Livv
Décisions

CA Rouen, ch. corr., 3 avril 2000, n° 99-00401

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Emi France (Sté), Sony Music Entertainment (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Catenoix

Avocat général :

M. Gicquel

Conseillers :

MM. Massu, Bisot

Avocats :

Mes Calvet, Ricouart.

TGI Rouen, ch. corr., du 21 févr. 2000

21 février 2000

Rappel de la procédure

Prévention

Micheline D a été citée le 8 juillet 1998 à comparaître le 9 septembre 1998 devant le Tribunal correctionnel de Rouen en vertu de deux ordonnances en date des 25 mars et 19 mars 1998 d'un juge d'instruction de ce tribunal.

Elle était prévenue d'avoir:

Dossier n° 95-15920

- à Rouen et sur le territoire national du 1er janvier au 21 juillet 1995, en tout cas depuis temps non prescrit, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles d'un bien ou d'un service, en mettant en vente des CD dont la présentation des pochettes pouvait persuader à tort que les interprètes des chansons étaient Mike Brant et le groupe Queen;

Faits prévus et réprimés par les articles 121-4, 121-5, 121-6, 213-1 du Code de la consommation.

Dossier n° 95-15921

- à Rouen et sur le territoire national, entre le 1er juillet et le 27 juillet 1995, en tout cas depuis temps non prescrit, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses, de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles d'un bien ou d'un service, en l'espèce en vendant des CD dont la présentation était de nature à persuader le consommateur que les interprètes étaient Mickaël Jackson et Mariah Carey, alors que les chansons n'étaient pas interprétées par ceux-ci;

Faits prévus et réprimés par les articles 121-1, 121-4, 121-5, 121-6, 213-1 du Code de la consommation.

Jugement

Par décision contradictoire en date du 23 septembre 1998 le tribunal a ordonné la jonction des deux procédures sus-mentionnées et statué en un seul et même jugement dans les termes suivants:

sur l'action publique

Déclare Micheline D épouse L coupable des faits qui lui sont reprochés;

Condamne Micheline D épouse L à une amende délictuelle de 20 000 F;

Sur l'action civile

Déclare la constitution de partie civile de la société Sony Music Entertainment (France) irrecevable;

Déclare la constitution de partie civile de la société Emi France irrecevable;

Appels

Il a été interjeté appel de ce jugement:

- le 1er octobre 1998 par les parties civiles Sony Music et Emi;

- le 5 octobre 1998 par la prévenue sur les seules dispositions pénales;

- le 5 octobre 1998 par le Ministère public.

Décision

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi.

En la forme

Au vu des énonciations qui précèdent et des pièces de la procédure les appels interjetés par Sony Music et Emi, la prévenue et le Ministère public dans les forme et délai des articles 498 et suivants du Code de procédure pénale sont réguliers; ils sont donc recevables.

Ont été citées devant la cour:

- Micheline D suivant acte d'huissier en date du 25 octobre remis à sa personne, laquelle, après renvoi contradictoire au 21 février 2000, comparaît à l'audience assistée de son avocat.

- La société Sony Music Entertainment (France) suivant acte d'huissier en date du 1er octobre 1999, laquelle, après renvoi contradictoire au 21 février 2000, est représentée à l'audience par son avocat.

- La société Emi France suivant acte d'huissier en date du 29 septembre 1999, laquelle, après renvoi contradictoire au 21 février 2000, est représentée à l'audience par son avocat.

L'arrêt sera donc contradictoire à l'égard de toutes les parties.

Au fond

Dossier 95-15920

La société Emi France a déposé le 28 juillet 1995 auprès du doyen des juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Rouen une plainte contre X avec constitution de partie civile datée du 21 juillet 1995 pour infraction aux dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, visant expressément la société X sise <adresse>à Rouen.

La société Emi France fait grief à la société X dont le représentant légal est Micheline D d'avoir commercialisé des disques compacts (ci-après CD) comportant des titres de chansons rendues célèbres par le chanteur Mike Brant pour l'un des CD et par le groupe Queen pour l'autre, mais enregistrées par d'autres interprètes, à savoir respectivement Tony Bram's et The England child's, et ceci dans des conditions trompeuses pour le consommateur en ce que celui-ci n'est pas suffisamment averti par la présentation de la pochette du disque de ce que les titres ne sont pas interprétés par l'interprète originel.

