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Décisions

CA Paris, 3e ch. B, 25 avril 2003, n° 2001-18910

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Vista Advisers (SARL)

Défendeur :

Euroconsult (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thevenot

Conseillers :

MM. Monin-Hersant, Pimoulle

Avoués :

SCP Goirand, SCP Verdun-Seveno

Avocats :

Mes Gruselle, Masset.

T. com. Paris, du 1er août 2001

1 août 2001

LA COUR,

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Paris (chambre de vacations, n° de RG 2000-04459), rendu le 1er août 2001, qui a condamné la SARL Vista Advisers à payer à la SA, Euroconsult, outre 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, 350 000 F de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, lui a interdit, avec exécution provisoire et sous astreint; de faire référence, dans ses propres plaquettes, aux missions et aux clients de Euroconsult et a ordonné la publication du jugement dans certains journaux;

Vu l'appel de ce jugement interjeté par la SARL Vista Advisers;

Vu les dernières écritures de l'appelante, signifiées et remises au greffe le 18 février 2003, qui conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de la décharger de toute condamnation, de condamner Euroconsult à lui payer 457 564 euros et d'ordonner la publication du jugement aux frais de l'intimée à hauteur de 4 573,47 euros;

Vu les dernières écritures signifiées et remises au greffe le 30 janvier 2003 par la SA Euroconsult, intimée et appelant incidemment, qui conclut à la confirmation du jugement sur le principe de la condamnation de Vista Advisers, l'interdiction sous astreinte, la publication de la décision, les dépens et l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, mais à sa réformation sur le montant de la condamnation et réclame 1 219 592,1 euros de dommages-intérêts et prie la cour de débouter l'appelante de sa demande reconventionnelle et de la condamner à lui payer 7 600 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi,

Considérant qu'il résulte des pièces de la procédure que la SA Euroconsult, qui exerce une activité de conseil dans le domaine des télécommunications spatiales, a assigné en paiement de dommages-intérêts, sur le fondement d'actes de concurrence déloyale, la SARL Vista Advisers et le gérant de celle-ci, M. Le Proux de la Rivière, pris personnellement;

Que le tribunal a retenu que le départ de M. Le Proux de la Rivière avait été réglé par un accord et que la responsabilité contractuelle n'était pas en cause et que les prétentions de Euroconsult contre Vista Advisers n'étaient pas fondées, hormis celle relative au contenu d'une plaquette publicitaire de la société défenderesse;

Considérant que Euroconsult ne formule plus aucune prétention en cause d'appel à l'encontre de M. Le Proux de la Rivière personnellement; qu'elle ne reprend pas devant la cour le grief de dénigrement que le tribunal avait écarté en raison du procédé déloyal employé par la demanderesse pour obtenir le mode de preuve proposé;

Que la cour n'a donc à juger, outre la demande reconventionnelle présentée par Vista Advisers, que les trois griefs maintenus par Euroconsult et, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté;

Considérant toutefois qu'il convient, avant d'aborder ces différents points, d'examiner la pertinence du moyen de Vista Advisers qui soutient que Euroconsult est surtout connue pour ses études générales dites "multiclients" tandis qu'elle-même pratique le conseil personnalisé; que, en dehors du "spatial", les deux sociétés "travaillent sur des secteurs qui n'ont rien de commun avec les autres (?)"; qu'elles ne se trouvent pas en situation de concurrence et que, dès lors, à plus forte raison, il ne peut être question de concurrence déloyale;

Mais considérant qu'il ressort des pièces produites au débat que Euroconsult et Vista Advisers s'adressent aux mêmes types de clients pour leur proposer des conseils dans le domaine spécifique des télécommunications spatiales; que, si Euroconsult a quelquefois une activité plus large et moins personnalisée que Vista Advisers, il n'en demeure pas moins que les deux sociétés sont, pour la totalité de l'activité revendiquée par Vista Advisers et une part significative de celle de Euroconsult, dans une situation de concurrence d'autant plus âpre que le marché est bien spécialisé et le nombre d'intervenants limité; qu'il y a donc lieu de rechercher si cette concurrence a pu s'exercer de manière déloyale comme le soutient Euroconsult;

Sur la désorganisation de Euroconsult due à un débauchage illicite de ses salariés par Vista Advisers:

Considérant que Euroconsult persiste à soutenir que Vista Advisers se serait constituée puis développée grâce au débauchage illicite de trois de ses salariés, d'abord M. Le Proux de la Rivière et Mme Journez puis M. Valignon, et qu'elle aurait encore provoqué, à dessein de la désorganiser, le départ de six autres salariés;

