CCE, 25 mars 1992, n° 92-318
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Aides accordées par l'Espagne à la société Industrias Mediterráneas de la Piel SA (Imepiel)
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 93 paragraphe 2 premier alinéa, après avoir, conformément à l'article susmentionné, mis les intéressés en demeure de lui présenter leurs observations et vu ces observations, considérant ce qui suit :
I
La société Imepiel a été constituée en 1882 par la famille Segarra qui a été propriétaire de la société et l'a gérée jusqu'à sa reprise, en 1976, par l'État espagnol en vue d'éviter la faillite. À cette date, l'État espagnol a acquis 99,94 % du capital, par l'intermédiaire du Patrimonio del Estado du ministère des Affaires Economiques, les autres investisseurs étant la Caja de Ahorros (caisse d'épargne) de Valencia et la Caja de Ahorros (caisse d'épargne) de Castellón.
La société vend et produit des chaussures, à partir de ses propres préparations de peaux (dont l'essentiel est réutilisé et n'est pas revendu) et à partir du caoutchouc, produit purement intermédiaire, utilisé pour la production des semelles.
Ses installations se trouvent à Vall d'Uxó, dans la province de Castellón, ville de 27 000 habitants à 45 kilomètres au nord de Valence, à 26 kilomètres de Castellón et à 15 kilomètres de Sagonte, ville ayant souffert récemment de la rationalisation opérée dans l'industrie sidérurgique. Les installations de la société s'étendent sur 150 000 mètres carrés, les bâtiments représentant quelque 100 000 mètres carrés de la superficie totale.
La société s'est développée au cours des années d'après-guerre, en se diversifiant dans des activités complémentaires telles que la fabrication de gants et l'agriculture. Depuis sa reprise par l'État, ses activités auxiliaires ont été abandonnées. Malgré cela, elle est restée l'un des principaux producteurs espagnols de chaussures, disposant de la main-d'œuvre la plus importante et de la capacité de production la plus élevée sur un seul site. Toutefois, depuis la rationalisation, des réductions de la capacité de production ont été opérées et ont donné lieu à une compression des effectifs de 3 146 en 1976 à 1 457 en 1988.
Au cours de la période où la société a fait partie du secteur nationalisé, elle a subi d'une manière générale des pertes d'exploitation chaque année. Au cours des dix années précédant 1987, ces pertes se sont élevées à 12 700 millions de pesetas espagnoles et une série d'apports en capital ont été effectués pour couvrir ces pertes. En outre, des dépenses d'investissement financées par les pouvoirs publics ont été engagées, dans le cadre d'une tentative de modernisation des installations.
Confronté à des pertes continues, l'actionnaire majoritaire a commandé, au milieu des années 1980, un plan visant à assurer la rentabilité qui prévoyait une réduction de la capacité et des licenciements, des injections de capital (1987 : 1 400 millions de pesetas espagnoles; 1988 : 1 929 millions de pesetas espagnoles), une importante réorganisation de la direction et une réévaluation des marchés et des produits.
II
En décembre 1987, la Commission a appris par des articles parus dans la presse que les autorités espagnoles avaient mis au point un plan de sauvetage de la société et auraient procédé à un apport en capital d'un montant de 1 400 millions de pesetas espagnoles pour faire face aux pertes d'exploitation relatives à l'année 1987.
Dans sa lettre du 29 janvier 1988, la Commission a demandé des informations concernant cette injection de capital destinée à couvrir les pertes d'exploitation.
La réponse reçue par la Commission consistait en un télex des autorités espagnoles daté du 20 avril 1988, confirmant qu'une injection de capital d'un montant de 1 400 millions de pesetas espagnoles avait été effectuée en 1987.
À la demande des autorités espagnoles, une réunion bilatérale avec la Commission a été organisée pour examiner l'affaire. Cette réunion a eu lieu le 9 juin 1988. À cette occasion, des informations complémentaires ont été fournies au sujet de la société et de son histoire, mais les autorités espagnoles ont surtout informé la Commission qu'une autre injection de capital d'un montant de 1 929 millions de pesetas espagnoles avait été réalisée en 1988.
Ces sommes devaient servir à opérer les licenciements nécessaires à la restructuration de la société. En outre, la Commission a été informée du fait que les documents appropriés et une notification officielle de la transaction seraient fournis. Les informations reçues lors de cette réunion n'ont pas permis à la Commission d'évaluer la compatibilité de ces injections de capital avec les dispositions des articles 92 et 93 du traité.
À la suite de cette réunion, la Commission a demandé aux autorités espagnoles, dans sa lettre du 15 juillet 1988, de fournir la notification promise et des informations complémentaires dans des délais convenus. En réponse à cette demande, la Commission a reçu une lettre des autorités espagnoles datée du 27 juillet 1988, formalisant la plupart des données concernant la société fournies lors de la réunion du 9 juin.
Des éléments d'ordre général ont été fournis sur le plan destiné à assurer la rentabilité de la société; ce plan prévoyait :
- des injections de capital d'un montant de 1 400 millions de pesetas espagnoles en 1987 et de 1 929 millions de pesetas espagnoles en 1988,
- une stratégie de gestion permettant d'assurer à bref délai la rentabilité de la société,
- le développement de la recherche de produits et de marchés,
- des dépenses d'investissement pour améliorer les installations et les machines.
Aucun détail particulier ni aucune donnée numérique n'ont été fournis en rapport avec ce plan, bien que la Commission ait reçu la promesse que des informations plus détaillées lui seraient fournies avant novembre 1988.
Une nouvelle réunion bilatérale a été organisée entre la Commission et les autorités espagnoles le 16 novembre 1988. Une nouvelle fois, il y a été question, en termes généraux, de la nécessité pour la société de disposer de fonds supplémentaires en vue de mettre en œuvre un programme de licenciement (les pertes d'emploi étaient ventilées comme suit: 251 en 1989, 275 en 1990 et 273 en 1991), de la nécessité pour elle de disposer d'un plan de restructuration et de montants destinés aux investissements, à concurrence de 470 millions de pesetas espagnoles en 1989 et de 100 millions de pesetas espagnoles en 1990. Le plan présenté prévoyait apparemment des réductions des dépenses et de la production, une diversification, des augmentations des prix de vente et des gains de productivité. L'ensemble de ces mesures devait amener, à long terme, la société à une situation lui permettant d'être privatisée. Comme lors de la réunion précédente, aucune donnée n'a été fournie à la Commission pour lui permettre de juger si les injections de capital étaient compatibles avec les articles 92 et 93 du traité CEE.
