CA Paris, 5e ch. A, 10 septembre 2003, n° 2002-00215
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Laboratoires Biorga (SA)
Défendeur :
Monot (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
M. Faucher, M. Picque
Avoués :
SCP Verdun- Seveno, SCP Roblin-Chaix de la Varenne
Avocats :
Mes Le Mazou, Azema.
Estimant subir la concurrence déloyale d'actes de parasitisme, la SA Les Laboratoires Biorga (société Biorga) a attrait le 5 octobre 2000 la SARL Monot devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de l'entendre:
- dire que la mention "eau isotonique" sur les produits de la gamme d'eau thermale de Saint-Gervais peut créer une confusion dans l'esprit du public sur la nature substantielle du produit et de faire bénéficier la société Monot des efforts commerciaux de la société Biorga,
- la condamner à lui payer 10 MF de dommages et intérêts outre la publication de la décision, l'injonction sous astreinte de supprimer toute référence à l'isotonicité de l'eau thermale de Saint-Gervais et 20 000 F de frais irrépétibles.
La société Monot a reconventionnellement sollicité 3 MF de dommages et intérêts pour procédure abusive et 20 000 F de frais non compris dans les dépens,
Par jugement contradictoire du 19 octobre 2001, le tribunal a rejeté toutes les demandes et a condamné la société Biorga à verser 1 524,49 euro de frais irrépétibles à la société Monot.
Appelante le 21 novembre 2001, la société Biorga expose liminairement que dans le milieu très concurrentiel des produits d'eaux de source, s'accaparer la qualité "d'isotonique" constitue un acte "patent de concurrence déloyale lorsque cette qualité est injustifiée". Elle précise que les produits cosmétologiques qu'elle commercialise sont fabriqués à partir de l'eau thermale d'Uriage dont la caractéristique essentielle réside dans le fait qu'elle est isotonique (même pression osmotique) par rapport au plasma sanguin, lui donnant des vertus dermatologiques reconnues et lui assurant son succès commercial.
L'appelante prétend que la société Monot a envahi le marché de produits fabriqués avec de l'eau thermale de Saint-Gervais d'une qualité isotonique très inférieure à celle de l'eau d'Uriage, pour en déduire que sa concurrente "joue sur une qualité que ne possèdent pas les produits Saint-Gervais" qu'elle commercialise en faisant une "référence mensongère à l'isotonicité par rapport au plasma sanguin".
Opposant aux rapports et avis administratifs versés aux débats par la société Monot, les analyses, rapports et conclusions d'autres scientifiques plus en faveur de sa thèse, la société Biorga soutient que l'eau thermale de Saint-Gervais n'est pas isotonique et en déduit que l'apposition des mentions isotoniques "concentration moléculaire identique à celle du plasma sanguin" sur les emballages des produits cosmétiques fabriqués à partir de l'eau de cette source thermale, est "constitutive de concurrence déloyale". Elle estime qu'avec cette pratique, tout en créant un risque de confusion dans l'esprit du public, la société Monot s'inscrit, par parasitisme, dans son sillage en profitant des efforts commerciaux qu'elle a réalisés et de la réputation de ses produits fabriqués à partir de l'eau thermale d'Uriage dont la qualité isotonique est, à ses yeux, incontestable;
L'appelante évalue le préjudice allégué en fonction des chiffres d'affaires réalisés en 2001 et 2002 par l'ensemble des produits à base d'eau thermale de Saint-Gervais.
La société Biorga conclut à l'infirmation du jugement entrepris et sollicite, outre 3 049 euro de frais irrépétibles, 1524 790,10 euro de dommages et intérêts "sauf à parfaire", la publication aux frais de l'intimée, de la décision à intervenir dans "le Figaro" et "le Moniteur des pharmacies" et prie la cour d'enjoindre à la société Monot, sous astreinte de 300 euro par jour et par produit ou document publicitaire, de supprimer, dans les dix jours de l'arrêt à intervenir, toute référence à l'isotonicité de l'eau thermale de Saint-Gervais, sur les emballages de ses produits et sur tous supports publicitaires.
Subsidiairement, elle demande la désignation d'un expert en vue de constater l'hypotonie des produits "Saint-Gervais" et de:
"- dire en conséquence que la revendication d'isotonie ne peut être revendiquée pour de tels produits,
- confirmer l'évaluation du montant du préjudice subi par voie de conséquence par les Laboratoires Biorga victimes de concurrence déloyale".
Intimée, la société Monot précise qu'elle se dénomme désormais "Merck Médication Familiale" et réplique que le rapport du bulletin de l'Académie Nationale de Médecine (séance du 13 février 1996) énonce que l'eau des captages de Mey-Ouest et Mey-Est à Saint-Gervais-les-Bains possède de fortes quantités de sulfates et de chlorure, ce qui la rend particulièrement compatible avec les soins dermatologiques, en raison de son isotonicité marquée.
