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Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 11 mai 2000, n° 00-00012

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Ministère public, Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels de Roquefort, Société des caves et producteurs réunis de Roquefort, UDAF

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Selmes

Substitut :

du procureur: M. Chazottes

Conseillers :

M. Lamant, Mme Baby

Avocats :

Mes Veauté, Aimonetti, Ferrié.

TGI Castres, du 1er déc. 1999

1 décembre 1999

RAPPEL DE LA PROCEDURE

LE JUGEMENT

Le tribunal, par jugement en date du 1er décembre 1999, a déclaré:

C Jean-Louis Yves:

coupable de falsification de denrée alimentaire, boisson, substance médicamenteuse ou produit agricole, du 18 avril 1997 au 2 juin 1997, à Viane, infraction prévue par l'article L. 213-3 al. 110 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-3 al. 1, L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation;

coupable d'escroquerie, du 18 avril 1997 au 2 juin 1997, à Viane, infraction prévue par l'article 313-1 al. 1, al. 2 du Code pénal et réprimée par les articles 313-1 al. 2, 3137, 313-8 du Code pénal;

C Maurice Marie Joseph:

coupable de complicité de falsification de denrée alimentaire, boisson, substance médicamenteuse ou produit agricole, du 18 avril 1997 au 2 juin 1997, à Viane, infraction prévue par l'article L. 213- 3 al. 110 du Code de la consommation, art. 121-7 du Code pénal et réprimée par les articles L. 213- 3 al. 1, L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation, art. 121-7 du Code pénal coupable de complicité d'escroquerie, du 18 avril 1997 au 2 juin 1997, à Viane, infraction prévue par l'article 313-1 al. 1, al. 2 du Code pénal, art. 121-7 du Code pénal et réprimée par les articles 313-1 al. 2, 313 7, 313 8 du Code pénal, art. 121-7 du Code pénal

Et par application de ces articles, a condamné:

C Jean-Louis Yves à 5 mois d'emprisonnement avec sursis; diffusion du dispositif de la décision dans la limite de 5 000 F dans le "Midi Libre" et "Le Tarn Libre";

C Maurice Marie Joseph à 5 mois d'emprisonnement avec sursis diffusion du dispositif de la décision dans la limite de 5 000 F dans "Le Midi Libre et 'Le Tarn Libre";

SUR L'ACTION CIVILE

Le tribunal a reçu en leur constitution de partie civile:

- la Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels de Roquefort et lui a alloué 5 000 F et 2 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du CPP,

- la Société des caves et producteurs réunis de Roquefort et lui a alloué 20 575,83 F en réparation de son préjudice et 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du CPP,

- l'UDAF et lui a alloué 1 000 F et 1 500 F sur le fondement de l'article 475 1 du CPP.

LES APPELS:

Appel a été interjeté par:

Monsieur C Jean-Louis, le 9 décembre 1999

M. le Procureur de la République, le 9 décembre 1999 contre Monsieur C Jean Louis

Monsieur C Maurice, le 9 décembre 1999

M. le Procureur de la République, le 9 décembre 1999 contre Monsieur C Maurice

Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels de Roquefort, le 14 décembre 1999

Société des caves et producteurs réunis de Roquefort, le 21 décembre 1999

DÉCISION:

M. Jean-Louis C est agriculteur à Viane, où il élève des brebis laitières dont la production est destinée à la fabrication de fromage de Roquefort. Son frère Maurice est aide familial dans la même ferme, et il exerçait à l'époque des faits visés par la prévention la profession de "ramasseur", chargé de la collecte du lait pour le compte de la Société des caves de Roquefort.

Suite à des soupçons de mouillage de lait, un contrôle impromptu a été effectué chez M. Jean Louis C, et il s'est avéré que le lait analysé était mouillé à 60 %. Toutefois, craignant que le prélèvement effectué par les gendarmes à l'occasion de ce contrôle ne présente pas toutes les garanties au plan scientifique, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes n'a pas engagé de poursuites. La Société des caves et producteurs réunis de Roquefort a, quant à elle, déposé plainte avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des juges d'instruction, et M. Jean-Louis C et son frère Maurice ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel sous la prévention de falsification de denrée alimentaire et escroquerie pour le premier, complicité des mêmes délits pour le second.

Le Tribunal correctionnel de Castres, par jugement contradictoire en date du 1er décembre 1999, a condamné chacun des prévenus à 5 mois d'emprisonnement avec sursis et ordonné la publication de la décision dans "Le Midi Libre" et "Le Tarn Libre". La Société des caves et producteurs réunis de Roquefort a obtenu 20 500 F de dommages-intérêts et 5 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, la Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels de Roquefort, qui s'était également constituée partie civile, a obtenu 5 000 F de dommages-intérêts et 2 500 F au titre de ses frais irrépétibles, l'UDAF du Tarn, également partie civile, se voyant quant à elle allouer 1 000 F et 1 500 F sur le fondement de l'article 475 1 du Code de procédure pénale.