Dans sa lettre datée du 14 décembre 1988, la Commission a informé les autorités espagnoles de sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2 du traité à l'égard des injections de capital s'élevant à 3 329 millions de pesetas espagnoles, effectuées par l'État espagnol dans Imepiel. Cette lettre a été suivie d'une communication publiée au Journal officiel des Communautés européennes (1), invitant les intéressés à présenter leurs observations.
Les autorités espagnoles ont répondu à la lettre de la Commission le 25 janvier 1989. Elles alléguaient que les sommes injectées dans Imepiel (d'un montant total de 6 029 millions de pesetas espagnoles, ventilées comme suit: en 1986, 1,5 milliard de pesetas espagnoles, en 1987, 2 600 millions de pesetas espagnoles et en 1988, 1 929 millions de pesetas espagnoles) devaient être envisagées dans le contexte d'un plan de redressement de trois ans qui s'achèverait par la privatisation de la société.
Le plan de redressement avait pour objectifs :
- de restaurer la rentabilité de la société dans un délai de trois ans,
- une réduction de capacité: pour les chaussures, de 3,2 millions de paires par an à 1,74 million de paires, pour les peaux de 1 840 000 mètres carrés par an (20 millions square feet) à 1 297 200 mètres carrés (14,1 millions square feet) et la fermeture de la division caoutchouc,
- une décentralisation de l'organisation de la société,
- une rationalisation des installations de production et la vente des espaces superflus,
- l'expansion des ventes de la marque et une tentative de développer des produits de qualité supérieure,
- d'éviter les conflits sociaux grâce à des négociations approfondies,
- une réduction de la main-d'œuvre de 1 457 à 627 emplois.
Le plan comportait des imperfections à maints égards. La société ne prévoyait aucun bénéfice ni en 1988 ni en 1989; en outre, les plans ultérieurs ont indiqué qu'elle ne serait pas bénéficiaire avant 1993. La réduction de la capacité prévue aurait pu être réalisée mais la production, en ce qui concerne les chaussures, a été de 2 millions de paires en 1987 et de 2 millions de paires en 1988. Les plans ultérieurs ont indiqué que la production dépasserait 2 millions de paires en 1990 et en 1991 et plus de 3 millions en 1992.
Par la suite, le 20 février 1989, la Commission a demandé des informations complémentaires aux autorités espagnoles, concernant les aides accordées, les aides envisagées, les prévisions en matière de liquidités, de bénéfices et de pertes, des détails sur l'économie du lieu où Imepiel était implantée, des détails relatifs aux investissements et à la privatisation.
Dans une lettre datée du 17 mars 1989, la Commission a obtenu les détails relatifs à une offre de rachat de la société par un groupe d'entrepreneurs espagnols.
Pour l'essentiel, ils proposaient de racheter la société, pour autant que l'État soit prêt à payer les montants suivants :
- pour les pertes d'exploitation relatives aux trois premières années après la reprise, 3 358 millions de pesetas espagnoles,
- pour les investissements, 1 695 millions de pesetas espagnoles,
- pour les licenciements, 11 179 millions de pesetas espagnoles,
- un montant équivalant aux dettes nettes à court terme.
Les autorités espagnoles ont répondu à la demande de la Commission dans une lettre datée du 5 avril 1989.
Selon elles, la société avait les besoins suivants:
- injections de capital (entre 1986 et 1991) : 12 835 millions de pesetas espagnoles,
- pertes de trésorerie de la société (entre 1989 et 1993) : 4 478 millions de pesetas espagnoles,
- pertes de la société (entre 1989 et 1993) : 61 988 millions de pesetas espagnoles,
- besoins d'investissement de la société (entre 1989 et 1993) : 1 006 millions de pesetas espagnoles.
Elles concluaient en indiquant qu'elles avaient toujours l'intention de privatiser la société.
Dans une lettre du 18 avril 1989, la Commission a reçu les détails d'une offre revue par les entrepreneurs privés, demandant des fonds d'un montant de 17 305 millions de pesetas espagnoles (contre 16 232 millions de pesetas espagnoles dans leur offre antérieure).
Entre avril et novembre 1989, les autorités espagnoles et la Commission ont examiné les plans de rachat de la société et une correspondance a été échangée sur cette question ainsi qu'en ce qui concerne la création d'une zone spéciale d'investissement à Vall d'Uxó.
La Commission a reçu de l'administration espagnole un télex du 9 novembre 1989 déclarant que la privatisation d'Imepiel soulevait des difficultés.
Par la suite, la Commission a reçu une lettre du 19 décembre 1989 confirmant que les négociations relatives à la privatisation avaient été rompues et que les autorités espagnoles envisageaient de mettre en œuvre le plan de redressement soumis à la Commission en janvier 1989.
À la suite de cette lettre, la Commission a envoyé un télex le 11 janvier 1990 pour demander une mise à jour des informations reçues des autorités espagnoles.
Par lettre datée du 24 janvier 1990, les autorités espagnoles ont communiqué des informations financières mises à jour sur l'historique et les prévisions pour Imepiel, mais aussi et surtout les détails des conditions de la privatisation envisagée, ainsi que ceux de sa valeur de liquidation. Les conditions de la vente ont été confirmées dans une lettre du 1er février 1990, accompagnée d'une copie du contrat de vente daté du 10 janvier 1990.
