Cass. com., 7 janvier 2004, n° 02-11.014
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Société d'investissements financiers industriels et miniers (Sté)
Défendeur :
COMILOG (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
M. Feuillard
Avocats :
SCP Tiffreau, SCP Thomas-Raquin, Benabent.
LA COUR: - Sur le moyen unique, pris en ses trois branches: - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 novembre 2001), que la société du Ferromanganèse de Paris-Outreau (la SFPO) est une société ayant pour objet la production d'alliage au manganèse; qu'elle a pour fournisseur quasi-exclusif la Compagnie minière de l'Ogooué (la COMILOG); que jusqu'en 1994, le capital de la SFPO était détenu pour 55,67 % par la Société d'investissements financiers industriels et miniers (la SOFEMI), 8,54 % par la société Formang, 21,68 % par la société Sonadig et 4,35 % par la COMILOG; qu'à la suite de l'ouverture de la procédure collective de la SFPO, la cession au profit des sociétés COMILOG et Sonadig des actions de la SFPO détenues par la SOFEMI a été ordonnée; que se prévalant de ce que la COMILOG avait brutalement modifié les conditions d'approvisionnement du minerai vendu à la SFPO et avait subordonné la révision du prix du minerai à sa prise de contrôle de la SFPO, la SOFEMI et la société Formang ont alors assigné les sociétés COMILOG et Sonadig pour voir constater l'abus de dépendance économique dont ces sociétés se seraient rendues coupables et en réparation du préjudice subi par elles-mêmes, et constitué par la baisse de la valeur de leur participation dans la SFPO laquelle a été placée par la COMILOG dans une situation financière l'ayant conduite à déclarer la cessation de ses paiements;
Attendu que la SOFEMI fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevables ses demandes tendant à obtenir réparation des conséquences préjudiciables d'un abus de dépendance économique commis par la COMILOG, alors, selon le moyen: - 1°) qu'est prohibée l'exploitation abusive, par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve, à son égard, une entreprise cliente qui ne dispose pas de solution équivalente; que la notion d'"entreprise cliente" peut s'entendre d'une société qui se trouve impliquée, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés contrôlées, dans une relation commerciale; qu'en l'espèce, en estimant que SOFEMI n'aurait pas été "recevable" à se prétendre directement victime d'un abus de dépendance économique commis par COMILOG, aux motifs qu'elle n'aurait pas été la "cliente" de celle-ci au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce, et qu'elle serait demeurée étrangère à une relation commerciale ayant existé entre SFPO et COMILOG dans la fourniture du minerai de manganèse, sans rechercher, à cet égard, comme elle y était invitée, si la position concurrentielle de SOFEMI sur le marché des alliages au manganèse procédait du contrôle exercé sur SFPO, et ainsi, indirectement mais nécessairement, d'une relation commerciale avec COMILOG, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce; - 2°) que subsidiairement, l'autorité de la chose jugée d'une sentence arbitrale ne peut être opposée aux personnes qui n'ont pas été parties à l'instance arbitrale; qu'en l'espèce, en déclarant irrecevable la demande de SOFEMI tendant à obtenir réparation du préjudice causé, même indirectement, par l'exploitation abusive d'un état de dépendance économique par COMILOG, en lui opposant l'autorité de la chose jugée attachée à une sentence arbitrale qui n'aurait relevé à l'encontre de COMILOG "aucun agissement fautif susceptible de caractériser un abus de dépendance économique", ou qui n'aurait "pas mis en évidence un comportement fautif de COMILOG dans ses pratiques commerciales avec SFPO", bien que SOFEMI n'ait pas été partie à l'instance arbitrale, la cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil; - 3°) qu'une sentence arbitrale n'a autorité de la chose jugée que relativement à la contestation qu'elle tranche; qu'en l'espèce, en déclarant irrecevable la demande de SOFEMI tendant à obtenir réparation du préjudice corrélatif à l'exploitation abusive d'un état de dépendance économique par COMILOG, motif pris de l'autorité de chose jugée attachée à une sentence arbitrale qui n'aurait relevé à l'encontre de COMILOG "aucun agissement fautif susceptible de caractériser un abus de dépendance économique" ou qui n'aurait "pas mis en évidence un comportement fautif de COMILOG dans ses pratiques commerciales avec SFPO", sans constater que les arbitres avaient été saisis, précisément, d'une contestation portant sur l'exploitation abusive d'un état de dépendance économique, la cour d'appel a violé l'article 1476 du nouveau Code de procédure civile;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt énonce que la dépendance économique est définie comme étant la relation dans laquelle l'un des partenaires n'a pas de solution alternative s'il souhaite refuser de contracter dans les conditions que lui impose son client ou son fournisseur et qu'une entreprise ne peut invoquer le bénéfice de l'article L. 420-2 du Code de commerce qu'à la condition de démontrer s'être trouvée dans un rapport de client à fournisseur; que l'arrêt constate que la SOFEMI, actionnaire majoritaire de la SFPO, n'a jamais été cliente de la COMILOG au sens de la disposition légale précitée; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, faisant ressortir que la SOFEMI n'était pas un opérateur économique agissant sur le marché considéré, la cour d'appel a légalement justifié sa décision;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant constaté que le tribunal arbitral n'a pas mis en évidence un comportement fautif de la COMILOG dans ses pratiques commerciales envers SFPO et n'a relevé aucun agissement susceptible de caractériser un abus de dépendance économique, la cour d'appel, qui n'a fait qu'exercer son pouvoir souverain d'interprétation des termes de la sentence en cause, n'encourt pas le grief de la troisième branche du moyen;
Et attendu, en troisième lieu, qu'en énonçant que la sentence arbitrale, qui a autorité relative de la chose jugée entre les parties, n'en est pas moins opposable aux tiers, la cour d'appel, qui en a déduit que la SOFEMI était sans droit à invoquer le préjudice par ricochet qui aurait résulté pour elle d'un abus de dépendance économique dont la société SFPO n'a pas été reconnue victime par cette sentence, a statué à bon droit; qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Par ces motifs: Rejette le pourvoi.