Elle s'estime directement victime de la publicité trompeuse qui en résulte dès lors qu'elle-même commercialise en France les enregistrements du chanteur Mike Brant et du groupe Queen.

Dossier 95-15921

Semblablement, la société Sony Music a déposé plainte le 27 juillet 1995 dans les mêmes conditions et sur le même fondement juridique que la société Emi, à la suite de la commercialisation par la société X de deux disques, l'un, intitulé "black or white", consacré à des chansons originellement interprétées par Mickaël Jackson dans un album commercialisé sous ce même titre, l'autre consacré à des chansons originellement interprétées par Mariah Carey, leurs chansons ayant été enregistrées en l'occurrence respectivement avec la voix des interprètes G.King et Rosa Robyx.

La société Sony, qui est titulaire des droits de reproduction des enregistrements de Mickaël Jackson et Mariah Carey dont elle assure la commercialisation, s'estime lésée par les agissements commerciaux de la société X dont elle considère qu'ils constituent tout à la fois une concurrence déloyale à son égard et une publicité trompeuse à l'égard du consommateur.

Micheline D estime quant à elle que la société X est la cible d'une action concertée de la part des deux "majors" du disque qui poursuivent en fait l'élimination de petits producteurs français concurrents afin de conquérir ou conserver le marché du disque à prix réduit, obtenant ainsi le monopole de l'exploitation des œuvres des auteurs et compositeurs alors même que cette exploitation est parfaitement autorisée pour quiconque paye normalement les droits y afférents à la SACEM et la SDRM.

S'agissant plus précisément de l'infraction qui lui est reprochée, elle soutient que la société X a pris toutes les précautions nécessaires pour éviter toute confusion en ce qui concerne les interprètes réels des titres de chansons mentionnés sur les disques qu'elle commercialise. Selon elle les mentions figurant sur les pochettes de disque, conformes aux usages de la profession et connues du public, excluent tout risque de confusion, d'autant plus que la technique de vente employée et le prix du disque (39 F) permettent au consommateur de parfaitement distinguer les produits concurrents.

Cela étant exposé,

Il est constant qu'est licite l'édition de chansons ou compositions musicales enregistrées par des artistes différents de ceux qui les ont rendues célèbres, de telles productions étant qualifiées de "reprises", l'éditeur étant toutefois tenu de régler les droits d'auteur et de compositeur y afférents auprès des organismes chargés de leur recouvrement.

Il incombe toutefois à l'éditeur qui, de fait, tire profit d'une notoriété à laquelle il est étranger, et à toute personne qui commercialise ces produits, d'éviter d'entretenir une confusion susceptible de nuire à autrui, notamment le consommateur.

En l'espèce il est essentiellement reproché à la société X et à son dirigeant d'avoir entretenu une telle confusion en commercialisant des disques dont les indications et le graphisme des pochettes étaient de nature à induire en erreur le consommateur.

Il n'est ni contestable ni d'ailleurs contesté que la seule mise en vente de ces produits dans les rayons de grands distributeurs commerciaux constitue bien une publicité au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation.

Il n'est pas davantage contesté que le nom de l'interprète constitue une qualité substantielle de ce produit.

Il appartient dès lors à la cour d'apprécier si les indications et les présentations figurant sur les disques litigieux sont de nature à induire en erreur.

Ceux-ci se présentent sous la forme suivante:

- Concernant les chansons de Mike Brant:

Le recto de la jaquette présente sur la majeure partie de sa surface un dessin du visage de Mike Brant avec son nom en très gros caractère (23 mm de hauteur pour les majuscules et 16 mm pour les minuscules) de couleur bleue, précédé de la mention "les succès de" en lettres majuscules noires de 3 mm de hauteur. Figure également en haut de la jaquette la mention "super coverversion" en lettres majuscules bleues de 2 mm de hauteur, et en bas de la jaquette la mention " interprétés par Tony Bram's" selon la même typographie.

