CA Paris, 13e ch. B, 8 mars 2000, n° 99-02182
PARIS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Ministère public, Syndicat des opticiens français indépendants, Union des opticiens de France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sauret
Avocat général :
M. Laudet
Conseillers :
Mmes Marie, Percheron
Avocats :
Mes Sultan, Monod
Rappel de la procédure:
La prévention:
X René est poursuivi pour avoir à Paris et en région parisienne, en 1996 et en 1997, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les prix et les conditions de vente de biens, en l'espèce des lunettes de vue en annonçant des remises présentée comme limitées sur l'année alors qu'elles sont sans cesse renouvelées par des cartes d'achat permanentes familiales et qu'elles sont illusoires car fondée sur des prix de référence qui n'ont jamais été pratiqués par l'annonceur.
Le jugement:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré X René
coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, faits commis de 1996 à 1997, à Paris et en région parisiennes, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation
et en application de ces articles,
l'a condamné à 80 000 F d'amende
a ordonné aux frais du condamné la publication du jugement par extraits dans Le Parisien sans que le coût de l'insertion n'excède 20 000 F
l'a condamné à payer:
- au Syndicat des opticiens français indépendants la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 20 000 F en application de l'article 475-1 du CCP
- à l'Union des opticiens de France la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 20 000 F en application de l'article 475-1 du CCP
a condamné René X aux dépens de l'action civile
a dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable le condamné.
Les appels:
Appel a été interjeté par:
- Monsieur X René, le 4 mars 1999 contre Syndicat des opticiens français indépendants, Union des opticiens de France
- Monsieur le Procureur de la République, le 4 mars contre Monsieur X René
décision:
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels du prévenu et du Ministère public interjetés à l'encontre du jugement entrepris auquel il est fait référence pour l'exposé des faits et de la prévention;
X René demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de le relaxer des fins de la poursuite. Il expose qu'il constitue un groupe de 10 boutiques dont 6 à Paris; qu'il existe depuis 18 ans et n'a jamais eu de problèmes; qu'il s'est spécialisé dans la fourniture aux comités d'entreprises et a un salarié chargé de nouer des contacts avec ces comités; qu'il est marié et père de trois enfants; il montre sa bonne foi, ayant sollicité de la part d'un professeur de droit ce qu'il pouvait faire ou ne devait pas faire;
Il expose que la clientèle bénéficiant ou ayant bénéficié de remises ne représente que 80 % de son chiffre d'affaires; qu'elles étaient à l'époque des faits valables jusqu'au 31 décembre 1996; qu'il s'agit de cartes permanentes qu'il ne faut pas confondre avec des cartes perpétuelles;
Les contrôleurs de la DGCCRF ont estimé nécessaire d'établir un coefficient moyen du prix des montures. Ils ont établi que le coefficient pratiqué par Z se situe à l'extérieur des coefficients maximum et minimum. Il apparaît donc ainsi qu'elle a une activité et des facturations qui se situent très exactement à l'extérieur des coefficients pratiqués habituellement par la profession;
Il apparaît des documents commerciaux remis par X que Z bénéficie de remises très largement supérieures à ses concurrents, lui permettant ainsi de répercuter sur sa clientèle des remises importantes;
Le Ministère public requiert de la cour la confirmation du jugement entrepris. Il expose que X René avait mis en place un dispositif lui permettant d'assurer des remises importantes:
- 40 % sur les montures optiques
- 40 % sur les verres optiques
- 25 % sur les verres solaires quelle que soit la saison;
Il rappelle que la publicité portant sur une annonce de réduction de prix, sa licéité doit être appréciée au regard des règles précises fixées par l'arrêté du 2 septembre 1997 relatif à la publicité des prix à l'égard des consommateurs, l'annonce d'une réduction de prix se rapportant à des produits est licite dès lors que l'avantage annoncé s'entend par rapport au prix de référence;
Il demande en conséquence à la cour de sanctionner X René qui depuis ces poursuites s'est fixé un prix de référence;
L'Union des opticiens de France et le Syndicat des opticiens français indépendants demandent à la cour:
- de condamner X René au paiement de 10 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.,
- de confirmer la condamnation à la publication de l'arrêt aux frais de René X dans Le Parisien,
- de condamner X René au paiement pour chacun des concluants à la somme de 1 500 F en application des dispositions de l'article 475-1 du CCP;
Il résulte de l'enquête diligentée par les services de la DGCCRF que les infractions reprochées à Z sont constituées;
Ainsi, notamment, il peut être rappelé que René X est poursuivi pour avoir contrevenu à la réglementation et législation applicable en matière de publicité;
En effet, la DGCCRF a été informée que la société Z procédait à l'émission et à la diffusion auprès d'un large public d'une annonce publicitaire à laquelle était annexée une carte d'achat permanente familiale annonçant des remises importantes sur des produits d'optique lunetterie, carte ayant une période de validité et une fréquence de renouvellement d'année en année;
