Ministre de l’Économie, 30 juillet 2003, n° ECOC0300377Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Président de la société Smoby
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Monsieur le président,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 10 juillet 2003, vous avez notifié le projet d'acquisition par la société Smoby du groupe Majorette (ci-après " Majorette ") constitué des sociétés Majorette Toys SA, SN Solido SA, Majorette (Thailand) Co. Ltd et Majorette Hong Kong Ltd.
Cette acquisition a été formalisée par un contrat signé le 16 juin 2003.
I. - Les entreprises concernées et l'opération
Smoby est une société de droit français dont le capital est détenu à 51,55 % par la société holding Smoby Groupe, le reste étant détenu par le public (Smoby est cotée en bourse au second marché de Lyon). Le capital de Smoby Groupe est réparti entre les familles Breuil (52 % au travers de la holding familiale CGM) et Moquin (48 % au travers de la société AJCP). Le groupe Smoby (ci-après " Smoby ") fabrique et commercialise des jouets. Smoby est plus spécifiquement présent dans les jouets [1] d'imitation (plus de 50 % du chiffre d'affaires réalisé sur les jouets), [2] d'été et de plein air (près de 18 %), [3] de premier âge (un peu plus de 17 %) et [4] de loisirs familiaux (13,5 %). Par ailleurs, un peu plus de 10 % du chiffre d'affaires du groupe est réalisé dans l'activité de fabrication et de commercialisation d'emballages (bidons, pots, flacons). Le cour de l'implantation industrielle de Smoby est situé en France, dans le Jura. Au cours de l'exercice clos le 31 mars 2002, Smoby a réalisé un chiffre d'affaires total consolidé de 208,5 millions d'euros, dont 194,4 millions dans l'Union européenne et 89,4 millions en France.
Majorette fabrique et commercialise des jouets, autour de trois grandes lignes de produits : [1] les véhicules miniatures et leurs accessoires, [2] les véhicules de collection (marque Solido) et [3] les véhicules radiocommandés. Au cours de l'année 2002, Majorette a réalisé un chiffre d'affaires total de 60,7 millions d'euros, dont 54,5 millions dans l'Union européenne et 42,9 millions en France.
L'acquisition de Majorette par Smoby constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
Compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, l'opération notifiée ne revêt pas de dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. - Marchés concernés
Smoby estime qu'il y a lieu de distinguer les jeux et jouets traditionnels (ci-après " JJT ") des jeux vidéo pour les raisons suivantes. Tout d'abord, lorsqu'ils sont vendus en grande surface alimentaire (ci-après " GSA "), les jeux vidéo sont situés dans le rayon hifi/multimédia, donc en dehors du rayon des JJT. Ensuite, de manière plus générale, les GSA comme les grandes surfaces spécialisées du jouet (ci-après " GSS ") disposent d'acheteurs spécialisés en jeux vidéo différents des acheteurs spécialisés en JJT. Enfin, il existe des circuits de distribution spécialisés dans les jeux vidéos qui ne vendent aucun JJT.
L'instruction du dossier fait apparaître des éléments confortant cette distinction proposée par Smoby, retenue par le Conseil de la Concurrence à diverses reprises (cf. note 1). En effet, en premier lieu, il peut être observé que les fabricants de jeux vidéo ne sont généralement pas présents dans la fabrication de JJT. Il ressort des informations fournies par Smoby que le développement d'un jeu vidéo requiert des moyens nettement différents de ceux des JJT. En particulier, les coûts de développement d'un jeu vidéo sont beaucoup plus élevés que les coûts de développements des JJT (cf. note 2). En second lieu, il peut être observé que les statistiques publiées tant par les organisations professionnelles française ou européenne du secteur (cf. note 3) que par le cabinet d'études NDP distinguent les JJT des jeux vidéo.
