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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 2 novembre 1998, n° 98-00102

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Avocat général :

M. Blanc

Conseillers :

MM. Paris, Zamponi

Avocat :

Me Goldmine.

TGI Paris, 31e ch., du 1er oct. 1997

1 octobre 1997

Rappel de la procédure:

La prévention:

P Bernard est poursuivi pour avoir à Paris et sur le territoire national, courant 1992 et jusqu'en février 1993 : trompé le contractant sur les qualités substantielles d'une marchandise, l'aptitude à l'emploi les risques inhérents à son utilisation et les contrôles effectués en mettant sur le marché un jouet dénommé X, référence n° 5571 ,dont l'emballage portait abusivement la mention CE et ne comportait pas de mention de la nature du courant suffisamment lisible dont les piles s'échauffaient de manière excessive et dangereuse durant son fonctionnement, dont le boîtier des piles s'ouvraient trop facilement et permettant de réaliser aisément un court-circuit, et avec cette circonstance que la tromperie a eu pour conséquence de rendre l'utilisation de la marchandise dangereuse pour la santé de l'homme.

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a:

déclaré P Bernard:

coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise,

faits commis courant 1992 à février 1993, à Paris et sur le territoire national,

infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 du Code de la consommation, Décret du 12 septembre 1989.

et, en application de cet article,

A déclaré Bernard P non coupable et le relaxe des fins de la poursuite.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

M. le Procureur de la République, le 7 octobre 1997 contre Monsieur P Bernard

Décision:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel relevé par le seul Ministère public

à l'encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé de la prévention;

Monsieur l'Avocat général requiert, par infirmation, la condamnation du prévenu, sur déclaration de culpabilité; il fait observer que le test Albury était insuffisant et qu'il appartenait à Bernard P de procéder à des vérifications supplémentaires, il note, à cet égard, que le test Albury est arrivé postérieurement au contrôle de la DGCCRF;

Assisté de son conseil, Bernard P sollicite la confirmation du jugement dont appel qui l'a renvoyé des faits de la poursuite; il fait valoir, essentiellement, que le test Albury était fiable à 100 % ce que la DGCCRF a fini par reconnaître; il note, également, que les tests du laboratoire français divergent quant aux résultats obtenus;

Considérant qu'il convient de rappeler que la société Y dont le dirigeant à l'époque Bernard P, a acquis auprès de la société britannique W, en 24 lots, d'avril à novembre 1992, 46 008 jouets à piles dénommés X" fabriqués en chine par la société Z: que ces articles destinés à la commercialisation en Europe, étaient stockés dans l'entrepôt de la société Y à Saint-Ouen-l'Aumône: qu'il en restait 2 450 exemplaires lors du contrôle effectué par le DGCCRF le 26 février 1993 à 10 H en présence d'un responsable de la société Stock Service, gestionnaire de l'entrepôt.

Considérant que les trois échantillons prélevés par les fonctionnaires du service de la répression des Fraudes ont fait l'objet d'un examen par le laboratoire interrégional de Massy, puis, à la demande du prévenu, d'une expertise effectuée conjointement par le laboratoire Acts et par M. Gillet, expert.

Considérant que les deux rapports concluent à la non-conformité du jouet à la norme française C 73-622 sur la sécurité électrique et à son caractère dangereux; qu'en effet, une fois ouvert le boîtier des piles, il était facile de réaliser avec une tige métallique un court-circuit entre les parties de polarités différentes, les piles étant disposées tête-bêche; que ce vice de construction rendait le jouet non conforme aux points 22-53 ou 22-57 de la norme; qu'il avait pour effet un échauffement de la surface des piles incompatibles avec les points 11-7 et 8 de la norme puisque, pour un maximum autorisé de 25°C, l'échauffement constaté par le laboratoire Acts atteignait 88°C et que le laboratoire de Massy a relevé 47°C, étant précisé que cette mesure a été effectuée au cours de l'évolution d'une réaction qui s'est achevée par la projection de gaz et de liquide électrolytique à une température bien supérieure.

