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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch. com., 4 mars 2003, n° 98-21107

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cash alimentaire du Sud-Est (SARL)

Défendeur :

Maison Innocentini (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Blin

Conseillers :

MM. Fohlen, Jacquot

Avoués :

Me Jauffres, SCP Martelly-Maynard-Simoni

Avocats :

Mes Marmillo, Vidal, Bezzina.

T. com. Nice, du 21 oct. 1998

21 octobre 1998

Faits, procédure et arguments des parties:

La SARL Cash alimentaire du Sud-Est a relevé appel d'un jugement, rendu par le Tribunal de commerce de Nice en date du 21 septembre 1998 et qui, l'ayant déboutée de ses demandes du chef de concurrence déloyale contre la SA Innocentini, l'a en outre condamnée à lui payer la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'appelante expose qu'exploitant un fonds de commerce d'achat et de vente de produits alimentaires en gros et demi-gros, et réalisant la quasi-totalité de son chiffre d'affaires auprès de restaurateurs, elle employait en qualité de VRP cinq personnes sur des secteurs géographiques déterminés, et que le 28 février 1997, elle a eu la surprise de recevoir la démission de quatre de ces employés, qui n'ont pas accepté d'effectuer leur préavis de trois mois et qui ont été immédiatement employés par la SA Innocentini, qui exerce ses activités dans le même secteur d'activités, MM. Sobrero et Vaiarelli , deux VRP, refusant en outre de restituer les catalogues en leur possession; elle expose encore que MM. Rosenmeier et Allota, chauffeurs-livreurs devaient, le 19 mai et le 6 juin 1997, donner également leur démission pour être employés par la société Innocentini.

Elle fait valoir que les actes de concurrence déloyales de la société Innocentini sont établis par plusieurs éléments:

- des débauchages illicites, effectués par un nombre très important d'employés choisis et anciens, pour un salaire supérieur, avec un caractère brutal et soudain des départs, qui a eu pour effet de désorganiser son entreprise, sans qu'il ait été vérifié que ceux-ci étaient libres d'engagements en sollicitant des certificats de travail;

- le démarchage systématique de sa clientèle, y compris pendant la période de préavis, et en utilisant les connaissances des employés débauchés et chargés des mêmes secteurs et les catalogues de produits des concurrents pour vendre ensuite les mêmes produits.

Elle conteste les dénégations de son adversaire qui invoque l'embauchage des employés en qualité d'agents commerciaux, alors que leurs fonctions étaient identiques, une cause des démissions non avancée par les démissionnaires, la seule embauche de deux de ses VRP, dont l'un est parti peu après, le droit de démarcher sa clientèle, qui était fidélisée, et l'a réellement quittée.

Elle invoque l'existence d'un préjudice du fait:

- de la désorganisation de ses services, ayant impliqué, après le départ de cinq de ses VRP, un travail hors du commun, la mettant dans l'impossibilité de recruter immédiatement du personnel;

- du détournement de clientèle opéré par la société Innocentini.

Elle fait valoir que les documents comptables versés aux débats apportent la preuve de l'existence de cette perte de clientèle et analyse, secteur par secteur, son chiffre d'affaires, estimant à la somme de 914 694,10 euros son préjudice.

Elle conteste les affirmations du jugement, reprises par son adversaire, sur la bonne santé de son entreprise, qui résulte d'une augmentation de ses marges et du travail accompli, et sur ses propres résultats.

Elle demande la condamnation de l'intimée à lui payer en outre la somme de 7 622,45 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SA Innocentini conclut à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de l'appelante à lui payer les sommes de 7 622,45 euros pour appel abusif et 7 622,45 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle répond:

- qu'elle n'a embauché que MM. Vaiarelli et Sobrero, ce dernier ayant quitté l'entreprise au bout de trois mois, ce qui limite les allégations sur une désorganisation de la société appelante;

- que la concurrence est nombreuse sur les Alpes-Maritimes;

- que l'embauche des deux chauffeurs-livreurs est indépendante.

Elle s'en rapporte aux arguments des premiers juges sur l'absence de débauche massive, les salaires offerts, et fait valoir que le Conseil des prud'hommes de Nice a fait justice des arguments de son adversaire sur la durée du préavis incombant aux prétendus VRP.

Elle conteste les arguments de son adversaire qui croit pouvoir inclure le chiffre d'affaires réalisé par les deux employés qu'elle n'a ni recrutés ni démarchés pour établir l'existence d'une perte sur chiffre d'affaires.

Elle maintient n'avoir commis aucune faute en commanditant un débauchage massif chez sa concurrente, faisant valoir sur ce point que les démissions étaient motivées par le non-paiement de primes, en embauchant sans production d'un certificat de travail des employés non tenus par une clause de non-concurrence, et en démarchant des clients de sa concurrente sans avoir utilisé ses catalogues, comme il est faussement prétendu sans preuves.

Elle conteste que l'appelante ait eu un préjudice, sa situation nette n'ayant cessé de s'améliorer, y compris après le départ de MM. Vaiarelli et Sobrero, qui n'avaient pas généré de ses propres résultats provenant non de faits de concurrence déloyale mais de l'ouverture de magasins et de la signature de nouveaux contrats avec des clients d'envergure nationale comme Sodexho, Eurest et la Générale de restauration.