En ce qui concerne les JJT, la Fédération française des industries du jouet et de la puériculture les regroupe en treize grandes catégories : [1] jouets d'imitation, [2] jouets sportifs et jeux de plein air, [3] véhicules, voitures miniatures, trains électriques, [4] jouets premier âge, [5] jeux de construction, jeux de reconnaissance et d'assimilation, puzzles, [6] cycles jouets, jouets porteurs, [7] jeux d'activité manuelle et de création, [8] jeux de société non électroniques, [9] articles de fêtes et ornements de Noël, [10] poupées et habillages, articles de puériculture pour poupées, [11] figurines, reproduction de bâtiments et ensembles divers, [12] jouets en peluche, [13] autres jouets.
A partir de ces treize catégories, les professionnels sont amenés à distinguer plusieurs sous-catégories de jouets.
Pour l'analyse concurrentielle de l'opération, Smoby propose de fonder la définition des marchés de produits sur la nomenclature des treize grandes catégories évoquées, en procédant à une segmentation plus fine si nécessaire.
On peut observer que, dans une décision relative à des pratiques constatées dans le secteur du jouet (cf. note 4) , le Conseil de la concurrence a déjà adopté cette démarche en distinguant au sein de la catégorie des " poupées et habillages, articles de puériculture pour poupées " un marché plus étroit des poupées-mannequins.
La question de la définition exacte des marchés de produits sur la base des différents critères évoqués ci-dessus peut cependant rester ouverte car, qu'elle que soit la définition retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées. En conséquence, pour les besoins de la présente décision, l'analyse s'effectuera sur la base des treize catégories évoquées, en procédant lorsque nécessaire à une segmentation plus fine.
On pourrait également se poser la question de savoir s'il faut distinguer des marchés séparés selon les différentes catégories de clientèle auxquelles les fabricants vendent leurs JJT : grandes et moyennes surfaces alimentaires (ci-après " GMS "), GSS, grands magasins, grossistes, entreprises de vente par correspondance. On peut notamment constater que certains JJT sont plutôt distribués en GMS alors que d'autres le sont en GSS. Ainsi 61,5 % des ventes de JJT Smoby sont réalisées en GSS contre 34,5 % en GMS. A l'inverse, 67 % des ventes de JTT Majorette sont réalisées en GMS contre 19 % en GSS. Une telle question peut cependant rester ouverte dans la mesure où, quelle que soit la définition de marché retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.
Au cas d'espèce, il apparaît que l'essentiel des ventes des fabricants est réalisé auprès des GMS et des GSS. En effet, en France, les GMS et les GSS ont réalisé en 2002 plus de 80 % de la valeur des ventes de JJT au consommateur final (41,6 % pour les GMS et 40 % pour les GSS). Cette part représente 96 % pour les produits de Smoby et 86 % pour les produits de Majorette. Au sein des GMS, les GSA réalisent près de 95 % de la valeur des ventes de jeux et jouets.
En conséquence, eu égard à ce qui précède et dans la mesure où cela ne modifiera pas les conclusions de l'analyse concurrentielle, l'analyse qui suit n'abordera pas les ventes de JJT réalisées auprès des autres circuits de distribution que les GMS et les GSS, d'une part, et auprès des grossistes, d'autre part.
En ce qui concerne la dimension géographique des marchés concernés, Smoby estime qu'elle est nationale du fait de l'existence [1] de parts de marchés très hétérogènes d'un pays à l'autre et [2] de prix et de circuits nationaux. Sans qu'il soit nécessaire de trancher la question de la délimitation géographique des marchés concernés, il sera retenu, pour les besoins de la présente décision, une dimension nationale dans la mesure où plus de 70 % du chiffre d'affaires de Majorette est réalisé en France.
III. - Analyse concurrentielle
Si l'on examine les parts de ventes par grande catégorie de JJT, il apparaît que Smoby et Majorette sont plus fortement présents sur certaines d'entre elles.
Ainsi Smoby est particulièrement présent dans les jeux d'imitation : dans cette catégorie, ses produits représentent 36 % des ventes totales réalisées dans cette catégorie en 2002 (cf. note 5).
