CCE, 26 mars 1991, n° 91-391
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Aides accordées par le Gouvernement allemand à la société Deggendorf GmbH, fabricant de fils de polyamide et de polyester, établie à Deggendorf (Bavière)
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 93 paragraphe 2 premier alinéa, après avoir, conformément audit article 93, mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, considérant ce qui suit:
I
Le 31 octobre 1989, la représentation permanente de l'Allemagne a, conformément à l'article 93 paragraphe 3 du traité et aux dispositions du Code communautaire relatif aux fibres synthétiques, notifié un projet des autorités allemandes concernant l'octroi d'aides sous forme d'une subvention et de deux prêts assortis de conditions de faveur pour la réalisation des investissements entrepris par la société Deggendorf au cours de la période 1987-1989.
À la demande de la Commission, un complément d'information concernant le bénéficiaire et les aides a été fourni le 9 mars 1990.
La notification portait sur des projets relatifs à l'octroi de différentes formes d'aide en faveur d'investissements d'un montant total de 45,2 millions de marks allemands qui devaient être réalisés par le bénéficiaire pour la fabrication de bas et de produits intermédiaires (24 millions de marks allemands) et pour la production de fils élastiques mixtes en polyuréthane et polyamide (21,2 millions de marks allemands).
L'aide consiste en une subvention de 10 % (4,52 millions de marks allemands) accordée en vertu de la loi sur les primes à l'investissement (Investitionszulagensetzt), approuvée par la Commission par lettre du 7 décembre 1987. Simultanément, deux prêts de 6 millions de marks allemands et 14 millions de marks allemands respectivement doivent être financés par le budget de la Bavière dans le cadre du programme bavarois d'aides à finalité régionale (Bayerisches regionales Foerderprogramm) approuvé par la Commission, par lettre datée du 27 décembre 1988; les prêts doivent être consentis pour douze et huit ans respectivement et être assortis d'une franchise d'amortissement de deux ans et d'un taux d'intérêt de 5 %.
Compte tenu du montant total des investissements, l'équivalent-subvention net des différentes aides représente environ 12,6 %.
Les aides au secteur des fibres synthétiques sont soumises à un Code sectoriel de limitation des aides d'État instauré en 1977, et prorogé ensuite tous les deux ans, pour la dernière fois en 1989 (communication aux États membres du 6 juillet 1989). Les principaux produits de la société Deggendorf GmbH, à savoir des fils de polyamide et de polyester, tombent dans le champ d'application de ce Code qui dispose que toutes les mesures d'aides de quelque type que ce soit envisagées en faveur de sociétés du secteur des fibres et des fils synthétiques doivent être notifiées à la Commission en temps utile pour qu'elle puisse formuler ses observations et, si nécessaire, engager la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2 du traité à l'égard des mesures envisagées.
Le même Code ramène la liste des dérogations acceptables aux restrictions générales imposées aux aides d'État au seul cas des incitations visant à la reconversion du secteur vers d'autres activités, et il prévoit que la Commission émettra d'une manière générale un avis défavorable à l'égard de toutes les mesures ayant pour effet d'accroître la capacité de production nette des sociétés du secteur des fibres synthétiques.
Sur la base des informations fournies par les autorités allemandes, la Commission a estimé que, bien qu'aucun des produits concernés par les investissements ne relève directement du Code actuel relatif aux fibres synthétiques, qui porte sur la fabrication des composants en amont (fils de polyamide), ces investissements risquent d'avoir des répercussions indirectes sur la production de fibres synthétiques de la société en raison notamment de leur incidence sur le budget global de celle-ci.
De plus, la Commission n'a pas été en mesure, d'après les informations dont elle disposait alors, de déterminer si une distinction parfaitement claire pouvait être établie entre la production de fibres synthétiques et le nouvel investissement.
La Commission a également tenu compte du fait que le 21 mars 1986, elle avait pris une décision négative à l'égard d'aides incompatibles avec le marché commun qui avaient été accordées à la même société entre 1981 et 1983. Cette décision [86-509-CEE (1)] exigeait la restitution de la subvention de 6,12 millions de marks allemands et du prêt de 11 millions de marks allemands assorti de conditions de faveur. Cette restitution n'a toujours pas été effectuée et la société Deggendorf reste par conséquent bénéficiaire d'aides illicites qui renforcent artificiellement sa compétitivité.
Enfin, la Commission a estimé que, sur le marché communautaire des fils de polyamide et de polyester, qui est extrêmement concurrentiel en raison de la présence de plusieurs producteurs sur tous les marchés nationaux et qui est caractérisé par une demande stagnante, des investissements à forte intensité de capital et des marges réduites, les aides en question menacent de fausser le jeu de la concurrence et d'affecter les échanges entre les États membres et qu'elles sont incompatibles avec le marché commun au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité.
