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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 3 novembre 1992, n° 3995-92

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministère public, Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cerdini

Conseillers :

MM. Mc Kee, Valantin

Avocats :

Mes Halpern, Durand.

TGI Paris, 31e ch., du 17 mars 1992

17 mars 1992

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le tribunal, après avoir rejeté les conclusions de relaxe par le conseil des prévenu, a déclaré G Alexandre dit Axel coupable d'infraction à la réglementation de la publicité pour boissons alcooliques, délit commis en février 1991 à Paris,

Et par application des articles L.18 et L. 21 du Code des débits de boissons,

L'a condamné à la peine de : 20 000 F d'amende,

Sur l'action civile : le tribunal a reçu l'ANPA en sa constitution de partie civile et a condamné G Alexandre dit Axel à lui payer la somme de 1 F de dommages-intérêts et celle de 3 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

Le tribunal a débouté G Alexandre dit Axel de sa demande reconventionnelle ;

Le tribunal a condamné le prévenu aux dépens envers l'Etat liquidés à la somme de : 240 F ;

Appels :

Appel a été interjeté par :

1° G Alexandre dit Axel le 24 mars 1992, par l'intermédiaire de son conseil, sur les dispositions pénales et civiles,

2° le Procureur de République près le Tribunal de grande instance de Paris le même jour,

3° la partie civile, l'ANPA, la 30 mars 1992, par l'intermédiaire de son conseil,

Décision :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels interjetés par le prévenu le Ministère public et la partie civile à l'encontre du jugement déféré ;

S'y référant pour l'exposé de la prévention ;

Il est rappelé que par exploit d'huissier du 29 mars 1991, l'Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme, agissant par son président M. Jean Serignan, a cité directement devant le Tribunal correctionnel Axel G, en qualité de prévenu, pour avoir enfreint les dispositions de l'article L. 18 du Code relatif à la lutte contre l'alcoolisme, en laissant publier dans la revue " Géo " de février 1991 une publicité afférente à la boisson alcoolisée de marque " Suze " ;

Cette publicité reproduit d'une part, un montage photographique représentant un homme et une femme à côté d'un piano, sur lequel sont posés une bouteille " Suze " et un verre plein, d'autre part, un slogan en très gros caractères " j'ai osé, j'ai goûté, j'ai aimé " ;

Au bas de cette publicité est écrit, en petits caractères, l'avertissement " sachez apprécier et consommer avec modération ".

Dans ses conclusions le prévenu soutient que la loi française est incompatible avec le Traité de Rome aux motifs que les articles L. 17 et L. 18 du Code des débits de boissons équivalent à des restrictions quantitatives à l'importation et ne satisfont pas au principe de proportionnalité. Il demande en conséquence d'écarter l'application de la loi française, au moins de saisir la Cour de Justice des Communautés Européennes d'une question préjudicielle.

Sans contester l'application immédiate de la loi du 10 janvier 1991 le prévenu soutient qu'il ne pouvait prendre les mesures nécessaires pour mettre sa publication en conformité avec la législation en vigueur. Il sollicite sa relaxe aux motifs que les article L. 17 et L. 21 de ce Code sont inapplicables aux publications de presse ; sa responsabilité pénale ne peut être retenue en sa qualité de directeur de la publication cette responsabilité de droit étant spécifique à la loi du 29 juillet 1881 et l'infraction qui lui est reprochée n'étant pas prévue par cette loi. Il soutient également qu'il n'a pas participé personnellement à l'infraction visée à la prévention et que la publicité incriminée ne contrevient pas aux dispositions de l'article L. 18 du Code des débits de boissons.

La partie civile demande la confirmation du jugement déféré et 10 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Sur l'incompatibilité de la loi française avec le Traité de Rome :

Considérant que les restrictions apportées par la législation française à la publicité pour les boissons alcooliques frappent aussi bien les produits nationaux que les produits importés d'autres Etats membres de la Communauté.

Que les articles L. 17 et L. 18 du Code des débits de boissons, ne font aucune distinction sur l'origine de ces boissons, ne sont pas discriminatoires et ne peuvent donc être considérées comme instituant des restrictions quantitatives à l'importation de ces produits ou des mesures d'effet équivalent.

Considérant également qu'il ne peut être soutenu, comme le fait le prévenu, que la réglementation française est disproportionnée à l'objectif qu'elle poursuit.

Qu'en effet cette réglementation ne compte aucune prohibition générale de la publicité en faveur de ces boissons mais qu'elle la réglemente quant à son contenu et quant aux supports susceptibles de la véhiculer, ne l'interdisant qu'à la télévision, dans les publications destinées à la jeunesse ou en certains lieux tels que les terrains de sport.

Qu'ainsi les restrictions imposées n'apparaissent pas disproportionnées au but poursuivi de modération de la consommation de l'alcool et de la protection de la jeunesse.

Considérant enfin que, la protection de la santé publique est mentionnée expressément parmi les motifs d'intérêt général énumérés à l'article 36 du Traité de Rome susceptibles de permettre à un Etat membre d'échapper à la prohibition de l'article 30.

Que la publicité en faveur des boissons alcooliques constituant manifestement une incitation à la consommation, une réglementation tendant à limiter cette publicité et par ce moyen à lutter contre l'alcoolisme répond à l'évidence à des préoccupations de santé publique.

