Livv
Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 26 avril 2001, n° 01-00706

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Nissan France (SA)

Défendeur :

RN7 Automobiles (Sté), Ehano (SARL), EFA Garage (Sté), Garage Hartog (SARL), Isa (SA), SE Gorodo Le Clezio (SA), Esa (SA), Auto Fun (Sté), Fittante (SA), Autostyl (SA), A Moquette (SA) Policar Automobiles (SA), Garage Leberon (SARL), Autolys (Sté), Sud Auto (Sté), Salus Etablissements (SA), Lesueur et Compagnie (SA), Cosperec, Nord Vaucluse Autos (Sté), Garage Delage (Sté), Sagas Automobiles (Sté), Garage A. Bourgoin (Sté), Thiebaut Automobiles (Sté), Gravelat Fleury (SARL), ABDX (SARL), Européenne d'Automobiles (Sté), Macon Automobiles (Sté), Garage Alain Salle (SA), Fevre Automobiles (SARL), Cedaf (SA), Garage Corro (SA), Vesoul Auto Service (Sté), Costantini Garages (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Canivet

Conseillers :

MM. Raffejeaud, Dragne

Avoués :

SCP Jullien-Lecharny-Rol, SCP Jupin-Algrin

Avocats :

Mes Reynaud, Vogel, Bertin.

CA Versailles n° 01-00706

26 avril 2001

LA COUR,

Le 21 décembre 2000, vingt-deux concessionnaires Nissan, auxquels se sont joints onze autres, ont assigné la société Nissan France en référé d'heure à heure pour voir cette dernière contrainte à poursuivre son obligation contractuelle de fourniture d'encours.

Ils expliquaient alors, que le 27 novembre 2000, la société Nissan France avait décidé d'apporter une modification substantielle à leurs contrats de concession, en décidant de sous-traiter à partir du 1er janvier 2001 la gestion des "encours fournisseur" à la Cogera, filiale de la société Renault, laquelle venait de prendre une participation importante dans le capital de la société-mère Nissan Motors Corporation.

Par ordonnance en date du 29 décembre 2000, le Président du Tribunal de commerce de Versailles a fait droit partiellement à la demande, a condamné la société Nissan France à poursuivre l'exécution de son obligation contractuelle d'encours à l'égard de chacun des concessionnaires demandeurs, à compter du 1er janvier 2001 sous astreinte provisoire de 2 000 F par jour de retard et par concessionnaire, ce jusqu'à la décision du tribunal saisi au fond, et a alloué à chacun des demandeurs une somme de 1 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Pour statuer ainsi, le premier juge a considéré que certes, la société Nissan France pouvait faire appel à la société Cogera, mais qu'elle ne pouvait pas modifier unilatéralement les conditions d'exécution du contrat de concession et imposer des charges complémentaires aux concessionnaires.

Or, le premier juge a relevé que, dans sa note du 27 novembre 2000, la société Nissan France informait ses concessionnaires de la suppression le 1er janvier 2001 du délai de paiement complémentaire de trente jours après livraison au client final, et indiquait que l'accession au suivi d'encours se ferait par l'intermédiaire d'un nouveau système (Trafic) accessible avec le DCS.

La société Nissan France a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 17 janvier 2001 et a été autorisée à assigner les concessionnaires à jour fixe, par ordonnance du premier président en date du 23 janvier 2001.

Elle a conclu à la contestation sérieuse et à l'absence de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite, et a sollicité en conséquence l'infirmation de l'ordonnance entreprise, ainsi que le paiement par chacun des intimés d'une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Elle a soutenu que la sous-traitance qu'elle confiait à la société Cogera ne la conduisait nullement à s'exonérer de son obligation contractuelle de fournir un encours, que l'aménagement apporté au système de règlement était compensé par un nouveau crédit de sorte que les concessionnaires ne subissaient aucun préjudice, que l'utilisation du système Trafic n'impliquait pas de passer par le système informatique DCS et qu'au demeurant, elle prenait en charge le coût d'utilisation moyen généré par l'usage de ce logiciel.

Elle a fait valoir en conclusion que les obligations contractuelles n'étaient pas remises en cause et que seuls des aménagements techniques étaient apportés au système de suivi des encours.

Les concessionnaires intimés ont formé appel incident en ce que le premier juge avait considéré que la société Nissan France pouvait faire assurer par une société de services extérieure, telle que Cogera, certaines tâches jusqu'alors gérées par un service de son personnel.

Ils ont fait valoir à ce sujet qu'aucune clause du contrat de concession n'autorisait la société Nissan France à se substituer un tiers dans l'exécution de ses obligations contractuelles (ainsi qua le prévoyait par exemple son projet d'annexe 4 bis du contrat qu'elle n'avait jamais fait régulariser), faute de délégation expressément consentie ou d'avenant régularisé modifiant les conditions contractuelles en vigueur.

Ils ont, pour le surplus, conclu à la confirmation de l'ordonnance entreprise, en justifiant leur saisine du juge des référés par les menaces de blocage proférées par la société Nissan France en cas de refus par eux d'intégrer le nouveau système de financement.

Ils ont sollicité chacun une somme de 4 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Sur ce,

Sur l'appel principal :

Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 872 et 873 alinéa 1 du NCPC que, dans tous les cas d'urgence, le président peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Considérant que l'article 1134 du Code civil dispose en ses alinéas 1er et 2 :

" Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

" Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise ".

