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Décisions

CA Rennes, 3e ch., 16 novembre 2000, n° 1812-2000

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Loquais (ès qual.), Gitel (SARL), La croix de bédée (SCI), Broichot

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Moignard

Avocat général :

M. Aubry

Conseillers :

Mmes Turbe-Bion, Jeannesson

Avocats :

Mes Guilloux, Hillel.

TGI Lorient, ch. corr., du 20 oct. 1997

20 octobre 1997

Le jugement:

Le Tribunal correctionnel de Lorient par jugement contradictoire en date du 20 octobre 1997, pour publicité mensongère ou de nature à induire en erreur

a relaxé Michel R

Les appels:

Appel a été interjeté par:

SARL Gitel, le 24 octobre 1997 contre Monsieur R Michel

SCI La Croix Bédée, le 24 octobre 1997 contre Monsieur R Michel

M. le Procureur de la République, le 27 octobre 1997 contre Monsieur R Michel

La prévention:

Considérant qu'il est fait grief au prévenu d'avoir à Auray ou Lanester, au cours de l'année 1988:

1°) effectué une publicité comportant des allégations indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la prestation de service rendu par "technique et bâtiment".

Faits prévus et réprimés par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1, L. 213-1 du Code de la consommation, 44 Loi du 27 décembre 1973 abrogé depuis la commission des faits

2°) trompé le cocontractant sur la nature d'une prestation de service.

Faits prévus et réprimés par les articles L. 213-1, L. 216-1 du Code de la consommation, 1 et 16 de la loi du 1er août 1905 abrogé depuis la commission des faits.

En la forme:

Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme

Au fond:

Les faits sont les suivants:

Le 24 août 1989, M. Gérard Hervo ès qualités de gérant de la SCI "La Croix Bédée" à Nean-sur-Yvel et Mme Gisèle Broichot ès qualités de gérante de la SARL Gitel à Auray, déposaient plainte contre R avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Lorient pour escroquerie.

Les gérants expliquaient que désirant faire rénover un hôtel à Aura La Croix Bédée et étant maîtres d'ouvrage, ils s'étaient adressés à un maître d'œuvre, M. Le Divenah et à un entrepreneur général, M. Michel R qu'ils avaient rencontré courant août 1988. Celui-ci exerçait son activité sous l'enseigne "X" à Lanester et il avait été choisi par le maître d'ouvrage car il se présentait comme "Entreprise Générale..." "Ingénierie, réalisation de tous travaux de construction". Il déposait par ailleurs d'un n° de siret et présentait à ses futurs clients un document intitulé "Références" faisant état de ses compétences dans le domaine du bâtiment, notamment: qu'il était entrepreneur de formation, qu'il avait été Président directeur général de 1963 à 1982, qu'il avait construit plus de 2000 pavillons sur l'ensemble des départements 56 (Morbihan) et 29 (Finistère), effectué de nombreux chantiers dans les domaines de l'éducation, de l'équipement des collectivités locales, du génie militaire, loisirs, hôtellerie et autres; il ajoutait qu'il réalisait tous travaux de constructions neuves, de rénovation et qu'il exerçait l'activité d'expert en bâtiment (près les tribunaux et expertises amiables). Sur l'entête de son document apparaissait le slogan suivant "L'art de bâtir des maisons de grande qualité au meilleur prix". Il garantissait enfin le meilleur prix ferme et définitif et le respect des délais.

Se fondant sur ces références, les plaignants avaient conclu avec M. R un contrat d'entreprise le 12 septembre 1988 pour un marché d'un montant de 5 454 635 F TTC, la réception des ouvrages étant fixée au 31 mai 1989.

Pour des raisons de malfaçons et de non-réalisation des travaux, l'ouverture de l'hôtel ne pouvait avoir lieu avant le 21 août 1989, faisant perdre ainsi à M. Hervo et Mme Broichot le bénéfice d'une saison d'été. Ceux-ci découvraient alors qu'en réalité M. R n'était immatriculé au registre du commerce et des sociétés du Tribunal de commerce de Lorient que depuis le 19 juillet 1989 avec effet rétroactif au 1er janvier 1988, qu'il n'avait pas de personnel excepté une secrétaire et un agent commercial, qu'il ne réalisait pas lui-même les travaux mais les confiait à des sous-traitants ayant ainsi le même rôle que celui du maître d'œuvre, M. Le Divenah; que grâce à cette tromperie M. R avait pu encaisser des sommes tout à fait indues car il semblait avoir fait travailler les sous-traitants à des prix très sensiblement inférieurs à ceux demandés au maître d'ouvrage, alors qu'en qualité de maître d'œuvre, il avait pu percevoir un pourcentage prévu selon barème sur le montant des travaux et qu'en tout état de cause, ils n'auraient pas traité avec lui s'ils avaient connu ces éléments.

