Livv
Décisions

CA Riom, ch. com., 18 mars 1998, n° 83-98

RIOM

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Manufacture de Chaussures de Moulins (SA), Lafont (ès qual.), Glabel L'Association Moulins Centre de Vie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bardel

Conseillers :

MM. Despierres, Legras

Avoués :

Mes Lecocq, Mottet

Avocats :

Mes Buisson, Gontard.

CA Riom n° 83-98

18 mars 1998

Exposé du litige :

En octobre 1997 l'Association Moulins Centre de Vie, regroupant des commerçants, artisans et prestataires de services de la ville de Moulins, faisait procéder par huissier à la constatation que la SA Manufacture de Chaussures de Moulins commercialisait directement au public, dans son magasin d'usine de la rue Henri-Barbusse à Moulins, des chaussures de femme des marques Séducta et Bally non fabriqués sur le site.

Par assignation à jour fixe du 4 novembre 1997 l'Association Moulins Centre de Vie demandait la condamnation sous astreinte de la SA Manufacture de Chaussures de Moulins à devoir se mettre en conformité avec les dispositions de l'article 30 de la loi du 5 juillet 1996 et sa condamnation à lui payer 20 000 F de dommages-intérêts et 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Par jugement du 11 décembre 1997 le tribunal :

- a ordonné la fermeture du magasin d'usine de la MCM jusqu'à sa régularisation au RCS à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 1 000 F par jour de retard ;

- a dit que l'activité du magasin d'usine de la MCM devait être exercée en conformité avec les dispositions de la loi du 5 juillet 1996 et qu'elle devait notamment :

- retirer toute publicité et appels extérieurs tendant à indiquer que le magasin d'usine propose à la vente des produits arrivant de l'extérieur de l'entreprise locale ;

- ne plus proposer à la vente dans ce magasin que la partie de la production MCM non écoulée dans le circuit de distribution et faisant l'objet de retour ;

- indiquer ses conditions de vente par un affichage clair faisant de ce que ces ventes directes concernent exclusivement les productions de la saison antérieure de commercialisation, justifiant ainsi une vente à prix minoré ;

- a dit que la SA Manufacture de Chaussures de Moulins devra respecter ces obligations sous astreinte définitive de 1 000 F par jour de retard à compter de la signification du jugement ;

- l'a condamnée à payer à l'Association Moulins Cadre de Vie 7 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La SA Manufacture de Chaussures de Moulins a interjeté appel le 22 décembre 1997 de ce jugement et ce, du fait de l'ouverture à son encontre d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Moulins du 3 février 1998, Mes Lafont Gladel, co-administrateurs judiciaires, interviennent volontairement à la procédure.

A titre principal, ils concluent à la nullité du jugement déféré signifié le 16 décembre 1997 dans la mesure où il ne comporte ni la signature du président ni celle du greffier.

Subsidiairement, ils concluent à la réformation en faisant valoir :

- que le jugement n'est pas motivé, fait référence à la loi Royer du 27 décembre 1993 avant d'appliquer la loi du 5 juillet 1996 et statue ultra petit a en ordonnant la fermeture du magasin qui ne lui était pas demandée ;

- que le magasin d'usine entre dans le cadre des exigences légales, répondant aux trois critères déterminants résultant de l'article 30 de la loi du 5 juillet 1996 ;

- que la SA MCM répond bien au premier critère dès lors que, par le terme " producteur ", il faut entendre non seulement le fabricant lui-même mais encore son mandataire, son dépositaire ou une société qui lui est apparentée, interprétation confirmée par un compte-rendu de la DDCCRF de Troyes du 24 avril 1997, le souci du législateur ayant été d'exclure des ventes directes au consommateur les intermédiaires ; or elle est dépositaire des chaussures Séducta proposée à la vente à un prix similaire à celui pratiqué par Charles Jourdan dans ses propres magasins d'usine et est rémunérée sous forme de commissions et non sur la marge ; quant aux articles Bally femme proposés à la vente, ils sont fabriqués par la SA Bally Villeurbanne, filiale de Bally France laquelle détient 48,99 % de son capital : elle est donc fondée à vendre les produits fabriqués par une société sour ;

- que les produits proposés à la vente répondent au second critère, ne concernant que les articles non proposés à la vente précédemment et les retours de collection, le législateur ayant entendu exclure de la vente en magasins d'usine les produits se trouvant à la même période chez les détaillants : ils proviennent en totalité des stocks non écoulés des saisons antérieures des sociétés Charles Jourdan et Bally Villeurbanne ;

