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Décisions

CA Paris, 1re ch. B, 10 novembre 1995, n° 94-19260

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

United Distillers International (Sté), Avenir Havas Média (SA)

Défendeur :

Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerin

Conseillers :

MM. Pluyette, Boval

Avoués :

SCP Bommart Forster, SCP Teytaud, SCP Verdun Gastou

Avocats :

Mes Landon, Lepretre, Giafferi.

TGI Paris, 5e ch., 2e sect., du 25 mars …

25 mars 1994

La société United Distillers International (ci-après UDI) et la société Avenir Havas Média (ci-après Havas) sont appelantes du jugement rendu le 25 mars 1994 par le Tribunal de grande instance de Paris (5e CHAM 2e Section) dans le litige les opposant à l'Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme (ci-après ANPA).

Référence étant faite au jugement déféré et aux écritures échangées entre les parties pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, il suffit de rappeler les éléments suivants.

A la demande de la société UDI, exploitante de la marque de whisky " Johnie Walker ", la société Havas a réalisé des affiches publicitaires représentant un barman en train de servir une bouteille de cette marque.

Après avoir fait constater par huissier le 25 novembre 1995 l'apposition de l'une de ces affiches rue Saint-Paul à Paris, l'ANPA a assigné les 3 et 5 janvier 1994 les sociétés UDI et Havas en paiement de la somme de 200 000 F en réparation du préjudice causé par cette publicité qu'elle estimait contraire aux dispositions de l'article L. 17-3° du code des débits de boissons.

La déclarant recevable et bien fondée en son action, le jugement déféré a condamné les deux sociétés défenderesses in solidum à lui payer la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts.

Les sociétés UDI et Havas poursuivent la réformation de cette décision en demandant dans leurs conclusions signifiées les 18 et 22 novembre 1994 de :

- déclarer l'ANPA irrecevable en son action,

- constater que dans sa nouvelle rédaction, l'article L. 17-3° du code des débits de boissons, modifié par la loi du 8 août 1994, autorise la publicité sous forme d'affiches pour les boissons alcooliques et que, dans son ancienne rédaction, il était inapplicable en l'absence de décret définissant les " zones de production ",

- débouter en conséquence l'ANPA de ses prétentions.

Les appelantes sollicitent, sur le fondement de l'article 700 du NCPC, la condamnation de l'intimée à payer 50 000 F à la société Havas et 15 000 F à la société UDI, laquelle demande en outre un franc symbolique à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi que la publication de l'arrêt à intervenir.

Tout en répliquant à l'argumentation des appelantes, l'ANPA a, par conclusions du 5 juillet 1995, invoqué également au soutien de sa demande les dispositions de l'article L. 18 du code des débits de boissons et demandé de porter à 200 000 F le montant des dommages-intérêts qui lui sont alloués, en sollicitant la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Les 15 et 22 septembre 1995, les deux appelantes ont conclu à l'irrecevabilité de cette demande nouvelle, tandis que par conclusions du 29 septembre 1995, l'ANPA a répliqué qu'il ne s'agissait que d'un moyen nouveau.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 4 octobre 1995, il convient, conformément à la demande de l'ANPA, d'écarter des débats les conclusions signifiées par la société UDI les 4 et 5 octobre 1995 ;

Considérant que les appelantes font grief en premier lieu au jugement déféré d'avoir déclaré l'ANPA recevable en son action, alors qu'elle ne justifierait d'aucune qualité pour agir à leur encontre ;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 1er de ses statuts, l'Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme, fondée en 1872 et reconnue d'utilité publique depuis 1880, a pour but :

" a) de développer une politique globale de prévention des risques et des conséquences de l'alcoolisation, par tous moyens en son pouvoir et notamment par l'appel à l'opinion et par une action constante auprès des pouvoirs publics et des autres décideurs...

" b) de veiller à l'amélioration et à l'application de la législation en la matière et d'exercer ses droits reconnus de partie civile... " ;

Considérant par ailleurs qu'aux termes de l'article L. 96 du code des débits de boissons, " les associations dont l'objet statutaire comporte la lutte contre l'alcoolisme, régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits, peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile pour les infractions aux dispositions du présent code " ;

Considérant qu'il ressort de ces dispositions que, même en l'absence de poursuites pénales devant une juridiction répressive, l'ANPA se trouve habilitée à agir devant une juridiction civile sur le fondement de l'article 1382 du code civil pour demander réparation du préjudice résultant de l'inobservation du code des débits de boissons ;

Considérant que tel est l'objet de la présente instance, dans laquelle se trouve en infraction avec les dispositions légales et sollicite des dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice subi du fait de cet affichage allant à l'encontre de son objet statutaire ;

Que le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il l'a déclaré recevable en son action ;

Considérant que les appelantes font grief en second lieu à ce jugement d'avoir retenu leur responsabilité pour avoir enfreint les dispositions de l'article L. 17° 3 du code des débits de boissons, alors que celles-ci ne pouvaient avoir pour effet de prohiber l'affichage litigieux ;

Considérant qu'à l'époque des faits poursuivis, ces dispositions étaient ainsi libellées :

" La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques dont la fabrication et la vente ne sont pas interdites, sont autorisées exclusivement :

