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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 5 novembre 1998, n° 97-01874

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ezavin (ès qual.), Garnier (ès qual.), France direct service (Sté)

Défendeur :

Marchal

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brignol

Conseillers :

MM. Cousteaux, Coleno

Avoués :

SCP Boyer Lescat Merle, SCP Rives Podesta

Avocats :

Mes Klein, Servières.

TI Albi, du 20 janv. 1997

20 janvier 1997

Monsieur Marchal a reçu de nombreuses annonces publicitaires de la société France direct service lui faisant miroiter la possibilité d'obtenir des gains très importants sous la condition d'acheter de menus objets.

Les annonces étaient ainsi rédigées qu'aucun doute ne subsistait quant à la qualité de gagnant de M. Marchal. De plus la société France direct service l'a régulièrement présenté comme le bénéficiaire de lots très importants.

En réalité M. Marchal n'a jamais rien reçu de ladite société, de sorte qu'il s'est estimé abusé par les gains annoncés avec fracas.

C'est ainsi qu'il a assigné le 12 avril 1996 la société France direct service devant le Tribunal d'instance d'Albi en paiement avec exécution provisoire de 30 000 F à titre de dommages-intérêts.

Invoquant l'article 1382 du Code civil il a fait valoir que la société France direct service avait engagé sa responsabilité à raison des publicités tapageuses de nature à faire naître l'espoir d'un gain. Il a également invoqué l'article L. 121-36 du Code de la consommation.

Enfin, il lui est apparu que le comportement de France direct service était de nature à engager sa responsabilité, en tant qu'engagement unilatéral.

Par jugement du 20 janvier 1997, la juridiction a fait droit à la demande et a condamné avec exécution provisoire la société France direct service à payer à M. Marchal la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts, avec les intérêts légaux.

Pour se déterminer ainsi, le tribunal a notamment retenu le comportement fautif de France direct service, en ce qu'il constitue un abus de droit et le préjudice d'ordre moral subi par M. Marchal qui a été victime de quelqu'un qui a utilisé sa misère financière et morale, de manière cynique, dans le seul but de "faire de l'argent".

Le 14 mars 1997, la société France direct service a relevé appel de ce jugement et le 14 avril 1997, le Tribunal de commerce de Grasse a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de ladite société.

Me Ezavin pris en sa qualité d'administrateur et Me Garnier, pris en sa qualité de représentant des créanciers de la société France direct service sont intervenus à l'instance en soulignant que la demande de M. Marchal ne pouvait aboutir qu'à la fixation de sa créance, sous réserve de se soumettre à la formalité de la déclaration. Sur le fond ils ont précisé s'en rapporter à justice.

L'appelante a conclu à la réformation du jugement et après avoir rappelé l'incidence de la procédure collective, a demandé que M. Marchal soit débouté et a sollicité reconventionnellement un franc de dommages-intérêts outre 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Elle précise tout d'abord que les jeux concours constituent un moyen de communication avec le client potentiel, destiné à compenser l'absence de contact avec lui, et qu'ils ne sont pas une fin en soi, mais seulement un procédé de promotion publicitaire. Elle rappelle que leur caractéristique première est la gratuité de la participation.

Elle rappelle ensuite le déroulement des opérations des jeux-concours et précise qu'elle organise 2 fois par an une cérémonie officielle dite remise des prix du printemps et automne, auxquelles elle convie à ses frais le gagnant des jeux clôturés le semestre précédent. Elle produit deux attestations de son cabinet d'expertise comptable concernant les budgets affectés à ces jeux concours.

Il lui apparaît que ce procédé publicitaire est économiquement justifié et juridiquement licite puisque la participation est gratuite sans obligation d'achat.

Elle rappelle que Mr Marchal est son client depuis 1994, qu'à plusieurs reprises il a participé à des jeux concours sans passer commande et que le règlement annexé à chaque jeu-concours précise que la participation n'est pas liée à une obligation de commande.

A propos des jeux revendiqués par Mr Marchal, l'appelante précise que les modalités du jeu "client satisfait" sont rappelées dans l'extrait du règlement officiel, partie intégrante du document. Y figurent:

- date de clôture: 31-12-95

- l'existence d'un pré-tirage effectué par huissier

- la liste des prix mis en jeu.

* premier prix Mercedes C 220 de 200 000 F

* un montant additionnel de 50 000 F partagé selon des modalités précisées

- l'information des principaux gagnants par LRAR

- la date de distribution de prix.

