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Décisions

CA Poitiers, ch. corr., 15 novembre 2002, n° 02-00428

POITIERS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Albert

Substitut général :

Mme Sallaberry

Conseillers :

M. You, Mme Martin-Pigalle

Avocat :

Me Sultan

TGI La Roche-sur-Yon, ch. corr., du 4 ma…

4 mars 2002

Décision dont appel :

Le tribunal a :

- déclaré R Jean coupable des faits qui lui sont reprochés ;

- condamné ce dernier à la peine d'amende de quatre mille cinq cents euro (4 500 euro);

- déclaré F Alain coupable des faits qui lui sont reprochés

- condamne ce dernier à la peine d'amende de trois mille euro (3 000 euro);

Appel a été interjeté par :

- Monsieur F Alain, le 12 mars 2002

- Monsieur R Jean, le 12 mars 2002

- M. le Procureur de la République, le 12 mars 2002 contre Monsieur R Jean, Monsieur F Alain.

Décision :

LA COUR, vidant son délibéré,

Vu le jugement entrepris, dont le dispositif est rappelé ci-dessus,

Vu les appels susvisés, réguliers en la forme,

Attendu que Alain F est prévenu d'avoir, à Saint-Fulgent (85), le 10/09/1998 :

- trompé les consommateurs, contractants sur les qualités substantielles de la viande de volaille

Infraction prévue par art. L. 213-1 Code de la consommation, et réprimée par art. L. 213-1, art. L. 216-2, art. L. 216-3 Code de la consommation;

Attendu que Jean R est prévenu d'avoir à Saint Fulgent (85) le 10/09/1998 :

- trompé les consommateurs, contractants sur les qualités substantielles de la viande de volaille

Infraction prévue par art. L. 213-1 Code de la consommation, et réprimée par art. L. 213-1, art. L. 216-2, art. L. 216-3 Code de la consommation;

Rappel des faits et de la procédure :

Les Etablissements R, dont M. Jean R est le Président-directeur général, et M. Alain F le Directeur Technique, sont producteurs de charcuterie volaillère en gros. Une partie de leur production, depuis 1996, est destinée au marché musulman, et prétend à l'appellation "Halal", garantie de respect des interdits religieux alimentaires de l'Islam.

Suite à un contrôle effectué dans les locaux de la société R le 10 septembre 1998, la Direction générale de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes a relevé un certain nombre d'anomalies, qui, interprétées comme des irrégularités, ont conduit à la condamnation de MM. F et R dans les termes rappelés ci-dessus par le Tribunal correctionnel de la Roche-sur-Yon le 4 mars 2002.

MM. F et R ont interjeté appel le 12 mai 2002, suivis le même jour par appel incident du Ministère public.

Devant la cour, Mme l'Avocate générale a conclu à la validité des poursuites et à la confirmation.

M. F, assisté de son conseil, et M. R, représenté par son conseil, en vertu d'un pouvoir spécial ont soulevé une exception de nullité de la procédure, et subsidiairement sollicité la relaxe.

Sur ce, LA COUR,

I - Sur la nullité de la procédure :

Attendu que c'est par des motifs précis et pertinents que la cour adopte, que le tribunal a déclaré les expertises techniques des échantillons de volailles prélevés par la DGCCRF nulles.

Attendu que c'est par un motif tout aussi précis et pertinent que le tribunal a relevé que les poursuites étaient fondées non sur les expertises annulées, mais sur les recettes saisies, et leur discordance avec les étiquettes des produits en cause, recettes dont il n'est pas contesté qu'elles étaient scrupuleusement suivies par les Etablissements R dans l'élaboration des produits en cause;

Que donc les prévenus sont poursuivis, certes, en raison des produits mis sur le marché et non des recettes, mais que les poursuites sont basées sur la composition des produits telle qu'elle ressort des recettes saisies et faisant preuve;

Que dès lors le rejet de l'exception de nullité de la procédure sera confirmé.

2 - Au fond :

Attendu que la prévention ne précise guère en quoi les prévenus auraient commis le délit reproché, qu'il convient de se reporter aux constatations de la DGCCRF dans le procès-verbal du 10 septembre 1998 pour tenter d'identifier les faits en cause.

Attendu à titre préliminaire qu'il sera répondu aux prévenus quand à la qualification "Halal" que si celle-ci n'est pas définie par le Code de la consommation, nul n'ignore - et surtout pas des professionnels ayant investi ce marché - que l'alimentation destinée aux Musulmans pratiquants exclut toute viande de porc, et suppose un abattage rituel des animaux;

Que MM. F et R ne sauraient prétendre que les spécifications "Halal" ne leur seraient pas opposables, et qu'ils seraient fondés à les ignorer, puisque justement ils ont eux-mêmes cherché à les respecter pour conquérir ce marché, notamment en se procurant des bêtes abattues selon le rituel et munies du certificat d'abattage délivré par une autorité religieuse.

