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Décisions

Cass. crim., 21 juin 1988, n° 86-94.255

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat général :

M. Robert

Conseiller :

M. Dumont

Avocats :

Mes Pradon, Choucroy, Barbey, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Liard, SCP Piwnica, Molinie, Mes Ancel, Cossa.

Orléans, du 4 juill. 1986

4 juillet 1986

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par : - G Guy, - U Jean, - G1 André, - T Guy, - D Jacques, - L Jean-Pierre, contre un arrêt de la Cour d'appel d'Orléans, en date du 4 juillet 1986, qui, pour tromperie aggravée sur la quantité de la marchandise vendue, et en outre, en ce qui concerne T, pour complicité de destruction de preuves, les a condamnés, G et G1 à 15 mois d'emprisonnement avec sursis et 40 000 francs d'amende chacun , U à 12 mois d'emprisonnement avec sursis et 40 000 francs d'amende, T à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d'amende, D à 12 mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d'amende, et L à 8 mois d'emprisonnement avec sursis et 6 000 francs d'amende, en ordonnant la publication de la décision, et qui s'est prononcé sur les intérêts civils ; Joignant les pourvois en raison de la connexité ; Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement auquel il se réfère pour l'exposé des faits que de 1977 à 1980 quatre marchés pour la construction de routes en Indre-et-Loire ont été adjugés à trois entreprises de travaux publics, les sociétés anonymes X, Y et Z, qui avaient respectivement pour présidents-directeurs généraux, et en ce qui concerne la troisième, pour directeur général, Jean U, Guy G et André G1 ; que l'exécution des travaux se faisait sous la responsabilité immédiate des trois chefs d'agence d'Indre-et-Loire de chacune des sociétés ; que chacun de ces chefs d'agence dépendait d'un directeur régional qui avait reçu délégation générale de pouvoirs du président-directeur général ou du directeur général de sa société ;

Attendu que les entreprises précitées s'étaient associées pour exploiter une "centrale" de produits bitumeux et "d'enrobés" nécessaires à la fabrication du revêtement des chaussées et qu'elles avaient créé à cet effet la SARL société tourangelle de matériaux et d'enrobés, dite Y1, dont le capital était détenu à part égale par chacune d'elles et dont les cogérants étaient U, G et G1 ; que cette société, qui n'employait qu'un personnel d'exécution de cinq personnes, facturait ses livraisons tantôt aux trois entreprises qui se faisaient rembourser par la collectivité territoriale intéressée, tantôt directement au maître de l'ouvrage ;

Attendu qu'à la suite d'un contrôle fait en octobre 1980 sur des camions chargés de matériaux livrés par la Y1 et destinés à la rocade d'Amboise, le service de la répression des fraudes a découvert que le poids inscrit sur les bons de livraison qui devaient être remis pour facturation à la direction de l'équipement était supérieur au poids des matériaux transportés ; que deux employés de la Y1, affectés au pesage, déclaraient avoir agi sur l'ordre du conducteur de travaux Deniset, appartenant, non à la Y1 mais à la société Z, et qui était chargé de coordonner les travaux pour les trois entreprises, et qu'ils expliquaient qu'ils avaient procédé de la même façon lors de l'exécution des marchés précédents ; que Deniset disait lui-même avoir agi sur ordre, à la suite d'une réunion qu'il avait eue avec les trois chefs d'agence de chacune des entreprises et dont l'un d'eux déclarait aux enquêteurs que "sa hiérarchie était au courant" ; qu'après la découverte de la fraude, T, directeur régional de la société Z, a ordonné à l'un des préposés au pesage de détruire les bons de la Y1 conservés au siège de cette société et indiquant les poids réels de marchandises transportées ; que des poursuites ont été intentées du chef de tromperie sur la quantité de la marchandise vendue avec la circonstance aggravante d'emploi de manœuvres frauduleuses, contre G, U et G1, en leur qualité de cogérants de la Y1, contre les directeurs régionaux de chacune des entreprises, notamment T et D, et contre les chefs des agences départementales, notamment L, ainsi que contre le conducteur de travaux Deniset et les préposés au pesage de la SMTE ; que l'un de ces derniers a en outre été poursuivi pour destruction de preuves et T pour complicité de ce délit ; que les premiers juges ont déclaré les prévenus coupables, à l'exception des trois directeurs régionaux et du chef d'agence L ; qu'infirmant cette décision, les juges d'appel ont retenu la culpabilité de ces derniers ;