Elle ajoute que cet extrait du règlement se trouve à l'intérieur de l'enveloppe et est donc réceptionné en même temps que le document publicitaire.

Ainsi selon elle, dans ce dernier cas, la présentation du prix principal de 200 000 F est affecté de conditions non équivoques sur le caractère non certain de son obtention.

Après avoir énuméré les extraits figurant dans le document, l'appelante indique en conclusion que le prix dépend d'un tirage au sort et qu'il ressort du P.V du 16-6-95 du pré-tirage par huissier, que le numéro de Mr Marchal n'a pas été désigné de sorte que celui-ci recevra automatiquement le bijou Ange lot de consolation réservé à tous les autres participants.

Elle expose ensuite les modalités du jeu à 2 tours "grand jeu master chance" et souligne, qu'il ressort de ce document publicitaire:

- que le destinataire est certain de recevoir un prix en espèces du premier tour (minimum 5 F)

- que l'attribution des lots principaux (20 000 F et 10 000 F) et du grand prix dépend du tirage au sort.

Elle ajoute que le PV de constat du 20-6-95 montre que Mr Marchal n'a pas été désigné par le sort et a donc dû recevoir le chèque de 5 F.

Elle rappelle encore le "grand jeu des 250 000 F" et le "grand jeu des 450 000 F" et expose que les documents publicitaires révèlent que l'attribution dépend d'un tirage au sort par huissier sous réserve de faire retour du bon de participation et ajoute que le PV du 14-2-95 et celui du 6-6-95 montrent que Mr Marchal n'a pas été désigné par le tirage au sort et a donc dû bénéficier du prix de 5 F.

Abordant le fondement du litige, l'appelante soutient que l'ambiguïté d'un texte publicitaire et le risque d'erreur, doivent être appréciés in abstracto, par référence au consommateur moyen, normalement intelligent et attentif sans se soucier in concreto du consommateur effectivement partie à l'instance.

Elle verse diverses décisions de tribunaux à l'appui de sa thèse.

Selon elle, non seulement il n'y a pas faute mais de plus il n'y a pas de préjudice indemnisable, et le préjudice ne peut être constitué par le montant du prix que le destinataire aurait cru, à tort avoir gagné. Elle ajoute que l'intimé n'établit pas l'éventuel préjudice qu'il aurait subi du fait du prétendu caractère trompeur du message publicitaire, alors qu'il s'agit d'un jeu concours à participation gratuite et facultative.

Enfin elle souligne que la juridiction a été saisie de mauvaise foi et demande reconventionnellement un franc à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée, outre 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Mr Marchal conclut quant à lui à la confirmation et demande que sa créance soit fixée à 30 000 F.

Il maintient qu'en envoyant les documents laissant croire au destinataire qu'il est gagnant de lots importants, l'appelante à commis à son égard une faute au sens de l'article 1382 du Code civil.

Il expose ensuite que le préjudice dont il demande réparation n'est pas d'ordre purement moral, sans référence à la contre-valeur des lots annoncés.

Il justifie avoir régulièrement déclaré sa créance par LRAR entre les mains de Me Garnier ès qualité de représentant des créanciers.

Sur quoi

Ainsi que l'a retenu le tribunal le comportement fautif de la société France direct service peut résulter de l'envoi de publicité à l'évidence destinée à faire naître chez le destinataire l'espoir de gains potentiels importants et qui ne sont jamais concrétisés.

Certes, et comme l'admettent les parties, cette responsabilité doit s'apprécier "in abstracto" par référence au consommateur moyen, normalement avisé et attentif.

A cet égard l'examen des publicités reçues par l'intimé révèle:

- un avis de gain d'une voiture de 200 000 F ou un chèque du même montant, alors que cette publicité a été envoyée à 2 reprises et montre un véhicule Mercedes, marque évidemment destinée à frapper l'imaginaire du public tant l'idée de luxe y est naturellement attachée.

Il existe certes une réserve puisque le document précise que cette "nouvelle pourrait paraître dans le journal de votre région, vous avez peut-être gagné"

Cependant, il n'en reste pas moins vrai que le destinataire ne peut qu'être certain d'avoir gagné quelque chose, en raison de son libellé et de sa présentation;

- un avis de gain d'un voyage aux Baléares et un autre en Grèce, autant de destination, qui tout comme la Mercedes, véhiculent leur signification de rêve et de luxe d'ailleurs confortée par les lettres émanant du Directeur général et du Directeur financier de l'appelante

- deux avis de gain, sans restriction, compréhensibles de tous. Le premier intitulé "Ceci est votre avis de gain officiel" sur lequel on pouvait notamment relever" cet avis du Service Financier garantit un gain immédiat ou 4 personnes figurant sur la liste ci-dessous (inscription du nom de Mr. Marchal) ont participé à des concours précédents et ont gagné les prix indiqués ci-dessous...

