Livv
Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 1 octobre 1998, n° 97-08572

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Comité national contre le tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sauret

Avocat général :

Mme Auclair

Conseillers :

Mmes Marie, Farina-Gérard

Avoué :

Me Dauzier

Avocats :

Mes Dauzier, Antonini

TGI Paris, 31e ch., du 23 oct. 1997

23 octobre 1997

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré C Jean-Dominique coupable de publicité illicite en faveur du tabac, du 1er décembre 1996 au 30 décembre 1996, à Paris, infraction prévue par l'article 1, 2, 8, 12, 15 loi 76-616 du 09/07/1976

et, en application de ces articles, l'a condamné à 200 000 F, a déclaré la société X solidairement responsable du paiement de l'amende mise à la charge de son dirigeant,

Sur l'action civile : le tribunal a reçu le CNCT en sa constitution de partie civile et a condamné C Jean-Dominique à lui payer la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 8 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

le tribunal a déclaré la X civilement responsable.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Monsieur C Jean-Dominique, le 28 octobre 1997 contre le Comité national contre le tabagisme,

X (société), le 28 octobre 1997 contre le Comité national contre le tabagisme

M. le Procureur de la République, le 28 octobre 1997 contre Monsieur C Jean-Dominique;

Décision:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu Jean-Dominique C, le civilement responsable la X et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention.

Jean-Dominique C et la X représentés par leur conseil, demandent par voie de conclusions conjointes à la cour:

A titre principal,

- d'infirmer le jugement rendu par la 31e chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris le 23 octobre 1997 en toutes ses dispositions.

En conséquence,

- relaxer Jean-Dominique C des fins de la poursuite,

- débouter le CNCT en toutes ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire,

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la X solidairement responsable des condamnations pénales qui pourraient être prononcées à l'encontre de son président directeur général et civilement responsable de ce dernier.

- ramener le montant des dommages-intérêts alloués au CNCT en réparation de son préjudice moral à la somme de 1 F.

A l'appui de leurs demandes, les concluants font valoir:

En premier lieu que le CNCT semble avoir voulu viser, aux termes de sa citation directe, deux faits distincts qui seraient constitutifs, selon lui, de l'infraction de publicité illicite en faveur du tabac:

- l'opération commerciale qui consiste, en contrepartie de trois preuves d'achats de paquets de cigarettes et du versement de la somme de 30 F, à acquérir une cassette vidéo d'un film long métrage,

- Le matériel publicitaire lié à cette opération et se trouvant dans les débits de tabac.

Que le tribunal a retenu que le matériel publicitaire se trouvant dans les débits de tabac n'était pas des affichettes au sens de l'arrêté du 31 décembre 1992 fixant les caractéristiques des affichettes relatives à la publicité en faveur du tabac dans les débits de tabac et que l'opération en elle-même s'analysait en un fait de publicité indirecte en faveur du tabac.

Alors que la campagne litigieuse par voie d'affiches organisée par la X répond parfaitement aux conditions posées par la loi et les règlements en ce qu'elle n'est qu'une campagne présentant aux consommateurs de cigarettes des marques de la X et les conditions de ventes particulières de ses produits.

Qu'en effet, les dépliants qui selon le CNCT ne constituent pas des affichettes au sens du texte, sont en réalité un bon de commande à remplir et à envoyer, accompagné de trois preuves d'achat et de la somme de 30 F, afin de se porter acquéreur de la cassette vidéo de son choix, étant observé que sur ce bon de commande ne figure aucune référence au tabac, ni à un produit du tabac et qu'il ne reproduit aucune marque de tabac, pas plus que le nom de la X, les mots tabac ou paquets de cigarettes n'y étant pas reproduits.

Que de la même manière sur les cassettes vidéo n'est reproduite aucune référence au tabac ou à un produit du tabac, pas plus que le nom ou le logo de la X.

Que si le dépliant ou la cassette vidéo en cause sont par nature mobiles, et donc susceptibles de sortir de l'enceinte même du débit de tabac, ils ne comportent aucune référence au tabac susceptibles de constituer une publicité directe ou indirecte en faveur du tabac.