Motifs de la décision:

La recevabilité de l'appel n'est pas contestée; en l'absence de moyen constitutif susceptible d'être relevé d'office, il convient de le déclarer recevable.

Invoquant l'existence de faits dommageables commis à son préjudice par l'intimée, l'appelante soutient que celle-ci a désorganisé ses services par les démissions concertées, soudaines et brutales de 4 VRP exclusifs sur 5 et de deux chauffeurs-livreurs; s'il est établi que par lettres envoyées le même jour, soit le 27 février 1997, Messieurs Sobrero, Armand-Penazzi, Vaiarello, Vaiarelli, qui étaient employés dans la société Cash alimentaire, ont effectivement présenté leur démission et offert d'effectuer un préavis du 1er au 31 mars 1997, et qu'il ne peut être contesté que ces démissions ont été de nature à troubler l'organisation de cette société, il lui appartient, dans la mesure où son action est dirigée exclusivement contre la société Innocentini, d'apporter la preuve de sa participation personnelle à une telle entreprise.

Or ni le fait d'avoir procédé à l'embauche, durable de M. Vaiarelli, et limité à trois mois de M. Sobrero, ni le fait d'avoir procédé à une époque plus tardive à l'embauche de deux chauffeurs de la société appelante, ni la correspondance entre la date d'expiration du préavis et celle de l'embauche et la similitude des fonctions exercées, ne peuvent permettre de considérer l'existence d'une implication personnelle et précise de la société Innocentini dans la désorganisation invoquée, faute de démonstration d'un lien entre lesdites démissions et un fait imputable à celle-ci, et les attestations de MM. Marchesano et Azzota, qui sont relatives à d'autres tentatives de débauchage, ne mettant en cause que le seul Sobrero.

La société Cash alimentaire n'est pas plus fondée à invoquer l'existence d'un débauchage fautif, alors même qu'il résulte des contrats de travail de MM. Sobrero et Vaiarelli que ceux-ci ont déclaré à leur nouvel employeur qu'ils étaient libres de tout engagement, qu'ils n'étaient nullement tenus dans le cadre d'une clause de non-concurrence, que la question de la durée du préavis n'a pas pu être résolue que devant la juridiction sociale et de façon divergente selon les salariés, et que, contrairement à ce que prétend l'appelante, l'existence d'un conflit entre M. Vaiarelli et son employeur était réel et relatif au paiement d'une prime d'objectif;par ailleurs, l'examen des fiches de paie et des contrats respectifs de MM. Sobrero et Vaiarelli ne démontre nullement l'existence de différences importantes des salaires offerts, le contrat signé par M. Vaiarelli prévoyant l'octroi de primes après une période d'une durée significative.

Elle ne démontre pas plus l'existence de faits de concurrence déloyale par le démarchage fautif de sa clientèle, d'une part parce que la concurrence étant la règle, il ne peut être considéré comme illicite de contacter les clients d'un concurrent pour proposer ses services, et d'autre part parce que, même s'il était établi que M. Vaiarelli s'était vu placer par l'intimée dans un secteur géographique identique à celui qu'il occupait pour la société Cash alimentaire, et qu'il avait conservé ses catalogues et tarifs, cette société n'établit nullement leur utilisation à son profit, les tarifs d'un concurrent ne pouvant au surplus être considéré comme un secret dans le monde fermé des distributeurs alimentaires, alors que ceux-ci ont souvent les mêmes clients, comme le démontrent les nombreuses attestations versées aux débats par l'intimée de ce chef.

Il ne saurait pas plus être pris en compte, pour les mêmes raisons de la liberté du commerce, les études réalisées sur les pertes sectorielles de chiffre d'affaires consécutives au départ de M. Vaiarelli, à qui il ne peut être reproché d'avoir démarché ses anciens clients dans la mesure où la clientèle n'appartient nullement en propre à un commerçant et que tout autre commerçant a le loisir de s'adresser à elle, sous réserve de respecter le principe de la loyauté des rapports entre commerçants et de ne pas utiliser de procédés prohibés, comme le dénigrement ou l'application de ventes à perte, ce qui n'est pas reproché en l'espèce à la société Innocentini.

N'établissant pas l'existence de fautes, la société Cash alimentaire ne prouve pas plus l'existence d'un préjudice, l'étude menée par son adversaire sur ses résultats postérieurs démontrant une progression significative et la thèse soutenue sur l'augmentation des marges et le surcroît de travail de la famille Tripodi ne venant pas infirmer cette position objective.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé.

La société Cash alimentaire n'ayant pas abusé de son droit de soumettre à une juridiction d'appel le litige,

Mais vu les articles 696 et 700 du nouveau Code de procédure civile,

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, - Reçoit l'appel - Confirme le jugement déféré - Condamne la société Cash alimentaire à payer à la société Innocentini la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile - La condamne aux dépens, avec distraction, pour ceux d'appel, au profit de la SCP Martelly, Maynard, Simoni, avoué, sur son affirmation qu'elle en a fait l'avance sans avoir reçu provision.