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Décisions

Cass. crim., 4 décembre 1968, n° 68-90.481

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rolland

Rapporteur :

M. Costa

Avocat général :

M. Barc

Avocat :

Me Ryziger.

Rennes, ch. corr., du 15 janv. 1968

15 janvier 1968

LA COUR: - Vu le mémoire produit; - Sur les deux moyens de cassation réunis et pris, le premier: de la violation de l'article 37-1° C de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945, 593 du Code de procédure pénale, "en ce que la cour d'appel, saisie par le demandeur de conclusions par lesquelles il faisait valoir qu'il ne saurait être condamné pour infractions aux dispositions de l'article 37-1° C de l'ordonnance du 30 juin 1945 car il n'avait jamais été soutenu et encore moins établi qu'il ait subordonné la vente d'un produit déterminé à l'achat d'un autre produit ni imposé une autre condition quelconque, et que s'il avait fait confectionner des lots plus avantageux pour les clients, il ne résultait d'aucune déclaration, ni d'aucun élément du dossier qu'il ait imposé à un acheteur, soit l'achat d'autres produits, soit l'achat du même produit en qualité supérieure à celle envisagée par l'acheteur, et ce par un refus de vente de produit déterminé, et que la cour a totalement omis de se prononcer sur ce moyen de défense, arrêt se contentant d'affirmer que les lots mis en vente auraient été créés par le seul D qui les aurait remis à chaque courtier, lesquels n'auraient pas eu la faculté de les détailler; "alors, d'une part, que les juges du fond ont le devoir de répondre à toutes les conclusions des parties; "alors, d'autre part, que les motifs de la décision attaquée n'établissent pas qu'un seul acheteur ait demandé à pouvoir acheter un ou plusieurs produits séparément et que ceci lui ait été refusé; "alors, enfin, que la tentative du délit prévu à l'article 37-1° C de l'ordonnance du 30 juin 1945 n'est pas réprimée, et que le fait de confectionner à l'avance des lots de marchandises proposées ensemble constituerait tout simplement une tentative du délit prévu à l'article 37-1° C s'il n'est pas établi qu'un quelconque acheteur ait voulu acheter un seul produit figurant dans les lots";

Le second: de la violation des articles 33 et 37-5° de l'ordonnance 1483 du 30 juin 1945, de l'article 56 de l'ordonnance 1484 du 30 juin 1945, 593 du Code de procédure pénale, "en ce que le demandeur ayant fait valoir dans des conclusions longuement motivées qu'il ne pouvait être responsable de ses courtiers qui étaient de véritables agents commerciaux car ceux-ci avaient toute liberté pour organiser à leur gré en toute indépendance leur profession, n'avaient aucune instruction à recevoir de sa part et n'étaient pas unis à lui par un lien de subordination, la décision attaquée a cependant déclaré le demandeur pénalement responsable desdits courtiers et des infractions commises par ceux-ci qui n'auraient pas remis aux clients de documents répondant aux prescriptions de l'arrêté ministériel du 8 juillet 1955 et n'auraient pas marqué le prix des produits, et ceci par le seul motif que, sous le couvert d'un contrat qualifié de mandat, les courtiers procédaient en fait, aux ventes incriminées sous la seule direction et conformément aux instructions précises de D directeur de l'entreprise et pour son propre compte; "alors que de tels motifs ne répondent pas aux conclusions du demandeur fondées sur le strict respect des contrats passes entre lui et les courtiers libres qu'il employait";

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que D, co-gérant dirigeant effectivement la société en nom collectif "X" (X) a fait vendre de porte à porte, par des courtiers, des colis composés d'une valise contenant une "coupe costume", une "coupe ensemble dame", une couverture écossaise, six gants assortis, six mouchoirs, un service de table, six serviettes éponges pour un prix global de 399 F à crédit, l'acheteur versant, à titre d'acompte, une somme de 100 F correspondant à la commission du courtier; - qu'il était ajouté que le client pourrait faire confectionner à très bas prix la "coupe costume" par un façonnier désigné par X; - que D a été poursuivi: 1° pour non-remise à tout demandeur du barème prévu par la réglementation des ventes à crédit; 2° pour non-remise à l'acheteur bénéficiaire du crédit d'une attestation ou facture mentionnant les clauses de l'opération; 3° pour non-étiquetage ou marquage des marchandises détenues en vue de la vente au détail; 4° pour avoir subordonné la vente d'un produit à l'achat concomitant d'autres produits ou à l'achat d'une quantité imposée; 5° pour avoir effectué de mauvaise foi une publicité comportant des allégations fausses ou induisant en erreur et portant sur les motifs ou les procédés de vente;