De plus, la Commission a jugé que les aides ne remplissaient pas les conditions requises pour bénéficier de l'une des dérogations prévues à l'article 92 et elle a par conséquent engagé la procédure prévue au premier alinéa de l'article 93 paragraphe 2 du traité.
Par lettre du 10 mai 1990, la Commission a mis le Gouvernement allemand en demeure de lui présenter ses observations. Les autres États membres et les autres parties intéressées ont été informés par la publication au Journal officiel de la communication adressée au Gouvernement allemand (2).
II
Le Gouvernement allemand, lorsqu'il a, par lettre du 28 juin 1990, présenté ses observations dans le cadre de la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2 du traité, a confirmé la position qui était déjà la sienne à la date de la notification, à savoir que la production concernée par les investissements, c'est-à-dire le tricotage et la fabrication d'articles de bonneterie ainsi que l'habillage des fils, est une opération très différente de la production de fibres.
En ce qui concerne le fait que les aides en cause pouvaient avoir indirectement une incidence financière positive sur le budget de la société, les autorités allemandes ont estimé qu'il ne s'agissait là que d'un risque mineur.
Un groupement d'entreprises du secteur en cause a présenté ses observations à propos de l'ouverture de la procédure.
Ces observations ont été communiquées le 18 octobre 1990 aux autorités allemandes, qui n'ont pas formulé d'autres remarques.
III
Le soutien financier accordé à la société Deggendorf GmbH en vertu de la loi sur les primes à l'investissement approuvée par la Commission par lettre du 7 décembre 1987 et dans le cadre du programme bavarois d'aides à finalité régionale approuvé par lettre du 27 décembre 1988, constitue une aide au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité attendu qu'il permet à l'entreprise de réaliser des investissements sans en supporter tous les coûts.
Ces aides doivent être notifiées à la Commission conformément à l'article 93 paragraphe 3 du traité parce que, en vertu du Code d'encadrement des aides au secteur des fibres et fils synthétiques, la Commission requiert la notification préalable de tout projet d'aide, quelle qu'en soit la forme, en faveur de sociétés du secteur des fibres et fils synthétiques.
IV
Le Code communautaire relatif au secteur des fibres synthétiques s'applique à toutes les sociétés de ce secteur qui bénéficient d'un soutien public, quel que soit le régime dans le cadre duquel le soutien est accordé et l'objectif qu'il vise, mais il ne peut entraîner une interdiction des aides que lorsqu'elles ont pour effet d'accroître spécifiquement la capacité de production de fibres et de fils.
En l'occurrence, la Commission n'a pu établir l'existence d'aucun lien technique direct entre la production des fils (à laquelle le code est applicable) et la production de bas et de fils d'élasthanne résultant des investissements qui ont bénéficié de l'aide. La Commission estime au contraire que la capacité de fabrication supplémentaire de ces produits "en aval" constituera un débouché supplémentaire pour la production des fils, ce qui contribuera à résorber l'excédent général de l'offre qui existe dans ce secteur.
Les aides envisagées en faveur de la société Deggendorf seront accordées dans le cadre de deux régimes d'aides à finalité régionale expressément approuvés par la Commission, comme il est dit plus haut, pour favoriser le développement de certaines régions de la Communauté. Ces mesures répondront effectivement aux conditions prévues par ces régimes et à l'objectif qu'ils poursuivent en permettant la création dans la région d'environ cent quarante emplois à plein temps et elles peuvent donc bénéficier des dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 point c).
V
Pour déterminer si l'une des dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 du traité est applicable à une aide, la Commission doit tenir compte de toutes les circonstances susceptibles d'avoir une influence sur l'incidence de l'aide sur les conditions des échanges dans la Communauté.
Comme il est dit aux points II et III de la présente décision, la Commission a, le 21 mai 1986, pris une décision négative à l'égard d'aides accordées illégalement à la même société entre 1981 et 1983 et a demandé la restitution de subventions d'un montant de 6,12 millions de marks allemands et de prêts assortis de conditions de faveur d'un montant de 11 millions de marks allemands. La décision négative n'a pas été attaquée devant la Cour de justice et elle est par conséquent devenue définitive.
Dans une affaire pratiquement identique concernant des aides accordées à un autre producteur allemand de fibres synthétiques (Deufil), cette dernière société a attaqué la décision de la Commission devant la Cour de justice (affaire 310-85). La Cour s'est prononcée en faveur de la Commission et a écarté l'argument avancé par la société, à savoir que la restitution de l'aide était incompatible avec le principe de protection de la confiance légitime (3).