En deuxième lieu que le constat d'huissier qui s'est borné à relever que dans un débit de tabac à l'enseigne à "La Caravelle" se trouvait un présentoir publicitaire, une affiche au-dessus de la caisse et une grande publicité de plus de deux mètres de haut et que dans deux autres établissements se trouvaient des guirlandes publicitaires, ne décrit pas les publicités incriminées, qui n'ont même pas été photographiées par l'huissier et souligne oralement que le constat ne fait pas mention de l'adresse de ce débit de tabac.

Que la preuve n'est donc pas rapportée qu'une publicité en faveur des produits du tabac vendus par la X n'aurait pas respecté les conditions de dimension imposées par les textes applicables.

Jean-Dominique C et la X soulignent que le fait d'annoncer par voie d'affichettes que pour l'acquisition de trois paquets de cigarettes, et moyennant le versement de la somme de 30 F, le consommateur pourra devenir acquéreur d'une cassette vidéo, est conforme aux dispositions de l'article 4 de l'arrêté du 31 décembre 1992.

En troisième lieu sur la régularité des affichettes, les concluants prétendent d'une part, qu'il est licite d'informer le consommateur, par voie d'affichettes à l'intérieur des débits de tabac, de toute opération liée à la vente d'un produit du tabac et que les conditions de vente d'un produit du tabac font en effet nécessairement référence à la manière et à la forme de la vente, c'est-à-dire à l'ensemble des modalités de la vente, qui se distinguent des caractéristiques du produit et qui n'ont pour but que d'informer le consommateur sur la qualité, l'origine et les composants du tabac offert à la vente.

Qu'en autorisant la publicité des conditions de vente entourant la mise sur le marché d'un produit du tabac, le législateur a autorisé le fabricant à mettre en avant auprès du consommateur les avantages liés à l'achat du produit.

Que parmi les conditions de vente d'un produit on peut relever, sauf à vider de tout sens les prescriptions légales, les procédés ou méthodes de vente suivants:

- modalités de réduction du prix,

- modalités de paiement du prix,

- distribution de primes ou de cadeaux,

- organisation de jeux, concours et loterie dans le respect des conditions de forme et de fond prescrites par la loi.

Les concluants font observer que les affichettes ne comportaient pas de référence au prix.

Jean-Dominique C et la X, analysant à travers la jurisprudence la notion de condition de vente, estiment que toute action publicitaire portant sur les conditions de vente du produit du tabac ne peut concerner que les procédés de vente, notamment lorsque la vente du produit est assortie d'un cadeau ou d'une prime et soutiennent qu'en l'espèce l'offre faite aux consommateurs dans les débits de tabac, ne l'a été que par voie d'affichettes réglementaires, offrant aux consommateurs la possibilité de connaître quelles étaient les conditions de vente du produit.

D'autre part que si la loi du 10 janvier 1991 a prévu l'interdiction de toute propagande ou publicité en faveur du tabac, une exception est faite à cette interdiction s'agissant des affichettes se trouvant dans les débits de tabac dès lors que certaines conditions sont respectées.

Les concluants soutiennent que le CNCT expose que les publicités en cause auraient été visibles de l'extérieur du débit de tabac, transgressant en cela la règle posée par le deuxième alinéa de l'article L. 355-24 du Code de la santé publique qui prévoit que les affichettes doivent être "non visibles de l'extérieur", alors que les photographies ont été faites de l'extérieur de la porte, celle-ci étant ouverte et qu'il était dès lors impossible de ne pas voir le guichet du débitant et par voie de conséquence les publicités affichées à l'intérieur du débit et que d'une part Jean-Dominique C n'est en rien responsable des modalités d'affichage à l'intérieur des bureaux de tabac et que d'autre part, il n' est pas démontré que ces débitants ont agi sur ordre de la X ou de son président directeur général.

En troisième lieu sur l'opération en elle-même, que les premiers juges ont considéré que l'opération consistant à acquérir une cassette vidéo contre l'envoi d'un certain nombre de preuves d'achat et le paiement de la somme de 30 F, constituait une opération de publicité indirecte en faveur du tabac, retenant que cette publicité incite à acheter des paquets de cigarettes et donc à fumer pour obtenir dans des conditions avantageuses une cassette vidéo qui est susceptible d'intéresser surtout les jeunes, alors que cette opération s'analyse en une vente avec prime auto payante, puisqu'il faut verser une somme d'argent pour acquérir la prime et qu'il ne s'agit pas d'une opération de publicité indirecte en faveur du tabac.