Le verso de la jaquette présente les mêmes mentions, la dimension des lettres étant toutefois réduite à 15 et 11 mm pour le nom de Mike Brant et à 2 mm pour la mention "les succès de", ce qui a pour effet de rendre plus apparente la mention "interprétés par Tony Bram's". Figure en outre le nom des douze chansons avec, en regard, le nom des compositeurs et auteurs, parmi lesquels Brant pour trois d'entre elles.

La tranche du disque porte quant à elle les mentions suivantes:

"voice like", "Mike Brant", "interprétés par Tony Bram's","mark 279".

- Concernant Queen:

Le recto de la jaquette présente sur fond vert:

- au centre l'emblème du groupe à savoir une couronne royale (52 mm de large sur 40 mm de hauteur);

- au-dessus, le nom du groupe en lettres blanches circonscrites de rouge d'une hauteur de 16 à 21 mm (27 mm en comptant l'extrémité de la lettre initiale), précédé de la mention "voices like" en lettres blanches italiques d'une hauteur de 2 à 4 mm, et au sommet du disque la mention "super coverversion" en lettres majuscules blanches de 3 mm de hauteur.

- sous l'emblème du groupe, sur trois lignes, les titres de trois des titres de chansons enregistrées sur le disque à savoir "Radio gaga", "We will rock you", "I want to break free", en lettres italiques de couleur blanche de 3 à 5 mm de hauteur, suivis de la mention "by England child's" en lettres blanches de 1 à 3 mm de hauteur environ.

Le verso reproduit les mêmes mentions "super coverversion", "voices like", "Queen", "by England Chid's", précision étant faite que la mention by England child's figure immédiatement en-dessous du nom du groupe Queen en lettres blanches de 1 à 2 mm de hauteur, le tout suivi des titres de 10 chansons.

La tranche du disque porte les mentions "voices like", "Queen", "by England child's", "mark 156".

- Concernant Mickaël Jackson:

Le recto de la jaquette présente le visage dessiné de Mickaël Jackson sous la forme d'une silhouette en noir et blanc couvrant toute la hauteur de la pochette, avec le titre Black Or White en lettres noires ou blanches de 8 à 21 mm, et les titres de 5 des douze chansons que comporte le disque, en lettres noires sur fond blanc de 5 à 8 mm de hauteur.

Figure également en haut de la jaquette la mention "super coverversion" en lettres de couleur ocre d'une hauteur de 3 mm, et en bas à droite, sur quatre lignes les mentions "voice like", "Mickaël Jackson", "by G. King", en lettres majuscules de 2 à 3 mm de hauteur environ de couleur ocre pour les deux premières mentions et blanche pour la dernière.

Le verso porte en haut la mention "super coverversion" suivi du titre "Black Or White", lui-même suivi des titres de douze chansons avec en regard le nom de M. Jackson pour dix d'entre elles.

Les douze titres sont eux-mêmes suivis sur deux lignes des mentions "voices Like Mickaël Jackson " et "by G. King" en lettres noires sur fond blanc de 2 à 3 mm de hauteur.

La tranche porte ces mêmes mentions "voice like Mickaël Jackson", "Black Or White", "by G. King" outre "mark 161".

Concernant Mariah Carey:

Le recto de la jaquette présente au centre, sur une hauteur de 70 mm environ, le visage dessiné de Mariah Carey surmonté du nom de celle-ci en lettres blanches sur fond sombre de 10 mm de hauteur précédé de la mention "voice like" en lettres de couleur rose d'une hauteur de 2 à 3 mm.

Le sommet de la jaquette porte la mention "super coverversion" en lettres majuscules roses de 3 mm de hauteur.

Sous le visage de Mariah Carey figurent les titres de quatre des dix chansons que comporte le disque, en lettres blanches sur fond sombre de 4 mm de hauteur environ, suivis de la mention "by Rosa Robyx" en lettres roses de 1 à 2 mm de hauteur.

Le verso porte les mêmes mentions "super coverversion", "voice like", "Mariah Carey", "by Rosa Robyx" en caractères de couleur et de hauteur identique à ceux du recto, suivies des dix titres de chanson présentant en regard le nom de M. Carey pour neuf d'entre elles.

La tranche du disque porte les mentions "voice like", "Mariah Carey", "by Rosa Robyx", "mark 185".

