Livv
Décisions

Cass. 2e civ., 25 octobre 1995, n° 93-10.245

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Zakine

Rapporteur :

M. Chardon

Avocat général :

M. Monnet

Avocat :

la SCP Gatineau.

Cass. 2e civ. n° 93-10.245

25 octobre 1995

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le Comité national contre le tabagisme (CNCT) a assigné en référé devant le président du Tribunal de grande instance de Quimper la société X pour faire constater que l'apposition de la marque Camel sur leurs véhicules participant à un raid international constituait un trouble manifestement illicite, que le magistrat s'est déclaré compétent et a fait défense, sous astreinte, à cette société de continuer à apposer ces logos;

Sur le premier moyen pris en ses deux branches: - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt (Rennes, 27 octobre 1992) d'avoir confirmé l'ordonnance en ce qu'elle avait retenu la compétence territoriale de ce tribunal, alors que, selon le moyen, lorsque le dommage a été subi sur tout le territoire national, les dispositions de l'article 46, alinéa 3, du nouveau Code de procédure civile ne sauraient conduire à une prorogation générale de compétence au profit de tous les tribunaux se trouvant sur le territoire national; qu'il appartient alors au demandeur de justifier d'un dommage particulier ou à défaut d'un autre critère de rattachement localisé dans le ressort de la juridiction qu'il entend saisir; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a méconnu les articles 42 et 46 du nouveau Code de procédure civile; alors que, si l'article 46, alinéa 3, du nouveau Code de procédure civile prévoit en matière délictuelle la compétence du lieu où le dommage a été subi, encore faut-il que ce dommage, subi en un lieu qui justifierait une dérogation à la règle de compétence territoriale du domicile du défendeur, ait été directement causé par ce dernier; que, la cour d'appel a retenu que le dommage invoqué par le CNCT et résultant de la diffusion illicite en France d'images télévisées avait été subi sur tout le territoire national; que l'auteur direct du dommage allégué était en conséquence les seules sociétés de télévision; qu'en retenant la compétence du Tribunal de Quimper à l'égard de la société X étrangère à la diffusion illicite faite dans le ressort de cette juridiction, la cour d'appel a méconnu l'article susvisé;

Mais attendu que l'arrêt relève que le dommage tient à la parution dans la presse écrite et à la diffusion par la télévision d'images de véhicules et de combinaisons de pilotes et équipiers portant des logos et dénominations de marques Camel et Rothmans et que ces images ont été diffusées, notamment dans le ressort du juge saisi, que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire que le dommage avait été subi à Quimper, peu important que le fait dommageable se soit également produit dans le ressort d'autres tribunaux, fût-ce sur l'ensemble du territoire national et a pu décider que le tribunal était donc compétent; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé;

Sur le second moyen: - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'avoir fait défense à la société X de faire courir ses véhicules et leurs équipages recouverts ou porteurs des logos de Camel, alors que, selon le moyen, l'exercice d'un droit ne peut engager, sauf abus, la responsabilité délictuelle de son titulaire; qu'il ne saurait y avoir abus lorsque le titulaire du droit recherche la satisfaction de son intérêt sans vouloir causer le dommage à autrui; qu'en l'espèce, la société X était en droit, en dehors du territoire national, d'apposer le logo de la marque Camel sur ses voitures et les vêtements de son personnel; qu'en exerçant ce droit, elle recherchait la satisfaction d'un intérêt légitime, i.e., le financement d'un rallye permettant le développement de sa marque X; qu'en affirmant néanmoins que la société X avait commis une faute sans caractériser un fait de nature à faire dégénérer en abus le droit exercé à l'étranger par X, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du Code civil et 809 du nouveau Code de procédure civile; que le juge commet un excès de pouvoir en ordonnant la cessation d'une activité exercée en pays étranger où elle n'est pas réprimée; qu'en l'espèce le CNCT a saisi le juge de Quimper lorsque les participants au rallye étaient déjà sortis du territoire national; qu'il n'entrait alors plus dans les pouvoirs du juge de Quimper de faire droit à la demande du CNCT tendant à faire désormais défense à la société X d'apposer à l'étranger la marque Camel sur ses véhicules; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé les articles 3 et 1382 du Code civil et 809 et suivants du nouveau Code de procédure civile; que seules les sociétés de télévision disposent d'un pouvoir de droit et de fait de contrôle des diffusions auxquelles elles procèdent; qu'il appartient en conséquence à elles seules de prendre toutes dispositions pour que n' apparaissent pas à l'écran des images contrevenant éventuellement aux dispositions relatives à la publicité pour le tabac; qu'en imputant à la société X la retransmission illicite des images de l'événement sportif auquel elle participait sans caractériser l'existence d'un accord frauduleux avec les sociétés de télévision, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du Code civil et 809 du nouveau Code de procédure civile; que la faute ne peut engager la responsabilité de son auteur que si elle a été la cause du dommage et non pas seulement sa condition; qu'en l'espèce, il est constant que la société X était en droit d'apposer, à l'étranger au moins, la marque Camel sur ses voitures; il est tout aussi constant que le dommage n'a pu survenir que parce que les sociétés de télévisions n'ont pas pris les précautions nécessaires pour que la retransmission du rallye ne fasse pas apparaître la publicité litigieuse; que la faute des médias, postérieure à celle imputée à tort à X, a été la cause exclusive du dommage dont le fait non fautif de la société X n'a été que la condition; qu'en retenant néanmoins la responsabilité de la société X, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil et l'article 809 du nouveau Code de procédure civile;

Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel après avoir rappelé que la publicité faite par la société X en faveur du tabac était contraire à la législation en vigueur en France, a retenu qu'en apposant, en toute connaissance de cause, sur ses voitures et tenues de ses équipages une marque de tabac, cette société avait commis un trouble manifestement illicite et que ce trouble, par l'importante couverture médiatique dont bénéficiait l'événement, s'était manifesté en France; qu'ainsi l'arrêt qui, rendu en matière de référé, n'avait pas à se prononcer sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, échappe aux critiques du pourvoi; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli;

Par ces motifs: Rejette le pourvoi.