Une information était ouverte du chef d'escroquerie à l'encontre de M. R.

Interrogé sur commission rogatoire, M. R expliquait qu'il avait proposé plusieurs devis successifs répondant à l'appel d'offres effectué par M. Hervo en mars 1988, que celui-ci avait donné son accord provisoire sur le montant des travaux le 9 août 1988 et que dès le 11 août il avait écrit aux maîtres d'ouvrage afin de leur faire parvenir une liste d'entreprises concernées par le projet. Il rappelait que l'en-tête de son document "Références" comportait la mention "Coordination d'entreprises artisanales" et que M. Hervo et le maître d'œuvre savaient parfaitement qu'il allait tout sous-traiter. Il affirmait avoir bien été Président directeur général de la société Y, entreprise familiale de 1963 à 1982 et avoir pendant cette période réalisé plus de 2000 pavillons. Il indiquait que depuis cette date il avait exercé à titre libéral l'activité de coordination de travaux et d'expertises amiables et judiciaires, ayant été notamment désigné expert par une ordonnance de référé du 7 avril 1986 par le Tribunal de grande instance de Lorient, ainsi que par une ordonnance du juge commissaire du Tribunal de commerce de Saint-Nazaire. Il disait que son n° de siret correspondait à une inscription au répertoire national des entreprises pour une activité de coordination de travaux, maître d'œuvre, expertise. Il exposait qu'à la suite d'un contrôle fiscal il s'était adressé à la Chambre de commerce pour obtenir une inscription au registre du commerce et des sociétés fin 1988, son activité de coordination de travaux étant très supérieure à celle d'expertise, et qu'il avait du insister pour y parvenir en juillet 1989 avec effet rétroactif au 1er janvier 1988. Enfin il soutenait que le retard pris était dû en grande partie à l'absence de décision capitale de M. Hervo qui tergiversait dans le choix des matériaux, la disposition des cuisines et du rez-de-chaussée.

Un réquisitoire supplétif en date du 21 mai 1992 orientait l'information sur les délits de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur sur la prestation de service rendue par "X" et de tromperie sur les qualités substantielles d'une prestation de service.

Mis en examen le 17 décembre 1996 de ces chefs d'infraction et entendu sur les faits par le magistrat instructeur le 6 janvier 1997, M. R rappelait que le fait d'apparaître comme entreprise générale n'était pas incompatible avec la sous-traitance d'une partie des travaux, que dans le marché passé avec le maître d'ouvrage ce dernier le chargeait de "faire" construire, rénover et restaurer un hôtel.

Il indiquait, sur les faits de tromperie, que la qualité du travail était réelle, qu'une expertise avait démontré qu'il n'y avait pas eu de malfaçon, et que le retard dans la réception des travaux s'expliquait par la demande de travaux supplémentaires ainsi que par des modifications importantes rendues nécessaires par la vétusté de l'immeuble.

Il ajoutait que M. Hervo avait pu constater rapidement sur les chantiers qu'il avait affaire à des sous-traitants, ce qui ressort effectivement des déclarations de M. Le Divanah, maître d'œuvre qui observait que "dès le début des travaux, nous (M. Hervo et lui-même) avons constaté que les travaux de gros œuvre n'étaient pas réalisés par l'entreprise R mais sous-traités à l'entreprise Lohezic".

Devant les premiers juges, il maintenait ses déclarations le tribunal l'a renvoyé des fins de la poursuite.

Devant la cour,

Le Conseil de la SCI "La Croix Bédée" expose, in limine litis, que malgré ses conclusions de désistement adressées à la cour pour l'audience du 28 octobre 1999, la SCI n'entend finalement pas se désister et le maintient.

Conseil également de Maître Loquais ès qualités de liquidateur de la société Gitel, il demande à la cour de:

1°) - déclarer recevable les constitutions de partie civile de la SCI La Croix Bédée et de Maître Loquais, ès-qualités de liquidateur de la société Gitel.

