CCE, 15 juillet 1987, n° 87-585
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Aides accordées par le Gouvernement français à un fabricant de textiles, d'habillement et de produits à base de papier Boussac Saint Frères
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 93 paragraphe 2 premier alinéa, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations conformément audit article 93 et compte tenu de ces observations, considérant ce qui suit:
I
À la suite de demandes réitérés de la Commission, le Gouvernement français a informé tardivement celle-ci, par télex du 22 mars 1984 et lettre du 23 août 1984, d'un soutien financier accordé au troisième producteur français de textiles, d'habillement et de produits à base de papier.
Les aides, accordées de juin 1982 à août 1984, ont pris les formes suivantes:
- participation de 100,1 millions de francs français de l'Institut de développement industriel (IDI) au capital de l'entreprise, transférée ultérieurement à la Société de participation et de restructuration industrielle (Sopari) filiale à 99,4 % de l'IDI, qui est elle-même une entreprise publique,
- avances de capitaux (comptes courants d'actionnaire) consenties par la Sopari pour un montant de 380 millions de francs français, sous la forme de prêts à taux bonifié et d'une garantie de l'État.
D'après les premières déclarations du gouvernement, ces injections de capitaux se justifiaient par la nécessité de financer des investissements, qui n'étaient cependant ni chiffrés ni décrits.
Les renseignements dont disposait à cette époque la Commission ont fait apparaître que d'autres aides étaient sur le point d'être versées.
À l'issue d'un premier examen, la Commission a constaté que les aides versées de 1982 à 1984 ne lui avaient pas été notifiées au préalable et les a donc considérées comme illicites, le Gouvernement français n'ayant pas respecté ses obligations au titre de l'article 93 paragraphe 3 du traité CEE. La Commission a également estimé que les interventions de l'IDI et de la Sopari en faveur de l'entreprise devaient être considérées comme des mesures de sauvetage compte tenu de la situation financière passée et présente de la société. Or, la Commission a pour politique établie de n'admettre les aides au sauvetage, dans une phase de restructuration, que si elles sont accordées pour une courte période et sous forme de crédits ou de prêts au taux du marché. Tous les États membres en ont été informés par lettre du 24 janvier 1979. Les aides visées ne répondaient pas aux conditions ainsi définies.
La Commission a également estimé que les versements effectués enfreignaient les conditions auxquelles elle avait subordonné, le 21 décembre 1983, son acceptation du régime français d'aide au secteur du textile et de l'habillement (réduction des charges sociales). Compte tenu de la situation qui caractérisait à l'époque toute l'industrie communautaire du textile et de l'habillement, la Commission a estimé que toutes les aides visées, qu'elles aient déjà été octroyées ou qu'elles soient simplement envisagées, ne favoriseraient pas une évolution susceptible de compenser, sous l'angle communautaire, leurs effets de distorsion sur le commerce et qu'elles risquaient, en favorisant l'entreprise bénéficiaire dans un secteur très actif où régnait une concurrence très vive, d'affecter les échanges entre les États membres, ce qui les rendait incompatibles avec le marché commun.
En conséquence, la Commission a estimé que les aides ne répondaient pas aux conditions requises pour bénéficier de l'une des dérogations énoncées à l'article 92 et a engagé la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2 premier alinéa du traité CEE.
Par lettre du 3 décembre 1984, elle a mis le Gouvernement français en demeure de présenter ses observations. Les autres États membres en ont été informés le 4 janvier 1985 et les tiers intéressés le 19 janvier 1985.
II
Le Gouvernement français a présenté ses observations dans le cadre de la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2 du traité CEE, par lettres des 4 février, 4 juin et 11 octobre 1985, des 5 février, 19 juin et 21 juillet 1986 et des 27 mars et 21 mai 1987, ainsi qu'au cours de plusieurs réunions bilatérales qui ont eu lieu le 18 octobre 1985, les 14 mai et 4 juillet 1986 et les 27 février, 13 et 19 mars et 30 avril 1987. Il a mis l'accent sur l'effort de restructuration entrepris par la société, qui avait abouti à la fermeture de plusieurs sites de production, à une réduction considérable des effectifs, à la suppression de plusieurs lignes de produits et au transfert de certains sites de production à des producteurs indépendants. Le Gouvernement français a également fait état d'un plan " stratégique " en cours de réalisation par l'entreprise.
Par lettre du 21 juillet 1986, confirmée par lettre du 27 mars 1987, le Gouvernement français a informé la Commission qu'il avait accordé à l'entreprise des compléments aux aides mentionnées dans sa lettre du 23 août 1984. En tout, 999,9 millions de francs français avaient été versés, sous les formes suivantes:
- apport de 333,1 millions de francs français par la Sopari en juillet 1982, après transfert de l'IDI, en vue de reconstituer et d'augmenter le capital social;
- 300 millions de francs français (110 millions en juin 1984 et 190 millions en janvier 1985) de capitaux injectés par la Sopari dans le même but et donnant droit à des dividendes à payer durant les exercices 1991 à 2005,
- avances de 36,8 millions de francs français faites par la Sopari en juin 1984 et devant être remboursées à partir de la fin de 1986,
- prêts bonifiés de 100 millions de francs français (décembre 1982), 60 millions (décembre 1983), 35 millions (décembre 1984) et 100 millions de francs français (janvier 1985),
- réduction de 35 millions de francs français des charges sociales accordée en juin 1983.
Il a également indiqué que plusieurs projets d'investissement dans le secteur du papier concernant les sites de production de Roanne et de Saint-Ouen avaient bénéficié d'une prime d'aménagement du territoire d'un montant de 30 millions de francs français.
