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Décisions

CA Rouen, 2e ch., 19 décembre 2002, n° 01-00740

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Groupe Philippe Bosc (Sté)

Défendeur :

Groupe Vincent Lefrançois (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bignon

Conseillers :

Mme Brumeau, M. Perignon

Avoués :

SCP Theubet Duval, SCP Hamel Fagoo

Avocats :

Mes Muller, Chabert

T. com. Evreux, du 1er févr. 2001

1 février 2001

Les faits et la procédure:

La société "Groupe Philippe Bosc" est une entreprise spécialisée dans la coiffure à domicile, dont l'activité s'étend sur l'ensemble du territoire français et qui emploie environ 2 000 salariés.

Considérant qu'au cours de l'année 1997, la SARL LCD cherchait à débaucher de manière systématique ses employés, notamment par l'envoi de lettres circulaires à domicile, ce qui aurait réussi pour 6 d'entre eux, la société Bosc a, après une mise en demeure du 4 décembre 1997, selon elle infructueuse, adressée à la société LCD de cesser immédiatement ses actes de concurrence déloyale et une ordonnance sur requête obtenue le 1er décembre 1998 du Président du Tribunal de commerce d'Evreux donnant mission à un huissier de justice de procéder à toutes recherches et constatations visant à déterminer l'étendue des actes de concurrence déloyale commis par la société LCD, fait assigner celle-ci en dommages et intérêts.

Par jugement rendu le 1er février 2001, le Tribunal de commerce d'Evreux a:

- débouté les sociétés Groupe Philippe Bosc et LCD de leurs demandes,

- condamné la société Groupe Philippe Bosc aux dépens.

Le 27 février 2001, la société Groupe Philippe Bosc a interjeté appel de cette décision.

Les prétentions et moyens des parties:

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 27 juin 2001, la société Groupe Philippe Bosc expose notamment que les actes de concurrence déloyale de la société LCD sont démontrés par l'envoi de lettres circulaires au domicile de ses salariés visant à leur débauchage et par la concomitance de la démission de certains d'entre eux, qui étaient pourtant liés par des clauses de non-concurrence strictes, et leur embauche par la société LCD; que son préjudice est équivalent au chiffre d'affaires réalisé par les 6 salariés débauchés sur une année, soit 615 336 F; qu'enfin, il doit être mis fin aux agissements de la société LCD par mesure judiciaire.

La société Groupe Philippe Bosc demande en conséquence à la cour d'infirmer la décision déférée et de:

- dire que la SARL LCD s'est rendue coupable à l'égard de la SA Bosc d'actes de concurrence déloyale ayant consisté en un débauchage de personnel, une désorganisation de l'entreprise et un détournement de clientèle,

- constater que ces actes de concurrence déloyale ont causé à la SA Bosc un grave préjudice,

- en déclarer responsable la SARL LCD sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,

- condamner en conséquence la SARL LCD à lui payer la somme de 315 336 F (93 807,37 euro) à titre de dommages et intérêts, et ce avec intérêts au taux légal à compter de la demande,

- ordonner à la SARL LCD de cesser toute activité commerciale, dans un secteur de 15 kilomètres autour des domiciles respectifs de chacun des salariés débauchés et pendant une durée d'une année,

- condamner la SARL LCD au paiement d'une somme de 25 000 F (3 811,23 euro) en application de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 22 juin 2002, l'EURL Groupe Vincent Lefrançois, venant aux droits de la société LCD, soutient essentiellement que le fait que 6 anciens salariés de la société Groupe Philippe Bosc fasse désormais partie de son personnel est insignifiant au regard de l'importance considérable des effectifs de celui-ci et n'est en aucun cas démonstratif des actes de concurrence déloyale allégués; que dans le cercle restreint de l'activité de coiffure à domicile, ces embauches s'inscrivent dans le cadre normal de la mobilité professionnelle; que d'ailleurs la société Groupe Philippe Bosc ne se prive pas, par l'intermédiaire d'un journal diffusé dans l'ensemble de la profession, de faire des offres de service aux salariés travaillant pour le compte d'autres entreprises; qu'enfin, subsidiairement, le préjudice allégué qui ne repose sur aucune évaluation sérieuse, n'est aucunement établi.

L'EURL Vincent Lefrançois demande donc à la cour de:

- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

- débouter la société Groupe Philippe Bosc de ses demandes,

- la condamner à lui payer la somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et une somme de 1 500 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- la condamner aux dépens de première instance et d'appel.

