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Décisions

TPICE, 2e ch. élargie, 27 septembre 2000, n° T-184/97

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

BP Chemicals Ltd

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, République française

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Potocki

Juges :

MM. Lenaerts, Azizi, Jaeger, Meij

Avocats :

Mes Loesch, Wolter

Comm. CE, du 9 avr. 1997

9 avril 1997

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

Cadre réglementaire

1. La directive 92-81-CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur les huiles minérales (JO L 316, p. 12) énonce, en son sixième considérant, qu'"il y a lieu de permettre aux États membres d'appliquer, s'ils le souhaitent, certaines [...] exonérations ou taux réduits à l'intérieur de leur territoire, lorsque cela n'entraîne pas de distorsions de concurrence".

2. En vertu de l'article 1er, paragraphe 1, de cette directive, les "États membres appliquent aux huiles minérales une accise harmonisée conformément à la présente directive". Ainsi, suivant l'article 3, "dans chaque État membre, les huiles minérales sont soumises à une accise spécifique calculée par 1 000 litres de produit à température de 15 °C".

3. L'article 8, paragraphe 2, de la directive 92-81, tel que modifié par la directive 94-74-CE du Conseil, du 22 décembre 1994 (JO L 365, p. 46), dispose: "Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres peuvent appliquer des exonérations ou réductions totales ou partielles du taux d'accise aux huiles minérales ou à d'autres produits destinés aux mêmes usages utilisés sous contrôle fiscal: [...] d) dans le cadre de projets pilotes visant au développement technologique de produits moins polluants, notamment en ce qui concerne les combustibles provenant de ressources renouvelables [...]"

4. Enfin, l'article 8, paragraphe 4, permet au Conseil, statuant à l'unanimité, d'autoriser un État membre à introduire des exonérations autres que celles explicitement prévues par la directive 92-81.

Faits à l'origine du litige

5. La requérante, BP Chemicals Ltd , est le principal producteur européen d'éthanol synthétique. Cette société ne possède, en revanche, aucune activité de production d'éthanol d'origine agricole. Elle est une filiale à 100 % de BP Amoco plc (précédemment The British Petroleum Company plc).

Régimes d'aides en cause

6. La République française, dans la loi de finances pour 1992 (loi 91-1322, du 30 décembre 1991, JORF du 31 décembre 1991, p. 17229), a exonéré jusqu'au 31 décembre 1996 des droits d'accises les esters d'huile de colza et de tournesol utilisés en substitution du fioul domestique et du gazole, ainsi que l'alcool éthylique, élaboré à partir de céréales, de topinambours, de pommes de terre ou de betteraves, et incorporé aux supercarburants et aux essences, et les dérivés de ce même alcool.

7. La requérante a adressé, le 25 juillet 1994, une plainte à la Commission au sujet de ce régime d'aides.

8. Par une publication au Journal officiel du 9 juin 1995 (JO C 143, p. 8), la Commission a informé les intéressés de sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE) à propos de ce régime d'aides mis en œuvre par les autorités françaises et a prié les intéressés de présenter leurs observations.

9. La Commission a adopté, le 18 décembre 1996, la décision 97-542-CE, relative aux exonérations fiscales pour les biocarburants en France (JO L 222, p. 26, ci-après la "décision du 18 décembre 1996"), qui dispose, notamment: "Les aides accordées en France sous forme d'exonération fiscale au profit des biocarburants d'origine agricole [...] sont illégales, étant donné qu'elles ont été accordées en violation des règles de procédure énoncées à l'article 93, paragraphe 3, du traité. Ces aides sont incompatibles avec le Marché commun au sens de l'article 92 du traité. La France est tenue de supprimer les aides visées à l'article 2, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision."

10. Les principales objections de la Commission à l'égard de ce régime d'aides concernaient le nombre limité des produits agricoles à partir desquels les biocarburants pouvaient être fabriqués et l'obligation de cultiver ces produits sur des terres en jachère.

11. En novembre 1996, les autorités françaises ont notifié à la Commission un régime modifié d'aides aux biocarburants (ci-après le "régime litigieux").

12. Par décision du 9 avril 1997, la Commission a déclaré le régime litigieux compatible avec le Marché commun, en application de l'article 93, paragraphe 3, du traité (ci-après la "décision attaquée").

13. Cette décision a été adoptée sans qu'une communication ait préalablement été publiée au Journal officiel en vue d'inviter les tiers intéressés à présenter leurs observations. La requérante a obtenu copie de cette décision le 11 juin 1997. Cette décision n'a pas été publiée au Journal officiel.

14. La Commission a précisé dans le corps de la décision attaquée:

"[page 2] La France envisage d'accorder une réduction de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) à certains produits obtenus à partir de matières premières végétales et destinés à être incorporés dans des carburants ou des combustibles [...]

La mise en marché des produits visés bénéficiera d'une exonération totale ou partielle de la TIPP, dans la limite d'une enveloppe annuelle, afin de compenser pour partie le surcoût de production qu'ont ces produits par rapport à ceux d'origine fossile [...]

Il y aura un taux d'exonération pour la filière esters et un pour la filière [éthyl-tertio-butyl-éther] [...]