MM. Jean-Louis et Maurice C ont relevé appel des dispositions pénales et civiles de cette décision le 9 décembre 1999, suivis le même jour du Procureur de la République. La Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels de Roquefort a également formé un appel le 14 décembre, suivie le 21 décembre de la Société des caves et producteurs réunis de Roquefort.

Les prévenus se présentent à l'audience assistés de leur avocat, qui sollicite leur relaxe, au motif qu'en présence d'un prélèvement ne présentant pas toutes garanties de rigueur scientifique et de présomptions dépourvues de pertinence, l'élément matériel de l'infraction n' est pas établi. Quant à la complicité, elle ne saurait être retenue contre M. Maurice C, dont il n'est pas démontré qu'il avait connaissance des faits litigieux.

La Confédération générale des producteurs sollicite la confirmation du jugement dont appel en ce qu'il a déclaré les prévenus coupables des faits qui leur étaient reprochés, ainsi que l'allocation d'une somme de 20 000 F de dommages-intérêts et celle de 15 000 F en application de l'article 475- 1 du Code de procédure pénale.

La société anonyme des Caves demande également la confirmation des dispositions pénales, et fixe à 106 195,54 F sa demande de dommages-intérêts et à celle de 12 000 F sa demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

L'UDAF conclut également à la confirmation et sollicite une majoration à 2 500 F de la somme allouée en première instance au titre de ses frais irrépétibles.

L'avocat général s'en rapporte à la sagesse de la cour.

SUR QUOI,

Les appels régularisés par les prévenus, le Ministère public et la Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels de Roquefort, l'ont été dans les forme et délais légaux, ils sont donc recevables.

En revanche, l'appel régularisé par la Société des caves et producteurs réunis de Roquefort le 21 décembre apparaît tardif et doit être déclaré irrecevable.

Les prévenus soutiennent que la preuve du mouillage de lait ne serait pas rapportée, d'une part en raison du non-respect de la procédure de prélèvement par les gendarmes le 30 mai 1997, d'autre part en raison du caractère non contradictoire des autres prélèvements et analyses, effectués par un laboratoire agissant pour le compte d'une partie civile.

Il sera tout d'abord observé que la police judiciaire est habilitée à effectuer des contrôles susceptibles d'entraîner des poursuites pour falsification de denrées alimentaires et tromperie quant aux qualités substantielles de ces mêmes denrées.

Il est ensuite établi que trois échantillons ont été prélevés selon le même mode opératoire et dans un temps très bref: rien ne permet de douter que ces trois échantillons ne soient pas identiques, ainsi que le prévoit l'article R. 215-7 du Code de la consommation.

Les doutes émis en ce qui concerne le défaut d'homogénéité du "tout" que représentait le produit de la traite du jour initialement contenu par le tank à lait sont écartés par la constatation d'un rapport constant de 1,36 entre les matières grasses et les matières protéiques, qu'il s'agisse du prélèvement effectué par les gendarmes ou des prélèvements effectués à d'autres époques pour le compte de la société des Caves.

D'autre part, il n'est pas contestable qu'un défaut d'homogénéité n'aurait pu que favoriser l'éleveur, dans la mesure où, du fait d'un pompage en fond de tank, le reliquat de 50 litres présent lors du prélèvement aurait nécessairement correspondu au liquide demeuré en surface, et donc contenant les matières grasses plus légères.

Les parties civiles observent également, sans être contredites, que l'absence d'agitation du lait serait sans influence sur le taux de matière protéique, et que l'influence sur le taux de matières grasses ne serait en aucun cas de l'ampleur constatée en l'espèce.

Ainsi, en l'absence de réglementation particulière adaptée aux analyses de lait de brebis, il n'apparaît pas que l'échantillon litigieux doive être écarté des débats.

Quant aux autres analyses effectuées sur instructions de la société des Caves par un laboratoire indépendant, rien ne permet de douter de leur valeur scientifique effectuées de façon systématique pour tous les éleveurs, elles n'ont été mis en cause semble-t-il par aucun d'entre eux, et M. C notamment, alors qu'il avait toute latitude pour faire analyser sa production à tout moment par le laboratoire de son choix, se garde bien de produire des analyses concurrentes qui contrediraient leurs résultats.

Dès lors, force est d'admettre que les variations de taux de matières grasses et de matières protéiques, avec des valeurs hautes correspondant exactement aux livraisons effectuées aux dates des contrôles connus de l'éleveur, ne sont pas fortuites, mais résultent d'une fraude organisée: "l'accident" du 18 avril s'explique parfaitement, dans ce contexte, par le fait que le contrôleur a rencontré le ramasseur en cours de route, et n'est pas venu garer son véhicule à la ferme des frères C en début de tournée.