Sur le jambon de dinde :

Attendu que si les déclarations des Sociétés Harimex et Nutrinal, fournisseurs des additifs de sang en poudre entrant dans la recette, établissent que l'additif a pu contenir, début 1998, du sang de porc, dans une proportion indéterminée, rien ne permet de déclarer qu'au 10 septembre 1998, date visée à la prévention, il en allait toujours ainsi, ni que MM. F et R étaient informés de la présence de sang de porc dans leur recette destinée au marché musulman;

Que dès lors tant l'élément matériel qu'intentionnel font défaut à cet égard.

Attendu qu'apparaît une distorsion entre la recette et l'étiquette, en ce que la première fait état de 60 % de cuisse de dinde, et la seconde de 70 % ; que les prévenus, auteurs et responsables de la recette et de l'étiquette ne sauraient prétendre ne pas être informés de cette distorsion, ni faire état de l'absence d'élément intentionnel.

b) sur la cuisse de dinde en salaison :

Attendu que le même raisonnement que pour le jambon de dinde conduit à écarter le reproche de la DGCCRF reposant sur la présence de sang de porc.

Attendu que dans la recette de ce produit, apparaissent 5,7 % d'amidon non mentionnés sur l'étiquette, que l'infraction reprochée est donc constituée au terme du raisonnement rappelé ci-dessus quant à la quantité de cuisse de dinde dans le jambon du même nom.

c) sur la roulade de volailles aux olives :

Attendu qu'apparaît dans cette recette la présence de chutes de parage provenant du marché "non-Halal", c'est-à-dire d'animaux pour lesquels la traçabilité de l'abattage rituel n'est pas établie.

Attendu que si les prévenus, comme l'a relevé d'ailleurs à leur avantage la DGCCRF, ont mis justement en place un système d'identification et de traçabilité des bêtes abattues selon les rites musulmans, et portant le certificat délivré par les autorités religieuses, ils ne sauraient donc prétendre à la bonne foi quant au mélange effectué par les Établissements R de viandes certifiées "Halal" et de parages non certifiés.

Attendu de même que le procès-verbal de la DGCCRF, non contesté en ce qui concerne la matérialité des constatations, révèle la présence dans cette recette de 16 % de peau de volaille en provenance de bêtes dont l'abattage rituel n'est pas certifié.

d) sur la roulade de volaille aux pistaches :

Attendu que la recette saisie fait état dans la composition du produit de la présence de 42,5 % de peau de dinde, alors que l'étiquette mentionne seulement de la viande de dinde.

Attendu que les prévenus font valoir que la peau est constitutive de la viande en ce que la peau des volailles est comestible et "propre à la consommation humaine".

Attendu en effet que la distinction entre peau et viande n'apparaît pas dans les textes légaux et réglementaires.

Mais attendu que la viande, en langage courant, est un aliment tiré des muscles des animaux (réf Larousse), que si la peau des volailles est comestible, elle n'en est pas pour autant de la "viande" au sens des attentes du consommateur; que si l'acheteur d'une volaille traitée et cuisinée peut s'attendre à la présence de peau (ce qui ne serait pas le cas pour d'autres espèces comme le boeuf ou le cheval, le porc étant par définition exclu en l'occurrence), une proportion dissimulée telle que celle relevée, à savoir 42,5 % de peau, soit près de la moitié, est de nature à tromper l'acheteur quant aux qualités substantielles du produit.

Attendu que la DGCCRF a relevé aussi la présence de 2,8 % d'amidon non mentionné sur l'étiquetage.

Attendu que les prévenus font valoir les petites quantités incriminées, et l'absence de profit en termes financiers pour la plupart des faits reprochés.

Attendu que ces considérations sont extérieures à la définition du délit, en ce que l'étiquetage était bel et bien, comme démontré, de nature à tromper les consommateurs, et que MM. F et R, professionnels confirmés, et mettant en œuvre leurs propres recettes, ne pouvaient l'ignorer.

Attendu que MM. F et R seront donc déclarés coupables des infractions qui leur sont respectivement reprochées

Attendu que le tribunal a fait une juste appréciation des faits et de la personnalité des prévenus, que les amendes prononcées seront confirmées.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement contradictoirement, en matière correctionnelle, et en dernier ressort, Reçoit les appels de MM. F et R et du Ministère public. Au fond : - Confirme le jugement du 4 mars 2002 en toutes ses dispositions.