Revenant sur ses premières déclarations des 22 mars et 23 août 1984, le Gouvernement français a indiqué dans le cadre de la procédure que, en dehors des interventions destinées à rétablir la situation financière de l'entreprise (633,1 millions de francs français), et qui doivent être considérées comme des mesures normales dans une économie de marché ne tombant pas sous le coup de l'article 92 paragraphe 1 du traité CEE, les autres interventions n'avaient pas d'affectation précise mais correspondaient à un objectif général de rationalisation de l'entreprise dans le secteur du textile. Cet effort de rationalisation comportait des investissements dans le secteur textile, le licenciement et la mise à la retraite anticipée de travailleurs, la formation de travailleurs, la fermeture et le transfert de sites de production.
Quatre autres États membres, six fédérations et une entreprise individuelle ont présenté leurs observations dans le cadre de la procédure.
III
La Sopari est intervenue en faveur de l'entreprise visée à la demande expresse du Gouvernement français, lequel a ensuite remboursé spécifiquement et directement ces interventions. Lorsque les pouvoirs publics injectent des capitaux dans une société à des conditions qui ne correspondent manifestement pas aux conditions normales d'une économie de marché, le cas doit être examiné à la lumière de l'article 92 du traité CEE. La Commission a bien précisé sa position à cet égard dans la lettre qu'elle a adressée aux États membres le 17 septembre 1984. La prise de position, jointe à cette lettre, à l'égard des participations publiques au capital de sociétés montre clairement que les injections de capitaux en cause sont à considérer comme des aides d'État. Les aides à la société visée ont empêché que les forces en présence sur le marché ne produisent leurs conséquences normales, c'est-à-dire éliminent cette entreprise non compétitive elles l'ont maintenue artificiellement en vie, contribuant ainsi à aggraver encore les difficultés d'adaptation de l'industrie communautaire. L'apport de capitaux s'est fait dans des conditions que n'aurait admises aucun investisseur privé soumis aux conditions normales du marché; en l'espèce, la situation financière de la société, notamment le volume de ses dettes (3,682 milliards en 1981 de francs français), était telle qu'elle ne permettait pas d'escompter une rémunération normale dans un délai raisonnable sous forme de dividendes ou de plus-values et que la société, eu égard à sa marge d'autofinancement insuffisante imputable à une longue accumulation de pertes d'exploitation et à d'autres raisons (outillage vétuste, sureffectifs, saturation des marchés et surcapacité de production) aurait été incapable de réunir les fonds nécessaires sur le marché des capitaux.
C'est uniquement après l'injection de 633,1 millions de francs français de capitaux et l'octroi des autres aides précitées qu'un investisseur privé s'est déclaré prêt à intervenir. Le fait que cet investisseur ait repris l'entreprise pour 1 franc français symbolique démontre a posteriori que ces interventions constituaient bien des aides.
En outre, le Gouvernement français lui-même, a au moins implicitement, reconnu le caractère d'aide de toutes ces interventions à l'exception de la réduction des charges sociales, en en calculant, dans sa lettre du 21 juillet 1986 présentée dans le cadre de la procédure, l'équivalent-subvention net.
Enfin, il convient de noter que la Cour de justice des Communautés européennes fait le point sur le problème de l'application de l'article 92 paragraphe 1 du traité CEE à l'acquisition de participations publiques (voir l'arrêt du 14 novembre dans l'affaire 323-82, Intermills, et les arrêts du 10 juillet 1986 dans les affaires 234-84, Meura, et 40-85, Boch). Pour savoir si un apport en capital est une aide d'État, la Cour a estimé qu'il était nécessaire de voir si l'entreprise en cause aurait pu obtenir le financement nécessaire sur le marché des capitaux. Lorsque les faits indiquent que l'entreprise bénéficiaire de l'aide n'aurait pas pu suivre dans une intervention publique parce qu'elle n'aurait pas été en mesure de se procurer les capitaux nécessaires auprès d'un investisseur privé, on peut à juste titre en conclure que la contribution dont elle a bénéficié, constitue une aide d'État.
En l'espèce et sur la base des faits qui viennent d'être rappelés, il est peu probable que l'entreprise en cause aurait pu obtenir sur le marché des capitaux des fonds suffisants pour assurer sa survie, étant donné qu'aucune entreprise privée se basant, dans sa décision, sur les possibilités prévisibles de profit et ne tenant compte d'aucune considération sociale ou de politique régionale ou sectorielle, n'aurait procédé à un tel apport en capital. En conséquence, les interventions d'un montant de 633,1 millions de francs français constituent une aide d'État au sens de l'article 92 paragraphe 1.
De même, les avances et prêts bonifiés ainsi que la réduction des charges sociales constituent des aides d'État au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité CEE parce qu'elles ont également permis au bénéficiaire, grâce à des ressources publiques, de ne pas avoir à supporter des coûts qu'il aurait normalement dû assumer.
Toutes ces aides devaient donc être notifiées à la Commission, comme le prévoit l'article 93 paragraphe 3. Le Gouvernement français ayant omis de la faire, la Commission n'a pu se prononcer sur les mesures avant leur exécution. Les aides étaient donc illicites au regard du droit communautaire dès leur octroi. La situation créée par le non-respect de ces obligations est d'autant plus grave que les aides ont déjà été versées au bénéficiaire. En outre, comme l'a confirmé le Gouvernement français, 290 millions de francs français ont même été accordés après que la Commission eut engagé, le 21 novembre 1984, la procédure formelle d'examen prévue à l'article 93 paragraphe 2 du traité CEE. Dans le cas présent, toutes les aides sont considérées comme illicites au regard du droit communautaire. À cet égard, il convient de rappeler que, compte tenu du caractère impératif et d'ordre public des règles de procédure fixées par l'article 93 paragraphe 3, dont la Cour de justice des Communautés européennes, a reconnu l'effet direct dans son arrêt du 19 juin 1973 (affaire 77-72), l'illégalité des aides en cause ne saurait être régularisée a posteriori. Le caractère illicite de toutes les aides en cause résulte du défaut de conformité aux règles de procédure fixées à l'article 93 paragraphe 3. De plus, ces aides sont incompatibles avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité CEE.
