CA Paris, 21e ch. B, 3 avril 2003, n° 01-32201
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Boillod Cerneux
Défendeur :
Little K (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Veille
Conseillers :
Mme Virotte Ducharme, M. Léo
Avocats :
Mes Destremau, Marion.
Prétendant avoir exercé depuis le 1er janvier 1989 une activité de prospection du marché français pour le compte de la société Little K en qualité de VRP multicartes assorti de fonctions accessoires moyennant une rémunération constituée par le versement de commissions et imputant à cette société la rupture du contrat par lettre du 28 mai 1994 à laquelle celle-ci a répondu le 7 juin 1994 en le considérant comme démissionnaire, M. Boillod Cerneux a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir diverses indemnités au titre de la clientèle, des activités annexes et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'un remboursement de frais.
Par jugement du 21 février 2001 le Conseil de prud'hommes d'Evry l'a débouté de l'ensemble de ses demandes à l'exception de la remise de son attestation ASSEDIC.
M. Boillod Cerneux a régulièrement relevé appel de cette décision.
Vu les conclusions développées oralement par lesquelles M. Boillod Cerneux soutient qu'il a été engagé comme VRP, qu'il a ensuite cumulé cette fonction avec celle de représentant permanent de la société Little K en France en exerçant des missions de gestion, d'administration et de management quelque soit le titre que l'on pouvait lui conférer, qu'il a été contraint compte tenu de l'attitude de la société à son égard, de prendre acte de la rupture de ses relations professionnelles avec elle et qu'il a subi incontestablement de très graves préjudices en termes d'image et financiers notamment sur le plan des salaires et indemnités qui ne lui ont jamais été versés et demande en conséquence, à la cour:
- à titre principal:
* de dire que la rupture du contrat de travail est imputable à la société Little K,
* de dire que cette rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
de condamner la société Little K à lui payer, en qualité de VRP les sommes suivantes: 76 224,51 euros à titre d'indemnité de clientèle, 76 224,51 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- à titre subsidiaire:
* de dire, si la cour le considérait comme agent commercial non statutaire, que la rupture du mandat d'intérêt commun ayant existé entre lui et la société Little K est imputable à cette dernière,
* de condamner la société Little K à lui payer, en sa qualité de mandataire de cette société, la somme de 156 449 euros à titre d'indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la rupture du mandat,
- en tout état de cause:
* de dire qu'il était le représentant de fait de la société Little K de 1989 à 1994,
* de condamner la société Little K à lui payer, en sa qualité de directeur de fait les sommes suivantes: 73 175,53 euros à titre de rappel de salaire au titre des activités accessoires avec intérêts de droit à compter de la citation, 71 274,79 euros à titre de remboursement de frais sur justificatifs,
* d'ordonner la remise par la société Little K de la lettre de son licenciement et de son certificat de travail,
* de condamner la société Little K à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu les conclusions développées oralement par lesquelles la société Little K, entreprise espagnole de confection, intimée et appelante incidente, soutient que M. Boillod Cerneux était lié à son cocontractant espagnol non par une relation de travail mais par un contrat d'agence commerciale et avait accepté une commission additionnelle de 3 % destinée à couvrir forfaitairement l'ensemble des frais exposés pour l'utilisation d'un bureau et les frais de contrôle du réseau de vente et demande, en conséquence, à la cour:
- à titre principal:
* de constater que M. Boillod Cerneux était lié à la société Little K par un contrat d'agent commercial,
* en conséquence et avant toute défense au fond de dire que le Conseil de prud'hommes d'Evry était incompétent faute de litige portant sur l'exécution du contrat de travail au sens de l'article 511-1 du Code du travail et de dire qu'aucun lien salarial n'a existé entre elle et M. Boillod Cerneux,
- à titre subsidiaire, si la cour s'estime compétente: de débouter M. Boillod Cerneux de toutes ses demandes aux titres du rappel de salaire, du remboursement de frais pour activités annexes et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- à titre très subsidiaire et en tant que de besoin:
* de lui donner acte de l'existence d'un jugement de condamnation de M. Boillod Cerneux à lui payer la somme de 573 023,25 F avec intérêts au taux légal,
* d'ordonner en tant que de besoin toute compensation que la cour jugerait utile à hauteur de 87 356,83 euros en principal,
- de le condamner à lui payer la somme de 7 623 euros pour appel abusif et 4 574 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il est fait référence pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties aux conclusions visées le 20 février 2003.
Sur ce, LA COUR
Considérant qu'à supposer que la juridiction prud'homale ait été incompétente pour statuer sur le litige concernant l'existence d'un contrat de travail liant M. Boillod Cerneux à la société Little K, la cour d'appel juridiction du second degré tant à l'égard du conseil de prud'hommes que de la juridiction qui eut été compétente, saisie par l'effet dévolutif de l'appel de l'ensemble du litige et investie de la plénitude de juridiction tant en matière civile que commerciale, a le pouvoir et le devoir de garder la connaissance de l'affaire et de porter à celle-ci une solution au fond;
qu'il y a lieu, dés lors, de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société Little K.