Sur les pourvois d'U, G et G1 :

Sur le moyen unique de cassation proposé par U et pris de la violation des articles 1er de la loi du 1er août 1905, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré U coupable du délit de tromperie sur la quantité de marchandises vendues avec circonstances aggravantes ;

"aux motifs que les gérants de la société Y1, en ne se réunissant qu'une fois l'an, ont failli à leur devoir de contrôle et de surveillance et que, si la loi du 1er août 1905 n'édicte aucune présomption de mauvaise foi contre le chef d'une entreprise dans laquelle une tromperie est relevée, cette mauvaise foi doit être, en l'espèce, retenue alors que, cogérant d'une société, le prévenu, rompu aux affaires et aux travaux publics en raison de sa formation et du haut niveau de ses responsabilités, n'a pas exercé dans la petite entreprise qu'il cogérait les contrôles nécessaires sur les conditions dans lesquelles ont été effectuées les livraisons des matériaux produits par cette entreprise ;

"alors que le délit de tromperie de l'article 1er de la loi du 1er août 1905 est un délit intentionnel et que les juges doivent constater les circonstances d'où se déduit la mauvaise foi du prévenu ; qu'en l'espèce, en déduisant la mauvaise foi du prévenu de la seule circonstance que celui-ci avait manqué à son devoir de contrôle et de surveillance, circonstance d'où ne résulte pourtant pas la preuve que l'inculpé a eu l'intention frauduleuse de commettre les tromperies relevées, la cour a violé l'article 1er de la loi du 1er août 1905 et les autres textes visés au moyen" ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par G et pris de la violation des articles L. 1 de la loi du 1er août 1905 et suivants, 60, 439 alinéas 2 et 4 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;

"en ce que par l'arrêt attaqué, la cour a déclaré G coupable de tromperie sur la quantité de marchandise vendue avec circonstances aggravantes, en répression l'a condamné aux peines de quinze mois d'emprisonnement avec sursis et quarante mille francs d'amende et l'a condamné solidairement avec d'autres inculpés au paiement de dommages-intérêts au profit de l'agent judiciaire du Trésor et de la ville de Tours, parties civiles ;

"aux motifs qu'avec U et G1, cogérants avec lui d'une société d'aussi peu d'importance que la Y1, il avait, avec les autres prévenus, le devoir d'exercer un contrôle sur le fonctionnement de ladite société, ce qui lui aurait permis de déceler la fraude et de la faire cesser, qu'il résulte en effet de la convention d'exploitation concernant la Y1 en son article 2 que les gérants se réunissent en comité de gérance, que les décisions sont prises à l'unanimité et que sont de sa compétence notamment les "conditions de commercialisation et fixation des prix de cession aux associés et de vente aux tiers de matériaux enrobés", que les gérants se réunissent chaque fois que cela est nécessaire et au minimum une fois par mois, qu'il résulte de ces documents que les méthodes de facturation et d'établissement des bons de livraison étaient de la compétence des trois gérants, que si l'on ne peut exiger que trois importants chefs d'entreprise surveillent en permanence le préposé de la société chargé du pesage des camions livrant les matériaux produits par la Y1, ses trois gérants, en ne se réunissant qu'une fois par an, ainsi qu'ils le reconnaissent, ont failli à leur devoir de contrôle et de surveillance (arrêt p. 13, 1er et 2ème paragraphes) ; que si la loi du 1er août 1905 n'édicte aucune présomption de mauvaise foi contre le chef d'entreprise dans laquelle une tromperie est relevée, cette mauvaise foi doit être en l'espèce retenue