[page 3] Le bénéfice de cette exonération de la TIPP sera accordé aux unités (sites) de production de biocarburants agréées par vos autorités à la suite d'une procédure d'appel à candidatures publiée au Journal officiel des Communautés européennes. Cet agrément autorisera les unités en question à mettre en marché en France un volume défini de biocarburants qui bénéficiera de l'exonération fiscale prévue par la loi de finances annuelle [...]

[page 7] Le secteur des biocarburants fait l'objet d'échanges et donc de concurrence entre les États membres. Bien évidemment, les biocarburants se trouvent en concurrence avec la plupart des carburants et des combustibles d'origine fossile.

En particulier, l'ETBE se trouve en concurrence avec le méthyle tertio-butyl éther (MTBE) obtenu à partir du méthanol qui est normalement produit à partir du gaz naturel, ce qui lui permet d'avoir des coûts de production inférieurs d'environ moitié à ceux de l'ETBE. Ces deux produits sont parfaitement substituables et servent à augmenter la teneur en octane de l'essence sans plomb [...]

À titre préliminaire, il convient de rappeler que, selon vos autorités, les mesures qu'elles ont prises jusqu'à présent en matière de promotion des biocarburants se sont limitées à étudier la possibilité technique de production de ceux-ci dans des unités pilotes et d'incorporation dans les carburants et combustibles mis en marché sur son territoire. À présent, il s'agit de démontrer la faisabilité économique des filières biocarburants et de parvenir à l'amélioration de leurs performances économiques [...]

Puisque les biocarburants sont en concurrence avec les carburants et combustibles d'origines fossiles à titre d'additifs ou de substituts et qu'ils font l'objet d'échanges intracommunautaires, les aides en question sont susceptibles d'affecter lesdits échanges et de fausser la concurrence [...]

[page 9] Puisque le projet de dispositif a pour effet le développement d'un secteur d'activité que l'on veut promouvoir dans la Communauté, il convient de s'assurer que ledit dispositif n'altère pas les échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun. À cet égard, la dérogation prévue par l'article [92, paragraphe 3, sous c)] peut s'appliquer seulement si le dispositif en question prévoit des critères objectifs dans les conditions d'éligibilité des entreprises intéressées [...] ainsi que l'absence de caractère discrétionnaire dans le choix par les pouvoirs publics des unités de production qui pourront bénéficier de la détaxation [...]

[page 11] En revanche, la question se pose de savoir dans quelle mesure les capacités de production développées en France grâce au régime d'aides que la Commission vient de déclarer illégal et incompatible avec le traité [CE] entrent en compte pour la détermination des volumes pour lesquels une unité peut demander l'agrément.

Il va de soi qu'il ne s'agit pas de rendre l'éligibilité de ces entreprises plus compliquée que celle des autres producteurs potentiellement intéressés. Néanmoins, il convient d'éviter que les seuls bénéficiaires effectifs du dispositif soient les producteurs français de biocarburants grâce à leur disponibilité ex ante d'une capacité de production développée sur [la] base d'un régime d'aides non conforme au droit communautaire.

La Commission s'est déjà occupée de cette question dans ladite décision où elle a considéré que le bénéfice de l'aide qui fut directement octroyée aux fabricants (de biocarburants) était, au niveau de ces derniers, de nature passagère ou, pour le moins, de nature marginale bien que non quantifiable. Certes, l'aide leur permettait de fournir à un prix concurrentiel des quantités de biocarburants qui néanmoins étaient, par rapport au marché des biocarburants en général, relativement peu importantes [...]

[page 12] En conclusion, le projet de dispositif d'exonération tel que notifié par vos autorités ne fausse pas la concurrence ni n'affecte les échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun puisqu'il ne comporte pas d'élément discriminatoire dans les critères d'éligibilité des entreprises ni d'élément discrétionnaire dans le choix des bénéficiaires et l'attribution des agréments. Il peut donc obtenir la dérogation prévue par l'article [92, paragraphe 3, sous c)] comme étant destiné à faciliter le développement de certaines activités, compte tenu du fait qu'il s'inscrit dans la stratégie de réduction de la dépendance énergétique du pétrole, de développement des sources énergétiques alternatives et d'une meilleure utilisation des ressources agricoles [...]

Enfin, la Commission constate que la présente notification concerne une réduction de droit d'accise soumise aux règles de la directive 92-81 [...]

[page 13] Sur [la] base des informations données par les autorités françaises, il apparaît qu'il s'agit de la mise en œuvre d'un programme limité de défiscalisation, visant à démontrer la faisabilité industrielle des filières biocarburants et à parvenir à l'amélioration de leurs performances économiques.

Il apparaît de plus que ce programme a une portée limitée, les biocarburants ne représentant à présent en France qu'environ 0,5 % de la consommation de produits pétroliers et 0,8 % du marché des carburants.

Un suivi rigoureux des produits est prévu pour contrôler d'éventuels incidents liés à l'utilisation des produits d'origine végétale ainsi que pour informer et protéger le consommateur.

Des tests complémentaires seront également réalisés sur la stabilité du produit au stockage et les problèmes de corrosion.

Pour toutes ces raisons, il apparaît que le dispositif notifié a les caractéristiques d'un projet pilote au sens de l'article [8, paragraphe 2, sous d)] de la directive 92-81 [...]

