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Décisions

CAA Paris, 4e ch. A, 7 mars 2000, n° 96PA03361

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jouguelet

Commissaire du gouvernement :

M. Brotons

Conseiller :

rapporteur: Melle Payet

Avocats :

Mes Jacquez Dubois, de Peyramont.

CAA Paris n° 96PA03361

7 mars 2000

LA COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE PARIS (4ème Chambre A),

Vu, enregistrée au greffe de la cour le 21 octobre 1996, la requête présentée pour la SA Liote, dont le siège social est 19, rue de la Belle Feuille (92000) Boulogne-Billancourt, représentée par son président directeur général, par Me Jacquez Dubois, avocat; la SA Liote demande à la cour:

1°) d'annuler le jugement n° 9304797-7 / 9311838-7 en date du 27 juin 1996 du Tribunal administratif de Paris en tant que celui-ci n'a pas fait droit à son recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision en date du 12 février 1993 par laquelle le maire de Paris lui a opposé un refus à sa demande d'installation d'un dispositif publicitaire lumineux sur le toit d'un immeuble à Paris, 116, rue de Bercy dans le 12ème arrondissement;

2°) d'annuler la décision en date du 12 février 1996 du maire de Paris;

3°) de faire injonction au maire de Pairs de statuer à nouveau sur sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir;

4°) de condamner l'Etat, sur le fondement de l'article L. 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, à lui payer la somme de 15 000 F;

La société Liote soutient que le jugement est irrégulier en ce qu'il a omis de statuer sur les moyens tirés de l'erreur de fait, de l'erreur de droit et de l'erreur de qualification juridique des faits, les premiers juges s'étant bornés à statuer sur l'erreur manifeste d'appréciation non soulevée; que, sur la légalité externe, la décision de refus est insuffisamment motivée et manque de base légale en ce que, si elle fait référence à la loi du 29 décembre 1979 modifiée, elle ne cite pas l'article de cette loi sur lequel elle entendait se fonder; que, sur la légalité interne, le maire était tenu de délivrer l'autorisation dès lors que les normes de hauteurs, de dimensions et d'emplacement étaient respectées, que le projet s'intégrait parfaitement à l'environnement du quartier de Bercy et qu'aucun article de la loi dont s'agit autorise le refus d'une installation de publicité lumineuse dans un secteur de publicité élargie en invoquant une atteinte à l'environnement, non établie en l'espèce; que les premiers juges n'ont pas, sur ce point, exercé la plénitude de leur pouvoir de contrôle normal;

Vu le jugement attaqué;

Vu, enregistré le 23 avril 1997, le mémoire en défense présenté pour la ville de Paris, représentée par son maire en exercice, par Me Foussard, avocat, qui conclut, à titre principal à sa mise hors de cause, à titre subsidiaire au rejet de la requête; la ville de Paris soutient que seul le préfet d'Ile-de-France, préfet de Paris, a qualité pour représenter l'Etat devant la cour; que la société ayant renoncé à présenter en appel des conclusions indemnitaires, le jugement attaqué est dès lors devenu définitif sur ce point; que le jugement n'est entaché d'aucune omission de statuer; que le moyen tiré de l'insuffisante motivation en droit de la décision attaquée manque en fait; que ni les textes, ni la jurisprudence ne font obligation à l'administration d'indiquer l'article de loi sur lequel elle se fonde pour prendre sa décision; que la loi du 29 décembre 1979 modifiée a précisément pour objet d'assurer la protection du cadre de vie et donc de l'environnement ainsi qu'il ressort d'ailleurs de son article 2; qu'en matière de publicité lumineuse le maire dispose d'un large pouvoir d'appréciation et d'un pouvoir discrétionnaire;

Vu, les courriers en date des 8 novembre 1996, 9 janvier et 18 novembre 1997, dont il a accusé réception respectivement les 12 novembre 1996, 13 janvier et 21 novembre 1997, par lesquels le ministre de l'Environnement a été invité à produire sa défense;

Vu, en date du 8 décembre 1997, l'ordonnance par laquelle le président de la quatrième chambre de la cour de céans a ordonné la clôture de l'instruction de la présente affaire à partir du 15 décembre 1997;

Vu les autres pièces du dossier;

Vu la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979 modifiée, relative à la publicité, aux enseignes et préenseignes;

Vu le décret n° 80-923 du 21 novembre 1980 portant règlement national de la publicité en agglomération et déterminant les conditions d'application à certains dispositifs publicitaires d'un régime d'autorisation pour l'application de la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et préenseignes;

Vu le Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel;

Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987;

