CA Pau, 2e ch. sect. 1, 20 janvier 2000, n° 97-03885
PAU
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Scapa (SA), Bouychou, Penet-Weiller
Défendeur :
Haurine Couste (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roux
Conseillers :
M. Tignol, Mme Claret
Avoués :
SCP De Ginestet-Duale, SCP Longin
Avocats :
SCP Dulong-Le Bourgeois, Me Baget.
Faits et procédure
Dans le cadre d'une technique de distribution instaurée par la société Codec et dénommée "circuit direct", la société Scapa fournissait à la société Haurine Couste divers produits alimentaires.
Le mécanisme du circuit direct fonctionnait de la façon suivante: les sociétaires de Codec, commandaient des marchandises aux fournisseurs liés à Codec, qui les leur livraient et facturaient mais adressaient également ces factures à la société Codec.
La société Codec centralisait les factures, établissait un relevé adressé aux sociétaires qui la réglaient, elle-même réglant chacun des fournisseurs.
En l'occurrence, la société Haurine Couste était sociétaire de Codec et la société Scapa fournisseur.
Le 9 août 1980, le Tribunal de commerce de Créteil prononçait le redressement judiciaire de la société Codec.
L'administrateur provisoire nommé par ce jugement décidait de mettre fin au système du circuit direct et avisait les différents sociétaires qu'ils devaient dorénavant procéder au règlement de leurs factures directement auprès de leurs fournisseurs.
Le 8 août 1980, le Tribunal de commerce de Paris prononçait le redressement judiciaire de la société Scapa.
Dans la comptabilité de la société Scapa, il apparaît que la société Haurine Couste a été fournie pour une valeur de 245 288,44 F au titre des échéances échelonnées du 10 août au 30 septembre 1990.
Toutefois un rapport d'expertise, portant sur ces comptes existant entre la société Scapa et la société Codec a révélé que la société Haurine Couste avait payé à la société Codec, en règlement de certaines de ces échéances la somme de 63 148,05 F.
La société Scapa estimant que la différence, soit la somme de 182 140,39 F, lui restait due par la société Haurine Couste a assigné cette dernière en paiement.
Par jugement rendu le 8 septembre 1997, le Tribunal de commerce de Tarbes a déclaré irrecevable l'assignation en paiement de la SA Scapa pour défaut de qualité à agir.
C'est la décision dont appel.
Moyens et prétentions des parties
La société Scapa, appelante, estime que l'accord de "circuit direct" qui l'unissait à Codec est un procédé relevant du système dit de "centrale de référencement".
Dès lors, selon elle, l'intervention de la Codec, dans le cadre de cet accord n'entraînait pas une novation par changement de débiteur, le contrat de vente étant dès l'origine, conclu entre elle-même, fournisseur et la société Haurine Couste, sociétaire de la centrale.
La production des factures adressées à la société Haurine Couste bien que libellées au nom de Codec Luz Saint-Sauveur établissent parfaitement l'existence d'un lien juridique.
C'est donc à tort que le tribunal a considéré qu'il n'existait aucun lien de droit entre elle-même et l'intimée.
Par ailleurs, elle souligne que la société Haurine Couste ne conteste pas le montant réclamé mais seulement sa qualité de créancière reconnaissant implicitement ne pas avoir réglé les marchandises qui lui ont été effectivement livrées.
L'intimée considère pour sa part que la société Codec agissait comme centrale d'achat, et non comme centre de référencement, jouant un rôle de commissionnaire ce qui interdit aux fournisseurs de pouvoir agir contre le commettant en l'occurrence elle-même.
Par ailleurs elle conteste l'existence des factures produites estimant qu'il s'agit de justificatifs de livraison.
C'est donc à bon droit selon elle que le jugement, faute d'une cession de créances faite dans les formes de l'article 1690 du Code civil, a relevé que la société Scapa n'était pas devenue créancière de la société Haurine Couste.
