CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 23 novembre 2000, n° 99-01511
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Verdier distribution (SARL)
Défendeur :
Volvo matériels TP France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Canivet
Conseillers :
MM. Raffejeaud, Dragne
Avoués :
SCP Bommart & Minault, SCP Jupin-Algrin
Avocats :
Mes Bourgeon, Borget
La société anonyme Verdier distribution a signé avec la société Volvo matériels TP France un contrat de concession d'une durée de trois ans à effet du 1er janvier 1997.
Ce contrat était assorti d'une condition "suspensive", à savoir l'embauche d'un vendeur supplémentaire avant le 15 février 1997 et celle d'un chef d'atelier avant le 31 mars 1997.
Aux motifs que ces deux embauches n'avaient pas été réalisées et qu'en outre, la mise en place d'une organisation technique et commerciale n'était pas effectuée, la société Volvo, qui avait accepté d'accorder un délai supplémentaire à la société Verdier jusqu'au 31 mars 1998, a résilié le contrat à cette date, tout en lui proposant la mise en place d'un mandat non exclusif d'une durée de deux mois.
Arguant du caractère brutal et abusif de cette résiliation, la société Verdier a assigné la société Volvo le 31 août 1998 devant le Tribunal de commerce de Versailles, lequel, par jugement en date du 27 janvier 1999, a dit que le contrat de concession avait été régulièrement résilié par la société Volvo, mais que cette résiliation présentait un caractère abusif, en conséquence de quoi il a condamné la société Volvo à payer à la société Verdier la somme de 1 190 000 F à titre de dommages et intérêts, outre 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Pour considérer abusive la résiliation, les premiers juges ont retenu que la société Verdier avait été concessionnaire Volvo pendant plus de trente ans, que la société sous sa forme actuelle avait été créée pour répondre aux souhaits de la société Volvo, que le recrutement des président et directeur général n'avait pu intervenir à la date prévue pour des raisons de santé, que la résiliation avait interrompu les négociations avec la société Boulogne et Huard, que deux départements dont il était prévu en 1995 qu'ils feraient partie du territoire concédé avaient été attribués à un autre concessionnaire, que la société Verdier n'avait pas été habilitée à distribuer le matériel Pel jub mecalac et que le marché régional avait été en recul important en 1997.
La société anonyme Verdier distribution a interjeté appel de ce jugement le 18 février 1999, puis, après qu'il eut apparu que cette société avait disparu, la société à responsabilité limitée Verdier distribution a de nouveau interjeté appel le 23 mars 2000.
La société Volvo a soulevé l'irrecevabilité des conclusions prises par la société anonyme, l'irrecevabilité de l'appel et des conclusions de la SARL ainsi que la nullité du jugement entrepris, en faisant valoir que la société anonyme avait été radiée du registre du commerce le 31 décembre 1998 et que l'irrégularité ne pouvait pas être couverte, peu important que le jugement n'eût pas été signifié puisqu'en raison de l'inexistence de la société anonyme aucune notification n'était possible.
La SARL Verdier a répliqué qu'à défaut d'appel incident, le jugement ne pourrait qu'être confirmé en cas d'irrecevabilité de son appel.
Elle a considéré que, de toute manière, son appel était recevable dès lors que les modifications au registre du commerce n'avaient été "officialisées" que postérieurement à la déclaration d'appel de la société anonyme, que l'irrégularité de forme avait été couverte par ses propres conclusions et qu'aucune signification du jugement n'avait été faite.
Elle a fait valoir également que le jugement n'était pas nul, dès lors que les débats avaient été clos le 16 décembre 1998.
Sur le fond, elle a estimé que la résiliation du contrat était non seulement déloyale et abusive, mais également irrégulière et injustifiée aux motifs que la clause résolutoire alléguée ne pouvait être considérée comme valablement convenue et qu'elle était équivoque, tandis que la société Volvo devait une contrepartie à la condition d'embauche.
Elle a approuvé les premiers juges d'avoir retenu le caractère abusif de la résiliation, en l'expliquant par un changement d'orientation de la politique régionale de distribution de la société Volvo au profit de la société Framateq.
Elle a critiqué, en revanche, le jugement en ce qu'il avait sous-estimé son préjudice qu'elle a évalué à 6 500 000 F, que ce fût en fonction de la perte de marge semi-brute ou bien des gains manqués et pertes éprouvées.