Considérant que la SA Liote fait appel du jugement en date du 27 juin 1996 du Tribunal administratif de Paris en tant que celui-ci n'a pas fait droit à son recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision en date du 12 février 1993 par laquelle le maire de Paris lui a opposé un refus à sa demande d'installation d'un dispositif publicitaire lumineux sur le toit d'un immeuble à Paris, 116, rue de Bercy dans le 12ème arrondissement;

Sur les conclusions de la ville de Paris tendant à sa mise hors de cause:

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 20 de la loi du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et aux préenseignes: "Les autorisations prévues aux chapitres I et II ci-dessus sont délivrées au nom de l'Etat (...)" que, lorsqu'il prend en application de cet article une décision opposant un refus à une demande d'installation d'un dispositif publicitaire, le maire agit au nom de l'Etat; qu 'il suit de là que la ville de Paris est fondée à demander sa mise hors de cause;

Sur la régularité du jugement attaqué:

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les premiers juges n'ont pas répondu à deux moyens présentés par la société Liote à l'appui de ses conclusions à fins d'annulation, moyens tirés d'une erreur dans l'appréciation matérielle des faits et d'une erreur de droit; qu'ainsi le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la société tendant à l'annulation de la décision du 12 février 1993;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée devant le Tribunal administratif de Paris par la société Liote dans les limites des conclusions de sa requête;

Sur la légalité de la décision du 12 février 1993 du maire de Paris:

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande:

Considérant qu'aux termes des articles 2, 4, 7-J, 7-Il, 8 , 9 et 11 de la loi susvisée du 29 décembre 1979 modifiée, relative à la publicité, aux enseignes et préenseignes: "Article 2: Afin d'assurer la protection du cadre de vie, la présente loi fixe les règles applicables à la publicité, aux enseignes et aux préenseignes, visibles de toute voie ouverte à la circulation publique, au sens précisé par décret en Conseil d'Etat (...) - Article 4: Toute publicité est interdite: 1° Sur les immeubles classés parmi les monuments historiques ou inscrits à l'inventaire supplémentaire - 2° Sur les monuments naturels et dans les sites classés (...) - Le maire ou, à défaut, le préfet, sur demande ou après avis du conseil municipal et après avis de la commission départementale compétente en matière de sites, peut en outre interdire par arrêté toute publicité sur les immeubles présentant un caractère esthétique, historique ou pittoresque (...) - Article 7- J - A l'intérieur des agglomérations, la publicité est interdite: 1° Dans les zones de protection délimitées autour des sites classés ou autour des monuments historiques classés - 2° Dans les secteurs sauvegardés (...) - Il ne peut être dérogé à cette interdiction que par l'institution de zones de publicité restreinte - II - La publicité y est également interdite: 1° Dans les sites inscrits à l'inventaire et les zones de protection délimitées autour de ceux-ci - 2° A moins de 100 mètres et dans le champ de visibilité des immeubles classés parmi les monuments historiques ou inscrits à l'inventaire supplémentaire ou visés à l'avant-dernier alinéa de l'article 4 - Dans les zones de protection du patrimoine architectural et urbain - Il peut être dérogé à cette interdiction par l'institution de zones de publicité restreinte ou de secteurs soumis au régime général fixé en application de l'article 8 - Il peut y être dérogé à titre exceptionnel, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, par l'institution d'une zone de publicité élargie lorsque la publicité est un élément déterminant de l'animation des lieux considérés - Les secteurs soumis au régime général sont institués selon la procédure définie à l'article 13 - Article 8: Dans les agglomérations, et sous réserve des dispositions des articles 4, 7 et 9, la publicité est admise. Elle doit toutefois satisfaire, notamment en matière d'emplacements, de surface, de hauteur et d'entretien, à des prescriptions fixées par décret en Conseil d'Etat en fonction des procédés, des dispositifs utilisés, des caractéristiques des supports et de l'importance des agglomérations concernées. (...) - L'installation des dispositifs de publicité lumineuse autres que ceux qui supportent des affiches éclairées par projection ou par transparence est soumise à l'autorisation du maire - Article 9 - Dans tout ou partie d'une agglomération, il peut être institué, selon la procédure définie à l'article 13, des zones de publicité restreinte ou des zones de publicité élargie, où la publicité est soumise à des prescriptions spéciales fixées par les actes instituant lesdites zones - Article 11 - L'acte instituant une zone de publicité élargie y soumet la publicité à des prescriptions moins restrictives que celles du régime fixé en application de l'article 8."; que, par ailleurs, aux termes de l'article 13 du décret n° 80-923 du 21 novembre 1980 portant règlement national de la publicité en agglomération et déterminant les conditions d'application à certains dispositifs publicitaires d'un régime d'autorisation pour l'application de la loi susmentionnée: "La publicité lumineuse ne peut être autorisée dans les agglomérations de moins de 2 000 habitants sauf lorsqu'elles font partie d'un ensemble multicommunal de plus de 100 000 habitants tel qu'il est défini par l'institut national de statistiques et des études économiques."

