CA Paris, 25e ch. B, 10 octobre 2003, n° 2002-07700
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Oasis des Serres de Bon Pain (SARL)
Défendeur :
Algavi (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jacomet
Conseillers :
Mmes Collot, Delmas-Goyon
Avoués :
Maître Melun, SCP Roblin-Chaix de Lavarene
Avocats :
Mes Dubois, Vigier.
Le litige a pour objet la responsabilité encourue par la société Algavi en raison de l'utilisation par la société Oasis des Serres de Bon Pain, société ayant une activité de jardinerie orientée sur la pisciculture, de son produit " Algolac "produit de traitement biologique des plans d'eau, pour traiter et purifier les eaux des bassins de son parc d'exposition ; de nombreux poissons d'agrément présents dans cas bassins sont, en effet, morts par asphyxie à la suite d'un traitement avec ce produit;
Vu le jugement rendu le 4 mars 2002 par le Tribunal de commerce d'Auxerre, lequel a débouté la société Oasis des Serres de Bon Pain de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Algavi la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, mettant à sa charge les frais d'expertise et les dépens;
Vu les conclusions déposées le 28 juin 2002 par la société Oasis des Serres de Bon Pain, appelante, aux termes desquelles elle demande essentiellement à la cour, infirmant le jugement déféré, de :
- dire la société Algavi responsable des conséquences dommageables de l'application de son produit Atgolac en mai 1999, par application des dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil, subsidiairement, par application de l'article 1603 du Code civil, de l'article 1147 du même Code en ce qu'elle a failli à son devoir de conseil,
- en conséquence, la condamner à lui payer la somme de 10 170,64 euros à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice financier que lui a causé la mort de 76 poissons, outre 1 524,49 euros en raison de son préjudice commercial et des vicissitudes de la procédure judiciaire, ainsi que la somme de 6 510,04 euros au titre des frais de l'expertise judiciaire, le tout avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et 3 811,23 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les conclusions déposées le 4 novembre 2002 par la société Algavi, intimée, par lesquelles elle sollicite la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et la condamnation de la société Oasis des Serres de Bon Pain à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Sur quoi, LA COUR,
Considérant que pour un exposé complet des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère aux énonciations du jugement déféré et aux écritures ci-dessus visées;
Considérant que l'appelante fait grief au jugement entrepris de l'avoir déboutée de ses demandes au motif que la cause de la mortalité des poissons proviendrait du surdosage du produit, alors que l'expert désigné par ordonnance de référé du 3 décembre 1999 conclut que l'asphyxie des poissons était liée, non au surdosage, mais à la turbidité du produit, à savoir des particules en suspension qui, dans certaines conditions, peut entraîner une mortalité significative par asphyxie au cours de la phase de décantation des particules, argument qu'elle a développé devant le tribunal sans que celui-ci n'y réponde, et que le tribunal n'a pas répondu non plus à son moyen subsidiaire tiré du manquement de la société Algavi à son devoir de conseil;
Que la responsabilité de la société Algavi serait ainsi engagée, en application de l'article 1386-4 du Code civil, dès lors qu'au moment de son application, le produit n'a pas offert la sécurité à laquelle elle pouvait légitimement s'attendre;
Qu'à titre subsidiaire, elle fait valoir, d'une part, que la société Algavi doit sa garantie en application de l'article 1603 du Code civil, d'autre part, qu'elle aurait failli à son obligation de conseil en raison de l'absence de recommandation d'emploi du produit en fonction du volume d'eau et de l'affirmation contenue dans la notice technique du produit selon laquelle un surdosage du produit est inoffensif pour l'homme et les poissons, ce qui est manifestement inexact;
Considérant qu'en application des articles 1386-1 et 1386-4 du Code civil, la producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, un produit étant défini comme défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu, notamment, de sa présentation et de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu;