En dépit de la décision négative de la Commission et de l'arrêt de la Cour de justice dans une affaire pratiquement identique, Deggendorf n'a toujours pas restitué l'aide.
Il est à noter que la société Deggendorf ne pourrait arguer en aucun cas d'une quelconque confiance légitime, compte tenu du fait que la Commission dans sa décision d'ouverture de la procédure en 1985 avait expressément mis en garde cette société sur le caractère précaire des aides octroyées illégalement.
Il convient également de noter que, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice confirmée en dernier lieu dans son arrêt BUG-Alutechnik (4), "la récupération d'une aide illégalement accordée doit avoir lieu en principe selon les dispositions pertinentes du droit national, sous réserve toutefois que ces dispositions soient appliquées de manière à ne pas rendre pratiquement impossible la récupération exigée par le droit communautaire". Même si dans le cas d'espèce, les autorités allemandes ont entamé une action devant les juridictions nationales compétentes afin de récupérer lesdites aides, il n'en reste pas moins que la récupération effective de celles-ci n'a pas encore eu lieu.
Les aides illégalement accordées que Deggendorf refuse de restituer depuis 1986 et les nouvelles aides aux investissements dont il est question actuellement auraient pour effet cumulé de donner à cette société un avantage excessif et indu qui altérerait les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.
Dans ce contexte, l'avantage indu aurait pour effet de permettre à la société Deggendorf de bénéficier - jusqu'à la date du remboursement des aides incompatibles accordées illégalement entre 1981 et 1983 - d'une intensité d'aide de 29 % en équivalent subvention net par rapport à l'investissement en cause. Cette intensité serait largement plus élevée si on ajoutait les intérêts de retard liés au montant des aides à rembourser.
Il en résulte que cette situation a créé dans le chef de cette entreprise un enrichissement sans cause qui se poursuivra jusqu'à la date du remboursement effectif des aides octroyées illégalement.
De ce fait, même si les aides actuellement envisagées d'un montant de 13,41 millions de marks allemands doivent être considérées comme compatibles avec le marché commun, la Commission estime qu'il y a lieu de suspendre leurs versements en attendant le remboursement des aides incompatibles visées dans sa décision de 1986. Cette situation a été déterminée par le comportement négligeant du Gouvernement allemand et de la société Deggendorf, ceux-ci ayant agi en violation des règles impératives de l'article 93 paragraphe 3.
D'autre part la Commission ne dispose d'aucun moyen contraignant en vue d'accélérer ou de faire exécuter sa décision de 1986, ce qui rend d'autant plus nécessaire la suspension du versement des présentes aides.
De plus, il convient de rappeler que la Commission, dans sa communication au sens de l'article 93 paragraphe 2 du traité a déjà fait état du double effet de distorsion de la concurrence à cause du non-remboursement des anciennes aides incompatibles de la part de la société Deggendorf. Or, ni le Gouvernement allemand ni l'entreprise en cause n'ont émis de constestations ou de remarques particulières à ce sujet.
En conclusion, les aides d'un montant de 13,41 millions de marks allemands projetées par le Gouvernement allemand en faveur de la société Deggendorf sont compatibles avec le marché commun mais elles ne pourront être octroyées qu'au moment où la société Deggendorf aura remboursé les aides illégalement reçues entre 1981 et 1983 et qui font l'objet de la décision 86-509-CEE de la Commission,
A arrêté la présente décision :
Article premier
Les aides sous forme de subvention d'un montant de 4 520 000 marks allemands et de deux prêts bonifiés de 6 et 14 millions de marks allemands, d'une durée de huit et douze ans respectivement à un taux d'intérêt de 5 % avec une franchise d'amortissement de deux ans, destinées à la Société Deggendorf, et notifiées à la Commission par lettre du 31 octobre 1989 des autorités allemandes, sont compatibles avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité CEE.
Article 2
Les autorités allemandes sont tenues de suspendre le versement à la société Deggendorf des aides visées à l'article 1er de la présente décision tant qu'elles n'auront pas procédé à la récupération des aides incompatibles visées à l'article 1er de la décision 86-509-CEE.
Article 3
Le Gouvernement allemand informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la présente décision, des mesures qu'il aura prises pour s'y conformer.
Article 4
La République fédérale d'Allemagne est destinataire de la présente décision.
(1) JO n° L 300 du 24. 10. 1986, p. 34. (2) JO n° C 158 du 28. 6. 1990, p. 4. (3) Recueil de la jurisprudence de la Cour 1987, p. 901. (4) Affaire C-5-89 du 20 septembre 1990 (non encore publiée).