À la lumière des considérations développées ci-dessus, j'ai l'honneur de vous informer que la Commission a décidé de ne pas soulever d'objections au titre des dispositions relatives aux aides d'État à l'égard de l'exonération de la taxe intérieure sur les produits pétroliers que la France entend accorder à certains volumes d'ETBE et d'esters méthyliques [...]"

15. Dans la loi de finances rectificative pour 1997 (loi 97-1239, du 29 décembre 1997, JORF des 29 et 30 décembre 1997, p. 19101), la République française a prévu, à l'article 25, une exonération partielle de la TIPP fixée, d'une part, à 230 francs français (F)/hl pour les esters d'huile végétale incorporés au fioul domestique et au gazole et, d'autre part, à 329,50 F/hl pour le contenu en alcool des dérivés de l'alcool éthylique (notamment l'éthyl-tertio-butyl-éther, ci-après l'"ETBE") d'origine agricole incorporés aux supercarburants et aux essences. Cette exonération fiscale bénéficie aux unités de production agréées par les autorités françaises sur procédure d'appel à candidatures publiée au Journal officiel des Communautés européennes.

16. Un avis d'appel à candidatures pour l'agrément des unités de production de biocarburants, ouvert pour des volumes maximaux de 350 000 tonnes d'esters et 270 000 tonnes d'ETBE, a été publié au Journal officiel du 19 novembre 1997 (JO C 350, p. 26). Par lettre du 18 février 1998, les autorités françaises ont communiqué à la Commission la teneur et les résultats de l'appel à candidature précité. Quatre demandes d'agrément ont été déposées, pour un volume total de 227 600 tonnes par an dans le cadre de la filière ETBE.

Marché des biocarburants

17. Le terme "biocarburant" est un terme générique englobant stricto sensu les seuls combustibles d'origine biologique non fossile. Il est également utilisé, de façon générale, pour décrire des carburants mélangés, contenant aussi bien des composants d'origine fossile que du "biocarburant" au sens strict.

18. Ainsi, les biocarburants au sens large, dont il est question dans la présente affaire, peuvent être divisés en deux grandes catégories: d'une part, l'éthanol utilisé en tant que tel comme carburant, bien qu'il ne le soit à l'heure actuelle qu'au stade expérimental, et, d'autre part, les bio-additifs aux carburants visant à augmenter le taux d'octane de ces derniers. Cette seconde catégorie peut encore être divisée en deux sous-catégories: d'une part, les bio-additifs au gazole et, d'autre part, les bio-additifs à l'essence.

19. La décision attaquée porte, en substance, sur les mesures prévues dans le régime litigieux qui concernent ces deux dernières sous-catégories: d'une part, l'ETBE, qui est utilisé comme bio-additif à l'essence, et, d'autre part, les esters d'huiles de colza et de tournesol, qui sont utilisés comme bio-additifs au gazole et au fioul domestique. Dans le présent recours, la requérante conteste essentiellement la décision attaquée en ce qu'elle porte sur les mesures du régime litigieux relatives à la filière ETBE.

20. L'ETBE est produit par réaction catalytique entre de l'isobutylène (produit pétrochimique) et de l'éthanol (couramment appelé "alcool") en quantités plus ou moins comparables. Cet éthanol peut être obtenu soit à partir de produits agricoles (ci-après le "bioéthanol"), soit synthétiquement avec de l'éthylène (produit pétrochimique) et de l'eau.

21. Le MTBE, qui est produit par réaction catalytique entre de l'isobutylène et du méthanol, un dérivé du méthane, c'est-à-dire du gaz naturel, peut également être utilisé comme additif pour augmenter le niveau d'octane dans l'essence.

Procédure

22. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 juin 1997, la requérante a introduit le présent recours, au titre de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE).

23. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 septembre 1997, la République française a demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la défenderesse.

24. Par ordonnance du président de la troisième chambre élargie du 9 décembre 1997, il a été fait droit à cette demande.

25. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, il a invité les parties à répondre par écrit à certaines questions, invitation à laquelle il a dûment été déféré. À la suite des réponses écrites fournies par la défenderesse, la requérante a, par lettre du 7 septembre 1999, demandé que celle-ci produise certains documents supplémentaires.

26. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 15 septembre 1999.

Conclusions des parties

27. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler la décision attaquée;

- condamner la défenderesse aux dépens;

- condamner la partie intervenante aux dépens occasionnés par son intervention.

28. La Commission, soutenue par la République française, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours comme irrecevable en ce que celui-ci porte sur la partie de la décision attaquée concernant les mesures du régime litigieux relatives aux esters, et comme non fondé pour le surplus;

- condamner la requérante aux dépens.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

29. La requérante rappelle, tout d'abord, être l'un des principaux producteurs d'éthanol synthétique, produit concurrent du bioéthanol, qui bénéficie du régime litigieux. La décision attaquée ayant été, par ailleurs, adoptée sans mise en œuvre de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité, elle estime avoir qualité pour agir en vertu de l'arrêt de la cour du 19 mai 1993, Cook/Commission (C-198-91, Rec. p. I-2487). Elle note à ce propos que la Commission a omis, à tort, d'engager cette procédure.

30. La requérante relève, par ailleurs, que la Commission ne peut mettre en cause sa qualité pour contester la décision attaquée en ce que celle-ci porte sur les mesures du régime litigieux concernant la filière esters, puisque ce régime couvre indifféremment la filière ETBE et la filière esters.

31. La Commission ne met pas en cause la qualité de la requérante pour contester la décision attaquée en ce que celle-ci porte sur les mesures du régime litigieux concernant la filière ETBE. Elle fait valoir, en revanche, que la requérante n'a pas cette qualité en ce qui concerne la partie de la décision attaquée relative aux dispositions applicables à la filière esters. En effet, elle souligne que la requérante n'a jamais fait état d'un quelconque intérêt vis-à-vis de cette filière. L'argumentation circulaire développée par la requérante à ce propos occulterait le fait que les deux filières en cause sont indépendantes l'une de l'autre.

32. La République française fait valoir que la requérante ne peut être considérée ni comme une entreprise "intéressée" au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité, ni comme individuellement et directement concernée par la décision attaquée. En conséquence, elle estime que le recours est irrecevable dans son ensemble.

Appréciation du Tribunal

33. Il y a lieu, tout d'abord, de statuer sur le moyen d'irrecevabilité partielle soulevé par la Commission.

34. Il convient de rappeler, à ce propos, que seuls peuvent être attaqués par une personne physique ou morale, en vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, les actes qui produisent des effets juridiques obligatoires de nature à affecter ses intérêts en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique (arrêts du Tribunal du 30 janvier 1997, Corman/Commission, T-117-95, Rec. p. II-95, et du 18 décembre 1997, ATM/Commission, T-178-94, Rec. p. II-2529, point 53). Par conséquent, lorsque l'acte faisant l'objet d'un recours en annulation comporte des parties substantiellement distinctes, seules peuvent être attaquées les parties de cet acte qui produisent des effets juridiques obligatoires de nature à affecter de façon caractérisée la situation juridique de la requérante.

35. Dans le cas d'espèce, le Tribunal constate que la décision attaquée porte sur des mesures d'aides applicables à deux filières de biocarburants distinctes en ce qui concerne la composition et l'utilisation de ces biocarburants et les marchés que ces filières affectent. Il convient de relever, à ce propos, que l'argumentation développée par la requérante dans le cadre des quatre moyens qu'elle a soulevés au fond n'a trait, en substance, qu'aux mesures applicables à la seule filière ETBE. La requérante s'est d'ailleurs fondée sur sa qualité de producteur d'éthanol synthétique, produit concurrent de l'un des deux composants de l'ETBE, le bioéthanol, pour justifier de sa qualité à agir.

36. Dans ces circonstances, il convient de conclure que la décision attaquée, en ce qu'elle porte sur les mesures concernant la filière esters, ne modifie pas de façon caractérisée la situation juridique de la requérante et n'affecte donc pas ses intérêts.

37. Le présent recours contre la décision attaquée en ce qu'elle porte sur les mesures prévues dans le régime litigieux applicables à la filière esters est dès lors irrecevable.

38. En ce qui concerne, ensuite, la fin de non-recevoir soulevée par la République française, il convient de souligner que, en vertu de l'article 37, quatrième alinéa, du statut CE de la cour de justice, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l'article 46, premier alinéa, dudit statut, les conclusions d'une requête en intervention ne peuvent avoir d'autre objet que le soutien des conclusions de l'une des parties au litige.

39. Il en résulte que la fin de non-recevoir invoquée par la République française doit être rejetée dans la mesure où elle excède la conclusion de la défenderesse tendant à l'irrecevabilité partielle du présent recours. En effet, la défenderesse n'a pas mis en cause la recevabilité du recours en ce qu'il porte sur la décision attaquée relative aux mesures applicables à la filière ETBE.

40. Dans le cas d'espèce, il n'y a pas lieu d'examiner d'office la recevabilité du recours en ce qu'il concerne la partie de la décision relative à la filière ETBE du régime litigieux.

Sur le fond

41. Dans le présent recours, la requérante soulève, en substance, quatre moyens. Le premier est tiré d'une violation de l'article 92, paragraphe 3, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 3, CE). Le deuxième est pris d'une violation de la directive 92-81. Le troisième est tiré d'une violation de l'article 95 du traité CE (devenu, après modification, article 90 CE). Le dernier moyen est pris d'une violation de l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE).

42. Pour des raisons qui s'avéreront ultérieurement, le Tribunal examinera d'abord le deuxième moyen, tiré d'une violation de la directive 92-81.

Arguments des parties

43. La requérante est d'avis que l'article 8, paragraphe 2, sous d), de la directive 92-81, en ce qu'il porte sur des "projets pilotes visant au développement technologique de produits moins polluants", ne pouvait être appliqué en l'espèce. En effet, le régime litigieux ne viserait nullement à un quelconque développement technologique, mais serait totalement orienté vers la production industrielle. La seule dérogation possible, en l'espèce, serait dès lors une décision du Conseil adoptée conformément à l'article 8, paragraphe 4, de la directive 92-81.

44. Elle relève, en outre, que dans la décision attaquée la Commission défend la position selon laquelle le régime litigieux entre dans le champ d'application de cet article 8, paragraphe 2, sous d), sans tenter d'expliquer pourquoi elle était d'un avis opposé dans sa décision du 18 décembre 1996.