Contactez-nous immédiatement, c'est officiel vous être un gagnant confirmé et peut-être l'heureux bénéficiaire du prix de 100.000F.

Le second intitulé:

"attribution de prix" où il est précisé "important! Mr Marchal votre prix en espèces est prêt à être envoyé! vous avez la garantie de recevoir un chèque en tant que gagnant d'un prix en espèces au premier tour de notre grand jeu des 250 000 F"

- un avis de gain d'un chèque de 250 000 F, dont la restriction qu'il contient n'est pas compréhensible pour tous puisqu'il y est précisé: "Cet avis garanti absolument votre éligibilité pour gagner..."

Or, et comme le souligne opportunément l'intimé si le sens du terme "éligibilité" n'est pas nécessairement perçu, celui de "absolument" et de "gagner" l'est sans aucun doute.

- un certificat de garantie d'un prix en espèces précisant "Retournez le formulaire de vérification et d'agrément définitif" ce qui ne permet pas de déduire le caractère hypothétique d'un gain.

Il est par ailleurs établi que Mr Marchal a passé de nombreuses commandes, évidemment animé par l'espoir de se rapprocher le plus possible de la probabilité de l'obtention du gain et l'intervention d'un tirage au sort sous contrôle d'un huissier, n'est pas de nature à faire disparaître les espoirs de Mr Marchal, puisque par ces annonces la société France direct service entend précisément susciter une aspiration au rêve chez ses clients potentiels. Or se sont bien les personnes impécunieuses et confrontées à des difficultés financières qui sont majoritairement les plus attirées par ces offres de rêve et d'espoir.

On peut donc déduire de l'importance des fonds engagés par l'appelante dans ces opérations publicitaires, que l'essentiel de son fonds de commerce est orienté vers l'exploitation de l'impécuniosité. Un tel comportement est fautif en soi.

II n'importe que l'appelante prétende pour s'exonérer que les personnes normalement intelligentes ne peuvent pas se méprendre sur les termes du prospectus, dès lors qu'il est établi que Mr Marchal a régulièrement été présenté, par les annonces personnalisées comme étant le bénéficiaire de lots très importants et que les pratiques de la société France direct service lui ont manifestement laissé croire selon des critères in abstracto qu'il en était effectivement ainsi.

Ainsi que le souligne l'intimé ce comportement caractérise la faute de la société France direct service au sens de l'article 1382 du Code civil.

Le préjudice subi par Mr Marchal, est, comme l'a retenu le tribunal purement moral sans référence à la contre-valeur des lots annoncés.

C'est avec pertinence que l'intimé souligne qu'il convient de retenir que la précarité de sa situation a été utilisée à des fins mercantiles, au moyen d'une démarche trompeuse fondée sur l'utilisation du sentiment de dévalorisation, que ressent toute personne économiquement faible. En effet, la société France direct service lui a non seulement fait croire qu'il pouvait améliorer son ordinaire mais a également fait naître chez lui l'espoir de trouver une meilleure image de soi. Ce sentiment de tromperie s'est trouvé aggravé par la frustration qu'il a éprouvée pour avoir été trompé grâce à sa crédulité.

Ainsi qu'il l'expose, Mr Marchal a subi un préjudice en ce que son sentiment de dévalorisation ne peut qu'avoir été aggravé par le comportement d'une société qui a dévoyé l'acceptation normale des règles de la liberté du commerce en poussant la recherche du profit au-delà des limites admissibles puisqu'elle n'a tenu aucun compte des considérations tenant au respect de la dignité humaine.

II convient par conséquence de confirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions tout en tenant compte de la procédure collective et de passer les dépens en frais privilégiés.

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit l'appel jugé régulier; le déclare mal fondé; Constate l'intervention volontaire de Me Ezavin ès qualité d'administrateur et de Me Garnier en qualité de représentant des créanciers; Confirme le jugement du 20-1-97 et fixe la créance de Mr Marchal au redressement judiciaire de la société France direct service à 30 000 F (trente mille francs); Passe les dépens en frais privilégiés avec pour ceux d'appel, distraction au profit de la SCP Rives Podesta, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, lesquels seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.