D'une façon générale, les conditions de la vente étaient les suivantes:
- l'acheteur était une société (Circulo de Financiación y Gestión SA, disposant d'un capital-actions de 2 500 millions de pesetas espagnoles, dont 25 % avaient été versés. Le solde devait être versé dans un délai de trois ans. Ces données montrent que l'acquéreur était sous-capitalisé et que cette situation aurait des répercussions sur la viabilité à long terme du projet,
- le prix d'achat s'élevait à 100 millions de pesetas espagnoles,
- l'acheteur devait conserver la propriété d'Imepiel pendant trois ans, n'était pas autorisé à modifier la structure de son capital-actions, ni celle du capital-actions d'Imepiel au cours de cette période, sauf autorisation de l'État,
- lors de la vente, le vendeur procéderait à une injection de capital de 8 500 millions de pesetas espagnoles pour améliorer la situation financière de la société, pour réorganiser la main-d'œuvre et pour effectuer les investissements adéquats en matière d'équipement.
Dans la même lettre, l'acheteur fournissait à la Commission un plan financier qui a été révisé par la suite (pour les troisième et quatrième exercices) dans une lettre datée du 30 janvier 1990.
Une synthèse des aspects financiers de ce plan, ainsi que les données réelles concernant 1989 et 1994 est présentée ci-dessous:
Année Produit Ventes - Volume Ventes - Valeur (1) Résultat (1) Investissement (1) 1989 Chaussures 1 250 (2) Peaux 8 600 (3) 5 481 (2 309) ? 1994 Chaussures 3 445 (2) 7 471 Peaux 15 500 (3) 4 286 446 164
(1) Millions de pesetas espagnoles.
(2) Milliers de paires.
(3) Milliers de square feet.
Les informations fournies ci-dessus montrent à l'évidence que l'acheteur était ambitieux. Vu l'historique de la société et l'absence d'hypothèses concrètes allant dans le sens de ces prévisions, aucun argument sérieux ne permettait de croire qu'elles se réaliseraient. Plus important encore, l'acheteur voulait augmenter le volume de la production, ce qui aurait pour effet d'accroître les tensions sur le marché.
Une réunion bilatérale a été organisée entre la Commission et les autorités espagnoles le 26 janvier 1990. Lors de cette réunion, les services de la Commission ont souligné le fait que le plan de restructuration était inacceptable, étant donné les augmentations du volume des ventes. Les autorités espagnoles ont estimé que l'année de référence permettant une comparaison devrait être l'année 1986, où les ventes atteignaient 3 millions de paires et non l'année 1989. En outre, les autorités ont confirmé que les ventes de 3 millions de paires constituaient un seuil de rentabilité, même en tenant compte d'une main-d'œuvre de 770 unités. Par ailleurs, il a été admis que plusieurs offres avaient été reçues pour la reprise d'Imepiel mais que celle qui avait été acceptée était la plus intéressante. Imepiel a été privatisée le 2 février 1990.
À la suite de la privatisation, la Commission a étendu la procédure ouverte en vertu de l'article 93 paragraphe 2, afin de prendre en considération les montants complémentaires suivants:
- injections de capital : en 1986, 1 500 millions de pesetas espagnoles et en 1987, 1 200 millions de pesetas espagnoles,
- lors de la privatisation : 8,5 milliards de pesetas espagnoles,
- réduction du prix lors de la privatisation: 3 900 millions de pesetas espagnoles.
Cette décision a été communiquée aux autorités espagnoles dans une lettre du 3 août 1990 et publiée ensuite au Journal officiel des Communautés européennes (2).
Dans une lettre du 11 octobre 1990, les autorités espagnoles ont répondu en émettant leurs objections concernant l'extension de la procédure.
III
La décision prise par la Commission d'ouvrir la procédure prévue par l'article 93 paragraphe 2 du traité, notifiée au Gouvernement espagnol dans sa lettre du 14 décembre 1988, invitait les autorités espagnoles à présenter leurs observations et à fournir les informations détaillées demandées, ainsi que toute autre information qu'elles jugeraient utiles pour permettre à la Commission d'évaluer la compatibilité de l'aide.
Les autres États membres et parties tierces intéressées ont été informés de la décision de la Commission par la publication de la lettre au Journal officiel des Communautés européennes du 3 février 1989.
Dans le cadre de la correspondance dont il a déjà été question, le Gouvernement espagnol a présenté ses observations par lettre du 25 janvier 1989 et, en réponse à des questions de la Commission, il a fourni des informations complémentaires par lettre du 5 avril 1989.
En premier lieu, il estimait que l'aide accordée était compatible avec les dispositions de l'article 92 paragraphe 3. Ensuite, il considérait que l'aide devait être envisagée dans le cadre du programme de privatisation, du plan de redressement et des mesures nécessaires à une relance de l'économie locale.
Apparemment, des tentatives avaient été faites pour privatiser la société mais elles ont échoué en raison de l'incapacité des acheteurs de fournir les garanties nécessaires. Le plan de redressement devait être assorti de mesures destinées à relancer l'économie locale et par conséquent l'aide pouvait être justifiée.
Le Gouvernement espagnol faisait valoir que l'aide était liée à la restructuration de la société et qu'elle était en principe accordée à court terme, bien que des ressources à moyen terme puissent s'avérer nécessaires. L'aide était proportionnée au problème qu'elle était destinée à résoudre et, dès lors, il ne devait pas en résulter de distorsion de la concurrence dans le secteur de la chaussure. Les aides n'impliqueraient pas, selon lui, un transfert des problèmes industriels et du chômage vers les autres États membres, étant donné que les exportations intracommunautaires de la société ne représentaient que 706 millions de pesetas espagnoles en 1988 (10,92 % du chiffre d'affaires) et devaient baisser, selon les prévisions; par conséquent, le maintien en activité de la société permettrait de soulager les problèmes structurels de la Communauté. Si la société faisait faillite, le marché pouvait être repris par des pays tiers.
Le Gouvernement espagnol rappelait également les dispositions du traité relatives à l'adhésion de l'Espagne à la Communauté, en ce qui concerne les articles 92 et 93.
En résumé, les autorités espagnoles confirmaient leur intention de vendre la société et leur avis selon lequel un plan de restructuration était essentiel pour permettre la réalisation de ce projet avec un minimum de distorsions pour l'économie locale.
Dans le cadre de la procédure, d'autres États membres ont présenté leurs observations sur les injections de capital:
- le Gouvernement britannique partageait l'opinion de la Commission sur l'incompatibilité des aides,
- les Gouvernements danois, allemand, portugais et italien appuyèrent également la position de la Commission.