C'est ainsi que le Syndicat représentatif de la profession d'optique lunetterie a pu mettre en évidence qu'il s'agissait d'une politique commerciale de rabais permanent laissant supposer à la clientèle l'existence de rabais ou remise inexistant et créant par-là même un préjudice général envers la profession puisque ces agissements faussaient incontestablement le libre jeu de la concurrence;
Il convient de rappeler que toute annonce de réduction de prix doit pouvoir se vérifier effectivement par comparaison des prix facturés aux consommateurs en application de la publicité émise à cet effet au regard d'un prix de référence appliqué au cours des trente derniers jours précédant le début de la publicité;
Malgré les demandes expresses qui lui ont été formulées par la DGCCRF, René X n'a pas fourni les éléments exigés et justifiant de réelles remises de prix par rapport à un prix normalement appliqué pendant une période de référence déterminée;
Sur ce
Les agents de la DGCCRF ont pu constater une absence totale de période de référence de prix que l'on pourrait considérer de normaux puisque la pratique de rabais annoncée s'appliquait de manière permanente, c'est-à-dire d'année en année;
Aucune période de référence d'au minimum 30 jours précédant l'annonce publicitaire n'existait;
Les agents de la DGCCR, par comparaison des factures d'achats des produits d'optique lunetterie auprès des grossistes et des prix de revente auprès des consommateurs ont pu mettre en évidence que la société Z procédait manifestement à une majoration artificielle de ces coefficients multiplicateurs avant application de la réduction annoncée dans la publicité;
Il s'avère donc que les réductions annoncées dans les publicités étaient en fait également artificielles et de nature à induire le consommateur en erreur sur l'existence d'une véritable offre promotionnelle et sur l'application de réduction de prix réel;
De surcroît, la politique commerciale de faux rabais permanents fausse inévitablement le jeu normal de la concurrence entre professionnels et lèse les intérêts généraux de la profession d'optique lunetterie;
Ainsi, il ne peut être contesté que René X n'a pas été en mesure de prouver les allégations développés par les différentes publicités litigieuses;
Ainsi et comme il en a été justifié dans le cadre de l'enquête, il ne peut être connu que le prix affiché et non pas le prix réellement pratiqué;
L'examen de 833 factures clients délivrées sur deux mois, du 1er avril au 24 avril 1997 a fait apparaître que 81 % des ventes ont été effectuées avec remise, ce que ne conteste pas René X qui convient en outre que si un client non muni d'une carte de rabais a connaissance des réductions effectuées, le magasin peut éventuellement lui en faire bénéficier;
Les factures des clients remises à l'administration n'indiquaient pas la référence de l'article si bien qu'il n'était pas possible de déterminer si celles ne mentionnant pas de remise concernaient des articles d'une marque sur laquelle le rabais ne s'appliquait pas: René X a remis d'autres factures d'avril 1997 auxquelles étaient jointes des fiches faisant apparaître les références des articles ainsi que le catalogue des prix 1998-1999. Or, les faits reprochés datent de 1996 et début 1997 et pour ces années, il ne disposait pas de catalogue sur support papier. L'examen de ces factures a fait apparaître que pour 47 d'entre elles, 10 étaient sans remise. Pour certaines, la référence de l'article n'existait plus sur le nouveau catalogue et d'autres ne mentionnaient pas celle-ci;
L'administration a effectué une comparaison entre les coefficients multiplicateurs moyens appliqués par René X et ceux pratiqués par la profession, étant précisé qu'elle s'est référée à une monographie fiscale de 1994 alors que le taux de TVA est passé de 18,60 % à 20,60 % en août 1995;
Même si l'on considère que ce taux moyen doit être relevé, il n'en demeure pas moins que celui pratiqué par Z est supérieur;
En tout état de cause, une entreprise qui fait 80 % de son chiffre d'affaires en octroyant régulièrement des réductions de 25 à 40 % sur ses prix affichés ne peut affirmer sérieusement qu'elle pratique ses prix de référence sinon elle ne serait pas économiquement viable; le tarif étiqueté n'étant appliqué qu'à une partie extrêmement réduite de sa clientèle, cela revient à considérer qu'il est globalement fictif sinon l'arrêté 77-105P du 2 septembre 1977 n'aurait plus aucun sens;
Le consommateur croit ainsi bénéficier d'une réduction qui n'est en fait qu'illusoire car celle-ci s'applique de façon permanente à la quasi-totalité de la clientèle à partir d'un prix de référence inexact car pratiqué de façon marginale;
L'infraction reprochée à René X est établie;
Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu et du Ministère public, Confirme le jugement déféré sur la culpabilité de René X, Infirmant sur la peine, Le condamne à 80 000 F d'amende avec sursis, Ordonne, aux frais du condamné, la publication de l'arrêt, par extraits, dans Le Parisien sans que le coût de l'insertion n'excède 20 000 F, le condamne à payer au Syndicat des opticiens français indépendant et à l'Union des opticiens de France la somme de 15 000 F à titre de dommages et intérêts ainsi que la somme de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du CPP, Dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.