CA Paris, 13e ch. A, 6 mai 1997, n° 96-04459
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Petit
Conseillers :
MM. Guilbaud, Paris
Avocat :
Me Flexner.
Rappel de la procédure:
Le jugement:
Le tribunal, par jugement contradictoire à signifier, a déclaré S Florette
Coupable de vente de produit ou prestation de service à un consommateur sous condition, faits commis juin 1995, à Paris 18e, au magasin "TD" au marché Saint-Pierre, infraction prévue par l'article 33 alinéa 1 du décret 86-1309 du 29-12-1986, L. 222-1 du Code de la consommation et réprimée par l'article 33 alinéa 1 du décret 86-1309 du 29-12-1986.
Pour avoir subordonné la vente d'un produit, en l'espèce, un coupon de tissu à l'achat d'une quantité imposée,
Et, en application de ces articles,
L'a condamnée à 1 500 F d'amende,
A dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 150 F dont est redevable la condamnée.
Les appels:
Appel a été interjeté par:
- Mme S Florette, le 10 mai 1996,
- M. l'officier du Ministère public, le 10 mai 1996 contre Mme S Florette.
Décision:
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels relevés par la prévenue et le Ministère public à l'encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé de la prévention;
Par voie de conclusions, Florette S sollicite de la cour, par infirmation, son renvoi des fins de la poursuite.
Elle fait essentiellement valoir que l'article L. 122-1 du Code de la consommation n'a jamais eu pour objet de remettre en cause les usages du commerce consacrés et parfaitement légitimes concernant la vente de certains produits en lot ou par certaine quantité minimale et que s'agissant de ventes de tissu au détail, il a toujours été d'usage de vendre en un seul lot les pièces de faible métrage;
Elle expose qu'en imposant à sa clientèle d'acheter la totalité du métrage dès lors qu'il en reste moins de trois mètres en stock, la société V ne fait rien d'autre que de vendre en un seul lot ses tissus en fin de stock, ce qui est un usage admis et légitime sans aucun rapport avec les pratiques que le législateur avait pour but d'interdire en conservant les dispositions de l'article L. 122-1 du Code de la consommation;
Que la pratique reprochée à la société V par la DGCCRF n'a pas pour objet de pousser le consommateur à des achats inutiles, excédant une consommation moyenne normale;
Que cette pratique ne concerne que les tissus en fin en stock et vise uniquement à éviter que le vendeur ne reste avec des chutes de tissus difficilement vendables car de trop court métrage;
Que dans l'hypothèse concernée de vente en un seul lot, la quantité de tissu que le consommateur qui désire un tissu en fin de stock se voit contraint d'acheter, correspond aux besoins moyens habituels de la clientèle;
Que cet usage qui répond effectivement au souci du vendeur de libérer son stock de pièces de faible métrage plus difficile à vendre est, contrairement à ce qu'affirme la DGCCRF, parfaitement conforme à l'intérêt du consommateur;
Que si la société V devait rester avec des chutes de tissus invendables, sauf à les brader, elle se verrait naturellement obligée de répercuter sur ses prix les pertes résultant d'un tel système de vente alors qu'actuellement, les clients du magasin D du Marché Saint-Pierre, exploité par la société V, se voient proposer pour tous les tissus les prix les plus bas dans le commerce de vente au détail;
Que la vente en un seul lot d'un certain métrage de tissus, telle que la pratique la société V, répond aux besoins habituels de la clientèle et l'intérêt du consommateur;
Elle soutient par ailleurs que s'agissant d'un tissu en fin de stock, il n'y avait plus de rouleaux restant du même tissu dont le coupon incriminé aurait pu et dû être séparé;
Elle affirme enfin que l'identification de ce coupon comme formant un seul lot résulte d'un affichage apposé très lisiblement dans le magasin et selon lequel " aucune coupe ne peut être faire s'il ne reste un métrage suffisant pour une robe ou un manteau (environ 3m) ";
M. l'Avocat général s'en rapporte pour sa part à l'appréciation de la cour,
Considérant que par courrier en date du 2 juin 1995, Mme Christine Ontivero avisait la DGCCRF de Paris de ce que désirant acheter, la veille 1er juin, un mètre de tissu de voile de soie noire au magasin D; au marché Saint-Pierre à Paris 18e, la vendeuse lui avait opposé un refus et lui aurait déclaré que, dans la mesure où il ne restait seulement que 1,4 mètre sur le rouleau, il lui fallait acheter toute la quantité restante;