L'extension de la procédure ouverte en vertu de l'article 93 paragraphe 2 aux aides complémentaires accordées à la société, ainsi qu'aux aides accordées lors de la privatisation, a été notifiée par lettre du 3 août 1990 au Gouvernement espagnol et publiée au Journal officiel des Communautés européennes, le 20 décembre 1990, les autres États membres et les parties tierces intéressées étant invitées à présenter leurs observations. Le Gouvernement espagnol a répondu dans une lettre datée du 11 octobre 1990.
Tout d'abord, les autorités espagnoles ont fait part de leur désaccord avec les conclusions de la Commission selon lesquelles les aides relatives à 1986 et 1987 (3 700 millions de pesetas espagnoles) et les aides accordées lors de la privatisation, soit 3 900 millions de pesetas espagnoles, constituaient des aides qui ne pouvaient pas bénéficier de dérogations. Selon les autorités espagnoles, l'aide accordée était conforme aux dispositions communautaires parce qu'elle visait à mettre fin au financement de l'État et qu'elle assurait la rentabilité de la société et le développement économique d'une région défavorisée. Cette opinion était justifiée par le fait qu'un grand nombre des problèmes d'Imepiel découlaient des politiques industrielles menées avant l'adhésion.
Le Gouvernement espagnol n'a pas considéré que la vente contenait un élément d'aide car, selon lui, la valeur de la société ne devait pas être estimée sur la base de l'actif net mais sur la base de la valeur actuelle des rendements futurs. Cette idée est soutenue par le fait qu'Imepiel a été vendue au plus offrant.
En outre, la réponse faisait état des plans de l'acheteur de la société concernant les investissements et la restructuration des effectifs ainsi que la capacité de production. La capacité serait réduite et dès lors la société aurait un impact moins important sur le marché.
De plus, les aspects sociaux du problème y étaient soulignés: la société est située dans une ville de 27 000 habitants qui compte 2 000 chômeurs. La liquidation de la société serait coûteuse, non seulement en termes d'indemnités de licenciement mais également en termes de chômage et de coûts de la reconversion. Pour l'essentiel, les autorités espagnoles considéraient cette affaire comme un cas exceptionnel et ont estimé que l'ensemble des aides accordées étaient compatibles avec le traité.
À la suite de la publication de la lettre au Journal officiel des Communautés européennes, une réponse a été reçue de la British Footwear Manufacturers Federation, dont le siège se trouve au Royaume-Uni. Cette réponse soulignait que les importations espagnoles avaient augmenté au Royaume-Uni et que les chaussures étaient en concurrence sur le marché, au bas de l'échelle où la concurrence porte sur les prix et non sur la qualité. C'est pourquoi toute aide d'État permettant à un producteur de réduire ses prix de vente aurait un effet négatif sur la concurrence.
Le 18 mars 1991, une réunion a eu lieu entre les fonctionnaires de la Commission et les représentants du Patrimonio del Estado en vue d'examiner le plan de restructuration d'Imepiel.
Les principaux points soulevés par la Commission portaient sur la nécessité pour le plan de redressement de:
- prévoir une réduction de la capacité de production, des ventes et de la part de marché,
- d'assurer la viabilité de la société,
- de ne pas prévoir des aides dépassant les besoins minimaux indispensables.
En outre, les fonctionnaires de la Commission ont souligné le fait que, en raison des conditions liées au contrat de vente, l'offre faite pour Imepiel ne pouvait être considérée comme ouverte et sans condition et que, en outre, la société avait bénéficié d'injections de capital qui lui avaient permis de continuer ses activités pendant une longue période à un niveau qui était maintenu artificiellement.
Lors de la même réunion, les délégués du Patrimonio del Estado ont rappelé à la Commission que la situation actuelle d'Imepiel résultait de politiques menées avant l'adhésion et ont confirmé leurs observations faites à la suite de l'ouverture de la procédure prévue à l'article 93 du traité. En outre, elles ont affirmé que toute réduction de la capacité de production ou de la part de marché de la société mettrait en cause sa viabilité.
Un compte rendu de cette réunion a été communiqué aux autorités espagnoles le 18 avril 1991, ainsi qu'une liste détaillée d'informations à fournir afin de permettre à la Commission d'évaluer plus avant cette affaire.
À ce jour, aucune information complémentaire n'a été reçue.
IV
À l'occasion de son examen des apports en capital du Patrimonio del Estado à Imepiel entre 1986 et 1989 et à l'époque de sa privatisation, ainsi que des autres conditions du contrat de vente à Círculo de Financiación y Gestión SA, la Commission a vérifié dans quelle mesure ces interventions publiques comportaient des éléments d'aide d'État au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité.
Il convient de noter à ce propos que le Patrimonio del Estado fait partie intégrante de l'État espagnol et a rang de direction générale dépendant du ministère espagnol des Affaires Economiques. L'État assure la totalité de ses besoins financiers sur la base de crédits budgétaires. En conséquence, les ressources financières du Patrimonio del Estado doivent être considérées comme des ressources de l'État et, de ce fait, les apports en capital fournis à Imepiel constituent bien des interventions publiques.
L'octroi de fonds publics à des entreprises sous la forme d'apports en capital est susceptible de comporter des éléments d'aide d'État lorsque ces fonds sont octroyés dans des conditions qui seraient jugées inacceptables par un investisseur privé opérant dans des conditions normales de marché. C'est notamment le cas lorsque la position financière de l'entreprise et, en particulier, la structure et le volume de sa dette sont tels qu'il n'y a pas lieu d'espérer, dans un délai raisonnable, un rendement normal du capital investi, sous forme de dividendes ou de plus-values, ou lorsque, en raison d'une marge brute d'autofinancement satisfaisante, à défaut d'un autre motif, l'entreprise s'avère incapable de trouver sur le marché financier les fonds nécessaires à un programme d'investissement.La Commission a expliqué sa position en la matière dans sa lettre aux États membres du 17 septembre 1984 relative à l'application des articles 92 et 93 du traité aux entreprises publiques. À cet égard, il convient aussi de noter que, récemment, dans sa communication du 24 juillet 1991 portant introduction d'un nouveau système de surveillance, fondé sur des déclarations annuelles permettant d'évaluer l'aide présente dans les flux financiers entre les autorités publiques et les entreprises du secteur public, la Commission a rappelé aux États membres les principes sur lesquels elle se fonderait pour déterminer si une intervention de cet ordre doit être considérée comme une aide (voir partie III de la communication).