Considérant que pour s'opposer aux demandes principales de M. Boillod Cerneux fondées sur la qualité de VRP, la société Little K se prévaut de l'arrêt confirmatif de non-lieu rendu le 19 décembre 1997 par la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Paris selon lequel: "M. Boillod Cerneux non-salarié de la société Little K, ne lui était lié que par une convention portant sur le pourcentage de sa rémunération";
que cependant, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'attache qu'aux décisions définitives des juridictions de jugement qui statuent sur le fonds de l'action publique;
qu'en conséquence, la cour n'est pas liée par cette décision.
Considérant qu'il résulte des pièces produites et notamment de la correspondance échangée entre les parties que de 1989 à 1994 M. Boillod Cerneux a exercé une activité de représentation commerciale consistant à prospecter la clientèle pour le compte de la société Little K;
que dès lors, en l'absence de contrat écrit conclu entre elles, il est présumé avoir eu la qualité de VRP en application de l'article L. 751-4 du Code de travail;
que cependant, la société Little K observe à juste titre que M. Boillod Cerneux n'exerçait pas son activité de prospection dans le cadre d'un secteur défini;
qu'il résulte, en effet, des propres conclusions de M. Boillod Cerneux que son secteur effectif d'activité était constitué de la France et de la Belgique;
qu'en outre, les pièces produites et notamment la correspondance des parties dont la lettre du 18 décembre 1999 de M. Boillod Cerneux et ses relevés de commissions permettent de constater qu'il a travaillé dans une zone de prospection couvrant l'ensemble du territoire national et visant toute la clientèle;
qu'il s'en déduit que son secteur d'activités portant sur l'ensemble de la France sans aucune délimitation se rapportant à des, catégories de clients, ne constituait pas un secteur déterminé au sens du statut de VRP en sorte que le secteur étant l'une des conditions d'application du statut de VRP, la société Little K détruit la présomption simple de l'article L. 751-4 du Code du travail;
qu'en conséquence, M. Boillod Cerneux ne saurait, pour ce seul motif; revendiquer le bénéfice du statut et doit être débouté de toutes ses demandes principales fondées sur le statut de VRP; le jugement étant confirmé de ces chefs.
Considérant que subsidiairement M. Boillod Cerneux observe, à juste titre, que les parties n'ont pas rédigé par écrit le contrat les liant conformément au Décret du 23 décembre 1958 alors applicable et que lui-même n'était pas inscrit au registre spécial des agents commerciaux en sorte que ne pouvant bénéficier des avantages prévus par ce texte, il n'était pas agent commercial statutaire au service de la société Little K;
qu'il fait valoir à raison que l'exclusion de l'application du décret précité ne fait pas obstacle à l'existence d'un mandat d'intérêt commun;
que l'examen des pièces produites fait ressortir, comme il le soutient, que le fait pour lui d'avoir prospecté la clientèle pendant cinq ans pour le compte de la société Little K en agissant au nom de celle-ci à l'égard de la clientèle pour une rémunération constituée exclusivement de commissions à hauteur de 12 % sur ses propres ventes présentait pour le mandant comme pour le mandataire l'intérêt commun d'un essor de l'entreprise et du chiffre d'affaires en résultant par la création et le développement de la clientèle en sorte que les parties étaient liées par un mandat d'intérêt commun.
Considérant que M. Boillod Cerneux soutient qu'il a été contraint de prendre acte le 28 mai 1994 de la rupture du mandat aux torts de la société Little K pour manquement à des obligations vis-à-vis de lui.