Qu'il s'ensuit que, hors les cas prévus par la loi, toute modification unilatérale des dispositions d'un contrat constitue un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 précité ;

Considérant qu'en l'espèce, les relations entre la société Nissan France et ses concessionnaires sont actuellement régies par des contrats de concession et plus précisément, s'agissant de l'objet du litige, par l'article 3 et les annexes 3 et 4 de ces contrats qui définissent les conditions d'obtention des encours par les concessionnaires ;

Considérant que ceux-ci bénéficiaient jusqu'alors d'un délai de paiement de trente jours après livraison au client final, que la société Nissan France a entendu supprimer en le remplaçant par un crédit moyen terme sur douze à vingt-quatre mois, remboursable par anticipation ou par tranches au taux dit "Euribor 3 mois + 1" ;

Que la société Nissan France ne pouvait pas raisonnablement écrire dans sa "lettre circulaire" du 27 novembre 2000 que ce changement constituait une " solution équivalente ", alors que bien évidemment le remplacement d'un crédit gratuit par un crédit payant était désavantageux pour les concessionnaires ;

Qu'elle soutient aujourd'hui, dans une " note au réseau " du 19 janvier 2001, que " la période gratuite n'est bien sûr pas supprimée " et que " c'est la possibilité de règlement à terme de 0 à 30 jours qui est remplacée par un rééchelonnement de créances que nous avons appelé " crédit moyen terme ", et qui est équivalent si ce n'est plus avantageux pour le concessionnaire " ;

Que ces explications nouvelles, qui s'appuient sur un avis de M. Germond, expert, ne rapportent pas la preuve effective d'une absence de préjudice pour les concessionnaires, étant rappelé qu'en toute hypothèse, ceux-ci ne peuvent se voir imposer une modification des droits et obligations qu'ils tiennent du contrat et à laquelle ils n'ont pas souscrit ;

Considérant que l'urgence à faire cesser le trouble illicite, voire l'existence d'un dommage imminent sont suffisamment établies par les avertissements donnés en ces termes par la société Nissan France dans une lettre adressée le 20 décembre 2000 à ses concessionnaires récalcitrants :

" Attention nous attirons votre attention sur le fait que sans la régularisation de ces trois modalités techniques, nous ne pourrez plus accéder à vos encours dès le 29 janvier 2001.

Il convient donc que vous soyez très vigilant à ce sujet, afin d'éviter toute perturbation dans votre activité due à un blocage technique de vos encours en nous retournant cette lettre revêtue de votre cachet et de votre signature pour accord " ;

Que si, dans sa " note au réseau " du 19 janvier 2001, la société Nissan France est revenue à plus de modération, mais il est vrai qu'entre-temps était intervenue la décision déférée assortie de l'exécution provisoire, elle n'a pas pour autant renoncé à imposer à ses concessionnaires des modifications contractuelles qu'ils refusent, de sorte que pour eux le péril reste le même.

Que dans le contexte particulier que constitue l'obligation de céder leurs entreprises dans un délai de deux ans, les concessionnaires sont fondés à craindre une discrimination dans l'attribution des prêts ou une obligation de remboursement anticipé qui leur créerait d'importantes difficultés de trésorerie ;

Que M. Germond observe lui-même qu'il existe un risque que Nissan accorde au concessionnaire un crédit supérieur à ses besoins de trésorerie, ce qui impliquerait pour lui un supplément de frais financiers ;

Qu'il note aussi que le montant du crédit proposé est plus élevé que celui correspondant uniquement à l'utilisation du crédit complémentaire des trente jours ;

Qu'il relève enfin que l'octroi d'un crédit à chaque concessionnaire vient compenser la suppression de la facilité de caisse, à condition que son activité n'évolue pas de manière significative ;

Qu'il n'existe donc aucun fait nouveau intervenu depuis que l'ordonnance déférée a été rendue qui justifie que celle-ci soit infirmée ;

Considérant que la société Nissan France conteste enfin vainement que la mise en place du système Trafic soit susceptible d'avoir des répercussions financières défavorables sur les concessionnaires, alors qu'elle déclare avoir décidé de prendre en charge le coût d'utilisation moyen généré par l'usage de ce logiciel ;

Qu'il convient, en conséquence, de la débouter de son appel ;

Sur l'appel incident

Considérant que la société Nissan France a confié à la société Cogera les tâches suivantes jusqu'alors exercées par son personnel :

- gestion des portefeuilles de crédits en cours,

- calcul des intérêts et bonifications,

- ordonnancement des prélèvements,

- relevés et factures d'intérêts,

- contrôle physique des stocks ;

Qu'aucune disposition contractuelle n'imposait que ces missions fussent exécutées personnellement par la société Nissan France ;

Qu'il s'agit de tâches purement matérielles qui ne remettent nullement en cause l'obligation contractuelle d'encours de la société Nissan France ;

Que les concessionnaires ne sont donc pas recevables à contester l'intervention de la société Cogera ;

Qu'ainsi, l'ordonnance entreprise sera également confirmée sur ce point ;

Sur l'article 700 du NCPC :

Considérant que la société Nissan France paiera une somme de 2 000 F à chacun des concessionnaires intimés ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement : - Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions. Y ajoutant, - Condamne la société Nissan à payer à chacun des intimés une somme de 2 000 F (deux mille francs) au titre de l'article 700 du NCPC. - La condamne aux dépens qui seront recouvrés par la SCP Jupin-Algrin avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.