- qu'il est justifié du troisième critère, soit la pratique de prix minorés dont le consommateur est informé par les publicités dans la presse que par l'affichage en magasin ;

- que, sur les infractions prétendues à la loi du 27 décembre 1973 et aux décrets d'application, l'activité de vente au détail de la SA MCM est mentionnée dans ses statuts et la régularisation au Registre du Commerce a été effectuée en cours de procédure ;

- que, sur la demande en dommages-intérêts de l'intimée, il n'est justifié d'aucun préjudice particulier telle une baisse de chiffre d'affaires de ses adhérents consécutive aux ventes reprochées.

Ils concluent donc au débouté de l'Association Moulins Centre de Vie de toutes ses prétentions et à sa condamnation à leur payer 15 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

L'Association Moulins Centre de Vie, intimée, conclut à la confirmation intégrale du jugement et à la condamnation de la SA Manufacture de Chaussures de Moulins à 7 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Elle répond :

- que, si l'expédition du jugement signifié le 16 décembre 1997 n'était pas signée, il apparaît que l'original est bien revêtu des deux signatures requises par l'article 456 du NCPC ; les prescriptions légales ont bien été observées et il n'y a pas nullité ; au demeurant la cour pouvait en tout état de cause évoquer ;

- que le tribunal, en prononçant la fermeture du magasin, certes non demandée, en application du décret 74-429 du 15 mai 1974 d'application de la loi Royer n'a fait qu'assumer le respect de la réglementation ;

- que la SA MCM ne respecte, dans son magasin d'usine, aucun des critères dégagés par l'article 30 de la loi du 5 juillet 1996 ;

- qu'elle ne produit pas les chaussures femme qu'elle y vend : s'agissant des chaussures Bally et à supposer que l'avis, cité par l'appelante, de la DDCCRF de Troyes puisse être adopté, elle n'est pas une filiale appartenant majoritairement au fabricant Bally France ; s'agissant des chaussures Séducta et toujours sous réserve de l'interprétation extensive de la DDCCRF, l'appelante ne produit aucun contrat justifiant sa qualité de dépositaire ;

- qu'elle ne justifie pas davantage du respect du second critère concernant la provenance des produits proposés à la vente, justification imposée par l'article 14 du décret 96-1097 du 16 décembre 1996 ;

- que toute vente à prix minoré est dès lors interdite dans le cadre du magasin d'usine.

Par ordonnance de référé du 15 janvier 1998 Monsieur le Premier Président a constaté que le jugement ne pouvait être exécuté.

Motifs et décision :

Attendu, sur la nullité prétendue du jugement déféré, qu'une copie certifiée conforme de ce jugement a été adressée à la cour par le Greffe du Tribunal de commerce de Moulins le 24 février 1998 ; que connaissance en a régulièrement été donnée aux parties ;

Que cette grosse de jugement porte la signature du Président de la juridiction ayant fait partie de la composition de jugement et celle du greffier ;

Qu'il apparaît bien par conséquent que l'exigence de l'article 456 du NCPC a été respectée, les mentions dont il est contesté qu'elles aient été portées sur la minute faisant foi jusqu'à inscription de faux ;

Que l'appelante doit donc être déboutée de sa demande principale ;

Attendu d'autre part qu'il n'est tiré aucune conséquence du moyen tiré de l'absence de motivation, lequel ne peut d'ailleurs prospérer dès lors que la motivation, même succincte, n'est pas inexistante ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que l'infraction aux dispositions de l'article 1er du décret 74-429 du 15 mai 1974 d'application de la loi Royer du 27 décembre 1973 (défaut de mention distincte au Registre du Commerce et des Sociétés) que les premiers juges avaient cru pouvoir relever pour ordonner la fermeture du magasin d'usine a fait l'objet de régularisation de sorte que cette question ne fait pas débat et qu'il n'y aura pas lieu de confirmer cette disposition ;

Attendu qu'il ressort de ses écritures mêmes que l'appelante admet ne pas être productrice de la totalité des articles vendus dans son magasin d'usine, ceux visés en l'espèce étant les chaussures femme des marques Bally et Séducta ;

que la formulation de l'article 30 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996, qui définit très précisément le magasin d'usine et qui est ainsi rédigée :