"alors que, cogérants d'une SARL n'employant que cinq salariés, les trois prévenus rompus aux affaires et aux travaux publics en raison de leur formation et de leur haut niveau de responsabilité dans les sociétés qu'ils animaient par ailleurs, n'ont pas exercé dans cette petite entreprise qu'ils ont décidé de cogérer en personne pour des raisons qui leur sont propres, les contrôles nécessaires sur les conditions dans lesquelles ont été effectuées les livraisons des matériaux produits par cette entreprise" (arrêt p. 13 3ème alinéa) ;

"alors que, d'une part, les fraudes de la loi du 1er août 1905 ont été conçues comme des infractions personnelles et intentionnelles, que cette loi n'établit aucune présomption de responsabilité à la charge du chef de l'entreprise dans laquelle des fraudes ont été commises, que la Cour ne pouvait déduire l'existence du caractère personnel et intentionnel de l'infraction reprochée à G, pour n'avoir pas exercé un contrôle et une surveillance suffisants sur les conditions de fonctionnement de la Y1, sans rechercher, comme le soutenait G dans ses conclusions de ce chef délaissées, si d'une part la Y1 ne constituant qu'un outil technique limité, pour apprécier si ses gérants pouvaient exercer un contrôle sur l'activité locale de la société il ne fallait pas tenir compte de l'importance des sociétés mères de la Y1, le rôle des gérants de celle-ci correspondant seulement à une activité structurelle d'organisation générale, de financement, de décisions d'investissement à l'exclusion de toute intervention ou contrôle au plan local, si, d'autre part, G n'avait pas pleinement satisfait à ses obligations en dotant la Y1 et son personnel des moyens les meilleurs et les plus complets de pesage et de contrôle qui excluaient normalement toute intervention personnelle et donc toute défaillance à laquelle les gérants de la Y1 auraient pu parer, si enfin il ne résultait pas de l'instruction, comme des circonstances de l'affaire, que G n'avait ni connu ni pu connaître l'état des marchandises livrées et, partant, la fraude qui avait pu être commise ;

"alors que, d'autre part, G avait soutenu dans des conclusions de ce chef également demeurées sans réponse, qu'il avait donné délégation de pouvoirs au directeur régional de l'entreprise, ce dont celui-ci avait convenu à l'instruction et tout au long de la procédure, en ce qui concernait la charge et la responsabilité des chantiers de la Y1 ou il était son représentant général et que la Cour aurait dû rechercher si cette délégation permettant d'écarter toute participation personnelle de G à la fraude, n'exonérait pas le prévenu de la responsabilité pénale qu'il avait pu encourir en tant que gérant de la Y1" ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par G1 et pris de la violation des articles 1, 2, 7, 8 et 9 de la loi du 2 août 1905 , 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable de tromperie sur la quantité de marchandises vendue avec circonstances aggravantes ;

"aux motifs qu'en qualité de cogérants d'une société d'aussi peu d'importance que la société Y1 les prévenus avaient le devoir d'exercer un contrôle sur le fonctionnement de la société, ce qui leur aurait permis de déceler la fraude et de la faire cesser ; qu'il résulte de la convention d'exploitation concernant la société Y1 que les méthodes de facturation et d'établissement des bons de livraison étaient de la compétence des trois cogérants ; que, si l'on ne peut exiger que trois importants chefs d'entreprise surveillent en permanence le préposé de la société chargé du passage des camions livrant les matériaux produits, les trois gérants de la société Y1, Guy G, Jean U et André G1, en ne se réunissant qu'une fois par an, ainsi qu'ils le reconnaissent, ont failli à leur devoir de contrôle et de surveillance ; que, si la loi du 1er août 1905 n'édicte aucune présomption de mauvaise foi contre le chef d'entreprise dans laquelle une tromperie est relevée, cette mauvaise foi doit être en l'espèce retenue, alors que, cogérants d'une société à responsabilité limitée n'employant que cinq salariés, les trois prévenus, rompus aux affaires et aux travaux publics, en raison d'une formation et du haut niveau de leur responsabilité dans les sociétés qu'ils animaient par ailleurs, n'ont pas exercé, dans cette petite entreprise qu'ils ont décidé de cogérer en personne, pour des raisons qui leur sont propres, les contrôles nécessaires sur les conditions dans lesquelles ont été effectuées les livraisons des matériaux produits par cette entreprise ;

"alors que, si, en matière commerciale, les juges du fond ont tout pouvoir pour reconnaître l'existence de la mauvaise foi, leur appréciation à cet égard n'est souveraine que si elle n'est pas contredite par des faits qu'ils ont eux-mêmes constatés, et par les conséquences légales que ces faits comportent ; qu'en l'espèce la cour d'appel n'a pu, sans insuffisance, déclarer établie l'intention frauduleuse du demandeur, directeur général de la société Z, et cogérant de la société Y1, en se bornant à constater l'existence d'un simple défaut de surveillance, sans qu'aucune intervention personnelle ait été retenue à sa charge, et après avoir constaté que T, directeur régional de la société Z, avait reçu délégation de pouvoirs et de responsabilité de la direction générale de cette société, et avait l'obligation de contrôler et de surveiller les conditions d'exécution des travaux, tant de la société Z que de la société Y1 ; qu'ainsi la cour d'appel n'a pas caractérisé l'intention frauduleuse, élément essentiel du délit de tromperie " ; Les moyens étant réunis ;

Attendu que pour confirmer le jugement sur la culpabilité de Jean U, de Guy G et d'André G1 et pour rejeter l'argumentation de ces derniers qui prétendaient qu'ils ignoraient l'existence des fraudes, qu'ils n'avaient jamais été mis en cause dans la commission de celles-ci et qu'ils avaient délégué leurs pouvoirs aux directeurs régionaux, la juridiction du second degré énonce "qu'en qualité de cogérants d'une société d'aussi peu d'importance que la Y1 les trois prévenus avaient le devoir d'exercer un contrôle sur le fonctionnement de ladite société, ce qui leur aurait permis de déceler la fraude et de la faire cesser" ; qu'elle relève que selon la convention d'exploitation de la Y1 les cogérants se réunissent en comité de gérance dans la compétence duquel entrent notamment "les conditions de commercialisation et de fixation des prix aux associés et de vente aux tiers des matériaux enrobés", que ces réunions ont lieu autant de fois qu'il est nécessaire et "au minimum une fois par mois" ; qu'elle observe que "si l'on ne peut exiger que trois importants chefs d'entreprise surveillent en permanence le préposé... chargé du pesage des camions", les prévenus "en ne se réunissant qu'une fois par an, ainsi qu'ils le reconnaissent, ont failli à leur devoir de contrôle et de surveillance" ; qu'elle déduit de ces constatations "que si la loi du 1er août 1905 n'édicte aucune présomption de mauvaise foi contre le chef d'une entreprise dans laquelle une tromperie est relevée, cette mauvaise foi doit être en l'espèce retenue alors que, cogérants d'une société... n'employant que cinq salariés, les trois prévenus, rompus aux affaires et aux travaux publics en raison de leur formation et du haut niveau de leur responsabilité dans les sociétés qu'ils animaient par ailleurs, n'ont pas exercé, dans cette petite entreprise qu'ils ont décidé de cogérer en personne pour des raisons qui leur sont propres, les contrôles nécessaires sur les conditions dans lesquelles ont été effectuées les livraisons des matériaux produits par cette entreprise" ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel a justifié légalement sa décision sans encourir les griefs allégués ; que si elle a constaté que les directeurs régionaux avaient reçu de leur direction générale une délégation de pouvoirs pour l'administration locale de chacune des trois entreprises de travaux publics, elle n'a pas admis, contrairement à ce qui est allégué, que cette délégation avait été donnée pour l'administration de la Y1 et qu'au contraire, répondant ainsi implicitement à l'argumentation des prévenus qu'elle n'était pas tenue de suivre en son détail, elle a considéré que les cogérants s'étaient réservé le soin de gérer en personne cette société ; qu'en outre si elle a retenu que les directeurs régionaux devaient surveiller l'exécution des travaux en raison de la délégation générale précitée, elle n'a pas dit qu'il s'agissait des travaux de la Y1, qu'au surplus en matière d'infractions à la loi du 1er août 1905 , un chef d'entreprise ne saurait s'exonérer de sa responsabilité pénale en invoquant une délégation qui n'est pas prévue par la loi dès lors que les obligations de contrôle résultent pour lui, personnellement, des fonctions d'administration générale qu'il assure ; qu'enfin dès lors qu'est caractérisé l'élément matériel de l'infraction poursuivie, les juges du fond ont toute latitude pour fonder leur conviction de la culpabilité des prévenus sur les divers éléments de preuve versés aux débats ; que s'il est vrai qu'en matière d'infraction à la loi du 1er août 1905 les textes n'édictent aucune présomption de mauvaise foi contre celui qui a négligé de procéder à toutes les vérifications utiles avant de livrer les marchandises à la vente, les juges du fond peuvent, comme ils l'ont fait en l'espèce, déduire souverainement la mauvaise foi des prévenus du fait que ceux-ci se sont soustraits à l'obligation qui leur incombait personnellement d'effectuer les contrôles nécessaires avant de mettre les marchandises en vente ; d'où il suit que les moyens réunis ne sauraient être accueillis ;