La Cour de justice a, en outre, clarifié les conditions d'application de l'article 92 paragraphe 1 du traité, en ce qui concerne les prises de participation publiques [voir l'arrêt du 14 novembre 1984 dans l'affaire 323-82 (Intermills) (3) et l'arrêt du 10 juillet 1986 dans les affaires 234-84 (Meura) (4) et 40-85 (Boch) (5)]. La Cour a également fait une distinction entre les actions des actionnaires minoritaires et celles des actionnaires majoritaires, en ce qui concerne les apports en capital [voir les arrêts du 21 mars 1991 dans les affaires 305-89 (Alfa Roméo) (6) et 303-88 (ENI-Lanerossi) (7)]. La Cour a estimé que, pour déterminer si un apport en capital constituait ou non une aide d'État, il y avait lieu d'apprécier si l'entreprise en cause aurait pu obtenir ce financement sur le marché des capitaux privés. Dans les cas où il apparaissait que le bénéficiaire n'aurait pu survivre sans apport de fonds publics, parce qu'il n'aurait pas été à même d'obtenir le capital requis d'un investisseur privé sur le marché libre, il était juste de conclure que l'apport en cause constituait une aide d'État.
Lors du premier apport en capital par le Patrimonio del Estado en 1986, après l'adhésion de l'Espagne, Imepiel était déficitaire depuis dix ans et l'État avait déjà été obligé de recapitaliser l'entreprise à plusieurs reprises pour la maintenir en activité. Vu l'absence de rentabilité de ces investissements, il est peu probable qu'un investisseur privé, fondant sa décision sur les bénéfices prévisibles et indifférent à toute considération d'ordre social, ou relative à une politique sectorielle ou régionale, aurait accepté, de 1986 à 1988, d'accorder à Imepiel des augmentations de capital successives à hauteur de 6 029 millions de pesetas espagnoles.
Il convient de se demander si l'acceptation par l'État de vendre Imepiel au prix nominal de 100 millions de pesetas espagnoles contenait un élément d'aide d'État.
La procédure de vente de la société a été opérée selon les conditions du marché libre, la publicité étant assurée par différentes banques internationales et organismes similaires. Les informations détaillées concernant plusieurs offres ont été communiquées par les autorités espagnoles à la Commission et ces informations indiquent que le coût net supporté par l'État espagnol (c'est-à-dire l'apport en capital moins le prix d'achat) par rapport à l'acquéreur choisi a été le plus bas.
En outre, si l'on tient compte du fait que la société n'avait enregistré aucun bénéfice au cours des dernières années et que les prévisions pour l'avenir indiquent qu'elle enregistrera des pertes pendant plusieurs années, on peut en conclure que sa valeur était au plus bas. Mais il faut également noter que les comptes de la société au 31 décembre 1989 faisaient apparaître des engagements nets atteignant 135 millions de pesetas espagnoles et donc que sa valeur était négligeable.
En conséquence, pour ces raisons et vu que le contrat de vente imposait à l'acheteur le maintien de son investissement pour une durée de trois ans, le prix de vente de 100 millions de pesetas espagnoles a été considéré comme acceptable.
Lors de la vente, il a été considéré qu'un apport en capital de 8 500 millions de pesetas espagnoles serait effectué par l'État espagnol, et qu'il était nécessaire pour intéresser un acheteur. Il convient, pour déterminer si une aide d'État a été accordée dans le cadre de cet apport en capital, de vérifier le caractère rationnel de l'attitude de l'État espagnol en la comparant à celle d'un investisseur privé opérant dans des conditions normales de marché. Un tel investisseur souhaitant optimaliser la rentabilité de son investissement n'aurait effectué l'apport en capital que dans l'hypothèse où, par la suite, cette action l'aurait mis dans une meilleure position sur le plan économique, eu égard à l'opération de vente considérée globalement. Toutefois, le rendement financier de l'apport en capital a été limité, dans le cadre du contrat de vente, à 100 millions de pesetas espagnoles, ce qui ne peut pas être considéré comme un rendement adéquat de l'investissement.
Lors de l'extension de la procédure appliquée en vertu de l'article 93 paragraphe 2, il a été considéré qu'un élément d'aide était compris dans le prix de vente étant donné que l'acheteur estimait la valeur d'Imepiel à 4 000 millions de pesetas espagnoles, à la suite de l'injection de capital effectuée par l'État au moment de la vente. Cette possibilité a été envisagée en partant de l'hypothèse que l'injection de capital de 8 500 millions de pesetas espagnoles pouvait être compatible avec le traité. À la réflexion, il a été estimé que le prix de vente ne contient pas d'élément additionnel d'aide.
Les autorités espagnoles ont indiqué que, au 31 octobre 1989, la valeur de liquidation d'Imepiel était de moins 1 436 millions de pesetas espagnoles. En outre, elles ont fait valoir que des indemnités de licenciement s'élevant à 5,5 millions de pesetas espagnoles par travailleur devaient être financées, soit au total 7 909 millions de pesetas espagnoles. Ces coûts s'élevant au total à 9 345 millions de pesetas espagnoles dépassaient, selon elles, l'apport en capital effectué lors de la privatisation et l'État avait donc pris la décision économique appropriée.
Enfin, il faut noter que, contrairement à l'affirmation des autorités espagnoles, la solution consistant à liquider Imepiel n'apparaît pas plus onéreuse que l'option retenue de vendre la société selon les modalités que l'on sait. En effet, en tant que propriétaire de la société, l'État n'aurait pas été tenu de couvrir la différence entre le produit de la liquidation des avoirs et les engagements liés à cette liquidation, étant donné que, en matière de responsabilité, une société anonyme se borne généralement à honorer ses dettes jusqu'à concurrence de la valeur de liquidation de ses actifs et n'assume pas de responsabilité en cas de déficit.