Majorette, pour sa part, réalise plus de 90 % de ses ventes dans la catégorie " véhicules, voitures miniatures, trains électriques ". Au sein de cette catégorie, les professionnels distinguent (i) les mini-véhicules, (ii) les accessoires pour mini-véhicules (garages, pistes, tapis de jeux, autres environnements), (iii) les véhicules radiocommandés et (iv) les autres (trains et circuits). Majorette est présent dans les trois premiers segments et plus particulièrement dans les deux premiers.
L'opération permet pour l'essentiel à Smoby d'élargir sa gamme de JJT. En effet, l'opération n'entraîne de chevauchement que sur le segment des accessoires pour mini-véhicules.
Les positions des parties et de leurs concurrents sur les trois premiers segments de la catégorie " véhicules, voitures miniatures, trains électriques " sont les suivantes, en distinguant les deux circuits de distribution GMS et GSS :
EMPLACEMENT TABLEAU
Avant l'opération, Majorette était le premier opérateur en matière d'accessoires pour mini-véhicules, avec une part de ventes de 33,3 %. L'opération aura donc pour effet, sur ce segment, de placer Smoby comme premier opérateur, avec une part de ventes de 41,7 %. Cette place de premier opérateur est encore plus forte si l'on considère les ventes réalisées par les GMS (48,3 %). Enfin, tout en élargissant sa gamme de JJT, l'opération permet à Smoby d'acquérir deux marques notoires : Majorette et Solido.
Il convient cependant de relativiser ces constatations pour les raisons suivantes.
En premier lieu, en ce qui concerne les accessoires, il existe des concurrents significatifs, tels que Mattel (20,5 %) et Hasbro (15,7 %), qui sont de taille internationale, et, dans une moindre mesure, Berchet (8 %). Ainsi, en 2002, dans un contexte de croissance des ventes (en valeur) totales d'accessoires (+ 6,2 %), Mattel et Hasbro ont connu une croissance de leurs ventes d'accessoires nettement supérieure à celle de l'ensemble du segment et ont ainsi gagné des parts de ventes (Mattel : + 9 points en GMS et + 4,5 points en GSS ; Hasbro : + 3 points en GMS et + 6 points en GSS). A contrario, sur la même période, Majorette a vu ses ventes d'accessoires baisser de 9 %, perdant ainsi des parts de ventes (- 3,5 points en GMS et - 8 points en GSS).
En deuxième lieu, il apparaît que la nouvelle entité ne pourra pas acquérir un avantage concurrentiel en faisant jouer un effet de gamme, tout particulièrement pour ce qui concerne les mini-véhicules et les accessoires, jouets étroitement liés.
En effet, tout d'abord, bien que Majorette détienne dans les GMS une forte position en matière de mini-véhicules (près de 48 % des ventes), il peut être constaté que, pour 2002, ses ventes d'accessoires y ont baissé de 4 % en valeur et que sa part des ventes y a perdu près de 3,5 points, et ce alors que ses ventes en matière de mini-véhicules ont stagné sur la même période dans les GMS. Il peut donc s'en conclure que Majorette peut difficilement faire jouer un effet de gamme dans les GMS.
Ensuite, dans les GSS, la nouvelle entité sera confrontée, comme pour les accessoires, à une importante concurrence en matière de mini-véhicules (Majorette : 26,1 % ; Mattel : 16,1 % ; Burago : 13,3 % ; Maisto : 11 %). Une telle situation ne pourra donc pas permettre à la nouvelle entité de mettre en œuvre un effet de gamme sur l'ensemble mini-véhicules/accessoires dans les GSS.