Selon Micheline D, le terme de "cover" est couramment employé pour désigner des reprises de telle sorte que la mention "super coverversion" serait suffisamment explicite pour le consommateur. Quant à la mention "voice like" elle serait également compréhensible par le public français, notamment l'acheteur jeune auquel les enregistrements en cause sont principalement destinés.

La cour observe toutefois que cette appréciation ne correspond pas à la réalité, le terme de "cover" n'étant connu que des professionnels, voire une partie d'entre eux seulement, l'expression "voice like" n'étant ni communément admise dans la langue courante ni particulièrement explicite, notamment pour un non anglophone.

Surtout, les indications ou présentations de nature à induire en erreur doivent s'apprécier globalement en fonction de ce qu'un consommateur normalement attentif peut percevoir et non en fonction de ce qu'un consommateur particulièrement vigilant peut déceler ou décrypter.

En l'espèce les mentions "les succès de" (Mike Brant) et "Interprétées par Tony Bram's" apparaissent suffisamment explicites pour permettre au consommateur normalement attentif et sachant lire de déjouer les astuces de la mercatique et de s'assurer que le produit dont il fait l'acquisition n'est qu'un succédané d'un autre produit réputé de meilleure qualité, nonobstant l'utilisation éventuellement contestable du nom de Mike Brant en très gros caractères et de la reproduction de son visage en gros plan. Le jugement déféré sera donc réformé en ce qui concerne ce CD.

Tel n'est pas le cas en revanche pour les trois autres CD, tant est puissante la force attractive des visages ou de l'emblème des interprètes originels auxquels les titres mentionnés au recto de la jaquette sont indéfectiblement associés dans l'esprit du consommateur.

L'emploi de termes anglais qui ne sont pas entrés dans le langage courant n'est pas de nature à contrebalancer l'impression déterminante qui en résulte étant observé en outre que la préposition anglaise "by" suivi du nom d'un inconnu, ne permet pas au consommateur normalement avisé de comprendre qu'elle fait référence à un interprète.

Il ressort de l'ensemble de ces considérations qu'à l'exception du disque des succès de Mike Brant interprétés par Tony Bram's, les trois autres disques mentionnés à la prévention comportent bien des indications et une présentation dont l'ambiguïté est de nature à induire en erreur le consommateur, sans qu'il soit besoin, ainsi que l'a jugé à juste titre le premier juge, d'interroger la Cour de Justice des Communautés européennes dans le cadre d'une question préjudicielle relative à l'utilisation de la langue anglaise, la réglementation européenne étant totalement étrangère à la question soumise à la cour.

Par ailleurs, les modalités concrètes de la vente des disques litigieux sont en l'espèce sans incidence quant à la réalisation de l'infraction.

Il est constant en effet que les disques de la société X sont commercialisés essentiellement voire exclusivement à l'occasion d'opérations promotionnelles d'une durée de quinze jours environ par l'intermédiaire de grands distributeurs tels que Cora au cours desquelles les disques, implantés en tête de gondole, font en même temps l'objet d'une diffusion sonore dans l'hypermarché, avec la présence d'un animateur de la société X chargé de présenter le produit et de le faire écouter au client du magasin qui le requiert.

Or, Micheline D ne rapporte pas la preuve qu'à l'occasion de ces opérations une information explicite ait été fournie systématiquement à la clientèle pour corriger les indications et présentations en elles-mêmes fallacieuses des disques.

Au contraire, la société X a implicitement admis que la présentation de ses collections "mark" et "gold" avait pu faire l'objet de "quelques irrégularités" de la part des animateurs, tout du moins de certains d'entre eux, ainsi qu'il ressort de plusieurs courriers datés du 26 juin 1997 (soit deux ans après les faits visés à la prévention) adressés de manière semble-t-il systématique sous forme de lettre recommandée avec accusé de réception auxdits animateurs et leur faisant interdiction de citer le nom de l'interprète originel, y compris lorsqu'il est également l'auteur et le compositeur de la chanson comme ce peut être le cas pour Mike Brant d'ailleurs cité en exemple.

Au surplus, ce mode de vente introduit nécessairement un élément supplémentaire de confusion puisque les nouveaux interprètes des disques X ont précisément pour caractéristique d'imiter, non sans un certain talent parfois, la voix même de l'interprète originel.