Sur le pourvoi de T :

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 1er et 2 de la loi du 1er août 1905, et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Guy T, directeur régional de la société Z, coupable de tromperie sur la quantité de marchandise vendue avec circonstances aggravantes de manœuvres tendant à fausser les opérations de pesage ou à modifier frauduleusement le poids des marchandises à l'occasion des chantiers de Tours ; Ballan-Mire et Amboise, et l'a condamné à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d'amende ;

"aux motifs que, d'une part, les conditions dans lesquelles la majoration illicite des poids d'enrobés livrés a été pratiquée pendant près de trois années à l'occasion de quatre chantiers, la passation des consignes pour le chantier de la rocade d'Amboise au cours d'une réunion des chefs d'agence des trois sociétés, l'indication donnée par Massenet (de la société Y) que sa hiérarchie était d'accord sur le principe de la majoration de tonnage, le fait qu'après la découverte de la fraude, T a donné l'ordre à Lafontaine de brûler les bons de la Y1 portant les poids réels des marchandises livrées, indiquent que la fraude était une pratique courante et connue, que T a pu expliquer, en ce qui concerne le chantier de la rocade d'Amboise, par les "conditions très difficiles" dans lesquelles il avait été traité ; la juridiction du second degré énonce d'abord que les directeurs régionaux avaient reçu de leur direction générale une délégation de pouvoirs et de responsabilité ; qu'elle observe ensuite que les conditions dans lesquelles la majoration illicite du poids des enrobés a été pratiquée pendant près de trois années à l'occasion de quatre chantiers, la passation des consignes au cours d'une réunion des chefs d'agence des trois sociétés, l'indication donnée par Massenet, chef d'agence de la société Y que "sa hiérarchie" était d'accord sur le principe de la majoration de tonnage, le fait qu'après la découverte de la tromperie par le service des fraudes T a donné l'ordre de brûler les bons de la Y1, indiquent que la fraude était une pratique courante et connue "que T a pu expliquer, en ce qui concerne le chantier... d'Amboise par "les conditions très difficiles" dans lesquelles il a été traité" ; Qu'elle relève encore "que si la fraude a été matériellement opérée dans les locaux de la Y1, les liens existant entre cette société" et les entreprises de travaux publics, "les ordres donnés par Deniset" au service de la société Z mais "chargé de coordonner, pour le chantier d'Amboise, l'action" de ces entreprises, "impliquent que le processus de la fraude et son profit revenaient" à ces dernières ; "que les trois directeurs régionaux qui se prétendent étrangers à la mise en place du procédé frauduleux, avaient l'obligation de contrôler et de surveiller les conditions d'exécution des travaux, de déceler ainsi les fraudes et d'y mettre fin" ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel n'a pas encouru les griefs allégués ; que, d'une part, appréciant souverainement la valeur des éléments de preuve soumis au débat contradictoire elle a pu en tirer la conviction que T avait participé à la fraude ; que, d'autre part, il n'importe que ce dernier n'ait eu aucun lien de droit avec la Y1 dès lors qu'il résulte des constatations des juges que le personnel de cette société a exécuté les ordres donnés tant par T que par son subordonné Deniset et que le prévenu a donc contrôlé en fait la livraison des matériaux ayant donné lieu à la tromperie qui lui est reprochée ; D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le pourvoi de L :