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la "protection du cadre de vie", visée par l'article 2 précité de la loi du 29 décembre 1979, est assurée en agglomération par la prohibition de toutes publicités sur certains emplacements ou zones particulièrement sensibles définis par les articles 4 et 7 de la loi, sous réserve de l'institution des zones à réglementation spéciale prévues par ce dernier article et autorisant sous certaines conditions l'installation de publicités lumineuses ainsi que par l'interdiction de ces publicités par l'article 13 du décret du 21 novembre 1980 dans les agglomérations, de moins de 2 000 habitants;qu'en dehors de ces emplacements, zones et agglomérations, la loi et le décret ne soumettent dans les agglomérations la publicité lumineuse, en principe admise, qu'au respect des prescriptions relatives aux emplacements, surfaces et hauteurs des enseignes lumineuses fixées par les articles 15 à 18 du décret du 21 novembre 1980 pris pour l'application de l'article 8 de la loi, ces prescriptions pouvant être atténuées par l'institution de zone de publicité élargie en vertu de l'article 11 de la loi;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la publicité lumineuse que se proposait d'installer la SA Liote, dont il n'est pas contesté qu'elle respectait les prescriptions des articles 15 à 18 du décret susvisé du 21 novembre 1980 et du règlement de la publicité de la ville de Paris dans les zones de publicité élargie adopté en application de l'article 11 de la loi, devait être implantée sur le toit d'un immeuble qui n'est pas au nombre des bâtiments énumérés par l'article 4 de la loi et qui n'est pas situé dans l'une des zones préservées par les dispositions de l'article 7;que, par suite, le maire de Paris ne pouvait sans erreur de droit opposer à la demande d'autorisation qui lui avait été présentée, l'atteinte à la qualité du cadre de vie qu'aurait créée l'installation du dispositif de publicité lumineuse dont s'agit;

Sur les conclusions à fins d'injonction:

Considérant qu'aux termes de l'article L. 8-2, alinéa 2, du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, dans sa rédaction issue de la loi n° 95-125 du 8 février 1995: "Lorsqu'un jugement ou un arrêt implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel, saisi de conclusions en ce sens, prescrit cette mesure, assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution, par le même jugement ou le même arrêt (...)"

Considérant que l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que l'autorité compétente statue de nouveau sur la demande de la société Liote; qu'il y a lieu pour la cour, saisie de conclusions tendant à ce que la nouvelle décision intervienne dans un délai déterminé, d'enjoindre au maire de Paris d'y statuer de nouveau dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt;

Sur les conclusions tendant à l'allocation d'une somme au titre des frais non compris dans les dépens:

Considérant, en premier lieu, que devant le Tribunal administratif de Paris les conclusions de la SA Liote tendaient à la condamnation du maire de Paris, sur le fondement des dispositions de l'article L 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, à lui verser une somme au titre des frais exposés; que de telles conclusions sont irrecevables comme étant dirigées contre le maire de Paris qui n'est pas partie à l'instance;

Considérant, en second lieu, qu'en appel, la SA Liote demande la condamnation de l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, à lui verser une somme au titre des frais qu'elle a exposés; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner l'Etat à verser à ce titre à la société Liote le somme de 10 000 F;

Décide

Article 1er: La ville de Paris est mise hors de cause.

Article 2: Le jugement n° 9304797-7 - 9311838-7 en date du 27 juin 1996 du Tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a rejeté le recours pour excès de pouvoir de la société Liote dirigé contre la décision en date du 12 février 1993 du maire de Paris.

Article 3: La décision en date du 12 février 1993 du maire de Paris est annulée.

Article 4: Il est enjoint au maire de Paris de prendre une nouvelle décision sur la demande de la SA Liote. Il devra être procédé à cette mesure au plus tard avant l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 5: Le maire de Paris communiquera au greffe de la cour copie des actes justifiant de l'exécution de la mesure prescrite par l'article 4 ci-dessus.

Article 6: L'Etat est contaminé sur le fondement des dispositions de l'article L. 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, à payer à la SA Liote, la somme de 10 000 F.

Article 7: Le surplus des conclusions de la demande devant le tribunal administratif et de la requête est rejeté.

Article 8: Le présent arrêt sera notifié à la SA Liote, à la ville de Paris, au maire de Paris et au ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement.