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Décisions

CA Versailles, ch. civ. réunies, 12 mars 1997, n° 5851-95

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mumm et Compagnie (Sté), DDB Needham Worldwide Communications (SA)

Défendeur :

ANPA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gillet

Conseillers :

Mmes Obram-Campion, Rousset- Bourquard, Simonnot, Prager-Bouyala

Avoués :

SCP Fievet-Rochette- Lafon, SCP Keime-Guttin, SCP Gas

Avocats :

Mes Giafferi, Tellier, Cabinet Coblence.

TGI Paris, 1re ch., 1re sect., du 7 oct.…

7 octobre 1992

I

I - 1 Considérant que la Société GH Mumm et Cie, importateur, et la société DDB NeedhamWorldwide Communication, agent de publicité, ont fait paraître en 1991 dans un hebdomadaire une double page de publicité en faveur du whisky de marque " Chivas Régal " et a côté de celui-ci deux livres aux reliures anciennes sur lesquels était posée une paire de lunettes rondes cerclées d'une monture métallique, un ruban défait et une enveloppe ouverte ; qu'elle était accompagnée du slogan " le présent n'est rien sans l'héritage du passé " ;

I -2 Considérant que l'Association nationale de prévoyance de l'alcoolisme (ANPA) a tenu cette publicité pour illicite au regard de l'article L. 18 du Code des débits de boissons ; qu'elle a réclamé aux deux sociétés susmentionnées, après en avoir d'ailleurs assignées deux autres étrangères à l'annonce, une somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts ; que par jugement du 7 octobre 1992 le Tribunal de Grande Instance de Paris à rejeté cette demande ; que la Cour d'appel de Paris, saisie de l'appel relevé de cette décision par l'ANPA, a rendu le 22 juin 1993 un arrêt confirmatif qui a été cassé par arrêt rendu par la Cour de cassation le 28 juin 1995 ;

II

II - 1 Considérant que devant la présente cour, juridiction de renvoi, l'ANPA réitère sa demande de dommages-intérêts et sollicite une somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

II - 2 Considérant que la société GH Mumm et Cie conteste le caractère illicite de la publicité et ajoute que l'ANPA ne justifie pas d'un préjudice " direct ou indirect " ; qu'elle conclut à la confirmation du jugement et sollicite une somme de 10 000 F pour frais hors dépens ;

II - 3 Considérant que la société DDB NeedhamWorldwide conclut également à la confirmation du jugement ;

III

III - 1 Considérant qu'en vertu de l'article L. 18 du Code des débits de boissons, " la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit " ; que " cette publicité peut comporter en outre des références relatives aux terroirs de production et aux distinctions obtenues " ; que " le conditionnement ne peut être reproduit que s'il est conforme aux dispositions précédentes " ;

III - 2 Considérant que pour estimer la publicité litigieuse conforme à ces dispositions, le premier juge a relevé que les indications autorisées pouvaient résulter de l'utilisation d'images illustrant précisément les qualités énumérées et n'emportant aucune incitation à la consommation ; qu'il a énoncé que le slogan utilisé et la représentation d'objets anciens se rapportaient bien à l'origine historique du produit, eu égard à son ancienneté remontant à 1801, et à son mode d'élaboration, s'agissant d'un whisky bénéficiant d'un vieillissement de douze années ; qu'il a encore énoncé que la présentation faite du produit, caractérisée par une élégance photographique mettant en valeur " le caractère luxueux apparemment conféré au Chivas Régal par l'écoulement du temps ", ne recourait et ne renvoyait qu'aux qualités visées à l'article L. 18 du Code des débits de boissons et ne comportait " si esthétique soit-elle ", aucune incitation à la consommation d'alcool ;

III - 3 Considérant qu'à ce raisonnement, qu'elle approuve, la société GH Mumm ajoute que le terme " indication " permet l'utilisation publicitaire d'images, celles incriminées n'ayant d'autre objet que de rappeler " avec discrétion et de manière non incitative " le mode d'élaboration et l'origine historique du whisky Chivas, le dispositif adopté ayant pour simple objet de " rappeler l'importance que la marque Chivas Régal attache au respect du temps dans le mode d'élaboration de son whisky " et les objets choisis étant " une référence implicite à la date de fondation de la maison Chivas, créée en 1801 ".