Elle a, en conséquence, demandé le paiement de cette somme à titre de dommages et intérêts, outre 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
La société Volvo a répliqué que la clause de résiliation de plein droit était claire et précise et faisait la loi des parties, a réfuté les griefs allégués par l'appelante et retenus par les premiers juges en rappelant que la résiliation avait été précédée de multiples mises en garde et d'une prorogation d'une année des effets de la clause, a soutenu que la société Verdier avait été remplie de ses droits, a nié être responsable de l'échec du rapprochement de la société Verdier avec un autre distributeur, a ensuite insisté sur le non-respect par celle-ci de ses obligations contractuelles pour enfin contester le préjudice qu'elle alléguait.
Elle a, en conséquence, conclu au débouté de ses demandes et a sollicité une somme de 60 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Sur ce,
Sur la recevabilité de l'appel:
Considérant qu'en date du 31 décembre 1998, l'assemblée générale extraordinaire de la société anonyme Verdier distribution a décidé la transformation de celle-ci en société à responsabilité limitée;
Considérant que cette transformation a été régularisée le 22 mars 1999 au registre du commerce et des sociétés de Montpellier après transfert du siège social, la société à responsabilité limitée conservant le même numéro de registre, 391 056 926, que la société anonyme;
Considérant qu'à la date à laquelle les débats de première instance ont été clos, soit le 16 décembre 1998, la société anonyme existait toujours, de sorte que le jugement a pu valablement être rendu, même après le 31 décembre 1998, au bénéfice de la société anonyme;
Considérant qu'en revanche, l'appel interjeté le 18 février 1999 au nom de cette société disparue est nul;
Mais considérant qu'en l'absence de signification du jugement, la société à responsabilité limitée, venue aux droits de la société anonyme, a régulièrement interjeté appel le 23 mars 2000;
Que ce second appel est donc recevable;
Au fond:
Considérant que les sociétés Verdier distribution et Volvo ont signé un contrat de concession d'une durée de trois ans à effet du 1er janvier 1997;
Que la lettre d'envoi de ce contrat en date du 26 novembre 1996 rappelait à la société Verdier distribution:
"Conformément aux perspectives tracées dans votre courrier du 16 septembre 1996 et confirmées lors de notre entretien du 4 novembre 1996, à Trappes, ce contrat est subordonné à la condition suspensive de la mise en place d'une organisation commerciale et technique appropriée à la couverture de l'intégralité du territoire qui vous est concédé et à la distribution de l'ensemble des produits diffusés par Volvo Matériels TP France. Cette condition suppose donc l'embauche par vos soins de:
- 1 vendeur avant le 15 février 1997.
- 1 chef d'atelier avant le 31 mars 1997.
"A défaut, le contrat sera réputé résilié de plein droit au 1er avril 1997".
Considérant que le caractère contractuel de cette clause n'est pas discuté et ressort, au demeurant, suffisamment des engagements pris par la société Verdier distribution tant dans le courrier et au cours de l'entretien visés ci-dessus que dans ces lettres des 2 juin et 5 juillet 1995;
Considérant que l'appelante soutient que la clause résolutoire serait irrégulière en ce qu'elle serait ambiguë;
Mais considérant que selon l'article 12 alinéa 2 du NCPC, le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée;
Qu'en l'espèce, il est manifeste que le terme "condition suspensive" est impropre, dès lors que le contrat avait commencé à s'exécuter le 1er janvier 1997, tandis que la condition était réputée devoir se réaliser pour le 1er avril 1997;
Que les parties ont, en réalité, convenu d'une résiliation de plein droit du contrat au 1er avril 1997 au cas où les conditions précisées plus haut ne seraient pas remplies;
Qu'il y a donc lieu à requalification en ce sens;
Considérant qu'à la date du 1er avril 1997, la société Verdier distribution n'ayant pas encore embauché de chef d'atelier, a sollicité et obtenu de la société Volvo une prorogation du délai d'un an;
Qu'au 1er avril 1998, la société Verdier distribution n'avait toujours pas de chef d'atelier et avait même perdu le vendeur qu'elle avait embauché l'année précédente;
Que c'est dans ces conditions que la société Volvo a, conformément aux stipulations contractuelles, résilié le contrat;
Considérant que n'est pas en soi fautif le fait pour la société Volvo, bénéficiaire d'une clause de résiliation de plein droit, d'avoir constaté que la société Verdier distribution, tenue d'exécuter certaines obligations dans un certain délai sous peine de résiliation du contrat, ne les avait pas exécutées;