Que si l'on se reporte à la définition de la publicité indirecte en faveur du tabac qui a été donnée par l'article L. 355-26 du Code de la santé publique, force est de constater que l'opération en cause ne constitue pas une publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac qui rappellerait le tabac par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou d'un autre signe distinctif quel qu'il soit.

Qu'au surplus la prime dont les consommateurs peuvent se rendre acquéreurs, n'est pas un produit marqué et ne comporte aucun signe distinctif rappelant une marque de tabac, ni même la raison sociale de la X.

Qu'enfin cette opération n'a pas pour but de vanter les mérites d'un produit et s'inscrit simplement dans le cadre des relations commerciales que la X entend entretenir avec sa clientèle.

Sur leur demande subsidiaire et notamment sur le montant des dommages-intérêts alloués au CNCT Jean-Dominique C et la X font valoir que si tant est que l'infraction soit caractérisée, celui-ci n'a subi qu'un préjudice moral du fait de l'atteinte aux intérêts qu'il est censé défendre, ne rapportant pas la preuve de l'existence d'un préjudice matériel découlant des infractions en cause et dont il aurait pu souffrir.

Que par ailleurs, cet organisme défendant l'intérêt collectif, en sa qualité d'association, des membres qu'il représente en matière de lutte contre le tabagisme, le préjudice qu'il invoque ne peut être qu'un préjudice moral.

Le Comité national contre le tabagisme représenté par son conseil, demande outre la confirmation du jugement entrepris l'allocation d'une indemnité supplémentaire de 8 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Rappel des faits:

A la demande du Comité national contre le tabagisme, un huissier de justice assisté de Madame Grollman procédait aux constations suivantes dans différents débits de tabac.

A "la Cave à cigares" 251 rue Saint Honoré, existait un présentoir publicitaire sur lequel figuraient en modèle réduit 6 paquets de cigarettes et 3 cassettes vidéo avec au milieu du présentoir, la mention : "3 paquets + 30 F = 1 cassette vidéo".

Madame Grollman pénétrait dans le débit de tabac, en ressortait quelques minutes plus tard et remettait deux dépliants publicitaires, deux paquets de cigarettes de marque L, un paquet de G blondes ainsi qu'une cassette vidéo portant le titre "Basic Instinct".

La cassette portait une pastille sur laquelle on pouvait lire: "Aux conditions affichées dans le débit 30 F".

"Au Saint-Honoré" <adresse>, il existait également un support publicitaire. Madame Grollman procédait à l'achat d'un paquet de cigarettes de marque L.

L'huissier constatait sur la languette aluminium insérée dans le paquet la présence d'une flèche. Il pénétrait dans le débit de tabac où il rencontrait l'exploitante qui lui remettait gracieusement un présentoir publicitaire.

"A la Caravelle" où existait un présentoir publicitaire, une affiche au-dessus de la caisse et une grande publicité de deux mètres de haut.

"A la Brasserie de l'Europe" <adresse> où existait un présentoir publicitaire.

"Au Tabac Liège" <adresse> où existait une guirlande publicitaire.

<adresse> où existait un présentoir publicitaire.

Au tabac "Le Camel" <adresse> où existaient deux affichettes publicitaires et une guirlande.

Au "Jean Nicot" <adresse> où existait un présentoir publicitaire.

"Au Moulin d'Auteuil" <adresse> où existait un très grand support publicitaire.

L'huissier prenait une série de photographies qui étaient annexées au procès-verbal.