M. C, qui n'a jamais eu le souci, ni avant ni après la période retenue dans la prévention, d'enregistrer les paramètres qui auraient permis de suivre sa production et d'expliquer d'éventuelles variations dans le volume ou la qualité de celle ci, ne peut être entendu lorsqu'il met en avant divers prétextes qui ne sauraient, en l'absence de tout document de suivi susceptible de les étayer, être considérés comme probants: ainsi des achats et ventes de brebis (dont M. C admet sans sourciller que certains ont lieu sans facture !), des agnelages et incidents de santé divers qui entraînent la mise à la traite ou le retrait de celle-ci de certains animaux, comme de la présence ou de l'absence de l'éleveur lui-même lors de la traite, qui ont semble-t-il les mêmes effets.

Outre les résultats d'analyse et leurs variations symptomatiques, d'autres éléments viennent d'autre part conforter l'accusation de mouillage:

- la présence, à l'arrivée des gendarmes, d'un seau d'eau en cours de remplissage à proximité du tank à lait: s'il s'agissait seulement de nettoyer le tank une fois vide, pourquoi ouvrir l'eau alors que l'opération de pompage n'était pas terminée ?

- la reconnaissance par les époux C eux-mêmes de la possibilité d'un mouillage: il n'est pas cohérent de nier la fraude, et, dans le même temps, d'affirmer que l'on soupçonne le voisin de venir mettre de l'eau dans le lait, et ce "depuis un an", ... indication par laquelle M. C confirme incidemment que les taux anormalement bas constatés dès 1996 n'étaient pas fortuits M. C n'hésite pas à accuser son voisin de venir la nuit vider le tank de la production du soir pour expliquer un mouillage dont il est conscient de ne pouvoir nier la réalité, son épouse allant jusqu' à suggérer les modes opératoires qu' aurait utilisés ce voisin, M. R,

- les courbes de lactation établies sont enfin particulièrement parlantes: le brusque retour à la normale après le 30 mai 1997 fait ressortir de façon éclatante l'importance de la fraude dans le cours des mois précédents.

Il apparaît ainsi que les débats devant la cour ne permettent pas de remettre en cause la position du tribunal, qui a considéré à juste titre que la matérialité des faits était démontrée.

Jean Louis C avait un intérêt évident à augmenter le volume de sa production, au moins dans la limite du quota qui lui était alloué, pour en retirer un prix de 4,871 F. par litre, et l'existence de l'élément intentionnel de l'infraction n'apparaît pas contestable.

Enfin, et ainsi que l'a relevé le tribunal, la complicité de Maurice C était nécessaire à la réalisation de la fraude, surtout dans la durée: en n'effectuant pas lui-même les opérations de contrôle imposées par son contrat de travail, et en informant son frère des dates de contrôle dont il était lui-même averti, il a permis que la fraude se développe et reste insoupçonnée pendant de longs mois.

La déclaration de culpabilité sera donc confirmée en ce qui concerne les deux prévenus.

La peine prononcée, qui apparaît adaptée et justifiée, mérite également confirmation, ainsi que la publication de la décision.

La cour confirmera également les dispositions civiles du jugement en ce qui concerne l'UDAF du Tarn, non appelante, et la Société des caves et producteurs réunis de Roquefort, dont l'appel est irrecevable.

Elle en fera de même en ce qui concerne la Confédération générale des producteurs, qui n'apporte pas d'élément nouveau de nature à justifier une indemnisation supérieure à celle arbitrée par les premiers juges.

Les prévenus ayant formé appel principal, il apparaît équitable d'allouer aux parties civiles un complément d'indemnisation sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, soit une somme complémentaire de 3 000 F. pour la Société des caves et la Confédération générale des producteurs, et celle de 1 500 F pour l'UDAF 81.

Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, et en dernier ressort; En la forme; Reçoit les appels des prévenus, du Ministère public et de la Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels de Roquefort; Déclare irrecevable l'appel de la Société des caves et producteurs réunis de Roquefort; Au fond, Confirme dans toutes ses dispositions le jugement déféré; Le Président n'a pu donner aux condamnés l'avertissement prévu par l'article 132-29 du Code pénal en raison de leur absence à l'audience de lecture de l'arrêt; Y ajoutant, Condamne M. Jean Louis C et M. Maurice C au paiement du droit fixe de procédure, liquidé envers l'Etat à la somme de 800 F; Prononce la contrainte par corps, s'il y a lieu de l'exercer, conformément aux dispositions de l'article 750 du Code de procédure pénale; Le tout en vertu des textes susvisés; Sur l'action civile: Les condamne solidairement à payer à la Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels de Roquefort une somme complémentaire de 3 000 F au titre des frais irrépétibles exposés par elle en cause d'appel; Et les condamne à payer au même titre à l'UDAF du Tarn une somme complémentaire de 1 500 F; Lecture faite, le Président a signé ainsi que le Greffier.