Considérant que l'expert judiciaire énonce dans son rapport du 8 janvier 2001 que la dose de produit employée par la société Oasis des Serres de Bon Pain pour le traitement de ses bassins a été deux fois supérieure à celle recommandée, laquelle peut être considérée insuffisamment précise en l'absence d'observation sur la profondeur, et à une date d'utilisation à la limite de celle recommandée, mais que la dose employée ne peut, d'un point de vue chimique ou toxicologique, être regardée comme dangereuse au vu de la nature du produit;
Que selon lui, et au vu des résultats des essais du produit Algolac sur des poissons menés par l'Ineris, "l'usage de ce produit à la dose utilisée, au regard de la surface et des volumes des bassins, de la densité et de la nature de la population piscicole et d'un emploi peut-être un peu brutal, a été à l'origine, de surcroît compte tenu de sa finesse, d'une asphyxie mécanique (physique) des poissons ayant au leur système respiratoire obturé";
Considérant, en conséquence, que le lien de causalité direct entre la mort des poissons dont la société Oasis des Serres de Bon Pain sollicite réparation et l'utilisation du produit Algolac est démontré, le dommage résultant, non de la toxicité intrinsèque du produit, mais des conditions de son emploi;
Considérant à cet égard que la période de traitement recommandée par la société Algavi dans sa notice technique se situe de mars à mai; qu'en effectuant le traitement de ses bassins avant le 15 mai 1999, la société Oasis des Serres de Bon Pain n'a commis aucune faute dans l'utilisation du produit au regard du mode d'emploi préconisé par le fabricant;
Que sur la dose de produit utilisée, le dosage recommandé par la société Algavi dans la notice technique est imprécis, ainsi que l'a relevé l'expert, en ce qu il est recommandé d'employer 1 500 à 3 000 kg de produit par hectare, sans qu'aucun élément autre que la surface du plan d'eau à traiter ne soit prise en compte dans ce dosage;
Que ai une mise en garde existe quant à la mise en œuvre du produit, elle ne concerne que les zones peuplées de plantes d'ornement à préserver, recommandant d'éviter le traitement localisé à cet endroit, non la protection des poissons;
Qu'il est de surcroît mentionné qu'un surdosage est inoffensif pour l'homme et les poissons";
Considérant que par suite, il convient d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Oasis des Serras de Bon Pain de ses demandes, motif pris que c'est l'utilisation faite par la société Oasis des Serres de Bon Pain du produit en dépit des recommandations d'emploi émises par la société Algavi qui est à l'origine du dommage, dès lors que cette société avait l'obligation de fournir les renseignements précis nécessaires à son bon usage et d'avertir l'utilisateur des précautions à prendre ou des risques encourus par une mauvaise utilisation du produit, au lieu de l'inciter à ne prendre aucune précaution en affirmant qu'un surdosage ne comportait aucun risque pour les poissons, ce qui était manifestement erroné, cette affirmation ayant d'ailleurs été ultérieurement supprimée de ses notices;
Considérant que la société Oasis des Serres de Bon Pain justifie du préjudice matériel que lui a causé la mort de 76 poissons, soit la somme de 10 170,64 euros, somme qui n'est au demeurant pas contestée;
Qu'elle est en outre fondée à demander réparation du préjudice d'image résultant de l'absence des poissons dans ses bassins aux mois de mai et juin, période de forte fréquentation, ainsi que des peines et soins résultant de la nécessité dans laquelle elle s'est trouvée de faire valoir ses droits en justice, distincts des frais irrépétibles indemnisés ci-dessous, par l'allocation d'une somme de 1 500 euros
Qu'il apparaît équitable de condamner la société Algavi à lui payer une indemnité de 3 500 euros pour les frais exposés tant en première instance qu'en appel, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Considérant, enfin, que la société Algavi sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise;
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions; Statuant à nouveau et y ajoutant, Condamne la société Algavi à payer à la société Oasis des Serres de Bon Pain les sommes de 10 170,64 euros et 1 500 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, Condamne la société Algavi à payer à la société Oasis des Serres de Bon Pain une indemnité de 3 500 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toute demande des parties autre, plus ample ou contraire; Condamne la société Algavi aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris tes frais d'expertise, et admet Maître Melurt, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.