En outre dans le cas d'incompatibilité des aides avec le marché commun, la Commission peut faire usage d'une possibilité que lui offre un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes en date du 12 juillet 1973 dans l'affaire 70-72, confirmé par l'arrêt du 24 février 1987 dans l'affaire 310-85, et obliger les États membres à recouvrer auprès des bénéficiaires le montant de toute aide dont l'octroi est illicite.
IV
Comme le montrent à suffisance les statistiques disponibles, il existe, entre les États membres, un important courant d'échanges pour les produits du textile, de l'habillement et du papier et la concurrence est très vive dans ces secteurs. L'industrie française, qui représente environ 20 % de la valeur ajoutée de ces secteurs dans le marché commun, participe très activement au commerce intracommunautaire, puisque 40 % environ de sa production totale sont exportés vers d'autres États membres. L'entreprise visée est le troisième producteur français de textiles et d'habillement, avec un chiffre d'affaires en 1986 de 4,7 milliards de francs français dont 56 % dans le secteur textile/habillement et des intérêts très diversifiés dans de nombreux groupes de produits textiles. Cinquième producteur communautaire de textile, elle participe activement au commerce intracommunautaire en exportant 16 % de sa production textile vers les autres États membres et 9 % vers les pays tiers. Entre 1982 et la fin de 1984, période pendant laquelle les aides ont été accordées, les exportations de textiles vers les autres États membres ont augmenté de 32 %.
Les aides contestées faussent le jeu de la concurrence en améliorant d'une manière chiffrable la situation financière du bénéficiaire et le profit qu'il tire de son investissement et en réduisant ses autres coûts, ce qui lui confère un avantage dans la concurrence qu'il livre aux autres producteurs qui ont achevé ou mènent encore à leur propre compte des actions similaires. En outre, certains éléments des aides ont contribué à renflouer les finances d'une entreprise qui aurait normalement dû disparaître en 1981. La distorsion de concurrence qui en résulte est sensible. L'assistance financière d'un montant total de 999,9 millions de francs français [sans compter 30 millions de francs français de primes à l'aménagement du territoire (PAT)], destinée à redresser les finances de l'entreprise, à couvrir les coûts de rationalisation, notamment certains investissements dans le secteur textile, a réduit les coûts normalement imputables à l'entreprise dans une mesure qu'elles lui ont conféré un avantage très important par rapport à ses concurrents non aidés.
Lorsque l'aide financière d'un État renforce la position d'une entreprise par rapport à ses concurrentes du marché commun, ces dernières doivent être considérées comme s'en trouvant affectées. En l'occurrence, les aides qui ont permis à l'entreprise de survivre après son dépôt de bilan en 1981, et qui ont considérablement réduit les coûts de rationalisation et de modernisation qu'elle aurait dû assumer, sont susceptibles d'affecter les échanges et de fausser ou de menacer de fausser la concurrence entre États membres, en favorisant ladite entreprise au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité CEE. Cette disposition déclare incompatible avec le marché commun toute aide présentant les caractéristiques qu'elle énonce.
Les dérogations au principe de l'incompatibilité prévues à l'article 92 paragraphe 2 ne sont pas applicables en l'espèce, compte tenu du caractère des aides et des objectifs qu'elles poursuivent.
L'article 92 paragraphe 3 énumère les aides qui peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun. La compatibilité avec le traité doit être appréciée dans le cadre de la Communauté et non dans celui d'un État membre pris isolément. Pour assurer le bon fonctionnement du marché commun et le respect de l'article 3 point f) du traité, il convient, lorsque l'on examine un régime d'aide de ses applications, d'interpréter strictement les dérogations au principe énoncé à l'article 92 paragraphe 1, telles qu'elles sont définies au paragraphe 3 du même article.
Déroger en faveur d'aides, qui ne contribuent pas à un objectif prévu à l'article 92 paragraphe 3 ou qui ne sont pas nécessaires à cet effet, revient à accorder des avantages indus à certains secteurs ou à certaines entreprises en ne faisant que "doper" leur situation financière et risque d'altérer les conditions des échanges entre États membres et de fausser le jeu de la concurrence, sans être justifié par l'intérêt communautaire, comme le prévoit l'article 92 paragraphe 3.
Le Gouvernement français n'a pu fournir, ou la Commission déceler, aucun motif qui permette de ranger les aides dans l'une des catégories de dérogation prévues à l'article 92 paragraphe 3.
V
Pendant la période où la société a bénéficié des aides précitées, la majorité de ses intérêts se situait dans le secteur du textile et de l'habillement et le Gouvernement français a lui-même qualifié la société de "premier groupe textile de France". En fait, cette société est le troisième groupe textile de France et le cinquième de la Communauté. Par conséquent et étant donné que le Gouvernement français a fait savoir à la Commission que les investissements dans le secteur du papier ne bénéficiaient pas des aides, à l'exception d'une prime à l'aménagement du territoire (PAT) de 30 millions de francs français accordée dans le cadre d'un régime d'aide à finalité régionale approuvé par la Commission, le solde de l'aide financière de 999,9 millions de francs français est intégralement soumis aux conditions régissant les aides à l'industrie du textile et de l'habillement, telles qu'elles sont définies dans les orientations fixées par la Communauté en 1971 et 1977 pour les aides à ce secteur et communiquées aux États membres par lettres du 30 juillet 1971 et 4 février 1977.
Ces orientations comportent un certain nombre de critères mis au point par la Commission avec l'aide d'experts nationaux afin de guider les gouvernements des États membres lors des interventions qu'ils envisageraient dans ce secteur. Dans ses orientations de 1971, la Commission souligne que les aides au textile et à l'habillement, secteur où la concurrence est très vive au niveau communautaire, risquent de fausser la concurrence, ce qui est inacceptable pour les concurrents qui ne bénéficient pas de telles mesures. Cette remarque vaut en particulier pour les aides à la modernisation et à la rationalisation qui ont en général des répercussions très marquées sur la compétitivité.
