Cass. com., 28 janvier 2004, n° 01-17.270
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Guérin automobiles (EURL)
Défendeur :
Nissan France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot.
LA COUR: - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 12e ch. 2e sect.), que par contrat du 13 février 1989, la société Nissan France (société Nissan) a concédé à l'EURL Guérin automobiles (l'EURL) la distribution des véhicules de marque Nissan sur un territoire déterminé; que ce contrat conclu pour une durée indéterminée pouvait être résilié à tout moment moyennant un préavis d'un an donné par lettre recommandée avec avis de réception; que par lettre recommandée du 8 janvier 1991, la société Nissan a dénoncé ce contrat avec effet au 8 janvier 1992; que l'EURL prétendant que la société Nissan n'avait pas exécuté de bonne foi ses obligations et avait mis fin abusivement au contrat de concession, a assigné cette société en paiement de dommages-intérêts;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches: - Attendu que M. X, agissant en qualité de liquidateur de l'EURL en liquidation judiciaire reproche à l'arrêt d'avoir dit que la société Nissan avait manqué à ses obligations contractuelles en ceci seulement qu'elle n'avait pas procédé, dans un délai raisonnable, à la livraison de treize véhicules commandés par l'EURL et d'avoir en conséquence limité à la somme de 270 000 francs la réparation du préjudice en résultant, alors, selon le moyen: 1°) qu'en se bornant à relever que M. X ne faisait état que de trois commandes pour justifier des griefs de retards de livraison, sans rechercher si, comme le soutenait M. X dans ses conclusions, et au-delà des trois commandes citées par lui à titre d'exemple, les retards de livraison n'avaient pas concerné 31 véhicules en 1991 et si le délai moyen de livraison n'était pas passé de 34 jours à 97 jours entre le premier et le dernier quadrimestre de 1991, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1147 du Code civil; 2°) que le grief tiré de ce que la société Nissan n'avait pas respecté ses obligations en substituant des véhicules à ceux commandés, n'est pas incompatible avec le grief de retard dans la livraison de ces mêmes véhicules; que la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, en énonçant que les commandes n° 90046 et n° 91022 ne sauraient être invoquées au titre des retards de livraison par M. X qui vise les mêmes commandes pour démontrer leur mauvaise exécution par substitution de véhicules; 3°) que les contrats doivent être exécutés jusqu'à leur terme; qu'ayant relevé que le contrat de concession avait été résilié par la société Nissan avec effet au 8 janvier 1992, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant les articles 1134 et 1147 du Code civil, en décidant que "le grief de retard excessif ou d'inexécution ne peut être valablement formulé à l'encontre des huit commandes passées entre le 4 octobre et le 27 décembre 1991, c'est-à-dire dans les trois mois précédant la fin du contrat"; 4°) qu'en énonçant qu'un délai de livraison de trois mois constituait un "délai raisonnable", de sorte que le grief de retard excessif ou d'inexécution ne pouvait être "valablement formulé" à l'encontre des huit commandes passées dans les trois mois précédant la fin du contrat de concession, sans dire d'où résultait le calcul de ce "délai raisonnable", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1134 du Code civil;
Mais attendu, en premier lieu, que si dans ses conclusions, le liquidateur a soutenu qu'en 1991, la société Nissan avait livré trente et un véhicules avec deux à cinq mois de retard et que le délai moyen de livraison était passé de 34 jours à 97 jours, il n'a pas demandé la condamnation de cette société à lui payer des dommages-intérêts en réparation de ce préjudice ce qui rend inopérants les griefs des première et deuxième branches;
Attendu, en second lieu, qu'ayant souverainement estimé à trois mois le délai raisonnable de livraison, la cour d'appel a pu en déduire que l'EURL ne saurait reprocher à la société Nissan de n'avoir pas exécuté huit commandes de véhicules qu'elle lui avait adressées entre le 4 octobre et le 27 octobre 1991, c'est-à-dire dans les trois mois précédant la fin du contrat; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches;
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche: - Attendu que le liquidateur reproche encore à l'arrêt d'avoir dit que la résiliation du contrat a été effectuée conformément aux clauses contractuelles, alors, selon le moyen, qu'ayant constaté que les parties avaient la faculté de résilier le contrat à tout moment à condition de respecter un préavis d'un an, que la société Nissan avait résilié le contrat par lettre du 8 janvier 1991 pour le 8 janvier 1992, et que le délai de présentation de cette lettre recommandée et la règle de computation en jours francs a pour effet de reporter d'un jour ou deux la date effective de la résiliation, ce dont il résultait que le délai contractuel de préavis n'avait pas été respecté, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a violé l'article 1134 du Code civil, en décidant que la résiliation du contrat avait été effectuée conformément aux clauses contractuelles, et en déboutant M. X de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat;
Mais attendu que si dans ses conclusions d'appel, le liquidateur a indiqué que la lettre de résiliation du contrat a été reçue par l'EURL moins d'un an avant l'expiration du préavis fixé au 8 janvier 1992 par la société Nissan et que celle-ci avait donc manqué de loyauté dans la mise en œuvre des dispositions contractuelles, il n'a pas soutenu que la rupture du contrat était abusive à raison du non-respect du préavis; que le moyen tel qu'il est formulé est donc nouveau et qu'étant mélangé de fait et de droit, il est irrecevable;
Et sur le même moyen, pris en sa seconde branche: - Attendu que le liquidateur reproche encore à l'arrêt d'avoir dit qu'il n'est pas démontré que le redressement judiciaire de l'EURL soit consécutif à l'exécution du contrat par la société Nissan, alors, selon le moyen, qu'est abusive, et ouvre droit à réparation, la rupture d'un contrat de concession à durée indéterminée lorsque le concédant méconnaît ses obligations sous de faux prétextes, déséquilibrant l'exploitation du concessionnaire et compromettent sa reconversion; qu'ayant relevé que, après avoir résilié le contrat de concession, en cours de préavis, et pour cause alléguée à tort d'encours atteints, la société Nissan avait cessé de livrer l'EURL plusieurs mois avant le terme du contrat, causant à celle-ci un préjudice financier et un préjudice commercial, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en déboutant le liquidateur de sa demande tendant à ce que la résiliation du contrat de concession soit déclarée abusive, et a violé l'article 1147 du Code civil;
Mais attendu qu'en faisant grief à la cour d'appel d'avoir dit qu'il n'est pas démontré que le redressement judiciaire de l'EURL soit consécutif à l'exécution du contrat par la société Nissan, le liquidateur attaque une disposition de l'arrêt qui n'est pas comprise dans la partie de la décision que critique le moyen; que celui-ci est donc irrecevable;
Mais sur le deuxième moyen: - Vu l'article 1147 du Code civil; - Attendu que pour condamner la société Nissan à payer au liquidateur la somme de 270 000 francs, la cour d'appel retient qu'en ne procédant pas à la livraison de treize véhicules qui lui ont été commandés par l'EURL, la société Nissan a causé à celle-ci un préjudice constitué de la perte de marge sur ces véhicules et de la perte de la possibilité de bénéficier de primes financières pour dépassement d'objectifs, au titre de l'exercice 1996;
Attendu qu'en statuant ainsi, après avoir retenu que ce défaut de livraison avait également causé à l'EURL un préjudice commercial constitué par l'insatisfaction de la clientèle, la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale et violé ainsi le texte susvisé;
Par ces motifs : casse et annule, l'arrêt rendu le 20 septembre 2001, entre les parties, par la Cour d'appel de Versailles et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris.