Ministre de l’Économie, 26 juin 2003, n° ECOC0300393Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils de la société Sogea
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 22 mai 2003, vous avez notifié l'acquisition par la société Sogea Constuction de certaines activités de la société Muller TP, à savoir la branche viabilité exploitée en Alsace et la branche génie civil exploitée en France.
A la suite de la mise en redressement judiciaire de Muller TP, Sogea a déposé le 14 mars 2003 une offre d'acquisition des activités susvisées. Par lettre du 8 avril 2003, le ministre a, sur le fondement du deuxième alinéa de l'article L. 430-4 du Code de commerce, accordé une dérogation à la société Sogea Construction lui permettant de réaliser effectivement l'acquisition de ces activités et ce en application du plan de reprise prononcé par jugement du tribunal de commerce de Metz si celui-ci retenait l'offre de Sogea Construction. Par jugement en date du 14 avril 2003, le tribunal de grande instance de Metz, statuant en chambre commerciale, a retenu l'offre de Sogea Construction.
I. - Les entreprises concernées et l'opération
Sogea construction est une filiale du groupe Vinci (ci-après " Vinci "), groupe dont les activités recouvrent quatre grands secteurs : [1] la gestion déléguée d'infrastructures, [2] les technologies de l'information et des énergies, [3] l'industrie routière et [4] les métiers du bâtiment et du génie civil. Au cours de l'exercice 2002, Vinci a réalisé un chiffre d'affaires total consolidé de 17,5 milliards d'euros, dont 14,3 milliards dans l'Union européenne et près de 10 milliards en France.
Muller TP est un groupe de dimension régionale présent dans les activités de terrassement, de viabilité et de génie civil. Les activités de Muller TP reprises par Sogea Construction ont généré en 2002 un chiffre d'affaires total de 18,4 millions d'euros, exclusivement en France.
L'opération notifiée a pour effet d'entraîner le contrôle exclusif de certaines activités de Muller TP au profit de Vinci. Cette opération constitue donc une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
Compte tenu des chiffres d'affaires précités, l'opération ne revêt pas une dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. - Marchés concernés
Dans son avis n° 01-A-08 du 5 juin 2001 relatif à l'acquisition du groupe GTM par la société Vinci (cf. note 1), le Conseil de la concurrence a défini un marché des travaux de réseaux, canalisations et autres, en souterrain. Cette définition regroupe deux activités identifiées séparément par la nomenclature de la Fédération nationale des travaux publics (ci-après " FNTP ") : celle des travaux de canalisations de transport et de distribution de gaz et fluides divers (groupe 7), d'une part, et celle des travaux de la filière eau et environnement (groupe 5), d'autre part.
Dans la décision du 19 juillet 2002 relative à l'acquisition de la Générale routière par le groupe Eiffage (cf. note 2) , le ministre avait cependant posé la question, sans la trancher, d'une segmentation plus fine de ce marché.
En effet, en ce qui concerne la première activité, la FNTP précise, dans son document présentant la nomenclature des travaux publics, que " ces travaux impliquent des chantiers à caractère linéaire nécessitant la disposition d'un personnel spécialisé et des moyens mécaniques adaptés aux diamètres et aux tonnages unitaires permettant la réalisation de cadences élevées. Ils nécessitent l'emploi de méthodes particulières. " A cet égard, on peut noter que Muller TP comme Vinci sont très peu présents dans cette activité (cf. note 3).
Cependant, la question de la définition exacte des marchés relevant des travaux de réseaux, canalisations et autres, en souterrain, n'a pas besoin d'être tranchée, car, qu'elle que soit la définition retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées. Pour les besoins de la présente décision, il sera retenu un marché des travaux de la filière eau, dans la mesure où, en matière de viabilité, l'opération n'entraîne un chevauchement que sur cette partie d'activité.
Dans la décision précitée, le ministre avait posé, sans la trancher, la question d'une délimitation locale en matière de travaux de réseaux, canalisations et autres, en souterrain. La question de la délimitation géographique exacte du marché des travaux de la filière eau peut cependant être laissée ouverte car, qu'elle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées. Au cas particulier, dans la mesure où les statistiques existantes les plus précises sont fournies sur une base régionale par le Syndicat des canalisateurs de France (ci-après " SCF "), une dimension régionale sera retenue afin de faciliter l'analyse.
En ce qui concerne l'activité de génie civil, dans la mesure où les chevauchements entraînés par l'opération de concentration sont insignifiants, les marchés concernés ne seront pas examinés dans le cadre de la présente décision.
III. - Analyse concurrentielle
La quasi-totalité du chiffre d'affaires des activités de viabilité de Muller TP reprises par Vinci est réalisée en Alsace. En conséquence, l'analyse concurrentielle portera sur cette région, tout en tenant compte des positions de Vinci et de ses concurrents dans les régions proches, à savoir : Lorraine, Franche-Comté, Champagne-Ardennes, Bourgogne.