Il importe de noter que, dans une analyse des coûts de liquidation d'une société, l'État doit faire la distinction entre, d'une part, sa qualité de propriétaire et actionnaire de la société et, d'autre part, sa qualité d'entité responsable du paiement des indemnités de chômage et des prestations de sécurité sociale.
Lorsqu'elle examine le comportement de l'État par rapport à celui d'un investisseur privé opérant dans les conditions normales d'une économie de marché, la Commission, suivant les critères établis par la Cour de justice dans son arrêt dans l'affaire 234-84 (Meura), doit apprécier si, dans des circonstances similaires, un associé privé se basant sur les possibilités de rentabilité prévisibles, abstraction faite de toute considération de caractère social ou de politique régionale ou sectorielle, avait procédé à un tel apport en capital (point 14 des motifs). Si la Commission en tenait compte, en effet, elle donnerait du même coup aux États membres le pouvoir de sauver des entreprises en difficulté, uniquement au nom de leur intérêt national. Cette situation entraînerait de graves distorsions de concurrence contraires à l'intérêt commun et irait à l'encontre des principes du traité qui habilite la Commission à juger de la compatibilité des aides d'État dans le contexte de la Communauté dans son ensemble et non pas d'un seul État membre.
C'est pourquoi, en résumé, après avoir procédé à un examen détaillé, la Commission est parvenue à la conclusion que l'aide d'État accordée à Imepiel se compose des 6 029 millions de pesetas espagnoles octroyés sous forme d'apport en capital par le Patrimonio del Estado au cours de la période 1986-1988, ainsi que de l'élément d'aide de 8 500 millions de pesetas espagnoles correspondant à la dernière injection de capital effectuée par le Patrimonio del Estado avant la privatisation de la société, deux interventions ayant artificiellement renforcé la position financière d'Imepiel.
L'aide ainsi apportée à Imepiel affecte les échanges entre États membres et fausse ou menace de fausser la concurrence au sein du marché commun, au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité.
En effet, lorsque l'aide financière de l'État renforce la position de certaines entreprises par rapport à d'autres qui leur font concurrence dans la Communauté, il faut considérer qu'elle porte préjudice à ces autres entreprises [arrêt de la Cour de justice du 17 septembre 1980 dans l'affaire 730-79 (Philip/Morris) (8)].
Il convient d'observer que le marché dans lequel Imepiel produit et vend ses marchandises fait l'objet d'une concurrence importante. En 1986, l'Espagne disposait de quelque 14 % du marché de la Communauté en termes de production dont elle exportait 61 %; étant donné que la société est un producteur important en termes de main-d'œuvre et qu'elle est un producteur de chaussures supérieur à la moyenne en termes de volume, elle détient davantage qu'une part marginale du marché de la Communauté. De plus, comme la concurrence sur le marché joue davantage sur les prix que sur les volumes, l'aide financière accordée par l'État aura nécessairement un effet négatif sur la concurrence. Elle permet à Imepiel de se maintenir à un niveau auquel elle n'aurait pu se maintenir avec ses propres ressources. Elle lui permet donc de conserver une part de marché artificiellement élevée et transfère ses problèmes de licenciements à ses concurrents. Même si Imepiel ne prend pas une part significative dans les exportations espagnoles, sa présence artificielle sur le marché espagnol rend la pénétration de ce marché plus difficile pour les autres producteurs de la Communauté [voir sur ce point l'arrêt de la Cour de justice du 13 juillet 1988 dans l'affaire 102-87 (France contre Commission) (9)].
V
En ce qui concerne le statut légal de l'aide accordée à Imepiel dans le cadre des dispositions communautaires, cette aide est illégale étant donné que le Gouvernement espagnol ne l'a pas notifiée au préalable à la Commission, conformément à l'article 93 paragraphe 3 du traité.
La situation découlant de cette infraction aux dispositions du traité est particulièrement grave puisque les aides en question ont déjà été payées au bénéficiaire. À cet égard, il convient de rappeler que, en raison du caractère impératif des règles de procédure prévues par l'article 93 paragraphe 3 du traité, qui ont également une importance pour les pouvoirs publics - et dont l'effet direct a été reconnu par la Cour de justice dans ses arrêts du 19 juin 1973 dans l'affaire 77-72 (Capolongo) (10), du 11 décembre 1973 dans l'affaire 120-73 (Lorenz) (11) et du 22 mars 1977 dans l'affaire 78-76 (Steinicke) (12) -, l'illégalité de l'aide concernée ne peut faire l'objet d'un redressement a posteriori.
Néanmoins, il convient de noter que la Commission est tenue de poursuivre la procédure liée à l'article 93 paragraphe 2, conformément à l'arrêt de la Cour de justice du 14 février 1990 dans l'affaire 301-87 (Boussac Saint Frères) (13).
VI
L'article 92 paragraphe 1 du traité prévoit que les aides réunissant les critères qu'il énonce sont en principe incompatibles avec le marché commun.
Les dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 2 du traité ne sont pas applicables à la présente affaire parce que la nature de l'aide ne vise pas à atteindre ces objectifs.
L'article 92 paragraphe 3 du traité énumère les aides pouvant être considérées comme compatibles avec le marché commun. La compatibilité avec le traité doit être déterminée dans le cadre de la Communauté dans son ensemble et non dans celui d'un État membre pris individuellement. Pour assurer le fonctionnement normal du marché commun et vu le principe prévu à l'article 3 point f), les exceptions énoncées à l'article 92 paragraphe 3 doivent être interprétées au sens strict, lors de l'examen d'un régime d'aide ou d'une aide ponctuelle. Il convient en particulier de noter que les exceptions ne peuvent être invoquées que si la Commission peut être convaincue du fait que, en l'absence d'aide, le jeu des forces du marché à lui seul n'aurait pas permis aux bénéficiaires d'adopter des mesures permettant d'atteindre l'un des objectifs mentionnés dans lesdites exceptions.