45. Le suivi de l'utilisation des produits d'origine végétale, l'information du consommateur et les tests sur la stabilité du produit au stockage et sur les problèmes de corrosion, invoqués dans la décision attaquée, ne pourraient non plus amener à la conclusion que les entreprises bénéficiaires fonctionneraient en tant qu'"usines pilotes", étant donné l'importance des programmes de production concernés et le fait que la viabilité de la technologie utilisée a déjà été largement établie.

46. En réponse à l'argument de la Commission relatif à l'existence d'une marge d'appréciation quant à la signification de la notion de "projet pilote", la requérante soutient qu'une telle marge ne pourrait aller jusqu'à dénaturer le sens de ces termes. Selon l'usage, un "projet pilote" devrait répondre au moins à deux critères: d'une part, être d'une échelle réduite et, d'autre part, être expérimental, de sorte qu'un tel projet devrait prévoir un contrôle scientifique de ses résultats. En l'espèce, le régime litigieux ne répondrait à aucun de ces deux critères.

47. Ensuite, la requérante relève que le sixième considérant de la directive 92-81 exige que les exonérations octroyées n'entraînent pas de distorsions de concurrence, alors qu'elle aurait démontré dans le cadre de son premier moyen que le régime litigieux provoque de telles distorsions sur le marché de l'éthanol.

48. La Commission rappelle que ni la directive 92-81 ni aucun autre acte des institutions ne définissent l'expression "projet pilote". Les États membres disposeraient, dès lors, d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer ce qu'ils entendent par cette expression. La Commission devrait tenir compte de cette marge lorsqu'elle apprécie la compatibilité d'une exonération fiscale adoptée au niveau national avec la directive (voir arrêt du Tribunal du 22 octobre 1996, Skibsværftsforeningen e.a./Commission, T-266-94, Rec. p. II-1399, point 172).

49. La décision du 18 décembre 1996 ne fournirait pas d'indications valables quant à l'applicabilité de l'article 8, paragraphe 2, sous d), de la directive 92-81 parce que cette décision se serait rapportée à la production d'éthanol, et non à la production de biocarburants mélangés à l'essence, comme en l'espèce. Par ailleurs, le fait qu'il n'y a pas d'usine de production d'ETBE établie en dehors de la France à l'heure actuelle, confirmerait la conclusion que le régime litigieux porte bien sur des "projets pilotes".

50. La Commission estime, en outre, que le contexte légal exige que la notion de "projet pilote" soit interprétée dans un sens large. Elle rappelle ainsi que l'article 3 de la directive 92-81 dispose que le taux d'accise doit être fixé par référence à des unités de 1000 litres. Une exonération fiscale ne serait, en effet, nécessaire que lorsque l'ampleur d'un projet est telle que le droit d'accise peut constituer un obstacle. La Commission considère, en tout état de cause, que le caractère de "projet pilote" ne s'apprécie pas en fonction du nombre de tonnes produites ou des parts de marché acquises, mais en fonction des éventuelles distorsions de concurrence que le projet en cause engendre, distorsions inexistantes en l'espèce.

51. Il resterait, en outre, certains problèmes techniques à résoudre en ce qui concerne les biocarburants, ainsi qu'il ressortirait de recherches effectuées dans le cadre du programme pour la promotion des sources d'énergie renouvelables dans la Communauté, intitulé "Altener" et au sein du département de l'énergie des États-Unis.

52. La Commission rappelle que depuis 1986, la Communauté aurait recentré ses recherches en vue de s'orienter vers des projets aux perspectives d'application commerciale plus immédiates. Elle souligne, enfin, le lien entre le statut de "projet pilote" et sa politique visant à promouvoir l'utilisation de ressources renouvelables.

53. Le Gouvernement français fait valoir, en sus de l'argumentation de la Commission, que le rapport de celle-ci sur les résultats du programme Altener du 12 mars 1997 [COM (97) 122] précise que, "en coopération avec des experts des États membres, [la Commission] a décidé qu'une approche orientée vers le marché, avec un apport industriel important, convenait à la mise en œuvre de cette composante du programme".

Appréciation du Tribunal

54. Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la décision attaquée tend à apprécier le régime litigieux au regard de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, en vertu duquel, par dérogation à l'interdiction édictée à l'article 92, paragraphe 1, du traité, peuvent être considérées comme compatibles avec le Marché commun les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.

55. Selon une jurisprudence constante, la Commission jouit d'un large pouvoir d'appréciation dans l'application de l'article 92, paragraphe 3, du traité. Dès lors que ce pouvoir discrétionnaire implique des appréciations complexes d'ordre économique et social, le contrôle juridictionnel que le juge communautaire est amené à exercer sur une décision adoptée dans un tel cadre revêt un caractère restreint (arrêt du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a. et British Midland Airways/Commission, T-371-94 et T-394-94, Rec. p. II-2405, point 79). Toutefois, ce pouvoir d'appréciation, conféré à la Commission par l'article 93 du traité, ne lui permet pas d'autoriser les États membres à déroger à des dispositions de droit communautaire autres que celles relatives à l'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité (arrêt de la cour du 12 novembre 1992, Kerafina et Vioktimatiki, C-134-91 et C-135-91, Rec. p. I-5699, point 20).