III - 4 Considérant qu'outre ces arguments, la société DDB NeedhamWorldwide fait valoir que le propre d'une publicité commerciale est de transmettre au public une image attrayante du produit et d'inciter à sa vente donc à sa consommation, ce qui exclurait toute limitation à des indications objectives ; qu'elle ajoute que lors du vote de la loi dont découle l'article L. 18 du Code des débits de boissons le Parlement n'a pas retenu un amendement visant à exiger " un fond neutre ", ce qui confirmerait une volonté du législateur de ne pas limiter " les possibilités créatives " telles selon elle la composition incriminée ; qu'elle voit dans le slogan " le présent n'est rien sans l'héritage du passé " une illustration de l'origine historique du whisky en cause comme de " l'histoire des modalités de (sa) vente " ;

III - 5 Considérant certes que " l'indication " autorisée par le premier alinéa de l'article L. 18 du Code des débits de boissons peut consister dans tout procédé susceptible d'indiquer à un consommateur les qualités ou spécificités qu'énumère le même alinéa ; qu'au nombre de ces procédés figure évidemment le dessin, l'image ou tout autre procédé figuratif, ce que corrobore la mention, faite au troisième alinéa, d'une reproduction de conditionnement susceptible d'être conforme à une telle autorisation ;

III - 6 Considérant encore qu'il est dans la nature habituelle d'une publicité commerciale de présenter un produit d'une façon attractive, ce qui autorise évidemment, lorsque la publicité n'est pas autrement réglementée, toute combinaison, présentation ou création offrant au produit un cadre générateur d'une stimulation de sa vente, notamment pas les moyens d'évocation ou d'esthétique relevés en l'espèce par le premier juge et rappelés par les sociétés intimées ;

III - 7 Mais considérant qu'une lecture raisonnée de l'article dont s'agit enseigne que son objet est précisément de réglementer la publicité des boissons alcooliques pour exclure tout recours aux combinaisons, présentations ou créations susmentionnées ; que cela résulte d'évidence de ce que ladite publicité est, lorsqu'elle est autorisée, " limitée " aux indications énumérées, lesquelles peuvent parfaitement, tout en empruntant la forme de l'image, être exclusives de toute connotation attractive pour se cantonner à la relation des qualités, spécificités ou paramètres dont s'agit, relation réputée gagner en innocuité ce qu'elle perd forcément en agrément ; qu'une telle interprétation laisse à la notion de publicité une place certes réductrice mais apparemment compatible avec le danger sanitaire dont la prévention est poursuivie, puisqu'elle permet, pour qui a résolu de consommer une boisson alcoolique sans y être incité, d'exercer son discernement à la choisir par l'information qui lui est donnée sur les qualités réputées orienter un tel choix ; qu'une telle analyse ne souffre nullement du refus parlementaire d'un " fond neutre ", refus qui permet simplement l'adoption d'un fond comportant des indications éventuellement imagées ; qu'en définitive les éléments de la publicité incriminée, dont les auteurs revendiquent ou admettent cette qualité, ne se rapportent pas aux seules indications autorisées par la loi ; que sa diffusion présente donc, eut-elle été parée des mérites relevés par le tribunal, un caractère fautif générateur de responsabilité ;

IV

Considérant que nonobstant les objections de la société GH Mumm quant au préjudice, l'ANPA, dont l'objet est en substance de promouvoir la prévention de l'alcoolisme, a subi des suites de cette publicité un dommage lié, de façon directe et certaine, à l'effet publicitaire lui-même, générateur, fût-ce en quantité infinitésimale, d'un surcroît d'attirance pour l'alcool ; que ce caractère infinitésimal justifie que les dommages-intérêts alloués soient limités à un franc ;

V

Et considérant que l'équité commande d'allouer à l'ANPA une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, infirmant le jugement entrepris, condamne in solidum les sociétés GH Mumm et Cie et Ddbneedham Communication à verser à l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme un franc de dommages-intérêts, les condamne aux dépens de première instance et d'appel avec, pour ceux exposés devant la présente cour, droit de recouvrement direct au profit de la S.C.P. Fievet-Rochette-Lafon, avoués. Les condamne en outre à verser à l'association susnommée une somme de 20 000 F pour frais hors dépens.