2°) - dire et juger les prétentions émises par les parties civiles recevables et fondées;

3°) - en conséquence,

* en raison des allégations, indications et présentations fausses et de nature à induire en erreur incluses dans les documents litigieux émanant de M. Michel R, et de la tromperie délibérée, sur la nature et les qualités substantielles des prestations de services concernées, qui en résulte au préjudice des parties civiles, condamner M. Michel R à payer à Maître Loquais ès qualités, la somme de 558 400 F, assortie des intérêts de droit depuis la date de dépôt de la plainte;

* au titre du préjudice causé par la majoration du prix au regard de ce qui aurait dû être le "meilleur prix", que garantissait M. R, et pour les mêmes faits de publicité trompeuse ainsi que de tromperie sur la nature et les qualités substantielles des prestations de services offertes,

- à titre principal, condamner M. Michel R à payer à la SCI La Croix Bédée la somme de 2 648 385 F TTC assortie des intérêts de droit depuis la date de dépôt de la plainte;

- à titre subsidiaire,

- condamner M. R à payer à la SCI La Croix Bédée, à titre provisionnel et à parfaire, la somme de 1 431 593 F TTC, assortie des intérêts de droit depuis la date de dépôt de la plainte;

- et pour le surplus, ordonner un supplément d'information en faisant injonction à M. Michel R d'avoir à produire à la cour et communiquer aux parties civiles, sous astreinte de 5 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, l'intégralité des contrats de sous-traitance qu'il a passés, pour la totalité des lots visés dans le devis descriptif, quantitatif et estimatif des travaux de construction litigieux, en date du 8 août 1988 et, pour qu'il soit débattu alors du reliquat de préjudice subi par les parties civiles, à raison de la majoration des prix par rapport à ceux pratiqués par les sous-traitants, renvoyer la cause à telle date qu'il plaira à la cour de fixer.

Assortir de l'exécution provisoire les condamnations et injonction à intervenir au regard des intérêts civils.

Dire et juger qu'il serait inéquatable de laisser à la charge des parties civiles 1' intégrlité des frais qu'elles ont dû exposer; en conséquence, condamner M. Michel R à payer à chacune d'elles la somme de 40 000 F en vertu des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Condamner le prévenu aux entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, il fait valoir que M. R s'est présenté comme "entrepreneur général" donc censé disposer d'une entreprise lui permettant d'effectuer la majorité des prestations nécessaires à l'ouvrage, alors qu'il a entièrement sous-traité le marché, qu' il réalisait tous travaux de construction, ce qui était faux, qu'il fait état de diplômes et titres dont il n'a jamais justifié ainsi que d'une activité d'expert en bâtiment ce qui n' était pas le cas. Il soutient en outre, sur les faits de tromperie et sur les qualités substantielles, que celle-ci résulte du fait qu'il n'était pas entrepreneur général ni constructeur et qu'il s'engageait avec garantie sur les délais et les meilleurs prix alors qu'il n'était pas le constructeur et qu'il pratiquait une marge de plus de 300 %. Sur les intérêts civils, il indique que les délais n'ont pas été respectés, qu'il a perdu une saison touristique, préjudice s'élevant à 100 000 F et qu'il a subi un dommage résultant de la tromperie sur les prix, M. R ayant surfacturé ses prestations par rapport aux prix payés aux sous-traitants.

M. l'Avocat général observe que les faits reprochés sont établis et requiert une peine d'emprisonnement d'un mois assortie du sursis ainsi qu'une amende de 5 000 F

Le Conseil de M. R conclut à la confirmation du jugement demande à la cour de décerner acte à la SCI La Croix Bédée de sont désistement d'appel et de condamner cette dernière à payer à M. R la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts pour action téméraire.

Sur ce,

Sur l'appel interjeté par la SCI "La Croix Bédée"

Considérant que la SCI La Croix Bédée a régulièrement interjeté appel le 24 octobre 1997 du jugement du Tribunal de grande instance de Lorient en date du 10 octobre 1997; que devant la cour, elle maintient son appel, peu importantes les conclusions de désistement d'appel dont fait état M. R, antérieures à l'audience, lesdites conclusions n'ayant pas été soutenues à l'audience de la cour.

Qu'en conséquence, M. R sera débouté de sa demande de dommages-intérêts fondée sur les conclusions de désistement d'appel.

Sur l'action publique

Sur les faits de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur le consommateur;

Considérant que constitue une publicité toute forme de communication faite dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services, y compris les biens immeubles, les droits et les obligations.