Mais considérant que le départ de M. Le Proux de la Rivière a fait l'objet d'un accord négocié avec Euroconsult et conclu le 17 décembre 1998; que Mme Joumez a démissionné le 7 janvier 1999; que ces deux salariés, dont la liberté de trouver un nouvel emploi n'était limitée par aucune clause de non-concurrence, ont été à l'origine de la création de Vista Advisers, le 19 mars 1999; qu'il en résulte que cette société, qui n'existait pas encore à la date de leur démission, ne peut se voir reprocher de les avoir débauchés;

Considérant que M. Valignon a démissionné le 14 avril 1999; qu'il a attesté le 24 mai 2002, dans les formes prévues par les articles 200 et suivants du nouveau Code de procédure civile, qu'il avait "pris cette décision après avoir analysé une proposition faite par la société Euroconsult et avoir pris l'initiative de rencontrer les dirigeants de Vista Advisers au début du mois d'avril 1999"; que la proximité dans le temps de ces trois démissions ne suffit pas à prouver, contre le sens de cette attestation, que M. Valignon aurait été déloyalement recherché par Vista Advisers;

Considérant par ailleurs que M. Valignon, dans une autre attestation du 4 septembre 2000, a expliqué qu'il avait eu, entre janvier et juin 1999, de nombreuses discussions avec plusieurs collègues préoccupés, comme lui, par l'évolution de la politique commerciale de Euroconsult; que la fréquence, la longueur et de caractère confidentiel de ces réunions -non leur contenu - sont confirmés par une attestation établie par Mme Villain, demeurée salariée de Euroconsult; que ces réunions ont été suivies de la démission de plusieurs autres consultants (M. Magliola le 29 mars 1999, M. Franceschini le 7 mai 1999, M. Bachem le 21 mai 1999, M. Dib le 26 mai 1999 Mme Fowler, du 20 octobre 1999);

Considérant qu'il n'est établi aucune circonstance qui permettrait de relier ces entretiens et ces démissions successives à un projet conçu par Vista Advisers pour déranger Euroconsult; que ceux-ci se concilient au contraire avec le moyen de défense de Vista Advisers qui avance l'hypothèse d'un malaise des jeunes consultants de Euroconsult, dû à une insuffisance d'encadrement ou à une direction du personnel maladroite;

Considérant, d'ailleurs, que Vista Advisers n'est pas démentie qui soutient que 9 consultants avaient déjà quitté Euroconsult au cours des cinq années antérieures;

Considérant que Euroconsult n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été désorganisée par ces départs en raison de la difficulté de recruter des consultants aussi qualifiés; qu'elle ne s'explique en effet ni sur sa détermination à remplacer les partants, ni sur ses recherches à cette fin, ni sur la durée de vacance de ces emplois; qu'elle ne peut se borner à invoquer sur ce point la baisse de son chiffre d'affaires dans le secteur espace télécommunications, que rien ne permet d'attribuer à l'entreprise de débauchage imputée à Vista Advisers,

Considérant qu'il en résulte que ni la preuve d'un comportement déloyal de Vista Advisers qui aurait été à l'origine des démissions invoquées, ni d'ailleurs la prétendue désorganisation causée par ces départs n'est démontrée; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté ce moyen développé par Euroconsult;

Sur la confusion créée par un article paru dans "Satellite finance":

Considérant que Euroconsult reproche encore à Vista Advisers les termes d'un texte paru dans le magazine "Satellite finance" du 15 octobre 1999 qui aurait été à l'origine d'une confusion dans l'esprit de certains clients, conduits à croire que Euroconsult aurait volontairement "essaimé" pour donner l'autonomie à sa branche d'activité poursuivie par Vista Advisers que la preuve de cette confusion résulterait d'une lettre de la société Hyundai à Euroconsult du 18 novembre 2000 relative à une étude confiée à Vista Advisers qualifiée de "fondée par les anciens chercheurs d'Euroconsult";

Considérant que le texte visé est pris dans une série de nouvelles brèves se rapportant à la vie professionnelle de personnalités intervenant dans l'économie de l'espace; que comme l'a exactement relevé le tribunal, rien n'établit que Vista Advisers aurait été à l'origine, mot à mot, du texte incriminé; que, à supposer que l'expression critiquée "spun off" laisse en effet entendre au lecteur que Euroconsult aurait pris une part active dans la création de Vista advisers, rien ne permet de rendre cette dernière responsable de la nuance sémantique du terme employé;

Considérant, au surplus, qu'il n'est pas indifférent de rappeler, à ce stade, que le départ de M. Le Proux de la Rivière de Euroconsult pour créer Vista advisers a fait l'objet d'un accord négocié entre les parties; qu'il ne peut être exclu qu'un journaliste qui aurait eu connaissance de cette information ait pu de bonne foi se méprendre sur la portée de cet accord et les circonstances exactes de la création de Vista Advisers;

Considérant enfin que rien ne permet de relier à cet article la lettre de la société Hyundai, laquelle ne contient d'ailleurs, selon Euroconsult elle-même, d'autre inexactitude que celle de l'emploi d'un article défini au lieu d'un partitif ("the" soit les chercheurs au lieu de des chercheurs);

Considérant que le jugement sera en conséquence encore confirmé en ce qu'il a écarté ce moyen;

Sur la concurrence parasitaire par le moyen d'une plaquette publicitaire:

Considérant que Euroconsult fait enfin grief à Vista Advisers de s'être livrée au parasitisme en tirant indûment avantage de sa renommée à elle, Euroconsult, dans sa plaquette de présentation;

Considérant qu'il est constant que la plaquette litigieuse, intitulée "Présentation de Vista Advisers", mentionne, en page 12, sous la rubrique "nos références", une liste de 50 clients de réputation consacrée, dont 13 en Amérique du nord, 6 en Asie et 31 en Europe, Moyen-Orient et Afrique, tous clients de Euroconsult mais dont seuls un très petit nombre ont été clients de Vista Advisers;

Que cette même plaquette décrit ensuite, de la page 15 à la page 20, 12 "missions stratégiques qui nous ont été confiées dans les secteurs des satellites, des télécommunications, de la télévision et du multimédia"; qu'il n'est pas contesté que ces missions ont toutes été réalisées par Euroconsult, même si M. Le Proux de la Rivière ou Mme Journez ont pu prendre part à leur exécution comme salariés de cette société;

Considérant que les pages 21 et 22 de la plaquette, consacrées à la présentation de l'expérience professionnelle personnelle de M. Le Proux de la Rivière et de Mme Journez, font état de leurs fonctions précédentes chez Euroconsult mais ne permettent nullement de relier les listes de clients et les références citées dans les pages précédentes à l'activité propre à cette société; que le lecteur de la plaquette est donc inévitablement conduit à penser que ces listes et références sont celles de Vista Advisers et non celles, personnelles, de M. Le Proux de la Rivière et de Mme Journez;

Considérant, dès lors, que l'appelante ne peut soutenir, sans mauvaise foi, que cette présentation est légitime compte tenu de l'intuitu personae particulièrement fort dans l'activité de conseil;

Considérant que la diffusion confidentielle de la plaquette alléguée par l'appelante (seulement 7 exemplaires auraient été diffusés), si elle peut être prise en compte pour la mesure du préjudice, n'enlève rien à la réalité de la faute, le parasitisme étant en l'espèce caractérisé, comme l'a retenu à juste titre le tribunal, dont le jugement sera encore confirmé de ce chef;

Sur le préjudice:

Considérant que Euroconsult reprend en cause d'appel les éléments de son préjudice tels que développés en première instance; que le tribunal a estimé à juste titre que ces éléments (baisse du chiffre d'affaires, manque de rentabilité de certains investissements, perte de chance d'obtenir des marchés auxquels elle n'a pas été en mesure de se porter candidate, coût du recrutement d'une équipe de remplacement) étaient essentiellement la conséquence des démissions de M. Le Proux de la Rivière et des personnels qui sont partis à sa suite et qui, comme indiqué précédemment, ne pouvaient être reprochées à Vista Advisers;

Considérant que le seul élément de préjudice à apprécier est donc celui qui résulte du seul grief retenu à la charge de Vista Advisers relatif au contenu de sa plaquette publicitaire;

Considérant que ni Euroconsult ni Vista Advisers ne soumettent à la cour aucun argument qui serait de nature à justifier la réformation du jugement sur l'évaluation de cet élément de préjudice;

Considérant, en définitive, que le jugement entrepris sera confirmé sur le montant des dommages-intérêts et les mesures de publicité ordonnées également en réparation de ce préjudice;

Sur les demandes reconventionnelles de Vista Advisers:

Considérant que Vista Advisers fonde sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts sur l'article 1134 du Code civil et une prétendue violation, par Euroconsult, de l'accord conclu par cette société avec M. Le Proux de la Rivière à l'occasion de la démission de ce dernier;

Mais considérant que l'énoncé de cette prétention suffit à en justifier le rejet puisque Vista Advisers, tiers au contrat, n'a pas qualité pour se prévaloir de son inexécution;

Considérant que le sens de cet arrêt conduit au rejet de la demande de publication présentée par Vista Advisers;

Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens:

Considérant que Vista Advisers, qui succombe, supportera les dépens d'appel; que la demande d'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile présentée par Euroconsult sera accueillie pour le montant sollicité;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris; Rejette toute demande ou prétention contraire à la motivation; Condamne, par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la SARL Vista Advisers à payer 7 600 euros à la SA Euroconsult; Condamne la SARL Vista Advisers aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par la SCP Verdun-Seveno, avoué, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

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