L'application des exceptions à des aides ne contribuant pas à atteindre ces objectifs ou à la réalisation desquels elles ne sont pas indispensables reviendrait à accorder des avantages à des secteurs industriels ou à des entreprises de certains États membres dont la situation financière serait ainsi renforcée de manière artificielle et donc à affecter les échanges entre États membres et à fausser la concurrence, sans qu'aucune justification, fondée sur l'intérêt commun mentionné à l'article 92 paragraphe 3 du traité, puisse être invoquée.
La société a bénéficié d'une aide des autorités espagnoles sous la forme d'injections de capital entre 1986 et 1988, pour un montant total de 6 029 millions de pesetas espagnoles.
La Commission peut partager le point de vue des autorités espagnoles selon lequel ces apports en capital ont été effectués de 1986 à 1988 pour faire face à des difficultés apparues avant l'adhésion de l'Espagne à la Communauté.
La politique industrielle menée, avant l'adhésion de l'Espagne à la Communauté, en matière de sociétés publiques, était parfois fondée sur des principes qui différaient radicalement de ceux inspirant la politique de concurrence dans le cadre du traité. À l'époque, certaines sociétés publiques déficitaires étaient administrées selon des principes opposés à ceux d'une gestion saine et étaient maintenues en activité artificiellement grâce à l'aide financière de l'État. Après l'adhésion de l'Espagne à la Communauté économique européenne, ces sociétés ont été contraintes de s'adapter à un environnement de libre concurrence. Les aides accordées à Imepiel visaient principalement à faciliter son adaptation. Il convient de noter que cette aide a constitué un effort important pour jeter les bases d'une restructuration définitive de la société.
C'est pourquoi, en ce qui concerne les apports en capital d'un montant de 6 029 millions de pesetas espagnoles effectués entre 1986 et 1988, la Commission a conclu qu'ils pouvaient être considérés comme compatibles avec le marché commun, en vertu de la dérogation prévue à l'article 92 paragraphe 3 point c) du traité.
En ce qui concerne l'aide fournie dans le cadre de l'injection de 8 500 millions de pesetas espagnoles lors de la privatisation, il convient d'examiner si l'une des dérogations prévues à l'article 92 est applicable.
L'article 92 paragraphe 3 points a) et c) prévoit une exception pour les aides destinées à favoriser ou à faciliter le développement de certaines régions. À cet égard, Imepiel est située à Vall d'Uxó, région où le niveau de vie n'est pas anormalement bas et où ne sévit pas un sous-emploi particulièrement grave, au sens de l'article 92 paragraphe 3 point a). Quant à l'application, à Vall d'Uxó, de l'exception prévue à l'article 92 paragraphe 3 point c) pour des raisons régionales, la Commission a accepté que des subventions soient accordées jusqu'à un maximum de 30 % des dépenses d'investissement productif (décision de la Commission du 15 juin 1989), en vertu de la dérogation de l'article 92 paragraphe 3 point c).
La décision d'admettre que cette entité géographique bénéficie d'aides régionales a été prise par la Commission, entre autres, pour stimuler les investissements de diversification et en particulier pour faire office de dispositif de sécurité pour les licenciements opérés par Imepiel et non pour aider Imepiel elle-même. En outre, l'aide en question a été accordée en vertu d'une décision ad hoc du Gouvernement espagnol sous la forme d'un apport en capital volontaire et non d'une subvention destinée à des dépenses d'investissement productif. En conséquence, compte tenu de ce qui précède, une dérogation régionale en vertu de l'article 92 paragraphe 3 point c) n'est pas possible.
Par ailleurs, l'apport en capital de 8 500 millions de pesetas espagnoles effectué lors de la privatisation ne présentait pas les caractéristiques d'une aide visant à faciliter le développement de certaines régions économiques, dans la mesure où elle a été accordée sous la forme d'une aide d'exploitation à une entreprise en difficulté. Il en résulte que l'apport en capital n'était pas conditionné par des investissements ou des créations d'emplois, conformément à la communication de la Commission de 1979 sur les principes de la coordination des aides régionales.
Même si la Commission devait examiner l'apport en capital au regard des lignes directrices relatives aux aides régionales, l'aide ne pourrait être justifiée que si, en premier lieu, elle contribuait à un développement réel à long terme de la région, assurant la rentabilité des entreprises concernées et, en deuxième lieu, si l'entreprise disposait, comme atout supplémentaire, d'un plan de restructuration améliorant sa compétitivité.
En conséquence, l'apport en capital ne peut être considéré comme destiné à faciliter le développement de certaines régions économiques sans altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun. L'aide ne peut donc bénéficier de la dérogation prévue à l'article 92 paragraphe 3 point c).
En ce qui concerne les dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 point b), les mesures d'aide en cause n'étaient pas destinées à un projet d'intérêt commun ou à un projet susceptible de remédier à une perturbation grave de l'économie espagnole et n'avaient pas non plus les caractéristiques de ces projets. En outre, les autorités espagnoles n'ont pas invoqué cette dérogation dans les observations qu'elles ont communiquées à la Commission.
Pour ce qui est des dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 point c) applicables aux aides destinées à faciliter le développement de certaines activités économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun, il convient, en premier lieu, de noter que l'aide en faveur d'Imepiel relève de la catégorie des aides aux entreprises en difficulté car la position financière de l'entreprise était des plus précaires, et cela depuis longtemps. Or, ce sont les aides aux entreprises en difficulté qui comportent le plus grand risque de transférer vers d'autres États membres les problèmes de chômage et d'emploi; elles sont utilisées comme des moyens de conserver le statu quo en empêchant les forces à l'œuvre dans l'économie de marché de produire leurs effets normaux, c'est-à-dire d'entraîner la disparition des firmes les moins compétitives, au cours du processus d'adaptation aux modifications des conditions de la concurrence. C'est la raison pour laquelle la Commission a défini des critères très stricts pour l'évaluation de la compatibilité des aides à la restructuration des entreprises en difficulté. La Commission exige, en particulier, que ce type d'intervention publique soit strictement réservé aux opérations garantissant la mise en œuvre d'un solide programme de restructuration ou de reconversion, capable de rétablir la rentabilité à long terme du bénéficiaire; ce programme doit, en outre, prévoir une compensation justifiant l'aide, sous la forme d'une contribution du bénéficiaire au développement du secteur dans son ensemble au niveau de la Communauté, en réduisant sa propre présence sur le marché.