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation de l'article 1er de la loi du 1er août 1905 , des articles 59 et 60 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jean-Pierre L coupable de tromperie sur la quantité de marchandise vendue avec circonstances aggravantes de manœuvres tendant à fausser les opérations de pesage ou à modifier frauduleusement le poids des marchandises ;

"aux motifs que Deniset, chargé de la coordination du chantier de la rocade d'Amboise par les trois sociétés adjudicataires de ce marché, Y, X et Z a reconnu avoir donné des instructions à fin de majorer fictivement le poids d'enrobés indiqué sur les bons destinés à la DDE ; qu'il a ajouté avoir lui-même agi sur ordre à la suite d'une réunion tenue en juin 1980 par les trois responsables départementaux des sociétés susvisées ; qu'il a bien précisé devant le juge d'instruction que l'un des trois directeurs départementaux (Massenet, Berteau ou L) lui avait donné l'instruction de majorer fictivement les tonnages de 4 à 5 % et que les deux autres l'ont entendu et étaient d'accord ; qu'ainsi la responsabilité de L sera retenue comme celle de Massenet et de Berteau (arrêt p. 14, alinéa 5) ;

"alors que, d'une part, selon les constatations de l'arrêt attaqué, L aurait pu aussi bien donner des instructions à Deniset pour majorer les quantités, que les entendre et en être d'accord ; que de tels motifs ne permettent pas à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle ;

"alors que, d'autre part, la circonstance, à la supposer établie, que L ait entendu les instructions données à Deniset, et ait été d'accord ne suffit pas à caractériser, à son encontre, le délit de tromperie ; que l'arrêt n'a constaté l'existence d'aucune obligation de L, salarié de la société X, au titre de la Y1, société distincte, ou à l'égard de Deniset préposé de la société Z ; qu'il n'a pas davantage donné de précisions quant aux attributions conférées à L pour exercer sa fonction de chef d'agence, ni quant au rôle qu'il pouvait jouer, au regard de ses pouvoirs, lors de la réunion incriminée ; qu'il s'abstient totalement de constater que L aurait disposé de pouvoirs de direction et de contrôle ; que, dès lors, l'arrêt attaqué n'ayant aucunement caractérisé de fait personnel de tromperie aggravée, fût-ce par abstention, contre L, s'avère dépourvu de base légale ;

"alors que subsidiairement L, qui ne peut être regardé comme auteur principal du délit de tromperie aggravée, en l'absence de participation personnelle, ne saurait davantage être condamné en qualité de complice, l'arrêt attaqué n'ayant constaté de sa part ni l'existence d'instructions données ni la fourniture de moyens ni aucun des autres éléments visés par l'article 60 du Code pénal ;

"alors qu'enfin, la présence de L lors d'une réunion où des instructions ont été données d'"augmenter les quantités", ordre perçu comme une augmentation fictive par son destinataire ne permet aucunement d'en déduire que L ait eu conscience du caractère frauduleux de ladite augmentation ;

"qu'ainsi l'élément intentionnel n'est aucunement caractérisé" ;

