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Décisions

CA Paris, 25e ch. A, 7 février 2003, n° 2002-12623

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Albery

Défendeur :

Movitex (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Canivet

Conseillers :

Mme Bernard, M. Picque

Avoués :

Mes Hanine, Cordeau

Avocat :

Me Seilliez.

TGI Auxerre, du 22 avr. 2002

22 avril 2002

Se plaignant de ce que la SA Movitex, exerçant sous les enseignes Edmée de Roubaix et Daxon, lui aurait adressé à plusieurs reprises des brochures publicitaires pour l'inciter à passer des commandes en lui laissant croire, en des termes non équivoques, qu'elle serait gagnante de gains et cadeaux, Marthe Albery a assigné cette société le 18 octobre 2000 devant le Tribunal de grande instance d'Auxerre, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, pour obtenir sa condamnation à lui payer 144 828 F (22 078,89 euros) à titre de dommages et intérêts.

La SA Movitex a contesté le caractère ambigu des jeux et soutenu que la demanderesse ne rapportait pas la preuve qu'elle avait bien participé à toutes les opérations pour lesquelles elle réclamait les cadeaux. Elle a conclu au débouté des prétentions de Marthe Albery.

Par jugement rendu le 22 avril 2002, le Tribunal de grande instance d'Auxerre a débouté Marthe Albery de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la SA Movitex 914,69 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Marthe Albery a relevé appel de cette décision. Dans ses dernières conclusions signifiées le 26 juillet 2002 et auxquelles il est renvoyé, l'appelante reconnaît qu'elle ne produit pas aux débats l'ensemble des documents relatifs à chaque jeu pour lequel elle réclame une indemnisation mais allègue que la société Movitex l'a "noyée" volontairement sous un flot d'informations complexes pour l'induire en erreur.

Elle réitère, que les règlements des jeux sont peu lisibles, que les termes en sont équivoques et estime que la société Movitex a cherché délibérément à la convaincre de la réalité de ses gains pour l'inciter à passer des commandes.

Elle se qualifie de consommateur moyennement diligent, peu susceptible de déjouer les règles de marketing et de publicité trompeuse maîtrisées par la société Movitex.

Marthe Albery fait encore observer que l'intimée n'a jamais répondu à ses lettres recommandées avec avis de réception ou à ses courriers simples mais qu'elle admet au moins dans ses écritures que l'appelante a gagné un chèque-cadeau.

Marthe Albery sollicite ainsi l'infirmation du jugement entrepris et la condamnation de la société Movitex à lui payer 22 078,89 euros (144 828 F) se décomposant comme suit:

- gain de chèque = 4 573,47 euros (30 000 F)

- jeu de 50 000 F = 7 622,45 euros (50 000 F)

- gain "la Belle vie" = 7 537,08 euros (49 440 F)

- gain de voyage = 762,25 euros (5 000 F)

- gain de service de porcelaine = 1 227,21 euros (8 050 F)

- gain de micro-onde = 303,37 euros (1 990 F)

- gain de parure de bain = 53,05 euros (348 F)

et majoré des intérêts au taux légal.

Dans ses dernières écritures signifiées le 17 octobre 2002 et auxquelles il est renvoyé, la SA Movitex fait tout d'abord valoir qu'elle n'entend répliquer que sur les jeux référencés dans l'assignation et constate que si Marthe Albery a communiqué de nombreuses pièces ne concernant pas lesdits jeux, elle n'a pas produit l'ensemble des documents envoyés pour chacun des jeux litigieux, de sorte que la cour n'est pas en mesure de se forger une opinion objective sur le contenu de chaque jeu.

Ceci étant, l'intimée souligne que chaque jeu comporte un règlement qui est reproduit en son intégralité, alors que seul l'envoi d'un extrait est obligatoire. Elle soutient que ces règlements sont clairs et qu'il suffit à Marthe Albery consommateur moyen, de les lire pour savoir dans quelles conditions elle pourrait gagner ou si elle a gagné.

Elle affirme en outre avoir répondu aux courriers envoyés par Marthe Albery.

L'intimée commente ensuite chaque jeu litigieux et répond point par point à l'argumentation de l'appelante. Elle estime comme en première instance que la rédaction de ces jeux n'est pas ambiguë et qu'il appartient à Marthe Albery de prouver qu'elle était personnellement destinataire des documents produits et qu'elle a participé à toutes les opérations pour lesquelles elle réclame des cadeaux.

La SA Movitex demande, en conséquence, la confirmation du jugement entrepris mais se fondant sur la jurisprudence la plus récente de la Cour de cassation, l'intimée est appelante incidente pour réclamer 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive. Elle argue en effet que l'appelante a voulu utiliser la voie judiciaire "pour tirer profit illégal de jeux mis en place en toute régularité".

