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Décisions

CA Rouen, ch. corr., 3 avril 2000, n° 99-00710

ROUEN

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Catenoix

Conseillers :

MM. Massu, Bisot

Avocats :

Mes Ricouart, Calvet.

TGI Rouen, ch. corr., du 19 févr. 1999

19 février 1999

PROCEDURE

Prévention

Micheline D épouse L a été citée le 29 janvier 1999 à comparaître le 19 février 1999 devant le Tribunal correctionnel de Rouen en vertu d'une ordonnance d'un juge d'instruction de ce Tribunal en date du 24 septembre 1998.

Elle était prévenue d'avoir à Rouen et sur le territoire national entre le 1er janvier et le 31 décembre 1997, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles, les résultats attendus d'un bien ou d'un service, en l'espèce en présentant aux consommateurs un CD dont la jaquette était conçue de manière à convaincre à tort les consommateurs que les chansons étaient interprétées par l'interprète initial;

Faits constitutifs de l'infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1, L. 121-4 et L. 213-1 du Code de la consommation.

JUGEMENT

Par décision contradictoire en date du 19 février 1999, le tribunal a prononcé la relaxe de Micheline D épouse L et déclaré la société Sony irrecevable en sa constitution de partie civile.

APPEL

Il a été interjeté appel de ce jugement le 1er mars 1999 par la société Sony France, partie civile.

DECISION

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi.

En la forme

Au vu des énonciations qui précèdent et des pièces de la procédure, l'appel interjeté par la partie civile dans les formes et délais des articles 498 et suivants du Code de procédure pénale est régulier et par conséquent recevable.

Micheline D, citée à comparaître devant la cour suivant acte d'huissier remis à sa personne le 16 novembre 1999, comparaît assistée de son avocat. Il sera donc statué contradictoirement à son égard.

La société Sony Music Entertainment (France), citée en qualité de partie civile suivant acte d'huissier en date du 25 novembre 1999, est représentée à l'audience par son avocat. Il sera donc statué contradictoirement à son égard.

Au fond

La société Sony a déposé le 10 octobre 1997 auprès du doyen des juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Rouen une plainte contre X avec constitution de partie civile pour infraction aux dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, visant des agissements de la société C.

Elle exposait qu'elle était titulaire du droit de reproduction et de commercialisation en France de l'enregistrement par le chanteur Wes de la chanson intitulée " Alane " dont celui-ci est à la fois l'auteur et l'interprète et dont le compositeur de la musique est Michel Sanchez, lui-même réalisateur de l'enregistrement et du mixage de l'interprétation qu'elle commercialise.

Elle précisait que cette chanson, interprétée par Wes et produite par Sony, connaissait un immense succès, plus d'un million de CD ayant été vendus depuis la sortie du titre. Elle ajoutait que ce titre avait été l'un des plus vendus au cours de la saison estivale 1997.

La société Sony fait grief à la société C et à son dirigeant en la personne de Micheline D de commercialiser sous la référence "MARK 530" un CD intitulé "Tous les tubes de l'été volume 6" comportant 15 titres de chanson parmi lesquels figure la chanson " Alane ", tous interprétés par un certain Tony Bram's, et ceci dans des conditions de nature à induire en erreur le consommateur en ce qui concerne l'interprète véritable.

Elle s'estime directement victime de la publicité trompeuse qui en résulte dès lors qu'elle-même commercialise en France l'enregistrement du chanteur Wes.

Elle demande en conséquence à la cour de dire que les faits ainsi reprochés à Micheline D sont constitutifs de l'infraction de publicité trompeuse et en conséquence:

- déclarer la société Sony Music Entertainment (France) recevable et bien fondée en sa constitution de partie civile,

- déclarer Madame Micheline épouse L, président directeur général de la société C responsable du préjudice subi par la société Sony,

-condamner Madame Micheline D épouse L, président directeur général de la société C, à payer à la société Sony Music Entertainment (France) la somme de 344 890 F en réparation du préjudice subi par cette dernière,

-condamner Madame Micheline D épouse L, président directeur général de la société C, à payer à la société Sony Music Entertainment (France) la somme de 20 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Au soutien de ses prétentions la société Sony expose:

1°) que la jaquette du disque comporte une présentation manifestement trompeuse et de nature à créer une confusion dans l'esprit du consommateur entre l'enregistrement de l'interprète Wes et celui de l'artiste inconnu commercialisé par la société C en ce que:

- au recto le titre "Alane" figure en tête de trois autres grands succès de l'été 1997 en gros caractères alors que l'indication "par Tony Bram's" n'y figure que de façon très discrète, en bas de la jaquette, en caractères infiniment plus petits que les titres cités.

- au verso le titre "Alane" est le premier titre reproduit sans qu'aucune espèce de référence soit faite à l'interprétation de Tony Bram's.

- l'indication par "Tony Bram's" est particulièrement et volontairement imprécise de telle sorte qu'il n'est pas possible pour le consommateur de savoir si le titre est interprété par Tony Bram's ou s'il est simplement produit par lui, ou plus encore si ce n'est pas la compilation qui est présentée sous le label "Tony Bram's", de telle sorte que le consommateur n'est absolument pas en mesure de s'apercevoir que le titre "Alane" n'est pas chanté par l'interprète originel.

- cela est d'autant plus vrai que le verso du disque n'indique en aucune façon qu'il ne s'agit pas de l'enregistrement originel de Wes alors qu'au contraire n'y figurent que les noms de Wes et de Sanchez sans la moindre référence à leurs qualités respectives d'auteur et de compositeur.