Considérant qu'il convient en conséquence de rejeter les conclusions du prévenu tendant à écarter l'application de l'article 18 du Code des débits de boissons et à la saisine de la Cour de Justice des Communautés Européennes d'une question préjudicielle.

Sur la matérialité de l'infraction :

Considérant que l'article L. 18 limite la publicité des boissons alcooliques " à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de l'adresse du fabricant, des agents et dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit " ; qu'elle " peut comporter en outre des références relatives aux terroirs de production et aux distinctions obtenues ".

Considérant que le prévenu soutient que la publicité incriminée, qui ne communique aucune autre information que celles énumérées à l'article L. 18, ne contrevient pas aux dispositions de cet article.

Considérant, comme le soulignent les premiers juges, que l'exposé des motifs de la loi du 10 janvier 1991, précise que " la publicité doit être évitée en ce qu'elle aurait pour but, par des mécanismes d'identification, d'associer le comportement dangereux qu'est l'alcoolisme à des modes de vie séduisants et attrayants pour la jeunesse " ;

Que le législateur a donc entendu prohiber tout message publicitaire attirant de nature à inciter le consommateur à abuser de l'alcool ; qu'il a, dans cette perspective, limité la publicité autorisée aux seuls mentions nécessaires à la présentation du produit et à identification par le consommateur ;

Qu'en l'espèce la publicité incriminée contrevient aux dispositions de l'article L. 18 du Code des débits de boissons par son slogan, manifestement incitatif et ne comportant aucune des indications prévues par cet article ; par l'omission d'un message de caractère sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, l'invitation à consommer avec modération étant insuffisante au regard de la loi du 10 janvier 1991 ; et enfin par la mise en scène d'un couple visiblement satisfait de se retrouver autour d'une verre de Suze et qui extériorise sa joie par des sourires et en jouant du piano, couple dont la photo véhicule un message publicitaire incitant manifestement à la consommation du produit alcoolisé et de ce fait prohibé par le loi.

Qu'ainsi l'infraction visée à la prévention est caractérisée.

Sur l'application de la loi pénale dans le temps :

Considérant que le prévenu ne conteste plus l'application immédiate de la loi pénale, comme il l'avait fait devant les premiers juges, mais tente de se soustraire à son application en invoquant les difficultés rencontrées pour mettre sa publication en conformité avec la législation.

Considérant en effet qu'à la date d'entrée en application de la loi du 10 janvier 1991 publiée au Journal Officiel du 12 janvier 1991, l'impression de la publication incriminée datée de février 1991, étant nécessairement très avancée sinon terminée.

Qu'il appartenait cependant au responsable de cette publication de prendre les mesures nécessaires pour la mettre en conformité avec la nouvelle législation.

Que si le coût des mesures à prendre était élevé, la difficulté n'était cependant pas insurmontable.

Qu'il en sera tenu compte dans l'appréciation de la peine.

Sur la responsabilité pénale du directeur de la publication :

Considérant que le prévenu soutient que les articles L. 18 et L. 21 du Code des débits de boissons ne sont pas applicables aux publications de presse, la loi du 10 janvier 1991 n'ayant pas repris les dispositions de l'ancien article L. 21 paragraphe 3.

Qu'il fait valoir qu'il ne peut être retenu ni comme auteur principal ni comme complice, la responsabilité du directeur de la publication n'étant prévue que dans les cas limitativement énumérés par la loi du 29 juillet 1881 et uniquement pour les délits qu'elle réprime.

Considérant cependant comme l'ont souligné les premiers juges que l'article L. 21 du Code des débits de boissons réprime toutes les publicités diffusées par d'autres voies que celles prévues par l'article L. 17 ou contenant d'autres mentions que celles autorisées par l'article L. 18.

Que si la responsabilité du directeur de la publication ne peut être retenu conformément à l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881, inapplicable en l'espèce, elle peut l'être conformément au droit commun.

Qu'en effet, à défaut d'indication sur l'imputabilité de ces infractions dans la loi du 10 janvier 1991, comparables aux anciennes dispositions de l'article L. 21 paragraphe 3 dans sa rédaction de la loi du 30 juillet 1987, ce sont les règles habituelles qui s'appliquent.

Considérant que sont auteurs d'une infraction toutes les personnes qui, à des titres divers ont concouru à sa commission.

Que le directeur de la publication incriminée, qui a participé personnellement à la réalisation de l'infraction en diffusant la publicité illicite, s'est rendu coupable de l'infraction visée à la prévention en qualité d'auteur principal.

Qu'il convient en conséquence de rentrer en voie de condamnation contre lui.

Considérant, en répression, que la Cour estime devoir augmenter le quantum de l'amende comme indiqué au dispositif tout en faisant bénéficier le prévenu du sursis compte tenu des circonstances atténuantes.

Sur les intérêts civils :

Considérant que les dispositions civiles du jugement déféré méritent confirmation.

Qu'il convient d'allouer à la partie civile une somme supplémentaire de 3 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels interjetés, Confirme le jugement déféré sur la culpabilité et sur les intérêts civils, Le réformant sur la peine condamne G Alexandre dit Axel à 100 000 F d'amende, Dit qu'il sera sursis à exécution de cette peine conformément aux dispositions des articles 734 et 737 du Code de procédure pénale, Condamne G Alexandre dit Axel à payer à la partie civile une somme complémentaire de 3 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Condamne le prévenu aux dépens liquidés à la somme de : 396,16 F.