L'évolution ultérieure ayant confirmé ses craintes, la Commission a explicité sa position dans les orientations de 1977, plus particulièrement en ce qui concerne les aides aux investissements de rationalisation et de modernisation.
L'industrie communautaire du textile et de l'habillement a connu une évolution très rapide au cours des dix dernières années. La production a diminué sous la pression de la concurrence des pays tiers, tant sur les marchés d'exportation traditionnels que sur le marché communautaire. Un million d'emplois, soit près de 40 % du total des effectifs de ce secteur, ont été supprimés entre 1975 et 1985. Tant la gravité que la durée de la crise ont contraint les entreprises de ce secteur à accomplir des efforts importants de restructuration et de modernisation de leurs établissements de production. Il en est résulté que le secteur a pu s'adapter et retrouver progressivement sa compétitivité et sa rentabilité. Le rôle important joué par l'encadrement communautaire des aides à l'industrie textile, qui a permis de retrouver un certain équilibre et de maintenir ou de rétablir une véritable économie de marché, a été largement reconnu. Comme le secteur demeure cependant très vulnérable (le fait qu'il continue d'être soumis à une concurrence internationale extrêmement vive ne constitue pas la moindre des raisons), la Commission considère qu'une absence de coordination des interventions publiques serait contraire à l'intérêt de la Communauté, essentiellement parce que cela compromettrait sérieusement les efforts passés et présents entrepris par les producteurs communautaires du secteur du textile et de l'habillement pour s'adapter à l'évolution des conditions du marché. La Commission continue donc d'accorder la plus grande importance à la prise en considération par les États membres de l'encadrement susmentionné.
Les aides en cause dans le cas présent ne satisfont pas à plusieurs des conditions indiquées dans les orientations. Tout d'abord, ces orientations ne prévoient pas l'octroi d'aides destinées à maintenir une entreprise en activité. Bien au contraire, on a toujours considéré, à juste titre, que dans le secteur textile le sauvetage d'entreprises en difficulté n'entraînerait pas d'amélioration durable ni au niveau national ni au niveau communautaire mais qu'au contraire des mesures de ce type affecteraient les conditions de concurrence dans le marché commun sans améliorer la compétitivité du secteur, condition préalable à son redressement et à sa réussite sur le marché international.
Deuxièmement, les orientations prévoient que les aides au textile ne doivent être appliquées que pendant une courte période. Cette condition n'est pas remplie dans le cas présent, puisque les aides ont été accordées de juillet 1982 à janvier 1985. En outre, ces mêmes orientations prévoient que les aides doivent avoir pour objectif d'amener à court terme le bénéficiaire à un niveau de compétitivité suffisant pour lui permettre de réussir sur le marché international du textile. Or, l'entreprise en cause a continué à subir des pertes importantes qui, rien que pour la période allant de juillet 1982 à la fin de 1986, se sont élevées à 1,161 milliard de francs français, si bien que cette condition n'est pas remplie non plus.
Troisièmement, les orientations prévoient qu'il doit y avoir un lien direct entre l'aide et les opérations qui en bénéficient. Or, il se trouve que le Gouvernement français a informé la Commission qu'une partie des interventions financières étaient d'une manière générale destinées au redressement financier de l'entreprise tandis que les autres aides étaient octroyées dans un souci général de rationalisation de l'entreprise, sans être affectées directement à des projets spécifiques et bien définis.
De ce fait, une autre condition énoncée dans les orientations n'est pas remplie non plus. Comme il n'y a pas de lien direct entre les aides et les opérations qui en bénéficient, il est difficile d'évaluer l'incidence de ces aides sur ces opérations.
Enfin, les orientations précisent que les aides ne doivent pas affecter la concurrence et les échanges au-delà de ce qui est strictement nécessaire. À cet égard, il convient de faire observer que pendant la période de trois ans pendant laquelle les aides ont été accordées, c'est-à-dire de juillet 1982 à janvier 1985, l'entreprise en cause a vu ses exportations de textiles vers les autres États membres augmenter de 32 %, ce qui est un indice évident que les aides ont affecté les échanges. Le renversement de tendance intervenu ultérieurement et qui correspond tout à fait à la dégradation générale des performances à l'exportation de l'industrie française du textile en 1985 et en 1986, ne peut aucunement modifier ce point de vue.
Pour les raisons qui viennent d'être invoquées, il y a lieu de conclure que toutes les aides incriminées ont été octroyées en contradiction avec les orientations communautaires sur les aides à l'industrie du textile et de l'habillement.
VI
Le 21 décembre 1983, la Commission a décidé de lever ses objections à l'application d'un régime français d'aides à l'industrie du textile et de l'habillement sous la forme d'une réduction des charges sociales. Par lettre du 3 janvier 1984, elle a fait savoir au Gouvernement français que, après les modifications prévues par celui-ci, les mesures envisagées pouvaient être considérées comme compatibles avec le marché commun. Les aides accordées à une entreprise individuelle dans le cadre de ce régime d'aides sectorielles ne pouvaient bénéficier de la dérogation prévue à l'article 92 paragraphe 3 point c) que si elles remplissaient toutes les conditions du régime telles qu'elles avaient été admises par la Commission. Les conditions suivantes, dont est assorti le régime de réduction des charges sociales, sont particulièrement importantes en l'espèce:
- Les sociétés dont le ratio capitaux propres/endettement à long et à court terme est inférieur à 1: 2 ne sont pas considérées comme viables et ne peuvent bénéficier d'aides ni au titre du programme, ni au titre de tout autre régime à finalité générale, régionale ou spécifique.
Or, l'entreprise en cause ne répondait pas à cette condition: en 1981, elle avait déposé son bilan, dans lequel les dettes à long et à court terme figuraient pour plus de 3,682 milliards de francs français et où le capital apparaissait comme ayant été entièrement absorbé par la couverture des pertes. En 1985, elle se trouvait toujours en situation de crise financière.