Considérant que la plaquette éditée par Michel R s'intitulant "Références", présentée avant toute conclusion du contrat à M. Hervo et Mme Broichot afin de remporter le marché de rénovation de l'hôtel sis à Aura La Croix Bédée constitue effectivement un support de publicité et une publicité par elle-même en son message, cette plaquette étant proposée à tout public susceptible de traiter avec M. R et vantant ses réalisations et ses compétences afin d'emporter la préférence de ce public en face de ses concurrents;

Considérant que, si cette plaquette, en sa couverture, comporte les mentions "entreprise générale" qui est de peu de précision et "l'art de bâtir des maisons de grande qualité au meilleur prix", sur lesquelles les parties civiles s'appuient essentiellement pour considérer l'infraction constituée, il importe de relever qu'eu égard à l'importance du marché, de l'ordre de 5 454 635 F TTC, il apparaît d'évidence que M. Hervo et Mme Broichot se soient informés plus avant et aient pris connaissance avec conscience de l'intégralité de la plaquette.

Considérant qu'il y a lieu de relever que l'en-tête de la plaquette ainsi que sa page 1 indiquent que M. R effectue des travaux d'ingénierie et d'études, ce qui ne correspond pas à la construction, qu'en page 1 il est mentionné que "X" a pour objet la coordination d'entreprises artisanales et qu'en page 5 il est écrit clairement qu'il garantit une coordination de l'ensemble des intervenants; que les plaignants, qui fondent également leur action sur des faits de tromperie et sur le non-respect de la garantie des meilleurs prix et des délais figurant en cette même page S ne peuvent prétendre avoir ignoré cette mention; qu'en l'occurrence ils étaient parfaitement informés que M. R faisait intervenir des sous-traitants et qu'en conséquence la plaquette publicitaire de M. R ne constitue pas une publicité mensongère ou de nature à induire en erreur le consommateur.

Sur les faits de tromperie:

Considérant que l'activité de M. R consistait, comme il le reconnaît lui-même et comme il se déduit de l'exposé des faits, en une coordination d'entreprises artisanales; qu'il s'agissait donc de prestations de services, activité à laquelle est applicable l'article L. 213-1 du Code de la consommation, suivant les dispositions de l'article L. 216-1 du même Code.

Considérant que les plaignants qui fondent leur plainte sur des faits de tromperie, ne peuvent dès lors considérer qu'il y ait eu tromperie sur la notion d'entreprise générale en ce qu'elle devait selon eux avoir pour objet l'ensemble des activités de construction immobilière, alors que les faits de tromperie ne peuvent être relevés qu'à l'égard des choses mobilières ou des prestations de services.

Considérant, sur la garantie des meilleurs prix, qu'il ne ressort pas de cette affirmation que M. R ait assuré être le moins cher du marché; qu'il garantissait seulement le meilleur rapport qualité prix sur le marché, alors que les plaignants ne rapportent pas la preuve que pour les mêmes prestations effectuées, un concurrent ait proposé un prix inférieur; qu'aucune tromperie ne peut être retenue à l'encontre de M. R, peu important les prix pratiqués par les sous-traitants.

Considérant, par ailleurs que l'allégation selon laquelle le non-respect des délais garantis constitue une tromperie ne saurait prospérer alors que d'une part il s'agit d'une clause contractuelle assortie d'une sanction financière éventuelle, et que d'autre part, la preuve de l'intention coupable n'est pas rapportée par les appelants;

Qu'il y a lieu dès lors de confirmer le jugement en ce qu'il a renvoyé M. R des fins de la poursuite.

*Sur l'action civile

Considérant que Maître Loquais es-qualités de mandataire-liquidateur de la SARL Gitel et la SCI La Croix Bédée seront déboutés de leur demande du fait de la relaxe de M. R.

Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de R Michel, de la SARL Gitel, de la SCI La Croix Bédée, de Loquais Jean-François Mandataire judiciaire et par défaut à l'égard de Mme Broichot, En la forme: Reçoit les appels, Au fond: * Sur l'action publique Confirme le jugement déféré * Sur l'action civile Déclare recevables les constitutions de partie civile de Maître Loquais ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Gitel, et de la SCI La croix Bédée - les déboute de leurs demandes. - Déboute M. R de sa demande de 20 000 F à titre de dommages-intérêts.