Considérant que les deux rapports divergent, au contraire, sur la conformité du marquage électrique, le laboratoire de Massy l'estimant incomplet en ce qui concerne la notice d'utilisation et absent en ce qui concerne le jouet lui-même ou son emballage immédiat; que le laboratoire Acts et M. Gillet ont constaté la présence des mentions requises, tant sur la notice que sur l'emballage immédiat du jouet, estimant toutefois que la disposition du symbole "courant continu' ne permettait pas de la reconnaître très distinctement; qu'en effet ce symbole, représenté par une ligne continue doublée d'une ligne brisée, est placé sous les chiffres des tension et puissance nominales, à l'intérieur d'un rectangle, et peut être confondu avec un trait soulignant ces deux mentions, que toutefois c'est sur cette seule particularité de présentation que se fonde l'expert pour estimer l'échantillon non conforme au point 7-6 de la norme, toutes les mentions requises ayant bien été apposées.

Considérant qu'il est reproché à Bernard P d'avoir, en qualité de premier introducteur sur le marché français, mis en circulation des jouets portant abusivement la mention" CE3 alors qu'ils n'étaient pas conformes à la norme française C 73-622 correspondant à la norme européenne BD 271 et présentaient un danger pour l'utilisateur.

Considérant que le prévenu conclut à sa relaxe aux motifs qu'il a respecté les obligations qui auraient pu lui incomber en qualité d'importateur et s'est assuré de la conformité de ses produits aux prescriptions relatives à la sécurité des personnes et à la protection des consommateurs, qu' il a en effet reçu de son vendeur, la société W, communication des résultats de tests de conformité aux normes européennes que celle-ci à fait passer au jouet litigieux auprès du laboratoire anglais Albury, agrée pour la délivrance d'attestations de conformité "CE de type". que le caractère théorique du risque est confirmé par l'absence de tout accident signalé dû à un court-circuit, alors que le jouet est considéré comme conforme aux normes et distribué dans toute la Communauté européenne à l'exception de la France.

Considérant que la réglementation française et européenne destinée à garantir la sécurité des personnes et la protection des consommateurs a, fort heureusement, un caractère préventif, qu'elle vise à prévoir et empêcher la survenance d'accidents résultant de risques inhérents à la conception ou à l'utilisation des produits, ces risques fussent-ils statistiquement limités, que l'absence de tout court-circuit survenu à ce jour ne saurait, par conséquent, suffire à exonérer le prévenu de toute responsabilité.

Considérant que, pour justifier des vérifications effectuées sur ses instructions par son responsable technique, Bernard P a produit, à la demande de la DGCCRF, les certificats de conformité établis par le laboratoire anglais Albury après des tests effectués en septembre 1991 et portant sur la conformité aux normes européennes en matière de sécurité mécanique, physique et chimique du jouet, pièces annexées au procès verbal clos le 25 janvier 1994; qu'un troisième certificat de conformité, portant cette fois sur la sécurité électrique et délivré par le même laboratoire en mars 1992, a été communiqué au magistrat instructeur après le dernier interrogatoire de Bernard P en septembre 1996; que d'après la défense, ce document aurait été produit aux fonctionnaires de la DGCCRF en même temps que les deux autres bien qu'il n'en soit fait aucune mention au dossier avant l'interrogatoire de septembre 1996, et vraisemblablement égaré.

Considérant que, si le laconisme du rapport du laboratoire anglais ne permet pas de comprendre la discordance de ses résultats avec ceux des laboratoires français celle-ci ne présente aucun caractère forfuit; qu'elle est expliquée dans les écritures de la défense et fort bien analysée dans une note diffusée le 28 septembre 1996 par M. Brunel, sous directeur à la DGCCRF, qu'en effet, si les exigences de la norme française C 73-622 (points 22-53 et 22-57) sont identiques à celles de la norme européenne BD 271 , de nombreux laboratoires agrées pour délivrer des attestations "CE de type" adoptaient, sur le protocole à suivre pour le passage des tests celle du laboratoire national d'essais de Massy; que les essais de court-circuit prévus aux points 22-53 et 22-57 ne pouvant s'effectuer que dans le compartiment des piles, boîtier ouvert, ces laboratoires considéraient qu'ils ne se justifiaient pas si le compartiment des piles ne pouvaient être facilement ouvert et s'il satisfaisait aux exigences de résistance mécanique prévues par le point précédent, que la conformité admise par le laboratoire Albury et refusée par les laboratoires français ne s'explique donc pas par des résultats différents quant à l'échauffement des piles à la suite d'un court-circuit, ce qui serait incompréhensible, mais que ce test n'a pas été effectué dès lors qu'il était nécessaire d'effectuer au moins deux manœuvres pour ouvrir le boîtier.