La société n'aurait donc dû bénéficier d'aucune aide, ni en faveur du secteur textile/habillement ni à un autre titre.
- L'intensité maximale des aides octroyées en faveur d'entreprises individuelles du textile et de l'habillement dans le cadre du régime sectoriel et de tout autre régime à finalité générale, régionale ou spécifique ne peut excéder 25 % d'équivalent-subvention net par rapport aux investissements entrepris.
Or, les aides accordées dans le cas présent se chiffrent à 999,9 millions de francs français; elles ont été accordées en faveur de 675 millions de francs français d'investissements dans le secteur textile/habillement pendant la période allant de 1981 à 1986.
L'équivalent-subvention s'établit à 121,25 %. L'équivalent-subvention net, qui d'ailleurs dans le cas présent n'a aucune signification puisque l'entreprise a été constamment déficitaire pendant les années considérées, atteindrait 66,69 %. Ces deux pourcentages dépassent donc considérablement le maximum fixé à 25 %.
En conséquence, l'octroi de ces aides enfreint les conditions dont est assorti le régime des aides à l'industrie textile.
- Les aides ne peuvent être accordées qu'à des fins d'investissement et si l'entreprise est en mesure de financer sur des ressources propres au moins 50 % du coût des investissements.
En l'espèce, la société a reçu des aides pour un montant de 999,9 millions de francs français et a effectué jusqu'en 1986 pour 675 millions de francs français d'investissements dans le secteur textile, si bien que le pourcentage requis n'est pas atteint. Le montant des aides octroyées dépasse même de 48 % celui des investissements.
L'octroi de ces aides enfreint donc les conditions liées au régime des aides.
- Les aides ne peuvent être accordées que pour un véritable investissement de restructuration.
Or, dans le cas présent, il ressort des renseignements fournis par le Gouvernement français dans le cadre de la procédure que le financement des investissements de l'entreprise ne visait qu'à moderniser les installations de production afin de les maintenir en activité, sans y apporter aucun changement fondamental. Les investissements n'ont servi qu'à remplacer des machines totalement obsolètes pour rétablir une compétitivité perdue depuis de nombreuses années. Plusieurs exemples fournis par le Gouvernement français d'investissements prétendument de haute technologie ne constituent en fait qu'une adaptation très tardive à une évolution des techniques et des processus de production intervenue ailleurs dans l'industrie textile communautaire cinq à dix ans auparavant.
Ces investissements ne peuvent donc pas être considérés comme une restructuration véritable et ils auraient dû en conséquence être effectués sur les ressources financières de l'entreprise, sans aide de l'État.
En outre, la Commission a toujours considéré que, notamment dans le secteur du textile et de l'habillement, un investissement réalisé par une entreprise dans l'intention d'assurer sa survie ou de maintenir son niveau d'activité, en l'absence de tout changement fondamental, ne pouvait justifier l'octroi d'une aide.
Après avoir rappelé les efforts d'investissement entrepris par la société, le Gouvernement français souligne également, dans les observations présentées dans le cadre de la procédure, l'importance des réductions d'emplois opérées dans le cadre du processus de rationalisation.
S'il est exact que l'entreprise a procédé à une réduction très importante de ses effectifs par voie de licenciement, retraite anticipée et transfert de travailleurs à d'autres producteurs indépendants continuant à produire sur des sites de production qui leur ont également été transférés, il ne faut pas oublier que ces réductions étaient nécessaires à la survie de cette société qui avait un personnel pléthorique dans presque tous ses services. Cet état de choses a été confirmé par le Gouvernement français en plusieurs occasions. En outre, lorsque, comme le prétend la France, on n'augmente pas la capacité en investissant dans du matériel textile, l'installation d'équipements modernes conduit automatiquement à des réductions de personnel.
En ce qui concerne la réduction des effectifs, il faut également ne pas oublier que, dans le cadre de la réglementation communautaire en matière d'aides, l'industrie communautaire du textile et de l'habillement a entrepris au cours des dix dernières années d'importants efforts de restructuration qui ont abouti à la suppression de plus d'un million d'emplois et que cet ajustement a représenté de grands sacrifices tant sur le plan social que sur le plan régional. En outre, étant donné que les directives communautaires ne prévoient pas d'aide de l'État à cette fin, ces réductions ont dû être financées par le secteur lui-même. La gravité et la durée de la crise que traverse le secteur textile dans la Communauté ont contraint d'autres entreprises à de très gros efforts d'ajustement sans aucune aide de l'État, malgré les difficultés financières que beaucoup d'entre elles ont connues et les problèmes que leur a posés la réduction de leurs effectifs qu'exigeaient des mesures de restructuration draconiennes.
Or, dans le cas présent, les aides contestées ont permis à l'entreprise d'accorder à ses travailleurs des indemnités de licenciement relativement généreuses qui ont conduit à une rationalisation et à une augmentation de productivité beaucoup plus importante que dans d'autres entreprises et qui n'auraient pas été possibles si elle avait été tenue de financer elle-même ces opérations.
Enfin, le Gouvernement français prétend que les réductions de capacité ont été considérables. Sur ce point, il convient de faire observer que, premièrement, la notion de capacité a peu de sens lorsqu'il s'agit d'un secteur, comme le textile et l'habillement, où la gamme de production est extrêmement hétérogène. Tel a toujours été le point de vue de la Commission et des experts nationaux. Cette remarque vaut également pour l'entreprise en cause puisque, étant donné la très grande diversité de ses fabrications, une modification des capacités n'indique au mieux que très approximativement une tendance générale.