" ... sous la forme d'affiches et d'enseignes dans les zones de production, sous forme d'affichettes et d'objets à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, dans des conditions définies en Conseil d'Etat... " ;

Or considérant que si un décret du 29 mars 1993 a précisé les modalités de publicité autorisées à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, les conditions relatives à la publicité par voie d'affiches sur la voie publique n'ont fait l'objet d'aucun décret précisant la notion de " zone de production " ;

Considérant que le jugement déféré en a déduit que la disposition autorisant la publicité par affiches n'était pas exécutoire et que l'affichage incriminé était donc illicite ;

Mais considérant que le principe affirmé par l'article L. 17 du code des débits de boissons n'est pas l'interdiction de toute publicité pour les boissons alcoolisées, mais au contraire son autorisation dans les conditions énumérées par cet article ;

Considérant par ailleurs qu'une loi ne peut être immédiatement applicable lorsqu'elle prévoit qu'un décret fixera ses conditions d'application ou que ses dispositions rendent nécessaires l'intervention d'un texte réglementaire ;

Or, considérant que les dispositions de l'article L. 17-3 précitées précisent expressément que les modalités de la publicité sous forme d'affiches devront être définies par un décret en Conseil d'Etat ;

Considérant en outre que la mise en œuvre de ces dispositions impliquait nécessairement une définition préalable de la notion de " zone de production " et qu'interrogé sur leur constitutionnalité, la Conseil constitutionnel a, dans un avis du 10 janvier 1991, indiqué qu'il " appartiendra au pouvoir réglementaire agissant par décret en Conseil d'Etat d'assurer la mise en œuvre de la loi en fonction de données objectives applicables à l'ensemble des boissons alcooliques, en respectant les normes édictées dans le cadre de leur compétence par les autorités des communautés européennes " ;

Qu'en effet la limitation de la publicité aux seules boissons produites sur le territoire français serait contraire aux dispositions du Traité de Rome ;

Considérant qu'il s'ensuit qu'en l'absence de précisions sur les limitations devant être apportées à l'autorisation de la publicité pour les boissons alcooliques par voie d'affiches, l'affichage incriminé ne pouvait être sanctionné sur le seul fondement de l'article L. 17-3° du code des débits de boissons et que le jugement déféré sera réformé de ce chef ;

Considérant que l'ANPA fait valoir devant la Cour que l'affiche litigieuse contrevient aux dispositions de l'article L. 18 du code des débits de boissons aux termes desquelles :

" La publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit.

" Cette publicité peut comporter en outre des références relatives aux terroirs de production et aux distinctions obtenues.

" Le conditionnement ne peut être reproduit que s'il est conforme aux dispositions précédentes.

" Toute publicité en faveur de boissons alcooliques, à l'exception des circulaires commerciales destinées aux personnes agissant à titre professionnel, doit être assortie d'un message de caractère sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé ".

Considérant que contrairement à ce que prétendent les appelantes, il ne s'agit pas d'une demande nouvelle, mais d'un simple moyen nouveau devant être déclaré recevable conformément aux dispositions de l'article 565 du NCPC, aux termes desquelles " les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent " ;

Considérant que le constat d'huissier dressé le 25 novembre 1995 décrit l'affiche incriminée de la manière suivante :

" En haut de l'affiche, est inscrit en gros caractères " Johnie Walker, Max, Barman, Red Label, Old Scotch Whisky, distilled blended and bottled in Scotland ",

" Au centre de l'affiche, un barman sert un verre de whisky sur comptoir. Il a en main une bouteille de whisky. A droite de celui-ci, sont posés sur le comptoir une bouteille de whisky Johnie Walker et 3 verres contenant du whisky à demi pleins.

" Au bas de l'affiche, est inscrit sur une bande blanche en lettres noires : " L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. Consommez avec modération. " ;

Considérant qu'en incluant dans cette affiche un barman et un comptoir, les sociétés UDI et Havas ont enfreint les dispositions de l'article L. 18 précité, qui énumèrent de manière limitative les éléments dont peut être composées une publicité ;

Considérant qu'il s'ensuit que le second grief invoqué par l'ANPA doit être déclaré fondé et qu'il convient, par cette substitution de motifs, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné les société UDI et Havas à réparer le préjudice subi par cette association ayant pour objet la prévention de l'alcoolisme ;

Que toutefois l'indemnité réparatrice de 30 000 F qui lui a été allouée apparaît suffisante et qu'il n'y a pas lieu de la majorer ;

Considérant enfin qu'il convient, en application de l'article 700 du NCPC, de condamner les appelantes in solidum à payer à l'ANPA, la somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles par elle exposés dans le cadre de cette instance ;

Considérant en revanche que l'action engagée à leur encontre étant déclarée fondée, les demandes présentées à ce titre par les appelantes seront rejetées, de même que la demande reconventionnelle pour procédure abusive présentée par la société UDI ;

Par ces motifs : Écarte des débats les conclusions signifiées les 4 et 5 octobre 1995 par la société United Distillers International ; confirme le jugement déféré ; y ajoutant, Condamne la société United Distillers International et la société Avenir Havas Média in solidum à payer à l'Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme (ANPA) la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC ; les condamne aux dépens d'appel dont le montant pourra être recouvré directement par la SCP Verdun Gastou, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.