CA Lyon, 3e ch., 14 janvier 2000, n° 98-01580
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Castro Travaux Publics (SARL)
Défendeur :
Sabourin (ès qual.), M3S Magec (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bailly
Conseillers :
Mme Robert, M. Santelli
Avoués :
SCP Dutrievoz, SCP Aguiraud
Avocats :
Mes Dealberti, Dumont-Latour
Exposé du litige - Procédure - Prétention des parties
La société Castro Travaux Publics a commandé à la société M3S Magec, selon bon du 3 octobre 1996, une pelle Liebherr sur chenille, un godet rétro pour un prix de 180 900 F TTC dont le paiement devait intervenir au moyen de trois traites.
Par courrier du 20 novembre 1996, la société Castro TP faisait part de l'absence de remise en état des matériels commandés et suspendait ses règlements.
Le 29 novembre 1996, Me Sabourin, ès qualités, proposait de déduire du prix le coût des travaux de réparations et de faire une proposition d'achat sur la base d'un devis qui était établi par une entreprise, pour un montant de 194 631,40 F et qui devait être transmis à Me Sabourin sans qu'il juge opportun de donner réponse.
C'est ainsi que la société Castro TP a saisi le Tribunal de commerce de Lyon pour voir constater que les matériels sont affectés d'un vice caché et pour prononcer la résolution judiciaire avec restitution par l'acquéreur du matériel et par le vendeur du prix.
Par jugement du 9 janvier 1998, le tribunal de commerce:
- disait irrecevables les demandes de la société Castro TP,
- lui donnait acte qu'elle tient à sa disposition les matériels,
- fixait son préjudice à 6 070 F,
- l'invitait à se pourvoir contre le tiers porteur des effets,
- rejetait toute indemnité judiciaire.
Par déclaration du 12 février 1998, la société Castro TP a interjeté appel de cette décision.
Elle soutient que la réformation du jugement s'impose à raison de vices dont était atteinte la pelle mécanique, dès avant la mise en liquidation judiciaire de la société Magec, sur le fondement de l'article 1644 du Code civil, et demande que, si l'action rédhibitoire n'est pas retenue, c'est l'action estimatoire qui devra s'appliquer sur le fondement de l'article 1646 du Code civil comme l'avait accepté Me Sabourin dans un courrier du 27 novembre 1996 qui proposait la déduction des frais de remise en état du matériel sur présentation d'un devis. Elle précise que le montant de ces frais s'élève à 194 694 F.
A titre subsidiaire, elle réclame l'instauration d'une expertise judiciaire.
Elle demande aussi la réformation du jugement et la condamnation de Me Sabourin, ès qualités, à lui payer 100 000 F à titre de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance et 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Maître Sabourin, ès qualités, réplique en indiquant que les demandes adverses sont irrecevables, dès lors que l'article 47 de la loi du 25 janvier 1985 interdit toute action en justice de la part de créanciers pour des créances antérieures au jugement d'ouverture en vue de voir prononcer une condamnation à paiement.
Il observe que la société Castro TP n'a pas déclaré sa créance et qu'elle est aujourd'hui forclose.
Il relève, à titre subsidiaire, que l'action engagée n'est pas fondée puisque le matériel a été acquis par un professionnel, qui a essayé le matériel préalablement et qu'ainsi en vertu de l'article 1642 du Code civil, le vendeur ne peut être tenu des vices apparents sur un matériel acheté en l'état et dont l'acheteur ne peut rapporter la preuve d'un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil.
Il demande que la désignation d'expert soit écartée, de même que les dommages et intérêts qui supposeraient une faute imputable à lui-même, ainsi qu'un préjudice et un lien de causalité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Il réclame reconventionnellement pour la procédure abusive, la condamnation de la société Castro TP à lui payer 20 000 F (article 1383 du Code civil) et au surplus, une indemnité judiciaire de 20 000 F (article 700 du nouveau Code de procédure civile).
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 février 1999.