56. Il convient d'observer ensuite que la marge d'appréciation que la Commission entend légitimement laisser aux États membres pour l'application de la notion de "projets pilotes visant au développement technologique de produits moins polluants", à laquelle fait référence l'article 8, paragraphe 2, de la directive 92-81, la disposition susvisée, est à distinguer du pouvoir d'appréciation conféré à la Commission par l'article 93 du traité en vue de déterminer dans quelle mesure les aides d'État sont compatibles avec le Marché commun au sens de l'article 92 du traité. En effet, alors que le pouvoir conféré à la Commission par l'article 93 du traité suppose que cette institution réalise des appréciations discrétionnaires relatives à des situations économiques et sociales complexes, ne devant faire l'objet que d'un contrôle juridictionnel restreint, l'appréciation d'une application de la disposition litigieuse de la directive 92-81 doit, en revanche, être exercée dans le cadre de l'interprétation plausible des notions législatives de caractère vague et indéterminé qui y figurent, appréciation relevant, en dernier ressort, de la compétence du juge communautaire.

57. Par conséquent, et conformément à l'arrêt Kerafina et Vioktimatiki, cité au point 55 ci-dessus, il incombe tant à la Commission, dans le cadre de l'appréciation d'un régime d'aides notifié, qu'au juge communautaire compétent, saisi d'un recours en annulation, de veiller au respect des limites inhérentes à toute interprétation contextuelle et raisonnable de notions figurant dans la législation communautaire.

58. C'est à la lumière de ces principes qu'il convient d'examiner le deuxième moyen.

59. Ce moyen soulève, tout d'abord, le problème de savoir quelle est la portée de l'article 8, paragraphe 2, sous d), de la directive 92-81, cité au point 3 ci-dessus. Ensuite, il y aura lieu d'examiner si l'application de cette disposition réalisée dans la décision attaquée relève du champ d'application ainsi défini.

60. S'il est vrai que les termes "projets pilotes visant au développement technologique de produits moins polluants", mentionnés dans la directive 92-81, laissent une certaine marge d'interprétation propre à toute expression au contenu non précisément déterminé, ceux-ci ne sauraient, en revanche, être interprétés comme permettant aux États membres d'en faire une application quasi discrétionnaire. En effet, le texte même de l'article 8, paragraphe 2, sous d), de la directive 92-81 n'autorise pas les États membres à appliquer des exonérations des droits d'accises à l'ensemble des projets pilotes visant au développement de produits moins polluants. Cette disposition exige explicitement que de tels projets visent au développement technologique de ces produits, limitant de ce fait le type de projets pilotes pouvant tomber dans son champ d'application.

61. Il convient de rappeler, ensuite, qu'il ressort des considérants, ainsi que de l'article 1er, paragraphe 1, de cette directive, que celle-ci vise, par le biais d'une harmonisation des droits d'accises applicables aux huiles minérales, à mettre en œuvre la libre circulation des produits en cause et, ce faisant, à promouvoir le bon fonctionnement du marché intérieur. Or, selon une jurisprudence bien établie, les dérogations à de tels principes communautaires fondamentaux sont d'interprétation et d'application strictes (voir arrêt de la cour du 14 décembre 1962, Commission/Luxembourg et Belgique, 2-62 et 3-62, Rec. p. 813, et arrêt du Tribunal du 14 septembre 1995, Lefebvre e.a./Commission, T-571-93, Rec. p. II-2379, point 48). Contrairement à ce qu'affirme la Commission, il découle de cette jurisprudence que l'article 8, paragraphe 2, sous d), de la directive 92-81 est d'interprétation stricte.

62. En outre, le sixième considérant de la directive 92-81 énonce qu'"il y a lieu de permettre aux États membres d'appliquer, s'ils le souhaitent, certaines [...] exonérations ou taux réduits à l'intérieur de leur territoire, lorsque cela n'entraîne pas de distorsions de concurrence". Il ressort de ce considérant que l'ensemble de l'article 8, paragraphe 2, de la directive 92-81 et, par conséquent, également les termes "projets pilotes visant au développement technologique de produits moins polluants" figurant sous d), doivent être interprétés à la lumière des distorsions de concurrence que les mesures d'application de cette disposition sont susceptibles de créer.

63. À cet égard, il est constant que plus des activités de recherche et de développement réalisées par une entreprise, par exemple dans le domaine technologique, se rapprochent du stade de la mise sur le marché et, par conséquent, de l'exploitation commerciale des produits en cause, plus l'effet de ces activités est susceptible d'affecter la concurrence. Il est également constant que la réalisation de projets pilotes ou de démonstration constitue généralement le dernier stade du processus de recherche et de développement précédant la mise en œuvre industrielle à plus grande échelle des résultats desdites recherches (en ce sens, Encadrement communautaire des aides d'État à la recherche et au développement, JO 1996, C 45, p. 5, point 2.2 et annexe I).

64. Indépendamment de la question de savoir si l'encadrement communautaire des aides d'État à la recherche et au développement susvisé était applicable en l'espèce, la nécessité d'une application cohérente de l'ensemble de la législation communautaire implique que l'encadrement susmentionné constitue un élément dont le juge communautaire peut s'inspirer, parmi d'autres, en vue de déterminer la portée d'un concept utilisé dans un acte législatif communautaire.