Elle soutient enfin que l'administrateur de la Codec n'avait pas le pouvoir de dénoncer l'accord de "circuit direct". En application de l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985, selon elle, l'administrateur n'avait pas le pouvoir de résilier unilatéralement un contrat.
Enfin l'intimée fait remarquer que n'ayant pas été informée d'une opération de cession de créances elle ne pouvait se libérer entre les mains de la Scapa tout en restant débitrice de la Codec.
En réplique l'appelante souligne que la société Codec ne détenant aucune créance à l'encontre de la société Haurine Couste ne pouvait céder l'inexistant.
Elle soutient que l'administrateur provisoire nommé par le jugement ouvrant le redressement judiciaire étant le représentant légal, il avait le même pouvoir de mettre fin au circuit direct que le Président du Conseil d'administration de la Codec.
En conclusion la société Scapa demande la condamnation de la société Haurine Couste de lui payer la somme de 182 140,39 F majorée des intérêts légaux à compter du 25 mars 1992 date de réception de sa première mise en demeure et la capitalisation des intérêts depuis plus d'un an à compter de la date de son exploit introductif d'instance.
Elle sollicite également le paiement de la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'intimée demande la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de la société Scapa à lui verser 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la décision
Attendu d'une part que l'accord de"circuit direct" ayant existé entre la société Scapa et la société Codec prévoyait expressément que celle-ci interviendrait en tant que centrale de référencement. Cependant que l'opération de vente proprement dite se réalisait entre le fournisseur et le client de la Codec;
Attendu qu'en l'espèce les commandes étaient passées directement auprès de la Scapa par la société Haurine Couste, que la société Codec ne livrait aucune marchandise mais qu'elle agissait comme simple agent de recouvrement des créances de la société Scapa, n'ayant aucune maîtrise sur le contrat de vente;
Attendu d'autre part que la garantie de solvabilité offerte par la Codec pour certains de ses adhérents démontre qu'ils n'étaient pas ses propres débiteurs, auquel cas cette garantie n'aurait pas lieu d'être, mais bien les débiteurs des fournisseurs liés à elle par l'accord de circuit direct;
Qu'ainsi il apparaît que les sociétés Scapa et Haurine Couste étaient bien contractuellement unies;
Que dès lors il était inutile que la société Codec cède des créances dont, de toutes façons, elle n'était pas titulaire;
Attendu que l'existence des créances invoquées par la société Scapa est suffisamment démontrée d'une part en raison de l'émission de factures valant bon de livraison, adressées au siège de la société Haurine Couste, peu important qu'elles étaient libellées au nom de l'enseigne "Codec Luz Saint-Sauveur" utilisée, d'autre part, du fait de l'absence de contestations relatives à la livraison des marchandises correspondantes;
Attendu, que le moyen tiré de l'éventuelle incapacité de l'administrateur judiciaire pour pouvoir dénoncer l'accord de paiement direct est inopérant en l'espèce, dès lors que cette dénonciation ne saurait avoir d'effet sur l'existence de la créance due à la société Scapa;
Attendu en conséquence qu'il y a lieu de réformer la décision entreprise et de condamner la société Haurine Couste au paiement de la dette vis-à-vis de la société Scapa.
Attendu que les dispositions de l'article 1154 sont applicables en l'espèce;
Qu'il y a donc lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts pour chaque année accomplie à la date anniversaire de son exploit introductif d'instance;
Attendu que l'intimée qui succombe supportera les dépens d'appel et autres frais qu'elle a contraint son adversaire d'exposer;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort; Infirmant le jugement entrepris; Condamne la société Haurine Couste à payer à la société Scapa la somme de 182 140,39 F avec intérêts de droit à compter du 25 mars 1992; Ordonne la capitalisation desdits intérêts échus pour chaque année entière accomplie depuis le 23 novembre 1995, date de l'exploit introductif d'instance; Condamne la société Haurine Couste à verser à la société Scapa la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Haurine Couste aux entiers dépens de première instance et d'appel; Autorise conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, la SCP De Ginestet-Duale, avoué à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.