Elle requiert encore de surcroît 1 500 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi,

Considérant qu'à l'examen des pièces parcellaires versées aux débats et relatives aux jeux- loteries organisés par la société Movitex et visés dans l'assignation introductive d'instance, il convient tout d'abord de débouter d'emblée Marthe Albery de ses demandes concernant les jeux numérotés 14 et 22 dans le bordereau annexé à ses dernières conclusions;

Qu'en effet, comme le tribunal l'avait déjà relevé, Marthe Albery n'établit pas avoir été destinataires des documents publicitaires relatifs à ces jeux et avoir en conséquence retourné un formulaire d'acceptation du gain potentiellement offert; qu'agissant sur le fondement de la responsabilité délictuelle à l'encontre de la société Movitex, Marthe Albery ne rapporte donc la preuve ni que l'intimée ait été fautive en lui laissant croire qu'elle avait gagné un lot substantiel ni qu'elle ait subi un préjudice découlant de cette faute;

Considérant ensuite, quant aux demandes relatives aux autres jeux (chèque, la Belle vie, voyage, service de porcelaine) et promotions (parure de bain) dont Marthe Albery a été destinataire, qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris pour les motifs pertinents retenus après une analyse précise de chaque jeu;

Considérant qu'il convient simplement d'ajouter que la lecture attentive des documents litigieux, tels qu'ils sont produits en appel, ne laisse pas croire à un consommateur moyen, normalement avisé et diligent, qui en est le destinataire, qu'il est, à leur réception, d'ores et déjà gagnant d'un des premiers lots ou prix de valeur;

Que si la présentation des documents est personnalisée et attractive, la rédaction du message qu'ils contiennent n'est pas ambiguë;

Qu'aucun d'entre eux n'associe de façon affirmative le nom du destinataire au gain des premiers prix;qu'aucune méprise sur la portée de l'offre n'est possible;

Qu'en outre, si cette offre a pu faire naître l'espérance d'un gain, il suffit au destinataire de se reporter au règlement, dont l'existence au verso lui est indiquée au bas du recto du document, et qui est reproduit en son entier, pour dissiper toute équivoque; que ce règlement, parfaitement lisible, ne laisse aucun doute sur l'existence d'un aléa affectant l'offre et permet d'écarter toute apparence trompeuse;

Que le règlement stipule notamment que les noms ne figurent sur les documents publicitaires qu'au titre d'un pré-tirage au sort, "qu'aucun destinataire ne peut être certain à la réception des documents d'être gagnant d'un des lots principaux" et qu'il convient de renvoyer le bon de participation ou le formulaire d'acceptation de gain pour pouvoir prétendre à un cadeau ou à un gain;que ces clauses établissent ainsi l'absence de corrélation entre l'annonce faite d'un gain et le gain des premiers lots;

Considérant au surplus que, comme le tribunal l'a fait observer, Marthe Albery n'a pu de bonne foi croire qu'elle était la gagnante systématique des grands prix de tous les jeux organisés par la société Movitex; que ses propres courriers du 25 mai 2000 et 2 mai 2000 permettent, au demeurant, de penser que l'appelante n'était pas dupe de sa chance, puisqu'elle reconnaît avoir gagné le lot "pendentif motif trèfle" d'une valeur de 150 F (22,87 euros) et qu'elle rappelle, dans la correspondance la plus ancienne, avoir accepté implicitement de renoncer à une voiture pour une parure de lit; qu'elle ne peut donc prétendre maintenant avoir été trompée par la société Movitex.

Considérant enfin que la parure de bain était un cadeau promotionnel et non le gain d'une loterie; que c'est justement que le tribunal a relevé que Marthe Albery ne rapportait pas la preuve qu'elle avait vraiment demandé l'envoi du cadeau;

Considérant que Marthe Albery sera en conséquence déboutée de toutes ses demandes;

Considérant que la société Movitex n'établit pas que Marthe Albery a intenté une action en justice à son encontre dans le seul espoir illégitime de gains qu'elle savait ne pas être les siens; que la multiplicité des mailings reçus par Marthe Albery et le fait que l'intimée reconnaisse elle-même que Marthe Albery a gagné et parfois reçu, en participant à divers jeux, des lots de valeur inégale, conduisent à admettre l'absence d'abus caractérisé à agir; que la société Movitex sera donc déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive;

Considérant qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en appel au profit de l'une ou l'autre des parties;

Par ces motifs, LA COUR, Contradictoirement, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Condamne Marthe Albery aux entiers dépens. Admet Maître Cordeau, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.