Considérant qu'il résulte des constatations du laboratoire interrégional de Massy que le boîtier des piles est fermé par un couvercle qui s'ouvre par 2 manœuvres successives, le rapport d'expertise contradictoire mentionnant quant à lui ce qui n'est pas compatible: "le boîtier contenant les piles s'ouvre facilement permettant un accès aisé aux piles".

Considérant que, même si l'on exclut que le certificat de conformité aux normes électriques ait été remis avec les autres et égaré comme le soutient la défense, sa production tardive ne suffit pas à établir sa fausseté, que le prévenu a indiqué, à l'audience, qu'il ne s'était, pas étonné de voir que la DGCCRF n'accordait pas la même valeur que lui au certificat du laboratoire Albury, connaissant la divergence d'interprétation entre elle et les laboratoires étrangers, et qu'il n'avait donc pas attribué une importance déterminante à cette pièce au cours de l'enquête; qu'en cas de suspicion sur l'authenticité du document il était aisé au magistrat instructeur d'en demander confirmation auprès du laboratoire lui-même, lequel est situé sur ce territoire du Royaume-Uni et non dans un quelconque état extrême oriental, que cette diligence n'ayant pas été effectuée, ni requise par la Ministère public, rien ne permet d'écarter ladite pièce du dossier.

Considérant que la cour observe que si le prévenu a introduit sur le marché français un matériel dangereux et non conforme à la norme européenne selon les experts français, il n'était pas tenu- alors qu'il était en possession d'un certificat de conformité "CE de type" établi par un laboratoire agrée situé sur le territoire de la Communauté européenne, en vue de l'introduction simultané sur l'ensemble de ladite Communauté, dans le cadre du marché unique, d'un produit acquis auprès d'une entreprise ressortissante d'un des Etats membres- de faire procéder à de nouveaux essais de laboratoire sur le sol français, que le laboratoire Albury ayant procédé aux tests de sécurité électrique en mars 1992, soit au cours du mois précèdent la première facture, il ne saurait davantage être reproché au prévenu d'avoir omis de renouveler les vérifications et de contrôler périodiquement la conformité du produit à l'échantillon soumis aux essais, les livraisons s'étant effectuées de manière continu et sur quelques mois seulement.

Considérant ,dès lors, qu'il ne peut être reproché à Bernard P de s'être contenté d'un certificat de conformité sommaire sans exiger le résultat détaillé des essais auxquels il se référait; que si l'on peut exiger des professionnels une bonne connaissance générale des produits qu'ils vendent, les laboratoires d'essais agréés sont précisément destinés à garantir la sécurité des utilisateurs par des vérifications fines, exigeant un matériel et une technicité particulières; qu'on ne saurait exiger du fabricant ni du vendeur, tenus de se soumettre à leurs conclusions lorsqu'elles sont négatives, qu'ils les soumettent à un examen critique lorsqu'elles sont favorables.

Qu'il apparaît dans ces conditions, que le prévenu ne saurait être taxé de mauvaise foi, de négligence ou d'imprudence, qu'il a effectué les vérifications et contrôles qui pouvaient être exigés de lui au regard de la réglementation alors en vigueur, qu'il y a lieu en conséquence, de confirmer le jugement dont appel qui l'a renvoyé des fins de la poursuite.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement sur le seul appel du Ministère public; Confirme le jugement dont appel qui a renvoyé Bernard P des fins de la poursuite.