Attendu que pour infirmer le jugement qui avait relaxé L, chef d'agence de la société X, et pour déclarer ce dernier coupable de tromperie la juridiction du second degré énonce que le conducteur de travaux Deniset, préposé de la société Z et coordinateur pour les trois entreprises du chantier de la rocade d'Amboise, qui avait donné l'ordre à deux ouvriers de la Y1 de majorer fictivement sur les bons de livraison le poids des matériaux livrés, a déclaré qu'il avait "agi sur ordre à la suite d'une réunion tenue par les trois responsables départementaux... et au cours de laquelle il lui avait été demandé de conduire le chantier d'Amboise de façon à arriver à une majoration de tonnage de l'ordre de 4 à 5 %" ; que les chefs d'agence Berteau, de la société Z, et Massenet de la société Y n'avaient pas contesté ces déclarations ; que si L avait prétendu que, venant de prendre ses fonctions, il n'avait pas compris les propos qui s'étaient tenus, Deniset, qui n'avait "aucune raison ni aucun intérêt à travestir la vérité, a bien précisé devant le juge d'instruction que l'un des trois directeurs départementaux lui avait donné l'ordre de majorer fictivement les tonnages... que les deux autres l'ont entendu et étaient d'accord" ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous ses éléments l'infraction reprochée au prévenu, n'a pas encouru les griefs allégués ; que, d'une part, en tirant des éléments de preuve contradictoirement débattus la conviction que le prévenu avait donné son accord pour une majoration fictive des quantités de marchandises livrées, elle a mis en évidence sa participation intentionnelle au délit de tromperie ; que, d'autre part, il n'importe ni que le prévenu n'ait pas appartenu pas à la société Y1 dès lors que les préposés de cette dernière exécutaient les ordres des chefs d'agence des trois entreprises qui avaient créé cette société, ni que le conducteur de travaux Deniset ait été le salarié d'une entreprise autre que celle à laquelle appartenait le prévenu dès lors que ce conducteur de travaux coordonnait les travaux du chantier d'Amboise pour les trois sociétés adjudicataires et n'agissait donc pas seulement pour le compte de la société Z ; Qu'ainsi le moyen doit être écarté ;

Mais sur le pourvoi de D :

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 1er et 2 de la loi du 1er août 1905 , 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motif et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jack D coupable de tromperie sur la quantité de marchandise vendue avec circonstances aggravantes de manœuvres tendant à fausser les opérations de pesage ou à modifier frauduleusement le poids des marchandises et l'a condamné à la peine de douze mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à une amende de 20 000 francs ;

"aux motifs qu'il convient de rappeler que les directeurs régionaux des trois entreprises adjudicataires dont D avaient chacun reçu de leur direction générale, délégation de pouvoir et de responsabilités ; que Massenet a déclaré pour sa part que sa hiérarchie était au courant de la fraude, hiérarchie qui, à l'échelon immédiatement supérieur au sien est Boullenger, directeur régional de la Y ; que D qui a affirmé tout ignorer avant le contrôle du 13 octobre 1980 de la pratique de l'établissement de bons portant des tonnages majorés de matériaux enrobés provenant de la Y1 et destinés aux chantiers assurés par leurs entreprises, a déclaré avoir été "surpris que cela se soit passé sur ce chantier là dans de telles proportions" ; que Boullenger, qui lui aussi a affirmé n'avoir appris la fraude qu'après le contrôle du service de répression des fraudes, a admis que si le chef de centre de sa société, Massenet, avait pris des initiatives malheureuses, il demandait à en porter la responsabilité entière et totale ; que les conditions dans lesquelles la majoration illicite des poids d'enrobés livrés à été pratiquée pendant près de trois années à l'occasion de quatre chantiers, la passation des consignes pour le chantier de la rocade d'Amboise au cours d'une réunion des chefs d'agences des trois sociétés, l'indication donnée par Massenet que sa hiérarchie était d'accord sur le principe de la majoration de tonnage, le fait qu'après la découverte de la fraude T, directeur régional de la société Z ait donné l'ordre à Lafontaine de brûler les bons de la Y1 portant les poids réels des marchandises livrées, indique que la fraude était une pratique courante et connue que T a pu expliquer, en ce qui concerne le chantier de la rocade d'Amboise, par "les conditions très difficiles" dans lesquelles il avait été traité ; que si la fraude a été matériellement opérée dans les locaux de la Y1, le lien existant entre cette société et les trois autres sociétés de travaux publics, les ordres donnés par Denizet de la société Z qui est chargé de coordonner pour le chantier d'Amboise l'action de ces trois sociétés, impliquent que le processus de la fraude et son profit revenaient à ces trois entreprises ; que les trois directeurs régionaux qui se prétendent étrangers à la mise en place du procédé frauduleux, avaient l'obligation de contrôler et de surveiller les conditions d'exécution des travaux, de déceler ainsi les fraudes et d'y mettre fin ; que leur responsabilité pénale doit être retenue ;