Que sa responsabilité ne serait susceptible d'être engagée que si les conditions ne s'étaient pas réalisées de son fait ou bien si les circonstances particulières ayant entouré la résiliation étaient révélatrices de sa mauvaise foi;
Considérant que la société Verdier distribution, demanderesse à la signature d'un contrat de concession, avait pris au cours des pourparlers des engagements précis quant à son organisation future, dont le respect avait constitué pour la société Volvo une condition déterminante de son acceptation;
Considérant que l'extension des gammes et du territoire concédé n'était pas, comme le soutient l'appelante, le préalable à sa restructuration, mais celle-ci était, au contraire, la condition de cette extension, ainsi que cela ressort des courriers échangés et du simple bon sens, car il est évident qu'il ne servait à rien d'élargir la gamme des produits vendus par la société Verdier distribution et d'étendre son territoire à deux nouveaux départements si elle était incapable d'assurer ce surcroît de travail, ce à quoi avaient précisément pour but de remédier les obligations de réorganisation et d'embauche qui lui étaient imposées;
Considérant que la société Volvo ne porte aucune responsabilité dans le fait que la société Verdier distribution se soit révélée incapable de procéder aux embauches prévues;
Qu'au contraire, elle a accepté de porter de trois à quinze mois le délai consenti à la société Verdier distribution sur la durée même du contrat pour se conformer à ses engagements contractuels, ce qui pour un contrat de trois ans constitue une faveur importante;
Qu'elle a multiplié les avertissements, de sorte que la société Verdier distribution savait de longue date qu'il n'y aurait pas de nouvelle prorogation de délai le 1er avril 1998;
Que pour limiter les conséquences fâcheuses de la résiliation, elle a proposé à la société Verdier distribution la mise en place d'un mandat exclusifde deux mois pour lui permettre d'assurer le service après-vente;
Qu'ainsi, il ne peut être dit que la société Volvo a fait jouer la clause de résiliation de mauvaise foi;
Que, pour le surplus, les premiers juges se sont fondés sur des motifs tout à fait inopérants pour considérer que la résiliation du contrat était abusive;
Qu'il s'ensuit que la société Verdier distribution doit être déboutée de sa demande en dommages et intérêts des chefs des préjudices liés à la résiliation du contrat, soit la perte de marge semi-brute, les gains manqués, les pertes pour 1998, la perte de valeur du fonds de commerce, la perte du bail et le préjudice moral;
Considérant que les frais dit de scission, engagés pour créer une société BVP distribuant des marques concurrentes, ne pouvaient en aucune façon être à la charge de la société Volvo, alors que cette activité concurrente se faisait en infraction avec l'ancien contrat de concession en vigueur à l'époque des faits;
Considérant qu'il reste les commissions revendiquées sur les matériels vendus directement par la société Volvo à trois clients suivis localement par la société Verdier distribution;
Considérant que celle-ci justifie du suivi des trois clients concernés et que les premiers juges ont exactement apprécié le montant des commissions devant lui revenir;
Qu'il sera donc alloué, en définitive, à la société Verdier distribution une somme de 90 000 F;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du NCPC;
Considérant que la société Verdier distribution, qui succombe sur ce qui était l'essentiel de ses prétentions, supportera les entiers dépens;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort: - Déclare irrecevable l'appel interjeté le 18 février 1999 par la société anonyme Verdier distribution. - Déclare recevable, mais non fondé l'appel interjeté le 23 mars 2000 par la société à responsabilité limitée Verdier distribution. - Déclare recevable et partiellement fondé l'appel incident de la société Volvo matériels TP France. En conséquence, - Réforme le jugement entrepris. Statuant à nouveau, - Dit régulière et justifiée la résiliation de plein droit du contrat de concession aux torts de la société Verdier distribution. En conséquence, la déboute de sa demande en dommages et intérêts. - Condamne la société Volvo matériels TP France à lui payer la somme de 90 000 F (quatre-vingt-dix mille francs) au titre de commissions restant dues. - Déboute les parties de toutes autres demandes. - condamne la société Verdier distribution aux dépens de première instance et d'appel, et accorde pour ceux d'appel à la SCP Jupin & Algrin le bénéfice de l'article 699 du NCPC.