" la dénomination de magasin ou de dépôt d'usine ne pourra être utilisée que par les producteurs vendant directement au public la partie de leur production non écoulée dans le circuit de distribution ou faisant l'objet de retour. Ces ventes directes concernent exclusivement les productions de la saison antérieure de commercialisation, justifiant ainsi une vente à prix minoré ", ne laisse place, en fait, à aucune interprétation ;

Que la méconnaissance de ces dispositions étant d'ailleurs constitutive d'un délit pénal, elles ne peuvent faire l'objet que d'une interprétation stricte ;

Que la notion de vente directe au public par les seuls producteurs d'une partie de leur production exclut à priori la vente d'articles ne provenant pas de leur propre production ;

Que rien ne permet d'étendre cette qualification, que le législateur a visiblement voulu restrictive s'agissant d'un régime dérogatoire aux règles normales de la concurrence, à des productions émanant d'autres entités tels que des déposants ou des sociétés sours ;

Qu'au demeurant l'appelante ne justifie pas de l'existence d'un contrat de dépôt-vente la liant à la société Charles Jourdan titulaire de la marque Séducta, la preuve ne pouvant résulter d'une facture émanant d'elle même ;

Qu'il n'apparaît pas non plus que l'appelante soit une filiale de la société Bally Villeurbanne, fabricant des chaussures femme de la marque Bally vendues dans le magasin d'usine ;

Attendu ainsi que le première critère cité par les parties comme résultant de l'article 30 n'est à l'évidence pas respecté en l'espèce ;

Que le second critère, définissant la partie de la production pouvant faire l'objet de la vente directe, est d'appréciation surabondante dès lors que le premier n'est pas respecté ;

Qu'il peut néanmoins être relevé que l'appelante ne justifie par aucune pièce que les articles vendus dans son magasin d'usine proviennent exclusivement de la production non écoulée ou retournée de la saison de commercialisation antérieure à celle considérée alors qu'il résulte de l'article 14 du décret n° 96-1097 d'application de la loi du 5 juillet 1996 que tout producteur vendant directement au public une partie de sa production sous la dénomination de magasin d'usine doit tenir à la disposition de l'administration les pièces justifiant de l'origine et de la date de fabrication des produits faisant l'objet de cette vente directe, de sorte que le second critère ne serait pas davantage rempli ;

Attendu ainsi qu'en dehors de celle relative à la fermeture du magasin, les dispositions du jugement déféré, consistant ni plus ni moins en un rappel de celles de l'article 30 de la loi du 5 juillet 1996 applicables au magasin d'usine de la SA Manufacture de Chaussures de Moulins, peuvent être confirmées ;

Attendu toutefois que la disposition relative à l'astreinte doit être modifiée d'une part en ce que l'astreinte prononcée ne peut être que provisoire, par application de l'article 34 alinéa 3 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, d'autre part en ce qu'elle doit s'appliquer à toute infraction constatée ;

Qu'il convient également de dire qu'elle s'appliquera un mois après la signification du présent arrêt ;

Attendu que l'intimée ne reprend pas devant la cour sa demande en dommages-intérêts sur laquelle le tribunal avait omis de statuer dans son dispositif ;

Attendu enfin que l'équité ne commande pas de faire application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du NCPC, l'Association Moulins Centre de Vie étant déboutée de sa demande à ce titre.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; Dit que la procédure ouverte sous le n° 82/98 sera jointe à la présente ; Déboute la SA Manufactures de Chaussures de Moulins, Me Lafont et Me Gladel de leur demande en nullité du jugement déféré ; Réforme le jugement en ce qu'il a ordonné la fermeture du magasin d'usine de la SA Manufacture de Chaussures de Moulins et en ce qu'il a condamné celle-ci sur le fondement de l'article 700 du NCPC ; Confirme pour le surplus mais, modifiant toutefois : + Dit que l'astreinte prononcée est une astreinte provisoire de 1 000 F par infraction prononcée devant s'appliquer un mois après la signification du présent arrêt ; Déboute les parties de leurs demandes contraires et plus amples et notamment l'Association Moulins Centre de Vie de sa demande sur le fondement de l'article 700 du NCPC ; Condamne la SA Manufacture de Chaussures de Moulins aux dépens d'appel et autorise Me Mottet, avoué, à recouvrer ceux dont elle aurait pu faire l'avance sans en avoir reçu provision.