"alors que la loi du 1er août 1905 n'édictant aucune présomption de responsabilité notamment à l'encontre d'un dirigeant social, la Cour, qui, examinant ainsi globalement la situation des trois directeurs régionaux au regard de l'éventuelle responsabilité pénale encourue par chacun d'eux, a déduit celle de D, à l'encontre duquel elle ne relève aucun fait matériel de participation à la fraude incriminée ni aucun élément de nature à établir qu'il ait eu connaissance de ladite fraude, du seul fait qu'il bénéficiait au sein de la société X d'une délégation de pouvoir lui imposant une obligation de contrôle à laquelle il aurait failli, n'a pas, en l'état de ces motifs qui font entièrement abstraction des arguments péremptoires des conclusions déposées par D, caractérisé l'élément intentionnel du délit de fraude qui lui est reproché ;

"qu'en effet l'existence d'une délégation de pouvoir n'établit en matière de fraude aucune présomption de son titulaire que s'il y a eu, de la part de ce dernier, manquement aux obligations de contrôle et de vérification qui lui incombaient dans le cadre de cette délégation, ce qui ne pouvait être reproché en l'espèce à D, ainsi qu'il exposait dans ses conclusions délaissées, puisque, d'une part la délégation de pouvoir qu'il avait reçue ne concernait que la société X et était étrangère au fonctionnement de la Y1 directement co-gérée par les responsables nationaux des trois entreprises adjudicataires et puisque, d'autre part, à l'époque de la réalisation du chantier du boulevard du Maréchal Juin, D n'avait alors aucune délégation de pouvoir, laquelle était conférée au chef de l'agence de Tours d'alors, M. Sibelli, et se trouvait placé sous l'autorité de M. Lemonne, lequel a bénéficié d'une ordonnance de non-lieu ; que, dès lors, la cour qui a déduit la responsabilité pénale de D du seul fait qu'il bénéficiait d'une délégation de pouvoir, sans même rechercher comme l'y invitaient les conclusions de l'intéressé si celle-ci existait au moment de la réalisation de chacun des chantiers en cause, et surtout, s'il entrait dans le cadre de ses attributions de contrôler les agissements commis au sein de la Y1 n'a donné aucune base légale à sa décision" ; Vu lesdits articles ;

Attendu que les juges sont tenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont ils sont régulièrement saisis ;

Attendu que pour déclarer D coupable des tromperies réalisées à l'occasion des marchés traités par la société X à Tours, Ballan-Mire et Amboise, la juridiction du second degré retient notamment que les directeurs régionaux des trois entreprises adjudicataires de ces marchés avaient reçu de leur direction générale une délégation de pouvoirs et de responsabilité et qu'ils avaient l'obligation de contrôler et de surveiller les conditions d'exécution des travaux, de déceler ainsi les fraudes et d'y mettre fin ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi sans répondre aux conclusions du prévenu qui soutenait que lors de l'exécution des travaux du marché de Tours en 1978 il n'était encore titulaire d'aucune délégation générale, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé et que la cassation est ainsi encourue ;

Et attendu que la peine est indivisible ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois formés par G, U, G1, T et L contre l'arrêt du 4 juillet 1986 de la Cour d'appel d'Orléans ;