Deuxièmement, certaines réductions sont uniquement dues à l'évolution récente du marché, puisque dans certains sous-secteurs du textile, comme par exemple celui des tissus de lin et de coton qui revêtent une grande importance pour l'entreprise en cause, la demande a diminué dans des proportions considérables, de telle sorte que dans toute la Communauté les entreprises ont dû s'adapter à cette situation nouvelle.
Troisièmement, certaines autres réductions sont le résultat de la mise à la casse d'un matériel tout à fait vétuste datant en partie d'avant la première guerre mondiale et qui de toute façon ne servait plus depuis quelques années à des activités de production.
Quatrièmement, si l'on rapporte les chiffres concernant les réductions de capacité au chiffre d'affaires réel de la société (à prix constants de 1982) la réduction réelle est beaucoup moins spectaculaire. Si l'on tient compte du fait qu'un grand nombre de sites de production (27 sites représentant au total un effectif de 4 730 personnes) ont été transférés à d'autres producteurs qui continuent à produire du textile, il est pratiquement impossible de revendiquer une réelle diminution interne de la production. Et même si l'on retient cet argument, il ne faut pas oublier que, en raison d'un net ralentissement de la progression de la consommation de textiles dans la Communauté (qui parfois même diminue), conjugué à un accroissement des exportations des pays en voie de développement vers la Communauté, le niveau de l'activité dans l'industrie textile européenne est aujourd'hui de 15 % environ inférieur à celui de 1973. Dans une telle conjoncture, l'évolution de la production dans l'entreprise en cause est loin d'être spectaculaire, si bien que l'on ne peut pas prétendre qu'elle ait fait des efforts particuliers sur le plan de la restructuration.
En outre, il convient de noter que l'entreprise a récemment annoncé officiellement qu'elle allait procéder à des augmentations importantes des capacités, notamment de production de lin, en septembre 1987. Cette décision compromet les réductions présumées de capacités visées ci-dessus et rend encore plus incertaines les informations concernant ces réductions qui ont été communiquées par les autorités françaises.
Eu égard aux considérations qui précèdent, les aides accordées à l'entreprise visée ont donc été accordées en violation des conditions dont était assorti, à l'époque, le régime français d'aides à l'industrie du textile et de l'habillement. Cette conclusion n'est en rien infirmée par l'observation formulée par le Gouvernement français dans le cadre de la procédure, selon laquelle certains éléments des aides visaient à redresser les finances de l'entreprise. Comme la décision de la Commission relative au régime d'aides sous la forme d'une réduction des charges sociales s'étendait à d'autres aides, celles-ci n'échappent pas aux conditions dont est assorti ce régime.
Il convient d'ajouter que 35 millions de francs français ont été formellement versés à l'entreprise en juin 1983 dans le cadre du régime des charges sociales. Ceci signifie que l'aide a été accordée au titre d'un régime à l'égard duquel la Commission avait rendu la décision négative finale 83-245-CEE (1), du 12 janvier 1983, notifiée au Gouvernement français par lettre du 21 janvier 1983. Cette décision enjoignait à la France, à compter de la date de notification, de ne plus accorder d'aides dans le cadre du régime en question et de supprimer ce régime dans un délai d'un mois. Là encore, les faits montrent que la France a continué à payer les aides prévues par ce régime et que le Gouvernement français n'a pris aucune mesure pour supprimer ledit régime dans le délai fixé par la décision. La Cour de justice des Communautés européennes a pleinement reconnu cet état de choses dans son arrêt du 15 novembre 1983 dans l'affaire 52-83.
VII
Pour ce qui est des aides versées en vue de redresser la situation financière de la société, la Commission rappelle qu'elle a informé les États membres, par lettre du 24 janvier 1979, des conditions auxquelles les mesures de sauvetage pouvaient être considérées comme compatibles avec le marché commun. Les aides au sauvetage, qui ne peuvent être accordées pour maintenir une entreprise en activité, que pendant qu'elle recherche les causes de ses difficultés et les remèdes à y apporter, doivent répondre notamment aux conditions suivantes:
- Il doit s'agir d'aides en espèces, accordées sous la forme de garanties de prêts ou de prêts portant intérêt aux taux du marché.
Aucune des aides reçues par la société en cause ne répond à cette condition.
- Elles ne peuvent être versées que pendant le période requise pour élaborer les mesures de redressement nécessaires et réalisables, période qui ne dépasse généralement pas six mois.
En l'espèce, les mesures de sauvetage, qui ont pris la forme d'une injection de capitaux, n'ont pas été accordées pour une période courte et prédéterminée et aucun prix de vente n'a été fixé. Les aides n'ont été assorties d'aucune condition imposée à l'entreprise. Elles ont eu pour seul objectif de maintenir en activité l'entreprise faillie et elles n'ont pas été remboursées. En outre, elles ont été accordées sans que les mesures de redressement nécessaires et réalisables aient été prévues.
- Elles ne doivent pas avoir d'effets négatifs sur l'industrie des autres États membres.
Or, la société en cause participe très activement aux échanges dans la Communauté. Comme il a été montré plus haut, les aides ont réduit dans une mesure très sensible les coûts de l'entreprise. Elles lui ont permis d'augmenter de 32 % ses exportations vers les autres États membres entre 1982 et la fin de 1984, ce qui, étant donné que l'entreprise était à cette époque (1984) le troisième producteur textile de France et le cinquième de la Communauté, corrobore la présomption de distorsion de la concurrence.
- Les cas d'une certaine importance doivent être notifiés préalablement à la Commission.
Étant donné que, eu égard au volume des aides et à la taille de l'entreprise, le cas de la société visée doit être considéré comme important, le Gouvernement français n'a pas respecté l'obligation que lui impose l'article 93 paragraphe 3 du traité CEE de notifier les aides en temps utile pour permettre à la Commission de présenter ses observations et, au besoin, d'engager à leur égard la procédure administrative prévue à l'article 93 paragraphe 2 du traité CEE. Il convient de rappeler qu'une partie considérable des aides a même été payée à l'entreprise après l'ouverture de la procédure.