65. Il convient de souligner, à cet égard, que l'importance de la question de la contiguïté entre la réalisation d'un projet pilote et l'application commerciale ultérieure des résultats de celui-ci n'a pas échappé à la Commission lors de l'adoption de la décision du 18 décembre 1996, dans laquelle cette institution a considéré à propos d'un régime antérieur, substantiellement comparable au régime litigieux, que "les remarques de la France confirment, par ailleurs, l'analyse de la Commission selon laquelle l'objectif et l'effet réel de la mesure ne sont pas la recherche fondamentale ou même appliquée, au sens de la directive [92-81], mais plutôt le développement de façon commerciale des usages non alimentaires et la mise en place d'une production plus importante de biocarburants basée sur les terres en retrait".

66. Il résulte de l'ensemble de ces considérations que la marge de manœuvre dont, selon les écrits de la Commission, les États membres doivent disposer dans l'application de la disposition litigieuse de la directive 92-81 risque de vider celle-ci de tout effet utile, excluant, de ce fait, la limitation inhérente à ces mesures dérogatoires aux règles harmonisées relatives aux droits d'accises. Or, la Commission devait interpréter les termes "projets pilotes visant au développement technologique de produits moins polluants" non seulement de façon textuelle et restrictive, mais également en portant une attention particulière à la proximité entre le programme d'exonération des droits d'accises faisant l'objet de son examen et son éventuelle application commerciale ultérieure.

67. Il convient, dès lors, d'examiner si l'application de l'article 8, paragraphe 2, sous d), de la directive 92-81 que la Commission a réalisée dans le cas d'espèce est compatible avec les principes qui viennent d'être énoncés.

68. À cet égard, il convient de relever, tout d'abord, que dans la décision attaquée (page 7), la Commission a considéré: "[...] les mesures [que les autorités françaises] ont prises jusqu'à présent en matière de promotion des biocarburants se sont limitées à étudier la possibilité technique de production de ceux-ci dans des unités pilotes et d'incorporation dans les carburants et combustibles mis en marché sur son territoire. À présent, il s'agit de démontrer la faisabilité économique des filières biocarburants et de parvenir à l'amélioration de leurs performances économiques." Dans cette même décision, elle relève par la suite (page 13) que, "sur [la] base des informations données par les autorités françaises, il apparaît qu'il s'agit de la mise en œuvre d'un programme limité de défiscalisation, visant à démontrer la faisabilité industrielle des filières biocarburants et à parvenir à l'amélioration de leurs performances économiques".

69. Il ressort donc expressément de la décision attaquée que le régime litigieux visait, en substance, non pas à démontrer la faisabilité technique ou technologique de la production de biocarburants, mais bien à évaluer les performances économiques et les capacités industrielles des installations de production de biocarburants existantes. La Commission était d'ailleurs déjà arrivée à ce même constat dans la décision du 18 décembre 1996. L'objectif inhérent au régime litigieux va donc bien au-delà de la réalisation d'un projet pilote visant au développement technologique de produits moins polluants, ainsi que l'exige l'article 8, paragraphe 2, sous d), de la directive 92-81, indépendamment de l'impact mesurable de ce régime en termes de parts de marché sur les marchés pertinents.

70. Il résulte de ces considérations que, en décidant que le régime litigieux, tel qu'il lui avait été notifié en tant que programme visant à démontrer la faisabilité économique et industrielle de la filière ETBE, devait être considéré comme un projet pilote visant au développement technologique de produits moins polluants, la Commission a violé l'article 8, paragraphe 2, sous d), de la directive 92-81.

71. Cette conclusion n'est pas infirmée par l'argument de la Commission tiré du caractère prétendument limité de l'impact du régime litigieux sur le marché. En effet, un tel impact, pour autant qu'il soit quantifiable avec précision, ne saurait transformer un projet visant, en substance, au développement économique et industriel des biocarburants en un projet visant au développement technologique de ceux-ci.

72. D'ailleurs, la décision attaquée n'est pas exempte d'équivoques en ce qui concerne l'analyse de la part de marché des entreprises produisant de l'ETBE. La Commission y indique, en effet, dans le cadre de l'appréciation du régime litigieux au regard de la directive 92-81: "Il apparaît de plus que ce programme a une portée limitée, les biocarburants ne représentant à présent en France qu'environ 0,5 % de la consommation de produits pétroliers et 0,8 % du marché des carburants."

73. Or, premièrement, il est précisé dans la décision attaquée (page 7): "Le secteur des biocarburants fait l'objet d'échanges et donc de concurrence entre les États membres. Bien évidemment, les biocarburants se trouvent en concurrence avec la plupart des carburants et des combustibles d'origine fossile. En particulier, l'ETBE se trouve en concurrence avec le [MTBE] obtenu à partir du méthanol qui est normalement produit à partir du gaz naturel, ce qui lui permet d'avoir des coûts de production inférieurs d'environ moitié à ceux de l'ETBE. Ces deux produits sont parfaitement substituables et servent à augmenter la teneur en octane de l'essence sans plomb." La République française a d'ailleurs, elle aussi, souligné dans son mémoire en intervention que le produit en concurrence directe avec l'ETBE était le MTBE. L'autorité de l'affirmation de la Commission, selon laquelle l'impact du régime litigieux sur le marché des carburants serait limité, doit donc être relativisée. En effet, l'appréciation de l'impact des mesures concernant la filière ETBE n'a pas été réalisée de façon conséquente tout au long de la décision attaquée, les marchés de référence aux fins de l'analyse des effets de la mise en œuvre du régime litigieux relativement à cette filière étant, une fois, le marché restreint des additifs à l'essence sans plomb (page 7 et, l'autre fois, un marché plus large incluant l'ensemble des carburants (page 13).