L'injection de capital de 8 500 millions de pesetas espagnoles faite lors de la privatisation devait permettre à la société de rembourser les emprunts (4 000 millions de pesetas espagnoles) et de procéder à des licenciements (3 000 millions de pesetas espagnoles). Le solde devait servir de fonds de roulement pour les opérations de la société.
Il convient de noter que ces trois actions auront un effet négatif sur la compétitivité future de la société dans la mesure où, en l'absence de l'aide, elles auraient dû être financées par les ressources propres de la société.
Les acheteurs ont présenté un plan pour l'avenir de la société (qui a été revu par la suite) dont il ressort en fait que la production sera augmentée au lieu d'être réduite comme il aurait fallu le faire pour que la restructuration s'opère dans l'intérêt du secteur concerné, à l'échelon de la Communauté.
Étant donné que, à l'occasion de la privatisation, la Commission n'a pas reçu de plan de restructuration qui :
- démontre la viabilité future de la société,
- comporte une réduction de la capacité de production de la société et
- indique une réduction de la présence de la société sur le marché, elle ne saurait considérer que cette restructuration facilitera le développement d'une activité économique compatible avec l'intérêt commun. Par conséquent, cette aide est incompatible avec l'article 92 du traité.
Dans leurs lettres des 7 juin et 18 juillet 1991, les autorités espagnoles ont demandé à la Commission de reporter toute décision relative à cette affaire jusqu'à ce qu'elle puisse soumettre un autre plan de restructuration en cours de négociation avec Imepiel.
Dans sa lettre du 6 août 1991, la Commission a informé les autorités espagnoles que, en raison du fait que deux mois supplémentaires s'étaient écoulés depuis l'expiration au 31 mai 1991 du dernier délai de présentation d'un nouveau plan de restructuration, elle ne pouvait différer davantage sa décision finale.
VII
En conclusion, à la lumière des considérations exposées, l'aide d'État d'un montant de 8 500 millions de pesetas espagnoles accordée à Imepiel contenue dans les conditions de sa vente à Circulo de Financiación y Gestion SA, est illégale en vertu des dispositions communautaires étant donné que l'aide a été accordée par le Gouvernement espagnol en violation des dispositions de l'article 93 paragraphe 3 du traité.
Cependant, il convient de soustraire de l'aide de 8 500 millions de pesetas espagnoles le produit de la vente de 100 millions de pesetas espagnoles, pour refléter le coût net pour l'État de la transaction. Cette procédure permet de refléter à la fois le bénéfice pour l'acheteur, Circulo de Financiación y Gestion SA, et le coût pour l'État.
En outre, l'élément d'aide dont il est question ne répond pas aux conditions qui doivent être remplies pour que l'une des exceptions prévues à l'article 92 paragraphes 2 et 3 du traité soit applicable et est donc incompatible avec le traité.
Lorsqu'une aide est incompatible avec le marché commun, la Commission peut user de la possibilité qui lui a été donnée par la Cour de justice dans son arrêt du 12 juillet 1973 dans l'affaire 70-72 (aides à la reconversion des régions minières en Allemagne) (14), confirmé par son arrêt du 24 février 1987 dans l'affaire 310-85 (Deufill) (15) et ordonner aux États membres la restitution de l'aide accordée illégalement,
A arrêté la présente décision:
Article premier
L'aide de 6 029 millions de pesetas espagnoles accordée entre 1986 et 1988 était illégale car elle a été accordée en violation des règles de procédure de l'article 93 paragraphe 3 du traité.
Cette aide satisfait toutefois aux conditions requises pour que la dérogation prévue à l'article 92 paragraphe 3 point c) du traité soit d'application et est donc compatible avec le marché commun.
Article 2
L'aide d'État nette d'un montant de 8 400 millions de pesetas espagnoles (c'est-à-dire l'apport en capital de 8 500 millions de pesetas espagnoles moins le produit de la vente de 100 millions de pesetas espagnoles), contenue dans l'apport en capital fourni par le Patrimonio del Estado à Imepiel, lors de sa privatisation le 2 février 1990, est illégale en droit communautaire car elle a été accordée par le Gouvernement espagnol en violation des dispositions de l'article 93 paragraphe 3 du traité.
En outre, l'aide en cause ne satisfait à aucune des conditions requises pour l'application de l'une des exceptions prévues à l'article 92 paragraphes 2 et 3 du traité, et est donc incompatible avec le marché commun.
Article 3
Il est procédé par restitution au retrait de l'élément d'aide d'État incompatible. En conséquence, le Patrimonio del Estado demandera à Imepiel la restitution de 8 400 millions de pesetas espagnoles.
L'élément d'aide doit être restitué conformément aux procédures et aux dispositions de la législation nationale, notamment celles concernant les intérêts de retard sur les créances de l'État, intérêts commençant à courir à compter de la date d'octroi de l'aide illégale.
Article 4
Le Gouvernement espagnol informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures prises pour s'y conformer.
Article 5
Le Royaume d'Espagne est destinataire de la présente décision.
(1) JO n° C 28 du 3. 2. 1989, p. 7. (2) JO n° C 320 du 20. 12. 1990, p. 18. (3) Recueil de la jurisprudence de la Cour 1984, p. 3809. (4) Recueil de la jurisprudence de la Cour 1986, p. 2263. (5) Recueil de la jurisprudence de la Cour 1986, p. 2321. (6) Non encore publié. (7) Non encore publié. (8) Recueil de la jurisprudence de la Cour 1980, p. 2688. (9) Recueil de la jurisprudence de la Cour 1988, p. 4067. (10) Recueil de la jurisprudence de la Cour 1973, p. 611. (11) Recueil de la jurisprudence de la Cour 1973, p. 1471. (12) Recueil de la jurisprudence de la Cour 1977, p. 595. (13) Recueil de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal de première instance 1990, p. I-307. (14) Recueil de la jurisprudence de la Cour 1973, p. 813. (15) Recueil de la jurisprudence de la Cour 1987, p. 901.