Motifs et décision
I. Sur la recevabilité
Attendu que la demande en résolution d'un contrat de vente pour défaut de conformité et existence de vices cachés, ne fait pas partie des interdictions d'engager une action en justice de la part des créanciers d'une liquidation judiciaire, telles qu'elles ont été prévues à l'article 47 de la loi du 25 janvier 1985;
Que, dans ces conditions, les demandes formées par la société Castro TP à l'encontre de Me Sabourin, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Magec, en vue de voir prononcer la résolution de la vente d'un tracto-pelle, intervenue le 3 octobre 1996 entre les deux sociétés susnommées, sur le fondement de l'action rédhibitoire est recevable;
Qu'en revanche, la réclamation en dommages et intérêts formée par la société Castro TP sur le fondement de l'action estimatoire, ne peut être accueillie, à raison du texte précité, de même que celle se rapportant à une indemnisation au titre d'un préjudice de jouissance;
II. Sur le fond
Attendu que la preuve de l'existence d'un vice caché affectant le matériel vendu par la société Magec à la société Castro, le 3 octobre 1996 au sens de l'article 1641 du Code civil, appartient à l'acheteur qui invoque le vice, rendant la chose impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminue cet usage, de sorte que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un prix moindre s'il les avait connus;
Attendu que la société Castro TP - qui a eu tout loisir - si elle l'avait jugé utile, de procéder, avant d'acquérir le matériel incriminé, aux essais préliminaires à la transaction - ne peut invoquer des vices dont la révélation ne pouvait échapper à l'attention et à la sagacité d'un professionnel normalement avisé;
Attendu qu'en effet, dans un courrier du 20 novembre 1996, adressé à M. Philippe Gérard, responsable de la société Magec, la société Castro TP fait état d'un défaut d'équipement du matériel concernant le remplacement de vitres cassées, celui d'un siège, et celui de poignées de commandes, ainsi que de l'absence d'un godet d'excavation;
Que ces seuls éléments relèvent de vices apparents qui ne peuvent faire l'objet d'une garantie de la part de vendeur, dès lors que l'acheteur - au surplus professionnel - pouvait s'en convaincre lors de la transaction;
Attendu que, sur le fondement de l'action rédhibitoire, la société Castro TP doit être déboutée;
Attendu que l'arrangement proposé par Me Sabourin, ès qualités à la société Castro TP dans un courrier du 27 novembre 1996, d'acquérir le matériel en l'état et au prix convenu, déduction faite des frais de remise en état, ne constituait qu'une proposition de règlement amiable et non un engagement ferme de la part du liquidateur judiciaire;
Qu'en tout état de cause, pour être régulière et donc formalisable, cette offre transactionnelle aurait dû faire l'objet d'une décision du tribunal de commerce autorisant cette opération conclue postérieurement au jugement d'ouverture;
Que tel n'est pas le cas en l'espèce, et qu'ainsi cette demande doit être rejetée;
Attendu qu'elle invoque une créance de 6 070 F (pièces n° 13, 14 et 15) correspondant au montant des factures de remise en état du tracto-pelle, conformément aux énonciations portées sur le bon de commande du 3 octobre 1996, se rapportant aux modifications et aux changements à exécuter sur ce matériel de la main du vendeur;
Qu'ainsi cette créance est justifiée;
Que cependant, elle devait faire l'objet d'une déclaration entre les mains du liquidateur judiciaire;
Que faute de l'avoir fait dans le délai imparti par la loi, elle se trouve forclose pour se faire relever et par conséquent, ne peut se prévaloir d'une créance de ce fait éteinte;
Attendu que sa demande sera donc rejetée sans qu'il soit possible, contrairement à la décision des premiers juges, de fixer le montant d'une créance non déclarée;
Attendu que la décision déférée sera réformée en conséquence;
Attendu que l'équité commande d'allouer à Me Sabourin, ès qualités, une somme de 4 500 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Que la société Castro TP devra supporter tous les dépens, y compris ceux de première instance;
Par ces motifs: LA COUR, I. Sur la recevabilité: Confirme le jugement entrepris sur l'irrecevabilité de la demande de la société Castro TP au titre de l'action estimatoire, ainsi que celle au titre de l'action indemnitaire; Le réforme sur le surplus; Dit recevable la demande au titre de l'action rédhibitoire; II. Sur le fond: Réforme le jugement entrepris; Statuant, à nouveau; Rejette la demande de la société Castro TP au titre de l'action rédhibitoire comme mal fondée; Rejette la demande formée au titre de l'action estimatoire; Constate l'extinction de la créance de la société Castro, à hauteur de 6 070 F; Condamne la société Castro TP à payer à Me Sabourin, ès qualités, la somme de 4 500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; La condamne à payer tous les dépens de première instance et d'appel, ces derniers recouvrés par la SCP Aguiraud, Avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.