Enfin, quand bien même la nouvelle entité souhaiterait faire jouer un effet de gamme en s'appuyant sur une position forte détenue dans d'autres catégories de jouets (par exemple les jouets d'imitation où 36 % des ventes en valeur sont réalisées par Smoby), il apparaît qu'elle pourrait difficilement en tirer un avantage concurrentiel. En effet, des fabricants tels que Mattel ou Hasbro sont présents dans quasiment toutes les catégories de JJT et ils sont donc susceptibles de s'appuyer également sur les très fortes positions qu'ils détiennent dans plusieurs de ces catégories (cf. note 6). Il convient d'ailleurs de noter que les tests de marché n'ont pas révélé d'inquiétude quant à la possibilité pour Smoby d'acquérir un avantage concurrentiel via un effet de gamme.
En troisième lieu, il apparaît que la nouvelle entité ne pourra pas non plus acquérir un avantage concurrentiel en faisant jouer un effet de portefeuille. L'opération permet à Smoby d'acquérir deux marques notoires (Majorette et Solido). Toutefois, il n'existe une addition de marques que sur les accessoires. Or, sur ce type de jouet, ainsi que cela a déjà été évoqué, il existe une concurrence significative avec d'autres fabricants. De surcroît, quand bien même les marques possédées par Smoby à l'issue de l'opération seraient considérées comme incontournables en matière de JJT, il existe de nombreuses autres marques, tout aussi incontournables (Barbie, Playmobil, Lego, MB/Parker, Power Rangers, etc.), dont certaines possédées par les deux principaux fabricants mondiaux de JJT que sont Mattel et Hasbro. Il convient également de noter que les tests de marché n'ont pas révélé d'inquiétude quant à la possibilité pour Smoby d'acquérir un avantage concurrentiel via un effet de portefeuille.
En quatrième lieu, bien que Smoby devienne le troisième fabricant de JJT en France en termes de parts de ventes en valeur (5,7 % dont 3,9 % pour Smoby et 1,8 % pour Majorette), il sera face à de nombreux autres fabricants de JJT.
D'une part, la nouvelle entité sera face à Mattel et à Hasbro, respectivement premier et deuxième (soit 13,4 % et 10,1 % des ventes de JJT en 2001), groupes de taille internationale aux moyens financiers nettement supérieurs à ceux de Smoby et de Majorette. En particulier, la surface financière de Mattel et de Hasbro leur permet d'engager des dépenses significatives de publicité télévisée. Il ressort en effet de l'instruction du dossier que la publicité télévisée joue un rôle important dans les choix d'achats des distributeurs, tout particulièrement pour ce qui concerne le dernier trimestre de l'année qui représente près de 60 % des ventes de JJT.
D'autre part, le secteur de la fabrication des JJT étant fortement atomisé, la nouvelle entité sera face à de nombreux autres fabricants de JJT, dont plusieurs ont des parts de ventes (en valeur) peu éloignées de la part de la nouvelle entité (Berchet : 4 % ; Ravensburger : 3,2 % ; Playmobil : 3,1 % ; Lego : 2,8 % ; Vtech : 2,2 %).
L'opération notifiée n'est donc pas susceptible de renforcer ou de créer une position dominante au profit de Smoby.
Il ressort de ces éléments que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés concernés. Je vous informe donc que j'autorise cette concentration.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le président, l'expression de ma considération distinguée.
NOTE (S) :
(1) Cf. notamment les décisions du Conseil de la concurrence n° 93-D-56 du 7 décembre 1993 et n° 95-D-62 du 26 septembre 1995.
(2) Selon les informations fournies par Smoby, le développement d'un jeu vidéo de bonne qualité nécessite en moyenne un montant d'investissement 10 fois plus élevé que pour un JJT.
(3) Fédération française des industries du jouet et de la puériculture ; Toys Industries of Europe.
(4) Décision n° 99-D-45 du 30 juin 1999 (BOCCRF n° 20 du 11 décembre 1999).
(5) Les données relatives aux parts de ventes de Smoby, Majorette et de leurs concurrents sont issues de la base de données NDP.
(6) Par exemple en 2002 en France, Mattel représentait plus de 48 % des ventes de poupées et Hasbro représentait plus de 53 % des jeux d'action (sources NDP).