74. Deuxièmement, la Commission se limite, dans la décision attaquée, à constater les parts de marché actuelles des différentes filières de biocarburants, sans s'attacher à déterminer les parts de marché que celles-ci pourraient acquérir à la suite de la mise en pratique du régime litigieux, alors même que cette institution a reconnu à l'audience que ce régime était destiné à s'étendre.

75. La conclusion tirée au point 72 ci-dessus n'est pas non plus infirmée par le fait que, au-delà de l'objectif économique et industriel principal poursuivi par les autorités françaises, le régime litigieux comporte accessoirement quelques mesures d'accompagnement technique. Cela est d'autant plus vrai en raison du caractère général des mesures de suivi et des tests "complémentaires", mentionnés dans la décision attaquée. Ce type de mesures fait d'ailleurs partie inhérente de toute activité industrielle menée de façon professionnelle.

76. En tout état de cause, ni la Commission ni la partie intervenante n'ont allégué que le régime litigieux viserait principalement à promouvoir la réalisation de recherches technologiques relatives aux activités clés de la production d'ETBE ou de l'un de ses composants essentiels, tel que le bioéthanol. L'avis d'appel à candidatures publié au Journal officiel, les actes et projets d'actes réglementaires français relatifs au régime litigieux, le document de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) concernant le programme Altener, produit par la partie intervenante, et le livre blanc établissant une stratégie et un plan d'action communautaires visant à améliorer la pénétration des biocarburants sur le marché, invoqué par la Commission, ne font d'ailleurs nullement ressortir que le régime litigieux viserait un quelconque objectif de développement technologique de ces produits. Ces documents accentuent, au contraire, l'aspect industriel et l'importance économique de ce régime et des autres programmes similaires visant à améliorer la pénétration des biocarburants sur le marché.

77. Le programme Altener et le livre blanc, précités, auxquels se réfèrent la partie intervenante et la Commission, pourraient d'ailleurs tout au plus confirmer le fait que le régime litigieux s'inscrit dans la politique de la Communauté visant à promouvoir les ressources renouvelables, sans pour autant démontrer que ce régime répond aux exigences posées par l'article 8, paragraphe 2, sous d), de la directive 92-81, telles qu'elles ont été interprétées ci-dessus.

78. Il convient de relever, enfin, que rien ne s'opposerait à ce que des régimes de défiscalisation en faveur d'une meilleure pénétration des biocarburants sur le marché, tel celui qui fait l'objet de la présente affaire, soient mis en place conformément au programme Altener, tout en répondant aux exigences posées par la directive 92-81, puisque de tels régimes peuvent faire l'objet d'une décision du Conseil prise en application de l'article 8, paragraphe 4, de la directive 92-81. De nombreux programmes des États membres visant à promouvoir l'utilisation de combustibles plus respectueux de l'environnement ont d'ailleurs été approuvés par le Conseil conformément à cette disposition, ainsi qu'il ressort des réponses fournies par la Commission aux questions écrites posées par le Tribunal et des déclarations du représentant de celle-ci à l'audience.

79. Il convient de souligner à ce stade que, même si la Commission devait être amenée à estimer que les mesures projetées ne sont pas en tant que telles incompatibles avec le Marché commun au sens de l'article 92 du traité, de telles constatations ne lui permettraient pas pour autant de s'abstenir de soulever des objections contre le régime notifié et de méconnaître, de ce fait, l'article 8, paragraphe 2, sous d), de la directive 92-81.

80. Il résulte de ce qui précède que, en adoptant la décision attaquée, en ce qu'elle porte sur les mesures du régime litigieux concernant la filière ETBE, la Commission a excédé les pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 93, paragraphe 3, du traité. Dans cette mesure, la décision attaquée doit donc être annulée.

81. Dans ces circonstances, il n'y a plus lieu de statuer sur les autres moyens soulevés par la requérante. Dès lors, la demande de production de documents, visée ci-dessus au point 25, n'est pas utile à la solution du litige et doit, par conséquent, être rejetée.

Sur les dépens

82. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés par la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

83. En vertu de l'article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus à un litige supportent leurs dépens. Il s'ensuit que la République française supportera ses propres dépens. Elle supportera, par ailleurs, les dépens exposés par la requérante en raison de son intervention.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

Déclare et arrête:

1) Le recours, dirigé contre la décision de la Commission du 9 avril 1997 [SG(97) D-3266] relative à un régime d'aides aux biocarburants français, en ce que cette décision porte sur les mesures applicables à la filière esters, est rejeté comme irrecevable.

2) La décision attaquée, en ce qu'elle porte sur les mesures concernant la filière ETBE, est annulée.

3) La Commission est condamnée aux dépens exposés par la requérante.

4) La République française supportera ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par la requérante en raison de son intervention.