CA Paris, 1re ch. A, 17 mars 1992, n° 91-20.518
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Marie Brizard (Sté), Cogedipresse (Sté), Le Nouvel Observateur du Monde (Sté), Télérama (Sté)
Défendeur :
Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hannoun
Conseillers :
Mlle Aubert, M. Guérin
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Parmentier Hardouin, SCP Verdun Gastou, Me Kieffer-Joly, SCP Valdelièvre Garnier
Avocats :
Mes Andrieu, Persin, Durand, Pelissier, de Beughem.
La société Maris Brizard est appelante de l'ordonnance rendue le 24 septembre 1991 par le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris qui, sur la demande de l'Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme (ci-après ANPA), lui a interdit ainsi qu'aux sociétés Cogedipresse, Télérama et Le Nouvel Observateur de continuer à diffuser une publicité pour la liqueur Marie Brizard comme étant contraire aux nouvelles prescriptions de l'article L.18 du code des débits de boissons modifié par la loi du 10 janvier 1991.
Référence étant faite à cette décision pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, il suffit de rappeler que la société Marie Brizard a fait paraître dans l'hebdomadaire Paris Match édité par la société Cogedipresse, ainsi que dans les revues Télérama et le Nouvel Observateur, une publicité comportant le slogan :
" Marie Brizard. On n'a rien fait d'aussi troublant depuis 1755. " et illustrée par la présentation d'une bouteille d'anisette " Marie Brizard " se détachant sur un fond reproduisant le tableau de Fragonard " Le Baiser ".
Le slogan choisi se trouve également explicité par le commentaire suivant inscrit en caractères sensiblement plus petits : " Servez la Marie Brizard sur glace, elle se troublera et prendra sa couleur opaline ", ce commentaire étant illustré par la présence d'un verre avec des glaçons à côté de la bouteille de liqueur dont l'étiquette comporte la mention " Marie Brizard depuis 1755. "
Relevant que la loi du 10 janvier 1991 limite les indications littérales que peuvent comporter les messages publicitaires en faveur des boissons alcoolisées à l'origine, la dénomination et la composition du produit, l'ordonnance déférée a estimé que le slogan précité revêtait un caractère manifestement illicite et a interdit son maintient sur la publicité litigieuse.
Les sociétés Cogedipresse, Télérama et le Nouvel Observateur ont conclu au soutien de l'appel formé par la société Marie Brizard.
Elles font valoir avec elle que la demande présentée par l'ANPA se heurte, tant au regard du droit interne que du droit communautaire, à des contestations sérieuses excédant la compétence du juge des référés, et subsidiairement que la publicité incriminée n'a pas enfreint les nouvelles prescriptions de l'article L. 18 du code des débits de boissons.
Répliquant à leurs arguments, l'ANPA conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise.
Enfin toutes les parties sollicitent une indemnité au titre de l'article 700 NCPC.
Sur ce, LA COUR,
Considérant qu'aux termes de l'article L. 18 du code des débits de boissons modifié par la loi du 10 janvier 1991, " la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitées à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit " ;
Considérant que l'ANPA fait valoir au soutien de sa demande d'interdiction de la publicité incriminée qu'elle est manifestement contraire aux prescriptions susvisées ;
Considérant que la société Marie Brizard et les sociétés ayant procédé à la diffusion de cette publicité soutiennent que cette demande se heurte à des contestations sérieuses excédant la compétence de la juridiction des référés ;
Mais considérant que l'article 809 du NCPC réserve expressément au juge des référés le pouvoir d'apprécier l'illicéité du trouble qu'il lui est demandé de faire cesser en examinant à cet effet la pertinence des contestations opposées par les parties poursuivies ;
Considérant que les société Marie Brizard et le Nouvel Observateur prétendent tout d'abord que les dispositions précitées de la loi du 10 janvier 1991 seraient contraires au droit communautaire dans la mesure où elles pourraient constituer un obstacle aux importations de boissons en provenance d'autres États membres de la Communauté ;
Mais considérant que l'ANPA fait à juste titre observer en réplique d'une part que l'article 36 du Traité de Rome permet aux États membres de prendre des mesures justifiées par la protection de la santé, d'autre part, que la loi susvisée ne comporte aucune discrimination entre les boissons nationales et les boissons importées;
Que dès lors, sans qu'il soit nécessaire de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle, la première contestation soulevée n'apparaît pas de nature à faire obstacle à l'examen de la demande présentée ;
Considérant que les sociétés poursuivies soutiennent en second lieu que la publicité incriminée serait conforme aux prescriptions du nouvel article L.28 du code des débits de boissons dans la mesure où le tableau de Fragonard tend à illustrer l'époque de création de la liqueur Marie Brizard et où le caractère " troublant " de cette boisson est explicité par les indications relatives à son mode de consommation ;
Mais considérant que si la reproduction d'une œuvre picturale pour constituer le support d'une publicité en faveur d'une boisson alcoolisée ne revêt pas en soi un caractère manifestement illicite, aucun slogan incitant à sa consommation ne saurait être admis;
Or considérant que quelle que soit l'ingéniosité avec laquelle la publicité incriminée utilise simultanément le terme " troublant " au sens propre et au sens figuré, le slogan choisi en association avec la reproduction du " Baiser " de Fragonard n'a d'autre but que d'évoquer l'émotion que l'on pourrait éprouver en dégustant la liqueur présentée;
Qu'il présente en conséquence un caractère incitatif évident et se trouve dès lors manifestement illiciteau regard des dispositions de la loi du 10 janvier 1991 ;
Considérant que les sociétés Marie Brizard, Cogedipresse, Télérama et Le Nouvel Observateur succombant en leurs prétentions, il n'y a pas lieu de faire droit à leurs demandes fondées sur l'article 700 du NCPC ;
Considérant qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l'ANPA les frais irrépétibles par elle exposés dans le cadre de cette instance ; qu'il convient de porter à 15 000 F l'indemnité qui lui a été allouée de ce chef, laquelle sera mise à la charge de la seule société Marie Brizard, les sociétés éditrices n'ayant fait que diffuser à sa demande la publicité illicite par elle choisie ;
Que toutefois l'action engagée à leur encontre ayant été déclaré fondée, les dépens seront supportés par l'ensemble des sociétés poursuivies ;
Par ces motifs, Déclare la société Marie Brizard mal fondée en son appel ; Confirme l'ordonnance déférée sauf en ce qui concerne les dispositions relatives à l'article 700 du NCPC ;
Condamne la société Marie Brizard à payer sur le fondement de cet article la somme de 15 000 F à l'Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme au titre des frais irrépétibles par elle exposés tant en première instance qu'en appel ; La condamne in solidum avec les sociétés Cogedipresse, Télérama et Le Nouvel Observateur in solidum aux dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement pourra être poursuivi par la SCP Verdun Gastou, titulaire d'un office d'avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.