Sur ce,

Sur l'action publique:

Considérant d'une part qu'aux termes de l'article L. 355-24 du Code de la santé publique : "toute propagande ou publicité indirecte en faveur du tabac ou des produits du tabac ainsi que toute distribution gratuite est interdite, ces dispositions ne s'appliquent pas aux enseignes des débits de tabac, ni aux affichettes disposées à l'intérieur de ces établissements non visibles de l'extérieur à condition qu'elles soient conformes à des caractéristiques définies par arrêté interministériel";

Que d'autre part selon l'arrêté du 31 décembre 1992 : "la publicité en faveur des produits du tabac par affichettes est autorisée à condition qu'elles soient disposées à l'intérieur du point de vente ou de l'espace réservé à la vente du tabac et qu'elles ne soient pas visibles à l'extérieur de l'établissement, le format maximum des affichettes est fixé à 60 x 80 centimètres, les affichettes ne peuvent comporter d'autres mentions que la dénomination du produit, sa composition, ses caractéristiques et conditions de vente, à l'exception du prix, le nom et l'adresse du fabricant et, le cas échéant, du distributeur, ni d'autre représentation graphique ou photographique que celle du produit, de son emballage et de l'emblème de la marque, les affichettes doivent comporter le message sanitaire "Fumer provoque des maladies graves";

Qu'il est établi par le constat d'huissier qu'"A la Cave à Cigares", un présentoir publicitaire sur lequel figurent en modèles réduits 6 paquets de cigarettes et trois cassettes vidéos avec au milieu du présentoir, la mention "trois paquets + 30 F = 1 cassette vidéo", cette mention n'étant pas un rappel des conditions de vente, mais incitant à consommer du tabac, dès lors que la prime n'était obtenue qu'en contrepartie d'un certain nombre d'achats de paquets de cigarettes et pour un prix très modique par rapport au prix du commerce;

Que cette publicité ne répondait pas aux exigences des textes susvisés;

Que par ailleurs la cassette remise à Madame Grollman comportait la mention "30 F aux conditions affichées dans le débit", ne pouvait qu'inciter à se rendre dans un débit de tabac et à acheter des paquets de cigarettes;

Que Jean-Dominique C ne pouvait ignorer l'existence d'une telle campagne publicitaire qui avait pour but de promouvoir la vente des produits du tabac fabriqués par la X, aucune des pièces de la procédure n'établissant qu'il ait donné des consignes pour assurer le respect des dispositions législatives qui réglementent la publicité en faveur du tabac quant elles ne l'interdisent pas;

Que l'infraction est donc caractérisée en tous ses éléments, abstraction faite des constatations opérées dans l'établissement "La Caravelle" et qui seront écartées

Qu'il convient : donc de confirmer le jugement entrepris tant sur la déclaration de culpabilité que sur la peine prononcée qui a été exactement appréciée par les premiers juges;

Que c'est à bon droit que la X a été déclarée solidairement responsable du paiement de l'amende et qu'il convient donc de confirmer également le jugement entrepris de ce chef;

Sur l'action civile :

Considérant que, le Comité national contre le tabagisme, association qui a été créée pour lutter contre le tabagisme et qui a été reconnue d'utilité publique à cet effet, subit, en raison de la spécificité du but et de l'objet de sa mission, un préjudice direct et personnel du fait d'une publicité illicite en faveur du tabac ou des produits du tabac, un préjudice dont il lui est dû réparation;

Qu'en effet, le CNCT déploie pour la sauvegarde de la santé, notamment par de nombreuses campagnes d'information et par l'édition d'une publication périodique, des efforts constants de lutte contre le tabagisme, qui sont contrariés par les agissements du prévenu;

Que, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice qui est aussi bien matériel que moral résultant directement pour le Comité national de lutte contre le tabagisme, partie civile des agissements de Jean-Dominique C et de la X;

Que c'est également à bon droit que les premiers juges ont condamné solidairement Jean-Dominique C et la X au paiement des intérêts civils;

Qu'il convient donc de confirmer également le jugement entrepris de ce chef;

Que, dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions civiles;

Que, la demande d'une somme de 8 000 F formulée par ledit Comité au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais irrépétibles exposés par lui devant la cour, est justifiée dans son principe, mais doit être limitée à 3 000 F;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu, du civilement responsable et du Ministère public; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions tant pénales que civiles; Y ajoutant, Condamne solidairement Jean-Dominique C et la X à payer au Comité national contre le tabagisme, partie civile, la somme de 3 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.