2) que l'interprétation de la chanson "Alane" commercialisée par la société C est une copie servile de celle du chanteur Wes en ce qui concerne tant la voix elle-même que ses intonations ainsi que les effets sonores et le tempo de l'orchestration.

3) que le mode de commercialisation du CD en cause complète la tromperie ainsi qu'en témoigne un courrier du 24 juillet 1997 par lequel la société Auchan demande à la société C de modifier la présentation de ses produits en apposant sur les CD une étiquette portant la mention "Attention ! Versions non originales" et de faire respecter par ses animateurs des règles impératives concernant la diffusion de ses enregistrements dans les magasins A (par exemple ne pas citer le nom de l'interprète originel même s'il est également l'auteur de la chanson et mentionner régulièrement le nom de l'interprète réel), ceci afin d'éviter tout risque de confusion.

Micheline D rappelle quant à elle qu'il est d'usage courant et ancien dans le domaine des phonogrammes que des œuvres ayant connu un certain succès fassent ultérieurement l'objet de reprises par d'autres interprètes que ceux qui les ont rendues célèbres, un nouvel enregistrement effectué dans ces conditions étant parfaitement licite sous réserve que la reproduction de l'œuvre ait fait l'objet d'une autorisation de ses créateurs (auteur et compositeur) et du paiement des droits y afférents.

Elle s'estime victime de l'acharnement et de l'action concertée de plusieurs "majors du disque, qui viseraient à voir disparaître les petites sociétés concurrentes qui commercialisent à moindre prix des reprises de chansons à succès, ceci afin de conquérir ou conserver le marché du disque à prix modique dit "budget".

S'agissant plus précisément de la présente procédure et du reproche qui lui est fait d'avoir commis des actes constitutifs de l'infraction de publicité trompeuse, elle indique que la société C ayant pris acte des critiques formulées à son encontre par la société Sony dans le cadre d'une autre procédure et afin de satisfaire sa clientèle de grande surface, elle a pris soin de créer une jaquette ne portant aucune référence à 1' interprète originel si ce n'est au verso et pour satisfaire à une obligation légale, son nom étant alors indiqué en regard du titre de la chanson et en petits caractères en qualité d'auteur des paroles.

Elle fait valoir que la seule comparaison des jaquettes des disques édités d'une part par Sony pour le titre unique d' "Alane" interprété par le chanteur Wes, et d'autre part par la société C pour sa compilation permet de se convaincre qu'aucune confusion n'est possible entre les deux.

Quant aux conditions de la commercialisation elle affirme que les animateurs de la société C mentionnent bien que les œuvres sont interprétées par Tony Bram's qui se trouve être un ex trompettiste des chanteurs Joe Dassin et Mike Brant et qui jouit d'une réelle notoriété.

Cela étant exposé,

La cour n'étant saisie que d'un appel de la partie civile à l'encontre du jugement qui a prononcé la relaxe de Micheline D, il lui appartient uniquement d'apprécier si les faits visés à la prévention sont constitutifs de l'infraction de publicité trompeuse prévue par l'article L. 121-1 du Code de la consommation et, dans l'affirmative, s'ils ont directement causé un préjudice à la société Sony.

Le recto de la jaquette litigieuse présente un paysage maritime avec une jeune femme en maillot de bain, bras tendus vers le ciel, à califourchon sur une branche de palmier, et, en surimpression, l'intitulé en très gros caractères majuscules " TOUS LES TUBES DE L'ETE " suivi de la mention "VOLUME 6 ", le tout dans un bandeau occupant environ un quart de la hauteur, puis sur la surface restante, en caractères gras d'une taille plus réduite (7 mm) que l'intitulé précité, les titres de quatre chansons ("ALANE", "AMARIA", "JUST A GIRL", " HEDONISM "), outre la mention "PAR TONY BRAM'S" en caractères majuscules plus petits de 3 mm de hauteur.

Au verso, l'intitulé du CD est repris et suivi de la liste de quinze titres de chanson, avec la mention du nom de l'auteur et du compositeur en regard de chacune d'elle, à savoir Wes/Sanchez pour le titre "Alane" qui figure en tête. Le nom de Tony Bram's n'y figure pas.

La tranche du disque mentionne "TOUS LES TUBES DE L'ETE VOL 6 PAR TONY BRAM'S MARK 530".

Au vu de ces éléments, en l'absence de toute référence à l'interprète Wes au verso de la jaquette, il n'apparaît pas que le consommateur, non ignorant de la pratique des reprises, puisse être trompé par ces indications ou présentations en étant convaincu que la chanson "Alane" est interprétée par le chanteur Wes, la mention "par Tony Bram's", reprise sur la tranche, étant suffisamment de nature à attirer son attention. Quant au rappel du nom de Wes au verso de la jaquette, en regard du titre de la chanson dont il est l'auteur, conforme dans sa présentation aux usages en la matière et répondant à une obligation légale, il n'est pas susceptible d'entraîner une quelconque confusion dans l'esprit du consommateur.

Par ailleurs, la cour, saisie dans les termes exclusifs de l'ordonnance de renvoi qui ne visent que la conception de la jaquette, ne saurait étendre son examen aux modalités de la commercialisation des CD dans les hypermarchés, ce qui exigerait de sa part une appréciation sur des faits non visés à la prévention.

Les faits reprochés à Micheline D n'étant par conséquent constitutifs d'aucune infraction, la société Sony sera déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, dans les limites de l'appel portant sur les seules dispositions civiles; En la forme déclare l'appel de la société Sony Music Entertainment (France) recevable; Au fond recevant la société Sony en sa constitution de partie civile; La déboute de l'ensemble de ses demandes; Laisse à sa charge les dépens de l'action civile.