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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 19 septembre 2002, n° 2001-02782

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Idéal pièces (Sté), Samalens

Défendeur :

Rey (ès qual.), Moisset, Gouzy

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brignol

Conseillers :

MM. Vergne, Grimaud

Avoués :

SCP Boyer Lescat Merle, SCP Sorel Dessart Sorel

Avocats :

Me Musqui, SCP Boyer Courtois Bouloux Nougarolis

T. com. Toulouse, du 23 avr. 2001

23 avril 2001

Attendu que Claude Samalens et Fernand Moisset s'étaient associés à parts égales en 1995 dans une société dénommée Société de distribution toulousaine automobile (société DTA), spécialisée dans la commercialisation de produits et de pièces détachées automobiles;

Que, les relations entre associés s'étant dégradées, Claude Samalens a été amené à démissionner de ses fonctions au sein de la société DTA et à céder ses parts sociales à Fernand Moisset et Christophe Gouzy (salarié de la société) par acte du 28 avril 1999, lequel acte comportait la clause suivante:

"Le cédant s'engage envers les concessionnaires à ne pas démarcher, sous quelque forme que ce soit, les clients de la société qu'il a connus dans l'exercice de son contrat de travail et avec lesquels il entretenait des relations professionnelles et dont une liste est jointe en annexe, et ce à peine de tous dommages et sans préjudice du droit qu'auraient les concessionnaires de faire cesser toute infraction à cette clause."

Attendu qu'il n'est pas contesté que durant la période ayant immédiatement suivi cette cession, Claude Samalens a constitué à Toulouse une SARL Idéal Pièces dont l'activité est analogue à celle de la société DTA;

Attendu que par acte d'huissier de justice en date du 10 avril 2000, la société DTA, Fernand Moisset et Christophe Gouzy, faisant principalement valoir que Claude Samalens démarchait la clientèle de la société DTA et avait fait donc perdre à cette dernière des clients importants et, par voie de conséquence, une part considérable de son chiffre d'affaires, ont assigné Claude Samalens et la société Idéal pièces devant le Tribunal de commerce de Toulouse afin de faire constater les manquements de Claude Samalens à ses obligations contractuelles et les actes de concurrence déloyale auxquels il s'était livré et de les faire condamner, en conséquence, à réparer le préjudice ainsi subi par la société DTA;

Attendu que par jugement en date du 23 avril 2001, le Tribunal de commerce de Toulouse a dit que Claude Samalens avait manqué aux obligations contractuelles qu'il avait librement souscrites et commis incontestablement des actes de concurrence déloyale à l'encontre des cessionnaires, a sursis à statuer sur les demandes indemnitaires présentées par les demandeurs et ordonné une expertise confiée à la société FI Sud;

Attendu que Claude Samalens et la société Idéal pièces, appelants de ce jugement, en sollicitent la réformation et demandent à la cour de débouter purement et simplement la société DTA, Fernand Moisset et Christophe Gouzy de toutes leurs prétentions et de les condamner à leur verser une indemnité de 15 000 F en application de l'article 700 du NCPC;

Attendu que Maître Ray, ès qualités de mandataire liquidateur de la société DTA (laquelle a été, en effet, placée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Toulouse du 29 août 2001) ainsi que Fernand Moisset et Christophe Gouzy demandent à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu les manquements de Claude Samalens à ses engagements contractuels et les actes de concurrence déloyale auxquels celui-ci s'est livré en sa qualité de gérant de la SARL Idéal pièces;

Que concluant à la réformation partielle du jugement déféré, ils demandent à la cour de:

- condamner Claude Samalens à rembourser à Fernand Moisset et Christophe Gouzy le prix de la cession des parts sociales qu'il leur avait consentie, soit respectivement les sommes de 15 473,58 euro et 6 631,53 euro, ainsi qu'à leur payer le montant des frais qu'ils avaient exposés pour cette cession, soit la somme de 1 829,39 euro

- condamner solidairement la SARL Idéal pièces et Claude Samalens, au titre tant de la responsabilité contractuelle de Claude Samalens que de la responsabilité délictuelle de la société Idéal pièces, à payer à la société DTA une somme de 182 938,82 euro en réparation de son préjudice;

Qu'ils sollicitent en outre l'allocation pour chacun d'eux d'une indemnité de 3 048,98 euro en application de l'article 700 du NCPC.

Sur quoi,

Vu les conclusions signifiées et déposée par les appelants et par les intimées, respectivement le 25 avril 2002 et le 23 mai 2002,

Attendu que s'agissant du reproche formulé par les appelants à l'encontre de Claude Samalens de n'avoir pas respecté l'engagement contractuel résultant de la clause ci-dessus reproduite de l'acte du 28 avril 1999, il convient tout d'abord de relever que le seul fait d'avoir créé, immédiatement après son départ de la société DTA et la cession de parts du 28 avril 1999, une société directement concurrente de la société DTA ne saurait en soi constituer de la part de Claude Samalens un manquement à ses obligations résultant de cette clause, étant souligné qu'une telle création n'était nullement prohibée par l'acte du 28 avril 1999 qui ne comportait en effet aucune clause de non-concurrence ou de non-rétablissement.

Attendu, ensuite, que la clause dont il s'agit interdisait certes à Claude Samalens de démarcher "sous quelque forme que ce soit" les clients de la société DTA;

Qu'il y a lieu, toutefois, de retenir, nonobstant le caractère très large de la formule ainsi utilisée, que la société DTA et les associés de cette société ne peuvent, sauf à vider le mot démarchage de son sens, venir valablement reprocher à Claude Samalens un manquement à ses obligations résultant de cette clause qu'à la condition de rapporter la preuve d'un véritable comportement positif de celui-ci en vue de solliciter la clientèle de la société DTA.