Quant au prix particulièrement modique (39 F au lieu de 120 F minimum pour la plupart des disques édités par les majors), s'il peut effectivement constituer une raison pour le consommateur d'exercer une vigilance accrue et de se méfier, il laisse néanmoins subsister les indications et présentations qui, en elles-mêmes, restent de nature à l'induire en erreur, étant observé au surplus que les grandes surfaces ont habitué le consommateur à des "coups" publicitaires tels qu'il finit par ne plus s'étonner de rien en cette matière.

Micheline D, en sa qualité de président du conseil d'administration de la société X, ne pouvait ignorer que les indications et présentations délibérément équivoques des disques litigieux étaient de nature à induire en erreur le consommateur, ce qui caractérise à son égard l'élément intentionnel de l'infraction.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il l'a déclarée coupable de publicité trompeuse pour les trois disques de reprise des succès de Mickaël Jackson, de Mariah Carey et du groupe Queen.

Il convient toutefois de préciser que la preuve n'est pas rapportée de ce que les ventes et publicités litigieuses se soient poursuivies au-delà du 5 avril 1995, date à laquelle la société X informait ses partenaires commerciaux qu'elle procédait au retrait de la vente des disques litigieux jusqu'au résultat d'une instance judiciaire en cours introduite par la société Polygram, une ordonnance de référé prononcée le 4 avril 1995 par le Tribunal de commerce de Paris ayant ordonné le retrait de la vente de plusieurs disques compacts litigieux.

Dès lors les ordonnances de renvoi sur le fondement desquelles la cour doit se prononcer précisant que la période visée par la prévention s'étend "en tout cas depuis temps non prescrit", et Micheline D s'étant régulièrement expliquée sur ce point, la cour dira que les faits reprochés ont été commis entre le 1er janvier et le 5 avril 1995.

S'agissant de la sanction pénale, au vu des circonstances de la cause et des renseignements recueillis sur la situation et la personnalité de Micheline D, la peine de 20 000 F d'amende prononcée par le premier juge apparaît adaptée à l'infraction commise et sera donc maintenue. La cour, par application de l'article L. 121-4 du Code de la consommation, ordonnera en outre la publication du présent arrêt dans le journal Paris-Normandie (éditions de Rouen et de l'Eure) comme indiqué au dispositif.

Sur l'action civile

Les faits de publicité trompeuse étant susceptibles de nuire directement non seulement au consommateur mais également au commerçant concurrent qui s'interdit de mettre en œuvre des pratiques répréhensibles, le droit de se constituer partie civile ne saurait être réservé au seul consommateur. Il appartient également au commerçant concurrent qui subit un préjudice personnel découlant directement de la commission du délit.

En l'espèce, la société Emi expose qu'elle reproduit et commercialise en France les enregistrements du chanteur Mike Brant et du groupe Queen.

Elle soutient que les ventes des enregistrements sur lesquelles elle est titulaire des droits de reproduction et de commercialisation sont directement affectées par les pratiques délictueuses de Micheline D et que les agissements de celle-ci lui sont d'autant plus préjudiciables qu'elle avait précisément réédité les enregistrements les plus célèbres de Mike Brant à l'occasion du 20e anniversaire du décès de celui-ci, moyennant une campagne publicitaire exceptionnelle dont le coût s'est élevé à la somme de 4 millions de francs environ.

Elle dit être dans l'impossibilité à ce jour de chiffrer précisément son préjudice dont le principe ne fait aucun doute et sollicite en conséquence la condamnation de Micheline D à lui payer une somme de 50 000 F à titre de provision, ainsi que la désignation d'un expert ayant pour mission de:

- se rendre sur place au siège de la société X;

- se faire communiquer, par tous moyens de son choix, tous documents et pièces utiles permettant de connaître le nombre de phonogrammes "les succès de Mike Brant" et "voices like Queen" vendus par la société X et de déterminer le montant des ventes de ces phonogrammes réalisées par la société X;

- d'évaluer le préjudice subi par la société Emi France, notamment au regard des importants investissements publicitaires qu'elle a engagés, du fait des faits délictueux;

Elle demande en outre la condamnation de Micheline D à lui payer la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, ainsi que les dépens de l'action civile.