Enfin, il ressort nettement des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes dans les affaires 234-84 et 40-85 mentionnés plus haut que les aides au sauvetage ne peuvent ouvrir droit à l'une des dérogations prévues à l'article 92 lorsqu'elles ne contribuent pas à remettre sur pied une entreprise, c'est-à-dire lorsque l'on ne peut escompter dans un délai raisonnable que l'entreprise fonctionnera sur une base viable sans de nouvelles aides, en particulier si le secteur considéré présente des surcapacités de production au niveau communautaire. Dans le cas présent, de nouvelles aides d'un montant considérable ont été accordées.
Des considérations qui précèdent il ressort que les injections de capitaux ne répondaient pas à plusieurs des conditions liées aux mesures de sauvetage, telles qu'elles sont précisées dans la lettre adressée par la Commission aux États membres en date du 24 janvier 1979 et définies par la Cour de justice des Communautés européennes dans les arrêts précités.
VIII
En conséquence, il convient de faire observer que ces aides ont artificiellement réduit les coûts qu'aurait dû normalement supporter ce fabricant de textile, d'habillement et de papier. Elles lui ont conféré des avantages indus et ont renforcé sa position financière par rapport à d'autres firmes des secteurs considérés, qui ont été contraintes ces dernières années à rationaliser et à moderniser leur production sans recevoir aucune aide financière à cet effet.
En ce qui concerne la dérogation prévue au paragraphe 3 de l'article 92 point c) du traité en faveur des " aides destinées à faciliter le développement de certaines activités économiques ", il ressort des considérations qui précèdent que, si elles ont facilité le développement de l'entreprise en cause, les aides ont en même temps affecté les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Elles ont artificiellement maintenu l'entreprise en activité dans un secteur où les échanges communautaires sont importants et la concurrence très vive. Elles ont abaissé les coûts de l'entreprise et affaibli la compétitivité d'autres fabricants dans la Communauté, contribuant ainsi à accroître les pressions qui s'exercent sur ces entreprises et à casser les prix dans le marché commun; elles ont joué au détriment d'autres producteurs, au risque de contraindre à se retirer du marché des entreprises qui n'ont survécu jusqu'alors que grâce à une restructuration et à des améliorations de la productivité et de la qualité financées sur leurs propres ressources. Les aides ont donc favorisé l'entreprise bénéficiaire, qui a été artificiellement sauvée de la faillite et dont la position sur le marché ne résulte plus uniquement de son efficacité, de ses mérites et de ses capacités propres. De ce fait, elles ne peuvent être considérées comme contribuant à une évolution susceptible de contrebalancer, sous l'angle communautaire, leurs effets de distorsion sur les échanges.
En ce qui concerne les dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 points a) et c) relatives aux aides destinées à promouvoir ou à favoriser le développement de certaines régions, l'on notera que les régions considérées ne souffrent ni d'un niveau de vie anormalement bas ni d'un grave sous-emploi au sens de la dérogation définie au point a). Le Gouvernement français ne s'est d'ailleurs pas prévalu de cette exemption. Comme les aides étaient destinées à une entreprise opérant dans des secteurs économiques déterminés, indépendamment de sa situation géographique, elles n'avaient pas vocation à le faire comme prévu au point c). L'aide accordée à l'entreprise sous forme de prime à l'aménagement du territoire (PAT) pour le développement de certaines régions n'est pas visée par la présente décision.
En ce qui concerne les dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 point b), il est évident que les aides en question n'étaient pas destinées à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt européen commun ou à remédier à une perturbation grave de l'économie française. Les aides spécifiques en faveur d'une seule et même entreprise du secteur textile / habillement / papier ne sont pas aptes à remédier au type de situation décrit à l'article 92 paragraphe 3 point b).
En conclusion, les aides en question sont illicites, le Gouvernement français n'ayant pas rempli ses obligations au titre de l'article 93 paragraphe 3 du traité CEE. En outre, elles ne répondent pas aux conditions requises pour bénéficier d'une des dérogations prévues à l'article 92 paragraphes 2 et 3 du traité CEE.
IX
Comme indiqué plus haut, la Commission peut en pareil cas exiger des États membres que les bénéficiaires lui restituent les aides accordées d'une manière illicite.
En l'espèce, le montant de l'aide dont la firme en cause a bénéficié était important par rapport aux investissements entrepris et à la taille de l'entreprise; il dépasse même le montant d'autres projets de régimes d'aide nationaux rejetés par la Commission parce qu'ils auraient été susceptibles d'entraîner des distorsions de concurrence, comme cela a été le cas pour le projet d'aide au secteur textile / habillement en France financé par des taxes parafiscales [décision négative finale 85-380-CEE (1)], pour le projet d'aide au Gouvernement du Royaume-Uni à certains secteurs des industries du vêtement de la chaussure, du tricot et du textile [décision négative finale 85-305-CEE (2)] et la proposition belge de 1984 de prolonger son régime d'aide aux secteurs du textile et de l'habillement [décision négative finale 84-564-CEE (3)].
En outre, dans le cas présent, la gravité et l'ampleur de l'infraction à la législation communautaire requièrent des mesures appropriées.
Étant donné qu'aucune justification n'a été trouvée aux aides incriminées, l'entreprise bénéficiaire est tenue de les restituer. Compte tenu des modalités dont étaient assorties les différentes aides, c'est-à-dire des dates d'octroi et le cas échéant, des taux d'intérêt pratiqués, des délais de remboursement des dividendes etc., communiquées par le Gouvernement français à la Commission, ces aides ont représenté un avantage économique réel de:
- 333,1 millions de francs français sous forme d'apports en capital en 1982,
- 207,16 millions de francs français sous forme d'apports en capital ultérieurs,
- 7,04 millions de francs français sous forme d'avances,
- 103,56 millions de francs français sous forme de plusieurs prêts à taux d'intérêt réduits,
- 35 millions de francs français de réductions de charges sociales.