Elle fait valoir:
- que par lettre du 29 octobre 1997, la Direction départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DDCCRF) lui a indiqué qu'elle ne formulait "pas d'objection à ce que les mentions "isotonique" et "isotonicité naturelle de cette eau "figurent sur l'étiquetage du contenant",
- que la mention de l'isotonicité doit s'entendre différemment selon qu'il s'agit d'une injection directe dans les veines d'un sérum physiologique ou, au contraire, d'une application sur la peau, d'eau thermale ou d'une crème à base d'eau thermale, l'isotonicité devenant "relative" dans cette seconde hypothèse puisque le produit n'entre pas directement en contact avec le sang,
- qu'on peut estimer que tant l'eau d'Uriage que celle de Saint-Gervais, présentent des qualités d'isotonicité, aucun des produits en cause, à base d'eau thermale de ces sources, n'étant destinés à être en contact avec du sang circulant,
- que dès lors, l'apposition sur les produits issus de l'eau thermale de Saint-Gervais, de mentions relatives à l'isotonicité ne constitue pas une publicité mensongère, ni une concurrence déloyale à l'encontre des produits issus de l'eau thermale d'Uriage,
- qu'en tout état de cause, la société Biorga, dont le chiffre d'affaires a sensiblement augmenté entre 2000 et 2002, ne justifie pas de la réalité du dommage qu'elle allègue.
L'intimé considère que la présente action n'a été engagée que "dans le seul but de lui nuire et de la gêner dans son implantation commerciale" et observe que si la société Biorga pouvait initialement se méprendre sur la portée de ses droits, ce n'est plus le cas en appel compte tenu de la "clarté du jugement intervenu".
La société Merck Médication Familiale conclut à la confirmation du jugement entrepris et, formant appel incident, sollicite 152 000 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive et 10 000 euro de frais non compris dans les dépens.
Sur ce,
Considérant que l'action intentée par la société Biorga est fondée sur la concurrence déloyale alléguée à l'encontre de la société Monot, devenue Merck Médication Familiale, et qu'il appartient dès lors à l'appelante de démontrer la faute commise par l'intimée et le préjudice en résultant;
Considérant que la société Biorga fait état du dictionnaire "Petit Robert", lequel définit une solution isotonique comme étant celle "de même concentration moléculaire que le plasma du sang";
Qu'il ressort des pièces du dossier que suivant ce critère, la concentration moléculaire de l'eau d'Uriage se rapproche sensiblement de celle du sang, sans cependant y être strictement identique, tandis que la concentration moléculaire de l'eau de Saint-Gervais-les-Bains en serait plus éloignée;
Qu'au demeurant la note de synthèse du 7 novembre 2002 du Professeur Laugier, énonce, sans avoir été contredite, que la solution entrant dans la composition d'une injection parentérale respectant la concentration en chlorure de sodium du sérum sanguin, est obtenue à partir d'une eau "extra-pure" spécialement préparée, de sorte qu'on en déduit que l'eau d'Uriage, pas plus que l'eau de Saint-Gervais, ne sont utilisées pour des solutions en contact direct avec le plasma humain;
Considérant aussi qu'il se déduit des différents avis scientifiques divergents versés aux débats, qu'ils admettent cependant que la qualité isotonique, au sens pression osmotique identique à celle du sang humain, est essentielle lorsque le produit utilisé entre directement en contact avec le plasma présent dans l'appareil circulatoire humain;
Qu'il s'en déduit que la nécessité de l'identité absolue de pression osmotique par rapport à celle du sang humain devient plus relative pour des produits destinés à être appliqués en surface cutanée sans contact avec le sang circulant dans le corps humain;
Considérant encore que si l'eau d'Uriage peut prétendre, en fonction des analyses et avis scientifiques versés aux débats, être plus proche de la pression osmotique du sang humain que ne l'est l'eau de Saint-Gervais-les-Bains, elle n'en est pas pour autant strictement identique;
Que la société Biorga n'allègue ni a fortiori ne démontre que serait réglementé le degré de proximité de la pression osmotique d'une eau thermale par rapport à celle du sang humain, pour pouvoir prétendre à la qualification "d'eau isotonique";
Que si les analyses et avis scientifiques divergent, il n'est pas contesté que chacune des eaux thermales concernées présente un degré relatif de pression osmotique plus ou moins proche de celle du sang humain;
Considérant encore, qu'en absence de toute définition légale ou réglementaire des eaux thermales pouvant prétendre à la qualification "d'eau isotonique" la société Biorga ne saurait prétendre que l'eau thermale d'Uriage serait la seule à pouvoir utiliser cette référence;
Qu'aucune faute n'étant dès lors démontrée, ses prétentions ne sont pas fondées;
Considérant par ailleurs que le droit pour tout plaideur de voir ses demandes examinées deux fois par des juridictions de degrés différents est un droit fondamental qui ne peut dégénérer en faute qu'en démontrant la malice du plaideur ou son erreur grossière équipollente au dol;
Qu'en se bornant à prétendre que la société Biorga était animée d'une intention de nuire sans produire une seule pièce au soutien de cette affirmation, ni au demeurant de justifier de la réalité d'un dommage en résultant, la société Merck Médication Familiale ne rapporte pas la démonstration qui lui incombe au titre de sa demande reconventionnelle;
Qu'en revanche, il ne serait pas équitable de lui laisser la charge définitive des frais irrépétibles supplémentaires qu'elle a dû exposer en cause d'appel;
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions; Y ajoutant, Condamne la SA Les Laboratoires Biorga aux dépens d'appel et à verser 3 100 euro de frais irrépétibles à la société Merck Médication Familiale anciennement Monot; Admet la SCP Roblin-Chaix de Lavarene au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.