Les parts de marché sont calculées à partir des statistiques figurant dans le rapport annuel du SCF. Il est à noter que ces statistiques ne sont pas exhaustives. En effet, elles sont établies sur la base d'une enquête annuelle effectuée auprès des seuls adhérents du SCF, c'est-à-dire les sociétés spécialisées en canalisation. Les travaux de canalisation effectués par des entreprises non adhérentes ne sont donc pas pris en compte. C'est par exemple le cas pour ce qui concerne les travaux de canalisation réalisés par Eurovia, filiale de Vinci spécialisée dans les travaux routiers.
Sur ce fondement, Sogea Construction estime que le chiffre d'affaires réalisé par les opérateurs de travaux routiers, non adhérents du SCF, représente environ 25 % du total du chiffre d'affaires réellement généré par l'ensemble des travaux de canalisation en France. Une telle estimation semble cohérente avec les statistiques de la FNTP (cf. note 4) , qui font apparaître que 70,7 % des travaux de canalisations étaient réalisés par les professionnels du secteur en 2001, contre 75,5 % en 2000.
Bien que le principe d'une réévaluation à la hausse du chiffre d'affaires présenté par le SCF apparaisse fondé, la quote-part de réintégration (25 %) proposée par Sogea Construction ne peut en l'état être retenue. En effet, Sogea Construction n'a pas été en mesure de justifier précisément le calcul permettant d'aboutir à cette quote-part pour les travaux de la filière eau réalisés dans les cinq régions analysées. A cet égard, on peut observer que si, selon la FNTP, près de 29 % des travaux de canalisation ont été réalisés par des entreprises issues d'autres secteurs, cette donnée est, d'une part, une moyenne nationale, ce qui ne permet pas de procéder à une réévaluation des chiffres d'affaires régionaux recensés par le SCF, et, d'autre part, ne distingue pas les travaux de la filière eau des autres travaux de canalisation. En conséquence, au cas d'espèce, seuls seront ajoutés aux chiffres d'affaires recensés par le SCF, les chiffres d'affaires réalisés par Vinci en matière de travaux de la filière eau et non déclarés au SCF.
Eu égard à ce qui précède, les parts de marché des entreprises concernées, ainsi que de certains de leurs concurrents, pour lesquels Sogea Construction a été en mesure d'évaluer le chiffre d'affaires sur le marché des travaux de la filière eau, sont les suivantes (sur la base de données relatives à l'année 2001 fournies par Sogea Construction) :
EMPLACEMENT TABLEAU
L'opération a pour effet de renforcer Vinci en tant que premier opérateur sur le marché des travaux de la filière eau en Alsace, ainsi que sur l'ensemble de la zone couvrant les cinq régions retenues pour l'analyse.
Toutefois, ce renforcement doit être relativisé. En effet, d'une part, la part de marché de Vinci calculée est vraisemblablement plus faible, dans la mesure où n'ont pas été pris en compte une partie des travaux réalisés par les opérateurs non adhérents du SCF. D'autre part, il apparaît que, sur la zone couvrant les cinq régions évoquées, il existe d'autres concurrents significatifs, certains d'entre eux appartenant à des groupes importants de taille internationale (Bouygues, Veolia Environnement, Eiffage). On peut en outre noter qu'il conviendrait de prendre en compte, parmi les concurrents, les activités de Muller TP en matière de travaux de la filière eau en Lorraine, activités significatives qui n'ont pas été reprises par Vinci (cf. note 5). En effet, les données relatives à ces activités ne figurent pas dans le tableau ci-dessus, qui a été construit à partir des seules informations transmises par Sogea Construction.
En conséquence, l'opération n'est pas susceptible de créer ou de renforcer une position dominante au profit de Vinci sur le marché des travaux de la filière eau.
Il ressort de ces éléments que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés concernés. Je vous informe donc que j'autorise cette concentration.
Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
NOTE (S) :
(1) BOCCRF n° 1 du 21 janvier 2002.
(2) BOCCRF n° 2 du 27 février 2003.
(3) En 2001, le chiffre d'affaires de Vinci relatif aux autres travaux de canalisation a représenté 0,7 % de son chiffre d'affaires relatif à l'ensemble des travaux de la filière eau et des autres canalisations.
(4) Les travaux publics 2001, Recueil de statistiques (TP Informations n° 60 novembre 2002).
(5) Par jugement en date du 14 avril 2003, le tribunal de grande instance de Metz, statuant en chambre commerciale, a retenu l'offre de Guintoli concernant la reprise des activités de Muller TP en matière de viabilité en Lorraine et de terrassement.
6Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.
Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.