Sur ce, LA COUR

Attendu que l'action en concurrence déloyale, fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, suppose l'existence d'une faute et d'un préjudice résultant directement de cette faute; qu'il appartient à celui qui s'en prévaut d'apporter la preuve de ces faits;

Attendu en l'espèce qu'il résulte des pièces versées aux débats que, courant 1997, la société LCD, qui était en cours de développement, a adressé à des coiffeurs et coiffeuses résidant dans toutes les régions de France, des courriers circulaires leur proposant un emploi de coiffeur exerçant au domicile des clients et leur faisant ressortir, tableaux comparatifs à l'appui, les avantages d'une telle formule (rémunération plus importante que pour les coiffeuses exerçant en salon, charges moindres, avantages sociaux, etc.), ces lettres se terminant par la formule "appelez dès aujourd'hui le 02 32 62 91 49: vous avez tout à gagner en travaillant au sein du groupe LCD";

Attendu qu'il résulte de factures de France Telecom et de listes de coiffeuses et coiffeurs extraits des "pages jaunes" du minitel grâce à un logiciel spécialisé, que la société LCD a procédé à un vaste "publipostage" destiné aux professionnels de la coiffure et plus particulièrement aux coiffeurs à domicile en activité sur l'ensemble du territoire; qu'il n'est en tout cas pas établi que ce publipostage était exclusivement destiné aux salariés de la société Groupe Philippe Bosc - même si nécessairement, par l'effet même de ce système de diffusion, certains d'entre eux ont reçu ce courrier - de nombreux coiffeurs étrangers à ce groupe ayant été touchés par ces lettres ainsi qu'il ressort de nombreuses attestations versées aux débats;

Attendu que l'huissier de justice désigné sur requête à l'initiative de la société Groupe Philippe Bosc a constaté qu'au 31 décembre 1998, 45 salariés étaient inscrits sur le registre du personnel de la société LCD; que 6 d'entre eux, embauchés au cours de l'année 1998 (de janvier à décembre) avaient comme précédent employeur la société Groupe Philippe Bosc.

Attendu que la société Groupe Philippe Bosc considère qu'elle a été victime d'une campagne de débauchage de la part de la société LCD, se traduisant par la "démission soudaine de certains salariés";

Attendu toutefois que le nombre des salariés (6) qui ont été employés par la société LCD après avoir travaillé pour la société Groupe Philippe Bosc doit être mis en rapport avec l'effectif de ce groupe qui reconnaît (page 1 de ses écritures) employer plus de 2 000 salariés; que la société Groupe Philippe Bosc ne peut donc sérieusement soutenir que le départ de ces 6 salariés est significatif d'une campagne de débauchage caractéristique d'actes de concurrence déloyale et ce d'autant plus que, s'agissant d'un secteur d'activité spécialisé et relativement étroit, il résulte de l'effet même de la simple mobilité professionnelle que des salariés sont amenés à travailler successivement pour l'une ou l'autre des entreprises peu nombreuses qui opèrent dans ce secteur;

Qu'il y a lieu de relever que la société Groupe Philippe Bosc, par l'intermédiaire d'un journal ("Le journal de la coiffure à domicile") qu'elle diffuse dans l'ensemble de la profession, propose également des emplois aux coiffeurs travaillant déjà dans cette activité, ce qui n'apparaît pas comme anormal s'agissant d'un secteur en cours de développement rapide;

Attendu qu'il n'est pas davantage établi que les salariés ayant travaillé antérieurement pour la société Groupe Philippe Bosc ont, dans le cadre de leur activité pour la société LCD, violé les clauses de non-concurrence qui, pour certains, figuraient dans leur contrat de travail;

Attendu qu'au vu de ces éléments, la société Groupe Philippe Bosc n'apporte pas la preuve à l'encontre de la société LCD d'actes fautifs de désorganisation par débauchage, caractérisant la concurrence déloyale alléguée;

Qu'au surplus, la société Groupe Philippe Bosc n'apporte pas la preuve que le départ de 6 salariés sur un effectif de 2 000 lui a causé un préjudice;

Attendu en conséquence, que la société Groupe Philippe Bosc sera déboutée de ses demandes et le jugement, confirmé en toutes ses dispositions;

Attendu que la seule nécessité d'ester en justice ne constitue pas un chef de préjudice susceptible de donner lieu à dommages-intérêts; qu'en l'absence de tout élément démonstratif d'un quelconque préjudice résultant d'un abus de droit caractérisé, il convient de débouter l'EURL Groupe Vincent Lefrançois de sa demande de dommages-intérêts pour procédure dilatoire ou abusive;

Attendu qu'il est inéquitable de laisser à la charge de l'EURL Groupe Vincent Lefrançois les frais exposés en marge des dépens en cause d'appel; qu'en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, il y a donc lieu de lui allouer une somme qu'au vu des éléments de la cause, la cour arbitre à 1 000 euro;

Attendu qu'il y a lieu de mettre les dépens d'appel à la charge de la société Groupe Philippe Bosc;

Par ces motifs: LA COUR Confirme la décision entreprise; déboute la société Groupe Philippe Bosc de l'ensemble de ses demandes; Déboute l'EURL Vincent Lefrançois de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive; Condamne la société Groupe Philippe Bosc à payer à l'EURL Vincent Lefrançois la somme de 1 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Groupe Philippe Bosc aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile;