Calloc'h une amélioration modérée de la rétropulsion de l'épaule droite et surtout de la rotation interne, avec normalisation des mouvements du coude droit alors que la flexion était limitée à 90 %, et normalisation de la pronosupation , amélioration notoire des mouvements de flexion dorsale et palmaire du poignet droit, et légère amélioration des mouvements du pouce droit, amélioration de la force musculaire;
Que le médecin précise qu'il persiste une perturbation des prises, modeste pour la prise palmaire, en crochet, plus importante pour les prises pollicilatéro-digitale, la prise sphérique n'étant pas possible;
Considérant que le Docteur Maruelle médecin expert de la compagnie d'assurances Gan, qui a examiné la victime le 27 novembre 1998, constate une impotence fonctionnelle globale du membre supérieur droit avec amyotrophie musculaire, douleurs diffuses, diminution importante de la force musculaire principalement en ce qui concerne la préhension;
Considérant que le Docteur Dreyfus a expertisé Monsieur Bohuon le 18 janvier 1999;
Qu'il constate que l'épaule droite est tombante et que le membre droit ne laisse pas apparaître d'émaciation;
Qu'il précise que la mobilisation passive des doigts et du pouce montre que la flexion et les extensions sont complètes, amenant la pulpe des doigts au contact du pouce et que seul l'auriculaire est activement et passivement siége d'une limitation de la flexion;
Qu'il ajoute qu'en actif la pulpe des doigts 2, 3 et 4 reste distante de 3 à 4 cm de la paume;
Que l'examen neurologique confirme la présentation d'une hypoesthésie globale active prenant la main et l'avant bras du bout des doigts au coude;
Considérant que si l'expert ne s'associe pas au diagnostic d'algodystrophie, il ne peut que constater, au vu du dossier médical, que la gêne fonctionnelle, quelle qu'en soit la cause, a perduré, s'associant à des douleurs de l'épaule droite;
Considérant qu'au vu des troubles objectifs constatés par l'expert le taux d'IPP peut être fixé à 12 %;
Considérant cependant que Monsieur Bohuon, qui était artisan ponceur, n'a pu depuis l'accident reprendre son activité;
Qu'il a été déclaré, tarit par la Cotorep que par l'Ava, inapte à la reprise de son métier;
Que si le Docteur Dreyfus estime que la victime peut reprendre son activité professionnelle, avec quelques aménagements, il ne donne aucune précision quant à la nature de ces derniers;
Considérant que Monsieur Bohuon, droitier, exerçait une activité manuelle nécessitant une force musculaire importante et une mobilisation de tous les doigts;
Que contrairement à ce que conclut l'expert, les séquelles des blessures dont il a été victime le rendent inapte à exercer sa profession;
Considérant qu'il y a lieu de fixer le préjudice subi ainsi qu'il suit:
1°) Préjudice soumis à recours:
- Frais médicaux et assimilés passés et futurs en lien direct avec l'accident survenu le 27 ctobre 1994: 11 186,91 euros (73 81,31 F)
- Frais de transports restés à charge: rejeté.
Considérant que Monsieur Bohuon ne justifie pas de la réalité du montant des sommes restées à sa charge dans la mesure où la CMRB lui a remboursé certains voyages sur la base du tarif voiture particulière, et où d'autre part son état ne lui contre-indique pas la prise des transports en commun.
- ITT du 31.10.1994 au 16.11.1995:
- perte de revenus sur 12,5 mois en tenant compte du bénéfice de l'exercice 1994 et du déficit de l'année 1995: 12 961,96 euros (85 031,43 F)
- troubles dans les conditions d'existence: 5 716,84 euros (37 500 F)
Incapacité permanente partielle:
- déficit fonctionnel: 12 %: 12 800 euros
- préjudice économique: 45 000 euros
- perte du fonds, des produits et la minoration de la retraite: 6 000 euros
- montant du préjudice soumis à recours: 93 935,71 euros
à déduire
- les créances des organismes sociaux en rapport avec l'accident:
- créance CMRB: 11 186,91 euros (73 381,31 F) (frais d'hospitalisation et assimilés)
- créance SMAC: 11 525,15 euros (75 600 F)
- créance CABAV: 32 025,24 euros (210 071,80 F) (définitive)
- soit un solde pour M. Bohuon de: 39 198,41 euros
2°) Préjudice personnel:
- pretium doloris 4/7: 6 200 euros
opération, longue rééducation, port d'une orthèse.
- préjudice esthétique 1,5 à 2/7: 1 500 euros
cicatrice fine sur la main droite et attitude des doigts en flexion
- préjudice d'agrément: 800 euros
impotence pour un droitier dans les activités de la vie courante (conduite automobile)
- préjudice matériel:
- transport pour expertise Dreyfus à Paris: 139,64 euros (916 F)
- frais de transport et cure à Dax pour l'année 1997 (justification de la prescription et des frais exposés): 780,30 euros (5 118,40 F)
- montant du préjudice personnel 9 419,94 euros à déduire provision versée: 8 384,70 euros (55 000 F)
Reste dû 1 035,24 euros
Considérant que l'équité commande d'allouer à Monsieur Bohuon la somme de 2 300 euros pour ses frais irrépétibles à hauteur de première instance et d'appel;
Qu'il sera fait droit à la demande de la CMRB en paiement de ses débours, de la somme de 762 euros au titre de l'ordonnance du 24 janvier 1996 et qu'il lui sera alloué la somme de 500 euros pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel;
Qu'il sera fait droit aux demandes de la SMAC et de l'Ava Bretagne en remboursement de leurs débours et qu'il leur sera alloué la somme de 500 euros à chacune sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel;
Que la société Cogex et son assureur devront verser à la Société d'exploitation du magasin Carrefour et à son assureur la somme de 1 500 euros pour leur frais irrépétibles de première instance et d'appel;
Que la société Technometal Spol devra verser à la société Cogex et son assureur la somme de 1 500 euros pour leur frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Par ces motifs: LA COUR, Confirme la décision déférée quant à la responsabilité de l'accident, quant à la Garantie par la société Cogex et la Cie Gan Assurances de toutes les condamnations prononcées contre la Société Carrefour et de sa Cie d'assurances Winterthur, et quant à la garantie par la société Technometal Spol des condamnations contre la société Cogex et la Compagnie Le Gan; La réformant partiellement, Condamne in solidum la société d'exploitation du magasin Carrefour avec la Cie d'assurances Winterthur à payer à Monsieur Bohuon; la somme de trente-neuf mille cent quatre vingt dix huit euros quarante et un centimes (39 198,41 euros) au titre du préjudice soumis à recours déduction faite de la créance des organismes sociaux; la somme de mille trente cinq euros vingt quatre centimes (1 035,24) au titre du préjudice personnel, déduction faite de la provision versée; la somme de deux mille trois cents euros (2 300 euros) pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel; Condamne in solidum la Société d'exploitation du magasin Carrefour et la Cie d'assurance Winterthur à payer: à la CMRB la somme de onze mille cent quatre vingt six euros quatre vingt onze centimes (11 186,91 euros) au titre de ses débours, celle de sept cent soixante deux euros (762 euros) au titre de l'indemnité forfaitaire et celle de cinq cents euros (500 euros) pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel; à la SMAC la somme de onze mille cinq cent vingt cinq euros quinze centimes (11 525,15 euros) au titre de ses débours et celle de cinq cents euros (500 euros) pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel; à l'Ava de Bretagne la somme de trente deux mille vingt cinq euros vingt quatre centimes (32 325,24 euros )au titre de ses débours et celle de cinq cents euros (500 euros ) pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel; Condamne la société Cogex et la Cie Gan Assurances à payer à la Société d'Exploitation du magasin Carrefour et à la Cie d' Assurances la Winterthur la somme de mille cinq cents euros (1 500 euros) pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel; Condamne la société Technometal Spol à verser à la société Cogex et la Cie Le Gan la somme de mille cinq cents euros (1 500 euros) pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel; Condamne in solidum la Société d'exploitation du magasin Carrefour et la Cie d'Assurances Winterthur, garanties par la société Cogex et la Cie Le Gan elles-mêmes garanties par la société Technometal Spol aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.