Attendu que la cour d'appel a relaxé D sur ce cinquième chef d'inculpation mais l'a déclaré coupable sur les quatre autres; - que, pour retenir sa culpabilité personnelle, elle constate que la préparation des colis s'effectuait à Rennes au siège de X sous le contrôle de D; - que, sous le couvert d'un contrat qualifié de mandat, les courtiers procédaient en fait aux ventes incriminées sous la seule direction et conformément aux instructions précises de D, directeur de l'entreprise, et pour son propre compte; - que les lots mis en vente, créés et remis par le seul D à chaque courtier, ne pouvaient être détaillés par ce dernier, sa commission étant fixée uniformément à 100 F par lot; - que les cartes publicitaires, les formules, imprimées en caractères de grosseurs variables, des contrats de vente, à en-tête de X, avec adresse et numéro de téléphone, ne comportaient pas le nom du courtier; - que ces documents étaient l'œuvre de D, qui, après signature des contrats, suivait l'échelonnement des échéances qui devaient être réglées par mandats postaux au nom de X; - que D adressait les rappels aux clients défaillants et créditait ou débitait le compte "matelas" de ses démarcheurs suivant les rentrées ou les impayés;

Attendu que la cour a ainsi répondu aux conclusions par lesquelles D soutenait qu'il ne pouvait être responsable de ses courtiers, qui étaient, selon lui, de véritables agents commerciaux échappant à tout lien de subordination à son égard; - que c'est à bon droit que l'arrêt attaqué a fait application de l'article 56, alinéa 1er, de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945, aux termes duquel "sont passibles des peines et sanctions prévues à la présente ordonnance tous ceux qui, charges à un titre quelconque de la direction ou de l'administration de toute entreprise, établissement, société, association ou collectivité, ont, soit contrevenu par un acte personnel, soit, en tant que commettant, laisse contrevenir par toute personne relevant de leur autorité ou de leur contrôle aux dispositions de la présente ordonnance"; - qu'en effet, cet alinéa s'applique dès lors que, comme en l'espèce, il est établi qu'en fait le gérant d'une société est intervenu par des actes personnels, et que ses démarcheurs ont agi sous son autorité ou son contrôle, quelles que soient les clauses juridiques du contrat les liant à la société, celle-ci ayant pris, dans la réalité, à leur égard, pour l'exécution des actes incriminés, la qualité de commettant;

Attendu que sur le fond la déclaration de culpabilité sur le deuxième chef d'inculpation prévu par l'article 37-5° de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 n'est pas critiquée par les moyens, qu'elle est fondée, et qu'ainsi la condamnation serait justifiée au besoin de ce seul fait;

Mais attendu que c'est également à bon droit que l'arrêt attaqué a déclaré D coupable d'infraction à l'article 37-1° C de l'ordonnance précitée, qui assimile à la pratique de prix illicites le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan, sous réserve qu'elle ne soit pas soumise à une réglementation spéciale, de subordonner la vente d'un produit ou la prestation d'un service quelconque soit à l'achat concomitant d'autres produits, soit à l'achat d'une quantité imposée, soit à la prestation d'un autre service;- qu'en effet, la cour d'appel, à l'appui de sa décision sur ce point, constate que le procédé de vente employé consistait, grâce à une série d'opérations décrites par l'arrêt, à faire croire au client, en insistant sur les clauses imprimées en gros caractères sur le contrat, que la somme globale de 399 F représentait la valeur de la seule "coupe costume" et que les autres articles constituaient des cadeaux;- que ce n'était qu'après avoir signe ledit contrat, et le plus souvent après le départ du courtier, que l'acheteur s'apercevait, s'il lisait de façon plus approfondie les clauses imprimées en plus petits caractères, qu'aucun cadeau ne lui avait été consenti, que la "coupe costume" n'était facturée que 169 F, le reste de la somme étant constitué par la facturation de chacun des autres articles, pour lesquels l'acheteur se trouvait lié par une vente ferme;- qu'ainsi tous les éléments constitutifs de l'infraction à l'article 37-1° C précité se trouvent réunis en l'espèce, et que la cour d'appel a implicitement mais nécessairement répondu aux conclusions du demandeur en tant que celles-ci soutenaient à tort que le délit ne peut être commis que si, le client ayant demande à n'acheter qu'une partie du lot, le vendeur lui a refusé cette vente partielle; - qu'en effet, il suffit qu'en fait, comme en l'espèce, le client, trompe sur la nature réelle de l'opération qu'on lui présente, ne soit pas mis en mesure de refuser l'achat de certains articles composant le lot; d'où il suit que les moyens ne sont pas fondés;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette le pourvoi.