En conséquence, l'avantage économique total s'élève à 685,86 millions de francs français.
Dans le cadre de la procédure, le Gouvernement français fait valoir, par lettre du 21 mai 1987, qu'il n'y a pas lieu d'imposer un remboursement supplémentaire quelconque en sus des montants considérables (environ 1 milliard de francs français, restant à rembourser à la Sopari et aux pouvoirs publics).
À cet égard, il convient tout d'abord d'indiquer que, lorsque le tribunal a prononcé le règlement judiciaire de l'entreprise en 1981, les créances publiques, que s'élevaient à 450 millions de francs français, représentaient une part très importante du passif de l'entreprise. Le concordat auquel le règlement judiciaire a abouti en 1985 comportait l'obligation d'un remboursement de 84,4 % de ces créances, soit 380 millions de francs français. Le remboursement d'autres dettes contractées antérieurement est entièrement indépendant des aides d'État considérées dans le cas présent et la Commission ne peut prendre pareilles dettes en considération.
Deuxièmement, en ce qui concerne les prêts bonifiés accordés à l'entreprise entre 1982 et 1985, il est évident que les 336,8 millions de francs français en principal (y compris les avances d'un montant de 36,8 millions de francs français) devront être remboursés. Enfin, le prélèvement sur les bénéfices liés à l'apport en capital effectué par la Sopari s'élèvera à 300 millions de francs français entre 1991 et 2005. Ces faits et les modalités ont naturellement été entièrement pris en considération lors du calcul de l'équivalent-subvention et de l'indice financière des aides.
X
Dans le cadre du programme de rationalisation, vingt-sept sites de production et 4 730 personnes ont été transférés à des sociétés indépendantes afin de maintenir les emplois et de poursuivre la production de textile. Ces entreprises indépendantes n'étaient disposées à reprendre les installations en question qu'à condition que la société désireuse de se défaire de ces sites et de ce personnel verse une aide financière par emploi maintenu. Pour rationaliser la production et accroître la productivité, l'entreprise en question a versé un montant total de 521 millions de francs français. Le montant moyen par travailleur, qui est très substantiel, s'élève approximativement à 110 000 francs français. Comme l'a déclaré le Gouvernement français dans le cadre de la procédure, les aides incriminées, bien qu'elles n'aient pas été octroyées directement à cette fin, ont facilité cette opération.
Il convient de faire observer que ces aides ont artificiellement réduit les coûts que l'entreprise en cause aurait normalement dû assumer elle-même. Les concurrents communautaires de l'entreprise ont dû, ces dernières années, financer, sur leurs propres ressources, des coûts comparables qui sont le prix nécessaire et normal à payer pour toute rationalisation. En assumant cette obligation, l'État français a permis à la société en cause de dégager des ressources qui ont pu être affectées à des investissements et à d'autres fins. Les aides incriminées affectent donc également les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun et doivent par conséquent être restituées.
Toutefois, peu de temps après leur transfert, treize sites représentant un effectif de 3 153 personnes, soit 66,66 % du nombre total d'emplois transférés, ont dû être fermés, et la production de textile définitivement arrêtée. Quant au montant de 347,3 millions de francs français payé à Boussac Saint-Frères afin de faciliter ces transferts, il constitue un avantage pour cette entreprise dès lors qu'il la dégage de charges qu'elle aurait eu à supporter de toute autre manière. Cependant, comme ces sites n'ont pas été maintenus en activité, l'aide peut être considérée comme ayant été supprimée. En conséquence, il n'y a pas de nécessité de procéder à la récupération de cette aide d'un montant de 347,3 millions de francs français, soit 66,66 % de la somme totale payée pour les transferts, et ce montant peut donc être déduit de l'aide de 685,86 millions de francs français reçue par l'entreprise.
Par conséquent sur la totalité des aides reçues par l'entreprise qui représentent un avantage économique réel de 685,86 millions de francs français, un montant de 338,56 de francs français devra être restitué,
A arrêté la présente décision:
Article premier
Sont illicites parce qu'elles ont été accordées en infraction aux dispositions de l'article 93 paragraphe 3 du traité CEE, les aides - sous la forme d'apports de capitaux d'un montant de 633,1 millions de francs français consentis par la Sopari après transfert de l'IDI, de prêts à taux bonifié d'un montant de 331,8 millions de francs français et de réductions de charges sociales d'un montant de 35 millions de francs français au titre du régime d'aide à l'industrie du textile et de l'habillement - accordées de 1982 à 1985, à Boussac Saint-Frères, important producteur de textiles, d'habillement et de produits à base de papier, aides dont le Gouvernement français a tardivement informé la Commission par télex du 22 mars et lettre du 23 août 1984 et, dans le cadre de la procédure de l'article 93 paragraphe 2, par lettres des 4 février, 4 juin, 11 octobre 1985, 5 février, 19 juin et 21 juillet 1986 et des 27 mars et 21 mai 1987. Ces aides sont également incompatibles avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité CEE.
Article 2
Sur ces montants qui représentent un avantage économique se chiffrant à 685,86 millions de francs français, une somme totale de 338,56 millions de francs français sera restituée.
Article 3
Le Gouvernement français informera la Commission, dans les deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures qu'il aura prises pour s'y conformer.
Article 4
La République française est destinataire de la présente décision.
(1) JO n° L 137 du 26.5.1983, p. 24.
(1) JO n° L 217 du 14.8.1985, p. 20.
(2) JO n° L 155 du 14.6.1985, p. 55.
(3) JO n° L 312 du 30.11.1984, p. 27.
Membre de la Commission
(1) JO n° L 137 du 26.5.1983, p. 24.
(1) JO n° L 217 du 14.8.1985, p. 20.
(2) JO n° L 155 du 14.6.1985, p. 55.
(3) JO n° L 312 du 30.11.1984, p. 27.