Attendu que les intimés produisent aux débats les sommations interpellatives qu'ils ont fait délivrer le 28 janvier 2000 à deux des principaux clients de la société DTA devenus des clients de la société Idéal pièces, messiers Grégory et Djalem, et qu'en réponse aux question qui leur ont été posées par l'huissier de justice, ces deux personnes ont indiqué:

- Monsieur Grégory: "Je vous confirme avoir commencé à travailler avec la société idéal pièces à compter d'octobre 99 (ou novembre). J'ai personnellement contacté M. Samalens qui est un ami en octobre 99, date à laquelle il m'a appris la création de la société Idéal pièces";

- Monsieur Djalem: "Je connais Monsieur Claude Samalens depuis 1980. J'ai toujours été client et ce dans toutes les sociétés où il était employé. J'ai appris que Monsieur Samalens avait créé la société Idéal pièces par l'intermédiaire de la station Total à Escalquens en septembre 1999".

Attendu qu'il n'est certes pas contesté:

- que ces deux personnes figurent parmi les clients les plus importants de la société DTA déjà mentionnés sur la liste, annexée à la clause ci-dessus de démarchage reproduite, des clients concernés par l'interdiction de démarchage édictée par cette clause;

- que Messieurs Djalem et Grégory ont, durant les mois qui ont suivi la création de la société Idéal pièces, cessé d'être clients de la société DTA et que cette dernière a en conséquence connu, durant la même période, une baisse importante de son chiffre d'affaires;

Que, toutefois, ni ces éléments ni les réponses ci-dessus reproduites aux sommations interpellatives du 18 janvier 2000 ne sauraient suffire à constituer la preuve de ce que Messieurs Grégory et Djalem ont fait l'objet de la part de Claude Samalens d'attitudes susceptibles d'être analysées comme un démarchage au sens de la clause contractuelle ci-dessus rappelée, ce d'autant moins qu'en cours d'instance, Messieurs Grégory et Djalem ont établi des attestations qui, précisant les circonstances dans lesquelles ils avaient appris la création de la société Idéal pièces, confirment l'absence de véritable démarchage de la part de Claude Samalens.

Que force est de constater que les intimés n'apportent pas d'éléments venant contredire utilement les indications ainsi fournis par ces deux personnes et n'apportent pas d'éléments supplémentaires tendant à établire la preuve d'un démarchage par Claude Samalens de clients de la société DTA;

Attendu, dans ces conditions, qu'il y a lieu de considérer, sans qu'il soit utile d'examiner plus avant les éléments et explications fournis par les parties quant aux causes des difficultés rencontrés par la société DTA ou les reproches que Claude Samalens et Fernand Moisset s'adressent réciproquement quant aux conditions respectives dans la société DTA, que les intimés ne démontrent pas ce en quoi Claude Samalens a manqué aux obligations résultant pour lui de la clause ci-dessus reproduite de l'acte du 28 avril 1999;

Attendu que s'agissant des comportements de concurrence déloyale reprochés par les appelants à Claude Samalens, les intimés reprochent à ce dernier et à la société Idéal pièces d'avoir cherché à désorganiser la société DTA;

Attendu qu'ils font tout d'abord valoir que la société Idéal pièces ne s'est pas contentée de démarcher des clients de la société DTA mais qu'elle les a détournés, notamment en leur proposant de façon systématique des prix inférieurs à ceux de la société DTA;

Or, attendu que force est de constater, outre le fait que la preuve d'un véritable démarchage des clients de la société DTA n'a donc pas été rapportée, et à supposer même que le fait de proposer des prix inférieurs à ceux de la concurrence constitue une pratique déloyale, ce qui n'apparaît nullement évident, que les intimés n'apportent en l'espèce absolument aucun élément révélant une telle pratique de la part de la société Idéal pièces;

Attendu, ensuite, qu'il n'est certes pas contesté que l'un des salariés de la société DTA, Monsieur Dones, a quitté cette société en octobre 1999 et a été aussitôt embauché par la société Idéal pièces;

Que l'on ne peut toutefois que relever, outre le fait qu'il s'agit du seul et unique salarié de la société DTA ayant été embauché par Claude Samalens, et outre le fait qu'il ne pesait sur Monsieur Dones aucune obligation contractuelle, hormis la lettre de démission de Monsieur Dones qui n'apporte à cet égard aucun élément utile, aucune pièce démontrant ou tendant à démontrer que cette embauche a pu être inspirée par une volonté de désorganiser systématiquement la société DTA ou par une quelconque intention déloyale à l'égard de la société DTA;

Attendu que la cour ne peut en définitive que constater que Maître Rey, Fernand Moisset et Christophe Gouzy n'apportent pas la preuve des actes de concurrence déloyale qu'ils reprochent à la société Idéal pièces et à Claude Samalens;

Attendu, au total, que le jugement déféré doit être réformé en toutes ses dispositions et que les intimés doivent être déboutés de l'intégralité de leurs prétentions;

Attendu qu'il apparaît en outre équitable d'allouer à la société idéal pièces une indemnité de 1 500 euro en application de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs: LA COUR, Réformant en sa totalité le jugement déféré et statuant à nouveau, Déboute maître Rey, la société DTA, Fernand Moisset et Christophe Gouzy de l'intégralité de leurs prétentions, Fixe à la somme de 1 500 euro l'indemnité due à la société Idéal pièces, en application de l'article 700 du NCPC, par Maître Rey, ès qualité de liquidateur de la société DTA, et dit que cette somme sera inscrite au passif de ladite société DTA, dit que les entiers dépens de la présente instance, tant de première instance que d'appel, seront passés en frais privilégiés de la liquidation de la société DTA et accorde à la SCP Boyer Lescat Merle, qui le demande, le bénéfice de l'article 699 du NCPC.