Considérant, sur le grief tiré de l'" asphyxie" de M. Boillod Cerneux sur le plan financier:
qu'il est établi par les pièces produites et notamment selon sa propre lettre du 18 décembre 1999 adressée au directeur financier et au directeur général de la société Little K que sa rémunération était constituée d'une commission de 12 % sur ses ventes et d'une commission additionnelle de 3 % sur toutes les affaires réalisées par l'équipe dont il était le coordinateur;
que contrairement à ce qu'il soutient, il est établi par les pièces produites et notamment sa propre lettre précitée et par celles explicites du 12 novembre 1992 de la société Little K et du 6 janvier 1994 du conseil de M. Boillod Cerneux que la commission de 3 % avait pour objet de rémunérer toutes les activités liées à son travail de coordination et tous les frais en résultant tel que ceux relatifs à l'utilisation du bureau mis en place par lui dans son appartement pour travailler pour le compte de la société Little K;
qu'en outre, il est établi que la société Little K, à la demande de M. Boillod Cerneux, a accepté de lui verser des avances mensuelles sur commissions à partir de juillet 1989 à hauteur de 30 000 F portée à 35 000 F en 1990 puis à 50 000 F en 1991;
que M.Boillod Cerneux n'avait aucun droit au maintien de ce système et au versement de sommes en sus des commissions contractuellement fixées;
que l'arrêt des versements au titre des avances en mai 1992 a été précédé par la signature le 4 décembre 1991 sans réserve par M. Boillod Cerneux d'une reconnaissance de dette d'un montant correspondant aux avances accordées à charge de les rembourser avec le montant des commissions à venir;
que la société Little K était en droit sans abus non démontré, d'obtenir en justice l'exécution de l'engagement pris par M. Boillod Cerneux qui a fait l'objet d'une condamnation par une juridiction espagnole de régler le montant de la reconnaissance de dette;
qu'en l'absence de contrat de travail, aucune somme à titre de rappel de salaire sur une base arbitraire de 8 000 F par mois n'était due en sus des commissions à M. Boillod Cerneux au titre d'une prétendue responsabilité de "directeur de fait" alors surtout que les activités annexes dont il fait état à savoir celles liées à l'organisation de la participation de la société Little K aux salons professionnels, à sa représentation dans divers événements réunissant les différents professionnels de la lingerie et à la vente font partie intégrante de son travail de représentation commerciale pour l'ensemble de la France et de coordination de l'équipe de commerciaux dans le cadre du mandat d'intérêts communs et sont rémunérés par les commissions;
qu'enfin, ses réclamations des 25 février 1993 et 23 mars 1994 non corroborées par des pièces justificatives, ne peuvent suffire à établir le non-versement volontaire de commissions qui seraient dues alors surtout qu'aucune demande en paiement n'est formée à ce titre;
qu'on conséquence, les difficultés de trésorerie dont M. Boillod Cerneux fait état, ne sont pas dues au comportement de la société Little K à son égard et ne peuvent caractériser un manquement de celle-ci à ses obligations contractuelles vis-à-vis de lui.
Considérant, sur le grief tiré de la volonté de la société Little K de le marginaliser et de l'empêcher d'effectuer son travail;
que s'il est exact que M. Boillod Cerneux s'est plaint du retard dans la transmission des collections, il reste qu'aucune pièce produite ne permet de vérifier si cette circonstance est la conséquence d'une volonté délibérée de la société Little K ou seulement le résultat d'une erreur ponctuelle de ses services et si ce retard a eu des répercussions négatives sur la préparation des salons, le montant des ventes réalisées à cette occasion et au cours de l'exercice par M. Boillod Cerneux et les commerciaux;
Considérant qu'en l'absence de mandat exclusif, le fait pour la société Little K d'avoir confié à une entreprise la diffusion de l'une de ses marques et de commercialiser une partie de ses collections sous une autre marque, ne peut lui être reproché.
Considérant qu'il n'est pas établi que la société Little K ait supprimé dans les guides destinés aux salons professionnels les références de M. Boillod Cerneux.
Considérant qu'en conséquence, M. Boillod Cerneux est mal fondé à imputer la rupture du mandat d'intérêt commun à la société Little K à défaut de justifier d'une cause légitime et doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Considérant que c'est à raison que les premiers juges l'ont débouté de sa demande en remboursement de frais qui faisaient l'objet une rémunération forfaitaire sous forme de la commission additionnelle de 3 %.
Considérant que M. Boillod Cerneux, non-salarié de la société Little K, est mal fondé à réclamer le paiement des salaires pour des activités annexes inhérentes à celles exercées dans le cadre de son mandat d'intérêt commun, qu'il doit être débouté de sa demande à ce titre.
Considérant que le sens du présent arrêt implique de ne pas ordonner la remise des documents réclamés lettre de licenciement, attestation pour l'ASSEDIC et certificats de travail.
Considérant qu'il n'y a pas lieu de donner acte à la société Little K de la condamnation prononcée à l'encontre de M. Boillod Cerneux dés lors qu'un tel donner acte n'ajoute rien aux droits résultant de cette décision.
Considérant qu'il y a lieu de débouter la société Little K de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif dés lors qu'elle n'établit pas que M. Boillod Cerneux qui a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits, ait en faisant appel, commis une faute de nature à faire dégénérer en abus le droit d'ester en justice.
Considérant que M. Boillod Cerneux, partie perdante, doit être condamné aux dépens et débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
qu'il n'est pas inéquitable de faire supporter à la société Little K la charge de ses frais irrépétibles.
Par ces motifs: Rejette l'exception d'incompétence, Confirme le jugement sauf concernant l'attestation pour l'ASSEDIC, Le réformant de ce chef, Statuant à nouveau et y ajoutant, Déboute M. Boillod Cerneux de l'ensemble de ses demandes, Déboute la société Little K de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif, Condamne M. Boillod Cerneux aux dépens, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.