Cela étant, sa demande sera rejetée en ce qu'elle vise le disque de reprise des succès de Mike Brant, Micheline D ayant été relaxée de ce chef.

S'agissant du disque de reprise de certains des titres du groupe Queen, la cour observe que la société EMT ne produit pas le moindre commencement de preuve de l'étendue du préjudice qu'elle invoque.

Par ailleurs, en l'état, à défaut de preuve contraire rapportée par la société Emi, il n'apparaît pas que la "cible commerciale" de la société X soit identique à celle de la société Emi. Plus précisément, il est évident que le consommateur d'un disque à 40 F s'attend à une qualité de produit inférieure à celle des autres disques édités à prix plus élevé par les majors, quand bien même il ignore la cause exacte de cette moindre qualité, et une expertise, quelqu'en soit le résultat, ne permettra jamais d'affirmer que la clientèle de la société X aurait acheté un CD édité au prix plus élevé par la société Emi.

Dans ces conditions la cour, en prenant en considération la période limitée au cours de laquelle a été mis en vente ce disque de reprise de certains titres du groupe Queen, estime avoir suffisamment d'éléments d'appréciation pour évaluer à 10 000 F le préjudice commercial subi par la société Emi du fait de la publicité trompeuse dont Micheline D a été déclarée coupable.

La société Sony présente une demande et une argumentation en tous points semblable à celle de la société Emi.

Elle affirme, sans en rapporter la moindre preuve qu'elle aurait précisément effectuée, à une époque qu'elle ne précise pas, de très importants investissements publicitaires destinés à promouvoir les enregistrements de Mariah Carey pour un coût de 3 742 000 F environ et qu'en ce qui concerne Mickaël Jackson ces investissements publicitaires seraient encore plus considérables comme en témoignerait notamment la sortie de son album "History".

Dans ces conditions, et pour les mêmes motifs que ceux qui ont été précédemment exposés pour la société Emi, la cour condamnera Micheline D à payer à la société Sony Music en réparation de son préjudice commercial une somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts pour les deux disques litigieux.

Par ailleurs, il apparaît équitable d'allouer à chacune des sociétés Emi et Sony une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, En la forme: Déclare les appels recevables, Au fond: Infirmant partiellement le jugement déféré; Renvoie Micheline D des fins de la poursuite pour la mise en vente des CD concernant les succès de Mike Brant interprétés par Tony Bram's. Déclare Micheline D coupable d'avoir à Rouen et sur le territoire national, du 1er janvier au 5 avril 1995, effectué une publicité comportant des indications et présentations de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles d'un bien en mettant en vente des CD dont la présentation des pochettes pouvait persuader à tort que les interprètes des chansons étaient le groupe Queen, Mickaël Jackson et Mariah Carey; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné Micheline D à une amende de 20 000 F; Ordonne la publication dans le journal Paris-Normandie (Editions de Rouen et de l'Eure), aux frais de la condamnée dans les conditions fixées par l'article 131-35 du Code pénal, du communiqué suivant: "Par arrêt en date du 3 avril 2000, la Cour d'appel de Rouen a condamné Micheline D épouse L en sa qualité de représentante légale de la société X sise <adresse>à Rouen à la peine de 20 000 F d'amende pour avoir à Rouen et sur le territoire national, du 1er janvier au 5 avril 1995, effectué une publicité comportant des indications et présentations de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles d'un bien en mettant en vente des CD dont la présentation des pochettes pouvait persuader à tort que les interprètes des chansons étaient le groupe Queen, Mickaël Jackson et Mariah Carey; Dit qu'il pourra être recouru, s'il y a lieu dans les formes de droit à la contrainte par corps pour le recouvrement de l'amende; Sur l'action civile: Déclare la société Emi France recevable en sa constitution de partie civile; Condamne Micheline D à lui payer la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; La déboute du surplus de ses demandes. Déclare la société Sony Music Entertainment France recevable en sa constitution de partie civile; Condamne Micheline D à lui payer la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; La déboute du surplus de ses demandes. Condamne Micheline D aux entiers dépens de l'action civile; La présente procédure est assujettie à un droit fixe de huit cents francs (800 F) dont est redevable Micheline D.