Que le 8 juin 1995, un contrôleur des services déconcentrés de la DGCCRF se présentait au magasin TD, ayant pour activité la vente au détail de tissus au mètre, exploité par la SA V dont la prévenue est le PDG;
Qu'il constatait sur le haut de certaines arcades séparant les diverses pièces du magasin l'apposition de la mention suivante: "Aucune coupe ne peut être faire s'il ne reste un métrage suffisant pour une robe ou un manteau (environ 3m)";
Qu'interrogée sur le refus opposé à Mme Ontivero, Mme Margaret M, vice-PDG de la société V, précisait que lorsqu'il ne restait, comme dans le cas précis, qu'une longueur de 1,4 m alors que la cliente ne désirait seulement qu'un mètre, il était exigé que la cliente prenne toute la coupe restante ou ne prenne rien;
Considérant que la cour ne saurait suivre la prévenue en son argumentation;
Considérant en effet que les doléances de la plaignante sont confirmées par l'affichage et par Mme M qui reconnaît subordonner systématiquement la vente de tissus, en fin de rouleau, à l'achat d'une quantité imposée;
Considérant que la société V ne donne aucun motif pertinent susceptible de légitimer cette pratique;
Que la règle qu'elle prétend imposer - en la qualifiant, sans justificatif, d'usage commercial consacré - diffère au demeurant sensiblement de celle résultant de l'affichage;
Qu'en effet, si on se reporte à la mention précitée, il aurait dû rester sur la coupe en cause environ 3 mètres de tissu, ce qui n'était pas le cas;
Que cette règle évolutive ne répond pas à l'intérêt du consommateur qui ne reçoit même pas une information cohérente sur les méthodes de vente en vigueur dans le magasin;
Considérant que la cour observe qu'en trouvant dans un rayon, parmi d'autres coupes vendues au mètre, une coupe de tissu bien inférieure à 3 mètres et par conséquent ne pouvant servir à confectionner ni une robe ni un manteau, le consommateur pouvait légitimement croire qu'il pouvait acheter un mètre de tissu;
Considérant par ailleurs que la pratique critiquée ne correspond ni à une vente par lots ni à une vente de plusieurs unités sous conditionnement unique;
Considérant que la société V ne saurait tirer de l'affichage d'un avertissement à la clientèle un motif légitime lui permettant de subordonner la vente aux fins de rouleaux à l'achat d'une quantité imposée;
Qu'en effet, la règle annoncée ne répond nullement à l'intérêt du consommateur qui doit conserver le choix de l'utilisation finale du tissu qu'il achète (robe, manteau, mais aussi short ou même une série de mouchoirs...);
Que d'autre part, cette pratique correspond en réalité au seul souci de la société de libérer son stock de pièces de faible métrage, évidemment plus difficile à vendre;
Considérant que la cour relève que cette préoccupation aussi compréhensible soit-elle au regard de la rentabilité de l'entreprise, ne doit pas avoir pour effet de faire supporter le coût au consommateur individuel;
Considérant que la société V conserve en effet la possibilité de vendre des pièces de faible métrage à l'unité, dès lors qu'elle assure un étiquetage des prix approprié;
Que ne séparant pas la coupe dont restait 1,4 m de tissu du reste des rouleaux et en n'identifiant pas précisément cette coupe comme formant un seul lot - ce qui était très aisément réalisable en dépit des affirmations de la prévenue - la SA V ne pouvait refuser la vente, ni la subordonner à l'achat d'une quantité imposée;
Considérant que la responsabilité de Mme Florette S, PDG de la société, est directement engagée, s'agissant d'une pratique délibérée, affichée en magasin et relevant de la politique de vente de l'entreprise;
Considérant qu'à bon droit, le tribunal a retenu la prévenue dans les liens de la prévention;
Considérant que la cour confirmera le jugement entrepris sur la déclaration de culpabilité et sur la peine d'amende prononcée qui constitue une juste application de la loi pénale.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Rejette les conclusions de relaxe de la prévenue, Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions, Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires, Dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable la prévenue.